Pichot-Duclos, René (1874-1968)

Le témoignage

Le général René Agis Pichot-Duclos (9 mai 1874 – Fort d’Aubervillers (93) – 18 janvier 1968 – Biviers (38)), d’un père officier, présente dans ce fort volume les souvenirs des deux grands temps forts de sa vie militaire, de sa formation (enfance, écoles, premier régiment, Ecole de Guerre, états-majors et temps de commandements) à son affectation au 3e Bureau du GQG de Joffre, ce jusqu’à la fin de l’année 1915. Il y rapporte et dépeint son action comme les dessous du commandement des grandes unités au cours des différentes phases de la guerre jusqu’à son affectation, à la toute fin de 1915, au commandement du 11e BCA (qu’il commandera effectivement du 10 février au 26 octobre 1916). Par ses yeux et son esprit incisif, on entre dans l’intimité des états-majors et il n’élude rien des personnalités, innombrables, qu’il côtoie, parfois juge et critique ou encense avec une liberté de ton indéniable et directe. Très en lien avec les états-majors des grandes unités qui combattent à l’Est sur la ligne de feu, il renseigne très largement sur les actions de commandement et d’organisation des secteurs dirigés par le général Dubail et ses subordonnés dont on retrouve la liste dans une imposante table des noms cités (près de 700 noms) qui témoigne à elle seule de l’intérêt documentaire des souvenirs de ce lien entre le haut commandement et la guerre appliquée sur les différents théâtres d’opérations. L’ouvrage regorge ainsi d’anecdotes ou de chapitres qui partent dans une infinité de directions tant sur la formation militaire que sur différents aspects qu’il touche au fur et à mesure des activités d’analyse et de lien avec l’état-major de Joffre, fournissant ainsi un regard précieux du début de la guerre à toute l’année 1915. Ainsi, il évoque pêlemêle sa genèse d’une vocation aéronautique, les analyses des offensives de 1914 (La Marne et ensuite), l’adaptation à une guerre longue après le rétablissement de septembre, le GAE et les grandes attaques sur les Vosges, les études, recherches, travaux et réalisations, comme ses réflexions, sur de nombreux sujets divers, y compris sur certains fronts extérieurs.
Général Pichot-Duclos, Réflexions sur ma vie militaire. Au G.Q.G. de Joffre. Souvenirs, Paris, Arthaud, 1947, 399 pages.

Commentaires sur l’ouvrage :
Très autocentré bien entendu et donnant le plus souvent la part analytique la plus profonde et effective à ses actions et analyses, ce témoignage, qui allie en effet souvenirs (dont il dit, page 99 « les présents souvenirs sont écrits sans consultation d’une seule note pour l’excellente raison que je n’en ai pris au cours de ma vie que pendant les dix-huit mois vécus au GQG. ») et réflexions, en forme d’autobiographie sur le temps long de sa formation, écrit après la 2e Guerre mondiale, dont il fait parfois, voire souvent référence, est précieux car profond et précis. Eludant peu de noms, y compris sur l’ensemble de sa période très observatrice et rédactionnelle au GQG, il s’érige en témoignage incontournable pour toute étude concernant le haut commandement, son fonctionnement, les hommes qui le composent, concourant à la petite comme à la grande Histoire. Ce fort volume est un livre de souvenirs très documenté et le plus souvent très opportun pour qui veut connaître le « dessous des cartes » de l’Etat-Major de Joffre pour toute la période 1914 et 1915, surtout à l’Est. Il est en effet plus spécialement affecté à la liaison avec la 1ère armée de Dubail, abondamment cité, et dont on peut facilement dégager un portrait. Il y démontre l’extraordinaire complexité de la gestion d’une guerre moderne, avec son infinité d’hommes et de paramètres à prendre en compte. Le livre est également référentiel sur le haut commandement du front des Vosges pour la période du 6 septembre 1914 à décembre 1915. Il l’est aussi en filigrane sur l’aviation de la période 1913-1915, l’auteur ayant occupé une position en lien avec l’organisation de l’arme aérienne militaire et ayant profité de sa fonction à l’entrée de guerre pour tenter de passer le brevet de pilote. Il serait intéressant d’en dégager l’ensemble des passages et de les comparer avec son ouvrage.

L’ouvrage n’est pas iconographié mais comporte quelques cartes, contient très peu d’erreurs et est agrémenté d’une table patronymique et toponymique.

Renseignements tirés de l’ouvrage :

Plusieurs tableaux intéressants dans de nombreux emplois divers dans lequel l’auteur a eu une action, soit en formation, soit comme « observateur », soit dans les prises de décision de commandement ou de critique de celui-ci.

Extrait utile de la table des matières :
Formation : Enfance et écoles, mon premier régiment : Sous-lieutenant (76e RI) à Paris, lieutenant à Orléans, l’Ecole de guerre : chefs, professeurs, choix d’un Etat-major, Etats-majors et temps de commandement : Lyon, ; Grenoble, crises et troubles (dont vinicole), commandant de compagnie alpine (5e Cie du 158e à Lyon), grandes manœuvres (1909).
La Grande Guerre vue du GQG : Avant-guerre et début de l’aviation militaire, à Nancy (garnisons de Nancy et Toul), Genèse d’une vocation aérienne et section d’aéronautique du ministère, direction, organisation à la veille de la guerre
Entrée en campagne : certitude et préparatifs, couverture, appel du 3e bureau et ses conséquences, son rôle avant et après La Marne, exécution du Plan XVII à la 1re Armée, réhabilitation de l’offensive, Dubail et son Etat-major, contrôle parlementaire, l’épreuve de la 2e armée, plans consécutifs à La Marne.
Stabilisation progressive du Groupes des armées de l’Est
Front de Woëvre, officiers de liaison, coup d’œil sur la 4e armée, front mouvant des Vosges en 1914, déplacement présidentiel, front de Lorraine, Rocques et Dubail ; reconstitution et emploi des réserves, opérations sous bois, note du 16 avril 1915 et ses applications, second déplacement présidentiel, offensives des Vosges, Maud’huy, assauts du Linge, Hartmannswillerkopf, mort de Serret, « les cas » Sarrail et Schérer, mutations des grands chefs.
Pendant la stabilisation, études, recherches, travaux et réalisations : unités au repos, reconstitution et instruction, utilisation des ressources et places, recherche et expérimentation de matériels nouveaux, guerre des mines et des gaz, questions de 2e Bureau, rédaction de règlements et codification des enseignements tactiques, enseignements et réflexions tirés de la bataille de Champagne, mesures prises en vue de l’hiver, nuages sur Verdun, conduite progressive de la guerre, un match au sujet d’Alexandrette, l’intervention bulgare, les Dardanelles et Salonique et ses difficulté de commandement, velléités roumaines et plan d’opérations, mainmise de Joffre sur le théâtre balkanique, conférences interalliées et leur préparation, choix d’un adjoint, les distractions de Chantilly et Départ.
Annexe : Voyage dans les Vosges les 10 (Gérardmer), 11 (Epinal, Saint-Amarin, Moosch) et 12 février (Belfort) 1915.

Notes de lecture
Page 14 : Général (non cité) enterré avec son épée
32 : Galon d’Anspessoir (1re classe) donné aux 75 premiers au classement fait à Pâques
33 : Chien vert : dans l’argot de Saint-Cyr, nom donné au Sergent-major
56 : Les premiers 75 distribués en unités circulant en ville recouvert d’une housse sombre pour dissimuler son frein et sa hausse indépendante
83 : Vue des Gros Frères, les Cuirassiers
89 : Sur le système de fortification d’Epinal, réponse à la question
106 : Sur la guerre en montagne
122 : Bruit de la balle, « méthode de calcul des distances basée sur le phénomène de claquement que produisent les balles pendant qu’elles parcourent certaines parties de leur trajectoire »
140 : Sur Andlauer (vap 318)
: Réquisition des véhicules
141 : Lit du général Bailloud placé face à l’Est à Nancy
: Plan des mots de passe à Nancy
153 : Mort d’Edouard de Niéport, dit Nieuport par accident d’avion à Verdun
154 : Ecrit (en 1912 alors qu’il était capitaine) Les Reconnaissances en aéroplane, publié par Imhaus et Chapelot, éléments et chiffres de tirage et de ventes.
173 : Epuration du commandement (vap 206 et 334)
177 : Nombre d’escadrilles en août 14 ; 22 + 3 récupérables
178 : GQG restreint : Pichot-Duclos, Lt-col Buat, Brecard, col Paquette
181 : Habite 7 rue Valentin Haüy le 4 août 14
: Sur le retrait des 10 km
: Foch, 20e Corps (Nancy), Legrand-Girarde, 21e Corps (Rambervillers), leur personnalité dans leur bureau, trajet, temps et conducteurs (Boileau et Rigal, pilotes de course Paris-Belfort)
183 : Sur la rumeur de tranchées allemandes creuses dès le temps de paix en Lorraine
184 : Joffre dit : « J’aime mieux faire commander des divisions par des capitaines que de les laisser aux mains de gens incapables de les conduire ».
: Les stratèges sont les officiers qui ont fait une troisième année à l’Ecole de Guerre
: Veut profiter de sa position pour passer le brevet de pilote ; il dit « le mauvais départ de notre organisation d’aviation, la peine qu’elle avait à se militariser ».
187 : De Goÿs, chargé d’organiser l’aviation turque (en fait avril 1914 par Hirschauer, inspecteur de l’aéronautique militaire)
: Il précise son poste et sa réaffectation après La Marne
189 : Comment l’EM fonctionne à Vitry-le-François
190 : Opinion de Joffre le 6 septembre 1914 dans une école de Bar-sur-Aube : « … dans huit jours nous serons à genoux ! »
: Colonel Pont, chef du 3e Bureau
: Recul prévu un temps jusqu’au… Morvan, opiné par le Général Belin
194 : La Woëvre est censée envahie par la boue (colonel Poindron), mais les Allemands arrivent jusqu’à Saint-Mihiel
196 : (Note) Sur les inconvénients de la carte au 200 000e en deux couleurs, sans nivellement ni zone boisée
199 : Général Bastidon a fait une étude sur la bataille de Sarrebourg à Domptail
201 : Sur le rôle majeur mais sous-évalué de la forêt de Haye (vap 202)
202 : Dubail amputé (d’un pied en mars 1896 à la suite d’une chute de cheval)
203 : Son action sur les conseils de guerre spéciaux (vap 206 son Etat-major) et leur devenir
207 : Sur Saconney qui adapte le Drachen, de meilleure stabilité
22 : Raison du débarquement de Messimy (affaire du 15ème Corps) et devenir (fin 213)
216 : Renseignement récupéré à Coinches sur le moral allemand
226 : Nombre de coups par pièces et par calibres (155 et 120)
: Incident d’Apremont
228 : Sur les officiers de liaison, rôle, contact avec Joffre
233 : Général Gérard menteur, enquête de Pichot-Duclos (mais résultat non dit)
238 : « Le goût de la pioche n’était pas assez répandu dans l’infanterie qui avait en général trop compté sur le génie pour faire les travaux ; seul le colonel Barrard du 91ème s’était constitué une section de pionniers ; exemple à suivre ».
: Organisation du front d’Argonne chiffrée par compagnies d’une division
239 : Garibaldiens, valeur
241 : Front des Vosges
242 : Général Bolgert insuffisant pour « une région où le commandement à la fois compartimenté et distendu par le terrain devait être entre les mains de chefs susceptibles d’autonomie »
243 : Secteur du HWK et Serret
245 : Description du front des Vosges par Dubail : « Les Vosges ne sont pas un pays de montagne, mais un pays coupé et couverte. Sauf exceptions motivées par des vues particulièrement étendues ou intéressantes, les postes n’y sont pas faits pour garder du terrain, mais pour garder des gros »
: Belfort et le Général Thévenet
246 : Voyage de Poincaré dans les Vosges et en Alsace (vap annexe p. 376 à 380)
247 : Tardieu puis de Pierrefeu historiographes officiels des 3 premiers mois de guerre
249 : Poincaré ostensiblement non reconnu par une infirmière alsacienne
: Comment on choisit une infirmière religieuse alsacienne à décorer
251 : Front de Lorraine
258 : Utilise Minenwerfer au lieu de crapouillot
264 : « La crainte de Limoges » influe sur les chefs, et le pourquoi
: Observatoires dans les arbres
268 : Difficulté du combat sous bois et le pourquoi
: Sur les formules creuses des jusqu’auboutistes et qui ils sont
271 : Visite de Poincaré, donner l’illusion de la 1ère ligne et visite dans les Vosges, organisation en partie par Pichot-Duclos
273 : Sur la bataille des Hautes-Vosges de Pouydraguin
274 : Sur l’intervention du pouvoir civil
275 : Sur la mystique
286 : Sur ce qu’est la guerre dans les Vosges, concept de la guerre de montagne
: Sur la mort de Serret, utilisée de manière propagandiste par les Allemands
292 : Sur les chicanes dans les réseaux de fils de fer barbelés
297 : Territoriaux tarés
298 : « On gaspille les projectiles allongés de 90 et de 155 qui sont très précieux pour l’artillerie, en les faisant jeter par les avions ; les aviateurs ne veulent pas les lâcher parce qu’ils se sont entraînés au tir avec ces projectiles ».
: Sur les fusées
: Sur les sections de réparation auto de Lunéville « mal dirigée »
304 : « Je n’admet pas qu’un chef considère que son supérieur n’a pas le droit de lui faire une observation » dit le général Dubail
: Liquidation des places fortes, décret du 5 août 1915
306 : 730 infirmiers à Verdun
307 : Sur le Chauchat, l’histoire de sa mise au point et signification de CSRG (page 309) : Chauchat (colonel d’artillerie), Sutter (officier d’artillerie), Rybeyrol (ingénieur civil), Gladiator (du nom d’une fabrique de bicyclette).
310 : La boue et les armes
: Obus D, portée
313 : Sur le carnet d’explosion de la guerre des mines
314 : Klaksons + clairon + feux puis sirènes électriques pour l’alerte aux gaz et inconvénients divers de son audition
316 : Sur la méconnaissance de l’anglais chez les officiers
318 : Sur les Alsaciens, leur mentalité, leur surveillance
323 : Bruit du canon et compétence des troupes à les identifier
330 : Attaque et calendrier, l’amiral Amet dit : « Avant de fixer la date de vos attaques, que vous faites tomber aux équinoxes, regardez donc que diable votre calendrier ».
331 : Batterie de catapultes vosgiennes à deux pièces et description
332 : Bombes Save utilisée en forêt d’Apremont, à la « Tête de vache », à raison de 175 par jour, arrêtant des travaux de mines allemands (photo existante par aiilleurs)
333 : Charbon de bois fabriqué en forêt de Commercy par les Morvandiaux, utilisé en 1re ligne
: Mort du général Benzino, attribué aux renseignements des Services Spéciaux écoutant les communications allemands
334 : « Nettoyage des cadres »
: Sur les aménagements de tranchées et cantonnements par les généraux (cf. Lebocq pour le Bois-le-Prêtre)
336 : Eléments recueillis sur la préparation de Verdun par les Allemands d’après un renseignement fourni par des … religieuses + destructions de clochers
337 : 2 000 F. donnés pour monter une fanfare par le général Renouard
: Sur l’abus de vin distribué… aux habitants ; 720 litres par familles, qui les revendent aux militaires « pour le plus grand dam de l’hygiène ; de la discipline et de la bourse de ces derniers »
345 : Sur l’échec du débarquement en baie de Suwla (Dardanelles) « qui n’échoua que par l’inconscience tactique absolue des exécutants » (par des troupes) « plus sportives que militaires (qui) prirent d’abord des bains de mer et ne se mirent en marche pour occuper les hauteurs dominantes qu’après avoir laissé aux Turcs le temps de s’y incruster, de recevoir de l’aide et enfin d’ouvrir un feu suffisamment ajusté pour nécessiter l’organisation d’une attaque en règle, de sorte que l’insuccès de cette dernière entraîna l’échec définitif de l’opération »
346 : Sur l’enseigne de Vaisseau Simon, rescapé du Bouvet (coulé par une mine le 18 mars 1915) et qui échappa à Mers-el-Kébir comme capitaine de Frégate, commandant en Second du Dunkerque en 1940
351 : Atlas Stieler et Vidal-Lablache
362 : Idée de déposer par avion des troupes derrières les lignes ennemies
: Sur Saconney et cerfs-volants
: Sur la même invasion en cheminant par les mines s’étendant sous les lignes allemandes, « plan de termites » abandonné car jugé impossible à réaliser
: Sur un débarquement par les côtes par les canaux par bateaux à fond plat
363 : Sur l’invasion par la Suisse (dossier H) et troupes concentrées à Belfort en lien avec ce plan
372 : Comment on décide d’une décoration belge
373 : Sur l’idée d’instaurer la polygamie pour pallier au manque d’hommes
374 : Il passe au 11e BCP (en fait BCA) (il commandera aussi le 363ème RI (cité p. 255)
376 : Vue de Gérardmer, la Schlucht, l’Altenberg avec Poincaré, échanges sur la prospérité des Vosges et plans pour elles, l’Alsace et la Lorraine après la guerre le 10 février 1915
377 : Visite d’Epinal
378 : Hansi présenté au général Mauger
: Vue de Bussang (11 février 1915)
379 : Méthode Berlitz à l’école alsacienne
: Enfants allemands invités à garder leur langue aussi après la guerre
380 : Pains K et KK

Yann Prouillet, juillet 2023







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Loti, Pierre (Viaud, Louis-Marie-Julien) (1850–1923)

1. Le témoin

Louis Marie Julien Viaud, dit Pierre Loti, est né le 14 janvier 1850 à Rochefort (Charente-Maritime, alors Charente Inférieure). Il est le 3e enfant de Théodore Viaud et de Nadine Texier, famille de la petite bourgeoisie protestante de la cité rochefortaise. Il suit des cours particuliers à Rochefort, entre au collège à 12 ans et suit des cours de marine mais échoue d’abord au concours d’entrée à l’école navale en 1866 puis réussit l’année suivante après avoir préparé le concours à Paris. Il fait ses classes sur le navire école Borda à Brest puis débute sa carrière navale. La mort de son père l’oriente vers une carrière de journaliste sans quitter la carrière navale. Son premier article est publié en 1880 et publie sous son pseudonyme complet l’année suivante, pseudonyme venant d’un séjour à Tahiti entre janvier et mars 1872. Il continue de parcourir le monde, est fait commandeur de la Légion d’Honneur en 1910 et est admis à la retraite le 14 janvier de la même année, ayant accompli 42 ans, 3 mois et 13 jours de service dont 19 ans, 11 mois et 8 jours en mer. Au mois d’août 1914, il est mobilisé à l’arsenal de Rochefort et parvient à être mandaté comme officier de liaison sans solde auprès au général Gallieni le 25 septembre suivant. Rappelé officiellement à l’activité le 1er février 1915, il occupe plusieurs fonctions d’état-major, notamment celui du Groupe d’Armées du Centre (GAC) et effectue des missions d’observation et de médiation avec les alliés de la France sur les arrières fronts. En mai, par sa position d’écrivain et de journaliste international, il entreprend des négociations secrètes entre la France et la Turquie. En 1916, il est affecté au Groupe d’Armées du Centre (GAE), à Mirecourt dans les Vosges, puis en mai 1917 au Groupe d’Armées du Nord (GAN). Remis à la disposition de la Marine le 9 mars 1918, il est démobilisé le 15 mais reste autorisé à être présent au G.A.N. Epuisé et malade, il est évacué le 31 mai 1918 pour raison de santé. Atteint par la limite d’âge, il est rayé des cadres de l’Armée le 11 novembre 1919. L’année suivante, il reste paralysé par une attaque cérébrale et il meurt à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) le 10 juin 1923. Il est inhumé dans sa maison de Saint-Pierre-d’Oléron. Sa carrière littéraire entre livres, articles et contributions littéraires, est pléthorique. Il tient également un « journal intime » de guerre que les éditions de La Table Ronde reproduisent entre le 1er janvier 1914 et le 11 novembre 1918.

2. Le témoignage

Loti, Pierre, Soldats bleus. Journal intime, 1914-1918, Paris, La Table Ronde, 1998, 312 pages.

Pierre Loti, romancier, voyageur et marin mondialement connu, a débuté dès son adolescence un journal que sa vie finissante avait fait délaisser. Quand éclate une guerre européenne qui va rapidement toucher les pays qu’il aime, telle la Turquie, il ne tient pas à rester à l’écart de la vie publique. Avec une étonnante lucidité, il révèle sa conscience de l’imminence d’une guerre d’extermination, d’un cataclysme mondial, bien qu’il la considère peu maritime et de quelques mois. Dès lors, Julien Viaud veut servir la France à sa manière et demander à immédiatement reprendre le service armé. Capitaine de Vaisseau en retraite, il va solliciter l’autorité militaire et faire jouer toutes ses relations afin de trouver une place au front, quel que soit son emploi ; il « décide de vieillir en guerre » (page 8). D’abord rejeté, il obtient finalement un poste d’officier de liaison auprès du général Gallieni qu’il rejoint à la fin du mois de septembre 1914. Il parcourt alors le front nord et décrit par sa plume habituée les tableaux qu’il rencontre. Ceux-ci alimentent le journal intime de Pierre Loti mais servent surtout de base aux proses de la propagande anti-allemande pour devenir un homme public farouchement germanophobe, chantre du « bourrage de crâne » (page 9), l’un des « Rossignols du carnage » (page 11).

Rappelé officiellement à l’activité militaire, il est rattaché au ministère de la Guerre et reçoit différentes affectations. Il est ainsi nommé au Groupe des Armées du Centre, faisant fonction d’inspecteur de DCA puis aux armées de l’Est, à Mirecourt, (en 1915 à l’Etat-Major de Castelnau), avant d’être affecté dans la Somme. Outre une activité plus journalistique que militaire, il contribuera toutefois à la tenue de négociations secrètes entre la France et la Turquie dont il fut un des plus acharnés ambassadeurs. Il effectuera également des voyages de propagande en Italie avant d’être démobilisé en mars 1918. Maintenu de manière honorifique dans la zone des armées, il reste, en mai inspecteur des troupes noires.

Mais la guerre est longue et la vieillesse de l’écrivain l’oblige à des périodes de repos dans sa maison basque d’Hendaye. La lassitude et la maladie l’assaillent ; il est perclus d’angoisses, de désespoir, de solitude et est hanté par l’idée de la mort. Il est évacué le 31 mai 1918 pour raisons de santé et ne côtoie plus guère que de loin. Le 20 août 1918 et en prévision de sa mort, il cesse définitivement le journal de sa vie.

3. Résumé et analyse

Les présentateurs de cet ouvrage ont réalisé un impressionnant travail documentaire et explicatif sur Pierre Loti, son environnement et sa place dans l’actualité contemporaine de la guerre. Une longue note technique sur la méthode de transcription des notes de Loti nous renseigne sur sa pratique d’écriture (page 16). Ainsi, l’ouvrage présente, outre un rappel chronologique des grandes étapes de la vie d’une des plus grandes signatures de la fin du siècle dernier, des insérés également chronologiques de textes écrits pendant la guerre lors des visites au front et des voyages de leur auteur, qui s’érige aussi en témoin. C’est donc pour l’amateur de littérature et le passionné de Loti un ouvrage fondamental à la connaissance profonde de l’écrivain dans son intimité et sa psychologie.

Toutefois, cette présentation originale permettant un cadrage complet de la période présente l’inconvénient de redites fréquentes (voir le texte sur Venise) car Loti utilisait son journal comme base aux productions journalistiques. Mais le lecteur de penser aussi que ces textes sont également présentés dans une certaine exhaustivité pour rehausser l’intérêt du journal, bien pauvre sur le plan documentaire extra-biographique. Cet intérêt décroît encore au fur et à mesure de l’avancée de la guerre, où Loti ne voit plus que ses douleurs intérieures.

Ce journal de guerre n’offre donc qu’un intérêt très limité. En effet, Pierre Loti se révèle finalement un témoin étique car éloigné du grand cataclysme dont il ne veut pourtant pas être écarté. Ceci même si, le 23 décembre 1914, Loti achète un uniforme gris bleu qui se voit moins dans les jumelles allemandes ! (page 53). Pourtant, son journal ne reflète pas les expériences quotidiennes qu’il aurait pu décrire avec le même talent que celui qu’il employait à magnifier la France et ses alliés dans des textes d’un patriotisme enflammé et une germanophobie dure et durable (page 82) inversement proportionnelle à sa proximité de l’ennemi, qu’il appelle les « poux gris » en octobre 1917 (page 218). Il décrit les techniques allemandes pour empoisonner les puits avec de la créosote ou de la pourriture (page 153). Il analyse pourtant ces sentiments germanophiles ou germanophobes en Espagne (pages 123, note 103, page 162). Le 1er août 1914, il décrit l’ambiance à Rochefort et prophétise une guerre d’extermination, la plus atroce (page 39), faisant preuve de lucidité devant l’ampleur du cataclysme mondial à venir (page 40), même s’il pense à une guerre peu maritime et de quelques mois seulement (page 41). Il a quelques phrases originales sur le cheminement dans les boyaux (page 80) et des visions et impressions à conserver dans une ambulance de gazés (page 88), évoquant de grands feux pour neutraliser les gaz (page 90). De même sa vue d’un cimetière à Ville-sur-Tourbe et l’identification des tombes (pages 93 et 97). Quelques tableaux d’intérêt dans ses visites de Lorraine (Gerbéviller, Parroy, Lunéville, page 119), dans les Vosges (Saint-Dié le 25 juin 1916, la Fave, le 5 juillet 1916, l’Alsace et Gérardmer, pages 120 et 127 ou la Tête de la Behouille, page 270). Sa plume décrit une vision parabolique de canons, « bêtes apprivoisées » (page 132). On peut aussi garder l’intérêt de sa description de la guerre de montagne, dans les Alpes dolomitiques, et de ses spécificités (pages 124 à 127) ou d’un camp de Sénégalais (page 241).

Malgré cela, la guerre passe très largement au second plan par rapport à la psychologie et la succession de petits instants personnels formant le banal (et l’ennuyeux) quotidien de Julien Viaud-Loti. Au fil des pages, la noirceur de l’âme morbide et tourmentée du diariste prend le pas sur le témoignage de son temps et des événements exceptionnels dont il aurait pu être le témoin privilégié. Dès lors, peu de renseignements sont à tirer du journal d’un homme de lettre dont la plume descriptive s’embellissait d’une telle poésie, inemployée à décrire le quotidien d’un homme las pour lequel la guerre n’a pu réinsufler l’intérêt de la vie.

Quelques tableaux, notes et éclairages sont à extraire toutefois de cet ouvrage non iconographié qui laisse quelques zones d’ombre sur le personnage fort complexe à la vie et à la personnalité singulières (où la femme légitime de l’auteur est totalement éludée, par exemple). L’ouvrage comporte ainsi quelques pages utiles pour des tableaux d’ambiance, des paraboles littéraires, des reflets mondains ou le côtoiement de personnages contemporains.

A noter une excellente préface résumant l’ouvrage, une abondante partie « notes » et des références bibliographiques.

Yann Prouillet, CRID 14-18, décembre 2011

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Pierrefeu, Jean de (1883-1940)

1. Le témoin

Les informations biographiques sur Jean de Pierrefeu sont très lacunaires, notamment en ce qui concerne sa jeunesse : né en 1883, au sein d’une famille bourgeoise, probablement parisienne, il reçoit une solide éducation. Son intérêt pour les milieux d’affaires le conduisit, aux alentours de 1905, à embrasser la carrière de journaliste. Il évolue rapidement dans la dynamique équipe de L’Opinion, un hebdomadaire politique – avec une affinité marquée pour certains courants nationalistes – fondé le 18 janvier 1908 sous le patronage du futur président de la République Paul Doumer. Nationaliste convaincu, Pierrefeu partage avant-guerre les idées de Barrès, et participe à l’enquête d’Agathon, Les jeunes gens d’aujourd’hui (d’abord publiée sous forme d’articles dans le journal L’Opinion au cours de l’année 1912) en rédigeant un court article traitant de la jeunesse littéraire d’avant-guerre. A partir de 1910, Pierrefeu loue une chambre au sein de la pension Laveur au Quartier Latin à Paris. Mobilisé le 1er août 1914 en tant que sergent-major réserviste, Jean de Pierrefeu est blessé et reste quelques semaines en convalescence à l’hôpital de Dijon. Jugé inapte à reprendre le combat, il est intégré aux contingents auxiliaires, à la garde d’un dépôt de l’intérieur, avant d’être affecté le 23 novembre 1915, avec le grade de sous-lieutenant, à la Section d’information, au sein du Grand Quartier Général, à Chantilly. Son rôle est de première importance : il est chargé de rédiger le communiqué officiel aux armées. A partir de 1916, il est responsable de la rédaction du communiqué de l’armée de Salonique. Il oeuvre toujours pour L’Opinion et est intégré au nouveau comité de rédaction de L’Eclair en décembre 1917. Démobilisé en 1919, il se consacre dès la fin de la guerre à l’écriture dans des ouvrages portant sur divers sujets : Comment j’ai fait fortune, La dictature des marchands, Le Mercure volant, La comédie de Limoges, Le Roman diplomatique de Gênes, L’Homme nu sauvera le monde, Vocabulaire du temps présent, Les mille et unes nuits littéraires. Mais ce sont ses ouvrages sur la Grande Guerre qui lui valent ses plus grands succès et ses plus dures critiques (voir ci-dessous). Il dirige la collection « Combattants européens » à la Librairie Valois, lancée en mars 1930. En 1940, Pierrefeu réaffirme avec conviction son soutien au maréchal Pétain et dirige la revue Les Cahiers de la Jeune France, « organe de la Révolution nationale ». Il meurt la même année.

2. Le témoignage

Après la Grande Guerre, Jean de Pierrefeu fut au cœur d’une polémique importante suscitée par ses ouvrages extrêmement incisifs critiquant le haut-commandement français et, plus généralement, l’ensemble du corps des officiers d’active.

Son premier ouvrage relatif à la Grande Guerre est une brochure consacrée à La deuxième bataille de la Marne (Paris, Renaissance du Livre, coll. « Les cahiers de la victoire », 1918). Il y retrace l’évolution des conceptions tactiques et stratégiques du commandement français depuis la bataille de Verdun. Il publie ensuite L’offensive du 16 avril. La vérité sur l’affaire Nivelle (Paris, Renaissance du Livre, coll. « Les cahiers de la victoire », 1919) dans lequel il commence à se démarquer de l’histoire officielle. Son expérience de guerre fait directement l’objet d’un autre ouvrage intitulé GQG. Secteur I. Trois ans au Grand Quartier Général par le rédacteur du communiqué (Paris, L’Edition française illustrée, 2 tomes, 1920). Conçu comme un reportage, Pierrefeu dresse un tableau vivant du quotidien du GQG et, pour la première fois, commence à livrer son jugement personnel des événements. Le premier tome est consacré à la succession des événements allant de son arrivée à l’état-major (23 novembre 1915) au renvoi du général Nivelle (15 mars 1917) ; le second volume va de la prise de fonction de Pétain à l’armistice, le 11 novembre 1918. Les trois ouvrages qui suivent vont plus loin encore dans les prises de positions de l’auteur. Bâti comme un dialogue fictif entre l’auteur et son « démon familier », incarnation d’un esprit conforme aux « bonnes mœurs françaises », Plutarque a menti (Paris, Grasset, 1923) est probablement l’ouvrage qui a le plus suscité la polémique. Son oeuvre précédente lui avait déjà valu quelques critiques ; en s’attaquant aux officiers et à leurs méthodes tactiques et stratégiques, en se posant à contre courant de l’histoire officielle de la guerre, il essuie ici la colère de nombreux détracteurs et voit paraître une sorte de réponse officielle de l’armée à ses accusations (Général ***, Plutarque n’a pas menti, Paris, La Renaissance du Livre, 1923). L’ampleur de la polémique et le succès du premier ouvrage encouragent Pierrefeu à poursuivre ses réflexions dans un Anti-Plutarque (Paris, Les Editions de France, 1925) puis dans Nouveaux mensonges de Plutarque (Paris, Rieder, 1931).

3. Analyse

L’oeuvre de Jean de Pierrefeu est marquée par son expérience de journaliste avant-guerre. Le style adopté par ses premiers écrits est proche d’un reportage d’information, comme en témoigne l’incontestable recherche d’objectivité affichée dans l’avant-propos du premier tome de GQG, secteur I : « Cet ouvrage est le compte-rendu loyal des observations que j’ai pu faire au Grand Quartier Général ».

De son expérience quotidienne en tant que rédacteur du communiqué officiel, on ne sait finalement pas grand chose outre sa surprise de voir qu’on lui confie une tâche aussi importante, la difficulté de cette entreprise – informer sans trop en dire, ni sans donner le sentiment que l’on cache la réalité de la situation militaire -, et quelques pistes sur les différentes manières de procéder.

En revanche, il livre un témoignage très riche sur le Grand Quartier Général : à la manière d’un reporter, c’est toute un vaste et complexe ensemble de services interdépendants, disposant d’une hiérarchie interne officieuse, que chacun se devait de respecter, qui se dévoile. Pierrefeu épingle également les conditions de vie luxueuses et d’un grand prestige des membres du GQG. La société militaire essuie ainsi, dès GQG. Secteur I, les plus violentes critiques. Par « société militaire », ce sont principalement les officiers titulaires du brevet d’état-major et tous ceux qui aspirent à le devenir que Pierrefeu désigne. Il observe au jour le jour les mœurs et les conceptions de cette élite d’une « caste » militaire – dans laquelle les principaux intéressés ne se reconnaîtront pas à en croire Plutarque n’a pas menti. Sont dénoncés sous la plume de Pierrefeu l’attachement de ces hommes à leurs traditions et la recherche d’un avancement rapide.

Quelques personnalités concentrent plus particulièrement l’attention de Pierrefeu : Joffre, Nivelle et Pétain, qui se sont succédé à la tête du GQG. Au sujet de Joffre, le témoignage de Pierrefeu est contradictoire : présenté comme un homme doté de bon sens et de volonté, soucieux de prendre seul ses décisions, le généralissime aurait été manipulé par son entourage. Nivelle, ensuite, est présenté comme un généralissime médiocre, soumis à des influences multiples, engagé dans une terrible surenchère de promesses qu’il fut incapable de tenir. Le second volume de ses souvenirs au GQG s’ouvre avec l’arrivée de Pétain au GQG, auquel l’auteur voue une admiration sans borne : porteur d’espoir, le nouveau généralissime a, toujours d’après Pierrefeu, substitué la compétence à l’ambition au rang des principales vertus des officiers du GQG et est devenu le sauveur de la France.

D’un désir manifeste de livrer un témoignage sur son expérience en tant que rédacteur du communiqué officiel et membre du GQG, Pierrefeu glisse peu à peu, dans l’après guerre, à une entreprise d’analyse critique et de dénonciation des erreurs militaires commises durant la Grande Guerre. La figure de Plutarque est alors convoquée pour fustiger le Culte des Grands Hommes auxquels, d’après Pierrefeu, les Français – sous influence directe de groupements d’intérêts souhaitant entretenir le « mensonge social » – sont si attachés.

L’œuvre de Pierrefeu porte la marque de sa désillusion : jeune journaliste enthousiaste au début de la guerre, il prend progressivement conscience des effets destructeurs des conceptions tactiques du GQG et de ses erreurs : le culte du « cran » et de l’offensive du généralissime Joffre et de son entourage, les risques inconsidérés pris par d’autres officiers, négligeant le facteur surprise, commettant de graves erreurs dans la préparation des batailles, se laissant influencer par des intérêts politiques dans l’espoir d’obtenir plus de gloire, plus d’honneur, plus de reconnaissance. Au bout de trois ans de guerre, l’arrivée de Pétain à la tête du GQG contraste fortement avec ses prédécesseurs, incarnant brusquement aux yeux de Pierrefeu un modèle de vertu et de professionnalisme qui lui redonne espoir et l’amène dans tous ses ouvrages d’après-guerre à le mettre sur un piédestal.

Au final, Jean de Pierrefeu a laissé une oeuvre d’une grande richesse. Son parcours avant-guerre comme journaliste et sa position particulière comme membre du GQG et rédacteur du communiqué officiel l’ont amené à proposer un regard acéré sur la guerre. Dans sa maîtrise consacrée à « Jean de Pierrefeu et la Grande Guerre », Fabrice Pappola rappelle ce qui fait la spécificité de cette oeuvre, à la fois témoignage d’un reporter, rapport d’un analyste militaire et interrogations d’un philosophe.

4. Autres informations

PAPPOLA Fabrice, Jean de Pierrefeu et la Grande Guerre. Les désillusions d’un jeune nationaliste, mémoire de maîtrise sous la direction de Rémy Cazals, Université Toulouse II-Le Mirail, 2001.

CAZALS Rémy, « Plutarque a-t-il menti ? », dans les actes du colloque Retrouver, imaginer, utiliser l’Antiquité, sous la direction de Sylvie Caucanas, Rémy Cazals et Pascal Payen, Toulouse, Privat, 2001, pp. 141-146.

OLIVERA Philippe, La politique lettrée. Les essais politiques en France, 1919-1932, thèse d’histoire, Université de Paris I, 2001, pp. 585-589.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Déverin, Edouard (1881-1946)

1. Le témoin

Appartenance 48e BCP (mention de cette unité p 139). Soldat d’origine parisienne. Devient téléphoniste dans le courant de l’année 1915. Aucun élément dans le témoignage ne permet de déterminer l’origine sociale du témoin qui paraît plutôt être un intellectuel et peut-être même un homme de plume. Termine sa guerre à partir de fin 1917 – sans que le témoignage ne dise le moindre mot des raisons de cette affectation – au G.Q.G. à Compiègne (« Mais simplement un hasard s’est présenté que je n’ai pas repoussé. », p 159) puis à Provins où il fait partie de l’équipe chargée de la rédaction des communiqués. Semble terminer définitivement sa guerre à Metz (Pierrefeu évoque ce déplacement critiqué du G.Q.G dans GQG Secteur 1, tome 2, Edition française illustrée, 1920, p. 241-242). N’évoque ni les conditions ni les termes de sa démobilisation.

2. Le témoignage

Du Chemin des Dames au G.Q.G. R.A.S. 1914-1918, Les Etincelles, 1931, 169 p. constitue la réédition enrichie de Feuillets (1914-1918), Maison d’Art et d’Edition, 1919, 124 p., ouvrage tiré à 500 exemplaire qui n’eut qu’une diffusion restreinte auprès des amis et camarades du front de l’auteur. Elle fut donc assez rapidement épuisée.

C’est la seconde édition que nous analyserons ici, faute d’avoir pu consulter la première et donc d’avoir pu mesurer la part de réécriture de cette édition revue et augmentée.

Selon l’auteur, la première édition était constituée de « notes directes et volontairement non romancées [qui] ne sont et ne veulent être qu’un choix de souvenirs et d’images, de la retraite à l’armistice, en passant par les tranchées de l’Aisne et la Somme. »  (préface de la seconde édition, p. 13). Elle semble donc naturellement trouver sa place dans la collection de témoignages des Etincelles, maison d’édition qui accepta en 1929 la publication du controversé Témoins de Jean-Norton Cru. La préface de cette seconde édition rend compte de l’accueil dans la presse de l’édition de 1919 (pp 14-16).

Une dédicace : « A mes camarades des 26e et 48e B.C.P. je dédie ce choix de souvenirs et d’images. »

Illustrations en tête de chapitre par Richard Maguet.

3. Analyse

Ouvrage elliptique qui, comme l’indiquent sa dédicace et sa préface, privilégie « un choix de souvenirs et d’images. »

Evocation de la guerre de la mobilisation jusqu’à l’armistice. Des va-et-vient chronologiques (évocation du plateau de Craonne en août 1914, p 35) montrent à l’évidence que si ces souvenirs ont été écrits à partir d’un carnet de route, celui-ci n’interdit pas à l’auteur de toujours privilégier une vision récapitulative de l’ensemble de la guerre (voir également p. 111-112).

Les têtes de chapitres possèdent parfois des indications spatio-temporelles mais la chronologie et la topographie de l’ensemble demeurent parfois assez lacunaires, comme il en est souvent pour le genre rétrospectif. Ces souvenirs sont, sous la plume de Déverin, également empreints d’une certaine forme de nostalgie. L’auteur évoque assez peu sa personne ou son ressenti face à la guerre. Ses descriptions portent sur ce qu’il voit ou ceux qui l’entourent directement. Seules les pages narrant un projet d’attaque de la ligne Hindenburg en mars 1917 et, par la suite, son affectation au G.Q.G. laissent entendre un jugement critique à l’égard du haut commandement.

Des groupes de chapitres forment des parties distinctes de l’ouvrage à partir du chapitre 7 : L’Aisne (1915-1916), chapitres 7 à 12 ; la Somme (juin-octobre 1916), chapitres 13 à 17 ; Des abords de Saint-Quentin à Metz (1917-1918), chapitres 18 à 25.

pp 23-29 : chapitre 2 : Le pillage et la pagaye (Noisy-le-Sec, 3-5 août 1914)

Mention du carnet de notes qui servit à la rédaction de l’ouvrage (p 17).

Evocation du saccage d’une laiterie Maggi par des civils en août 1914 (liée à des rumeurs d’empoissonnement d’enfants par les Allemands). « Ebahis, mais impassibles comme des Parigots qui se respectent, nous assistons à ce saccage-pillage – preuve évidente de l’imbécillité et de la passivité populaire. » (p 24)

Départ par la gare du Bourget : « Nous n’avons guère envie de chanter la Marseillaise ou le Chant du Départ. » (p 28)

pp 31-37 : chapitre 3 : Chimay et la retraite (août 1914)

Arrivée en Belgique : « Jusqu’ici, ce n’est qu’une impression de manœuvres, un optimisme certain ; beaucoup d’insouciance juvénile, le vague plaisir de l’aventure et de l’inconnu. » (p 32) A Chimay, premier contact avec les réalités de la guerre : les trains de blessés. Pas d’engagement de son unité dans la bataille de Charleroi, repli immédiat sur Vervins, Orbais, Villiers-Saint-Georges puis Montmirail.

pp 39-44 : chapitre 4 : Reims (13-14 septembre 1914)

Départ de Château-Thierry pour Reims où l’unité de l’auteur cantonne. Début des bombardements de la ville.

pp 45-48 : chapitre 5 : T.S.F.

pp 49-54 chapitre 6 : la maison des cercueils

Description d’une menuiserie à Jonchery-sur-Vesles (Marne) servant à fabriquer les cercueils pour l’hôpital de cette localité.

pp 57-61 : chapitre 7 : Au créneau (Soupir)

Séjour au pied du Chemin des Dames en période calme, sans doute au printemps 1915.

pp 63-67 : chapitre 8 : réglage de tir

Promu téléphoniste dans le même secteur, apparemment à la même période.

Un camarade, Letourné, évoque une trêve entre Français et Allemands pour aller ramasser les cadavres entre les lignes. Cette scène qui confine à une fraternisation (deux majors de chaque camp se seraient serré la main) est interrompue par un officier observateur qui en rend compte à la brigade.

Du fait de sa nouvelle affectation, l’auteur est amené à régler par téléphone le tir de batteries

pp 69-73 : chapitre 9 : 14 juillet devant la ferme Saint-Victor

Evocation du secteur de la ferme de Saint-Victor dans l’Oise.

pp 75-79 : chapitre 10 : nocturne

Evocation d’un secteur agité – où les bombardements par artillerie de tranchée coupent régulièrement les lignes téléphoniques (les bombardements sporadiques mais intenses par torpilles d’artillerie de tranchée sont l’une des caractéristiques du secteur des environs de la ferme de Confrécourt).

pp 81-88 : chapitre 11 : relève à Confrécourt

« Saison funèbre. Tout s’écroule sous la pluie éternelle, les talus eux-mêmes s’éboulent. On ne peut désirer et réaliser qu’une chose : ne pas vivre absolument dans un cloaque. » (p 82)

Evocation des difficultés à maintenir les liaisons téléphoniques dans un tel bourbier. Une évocation de ce secteur à la p. 111 la situe en décembre 1915.

pp 89-92 : chapitre 12 : secteur calme

« Chaque jour est un jour de gagné sur le risque de la mort – même dans ce secteur en apparence tranquille – et le rythme se déploie, impitoyablement régulier. Trop de petites choses quotidiennes enserrent les soldats pour qu’ils puissent s’offrir le luxe de remuer des idées. » (pp 89-90) Sur « le luxe de remuer des idées », on trouve une évocation toute à fait opposée à celle qui est exprimée ici chez Etienne Giran (Parmi les Zouaves, Edition du Nouveau Monde, 1923) dont l’unité se trouve dans le même secteur et à une période immédiatement postérieure à celle évoquée ici, visiblement matériellement beaucoup moins pénible.

Evocation des loisirs des combattants : parties de cartes, rédaction de la correspondance. La guerre et son spectacle rompent parfois la monotonie et « animent » le paysage : « Plus loin, au faite de la colline, un spectacle attire : les arrivées des gros noirs. Combien risible paraît l’étonnement des gens d’en face sur un inoffensif repli de terrain. Puissance de l’assimilation : j’éprouve un étrange mais réel plaisir, à voir monter avec un sifflement plaintif les trombes de fumée, de terre et les morceaux d’acier. » (p 92)

pp 95-99 : chapitre 13 : l’espoir de la Somme

Après avoir transité par le Valois, l’unité de Déverin rejoint la Somme (Rosières, Marcelcave). Les préparatifs d’offensive semblent prometteurs : « Pourquoi ne serait-ce pas le dernier acte, le commencement de la ruée finale ? » (p 96)

pp 101-104 : chapitre 14 : Le « 105 » devant Belloy

Engagé dans l’offensive, l’auteur subit les effets d’un bombardement dont il ressort miraculeusement indemne : « A distance, on remâche mieux cette idée de mort. Cela fut proche. Mais pourquoi faire tant d’histoires ? Nous reposerions en un cimetière sans faste. Il resterait deux noms sur les croix de bois noir ; cela ne serait même pas le tragique lamentable du papier dans la bouteille des premiers temps de guerre. Et l’oubli serait fait si vite. Un homme remplace un autre homme. » (p 104)

pp 105-109 : chapitre 15 : En réserve, au « Chancelier »

Evocation de la mort « voici déjà deux mois (…) [de] ce charmant Marcel Etévé » (l’auteur des Lettres d’un combattants (août 1914-juillet 1916), Hachette, 1917, cf. J.N. Cru, Témoins, Les Etincelles, 1929, pp 516-518) dans cette même tranchée des Chanceliers reconquise par l’unité de Déverin.

« Quant aux prisonniers, adolescents pour la plupart, nous les regardons sans haine, mais sans indulgence. Physique ingrat, l’air absent, abruti par la prodigieuse rafale d’acier qui, depuis plusieurs jours, s’abat sur eux. Ils défilent, identiques. Je leur dis : « Kriegsende ! » Ils s’épanouissent largement (…) Ce qui nous frappe, c’est leur mine humble et souvent sournoise, sous cet affreux calot. A l’un d’eux, un biffin arrache violemment sa patte d’épaule. Pas un geste, ni un mot de révolte. » (p 107)

Evocation d’un blessé allemand, dans ce contexte particulier à l’offensive : « Pauvre type, il est bien amoché ; on devine des moignons sanglants sous la toile de tente tachée de grandes plaques rouges. On le plaint un peu. « Oui, c’est dommage, dit Pernin, mais ils ont fait le sale coup si souvent de faire semblant de se rendre et de nous balancer une « citron » dans le blair ! » Chacun est devenu assez dur ; la pitié ne se prodigue plus qu’à bon escient. Et d’ailleurs toute sensibilité s’émousse. Il faut, pour la toucher, que l’horreur atteigne un certain degré, soit proche et directe. Combien de fois avons-nous devisé gaiement le long de tombes inconnues. » (p 108)

pp 111-115 : chapitre 16 : Benoît, téléphoniste

Evocation rétrospective de tous les secteurs parcourus et des camarades de combats rencontrés (des téléphonistes). Evocation – là encore rétrospective – de la mort d’un camarade proche : Benoît.

pp 117-120 : chapitre 17 : Faune

Evocation rétrospective des animaux croisés pendant la guerre, qu’ils soient aimés ou détestés : chevaux, chats, rats, poux, chiens, ânes.

pp 123-124 : chapitre 18 : Le repli (mars 1917)

Après une période de repos, avance sur Lassigny : « Partout des entonnoirs, partout les routes sont barrées par les arbres coupés, les poteaux renversés. » (p. 126)

« A Guiscard, à Guivry, ce qui reste de la population – des vieillards et des femmes – nous regarde défiler, sans manifester d’ailleurs aucun enthousiasme. Ces gens là semblent encore plongés dans une certaine hébétude. Un seul geste émouvant : à l’entrée d’un village, des gamins blêmes, au visage osseux, accourent nous prendre les mains. » (p 127)

pp 131-132 : chapitre 19 : Benay

Occupation de nouvelles positions, particulièrement inconfortables du fait de l’avance.

pp 135-140 : chapitre 20 : La ferme Lambay

Installation un peu moins précaire dans une ferme détruite. Le projet d’attaque de la ligne Hindenburg au niveau de Saint-Quentin est jugé comme une « folie ». Un lieutenant du 48e déclare : « Vous voyez Déverin, les généraux qui préparent froidement des attaques aussi ridicules, tout en sifflant une bonne fine, au coin du feu, ce sont des assassins. » (p 139)

pp 141-144 : chapitre 21 : Pernin – dit « le petit »

Portrait-épitaphe  du « parigot » Pernin, sergent-fourrier débrouillard : « C’est l’homme-bricole ; il sait tout faire, hormis les écritures. D’ailleurs il affiche un profond mépris des papiers et des bouquins. Quand il nous voit manier la pelle ou la pioche, il regarde avec condescendance, puis tout à coup, enlevant sa vareuse : – Vous me faites mal au ventre. Passez-moi ça. » (p 142)

pp 145-149 : chapitre 22 : Chemin des Dames

Ce chapitre évoque un moment de la bataille dite des observatoires, à l’été 1917 : « Comme je gagnais le secteur par ces chemins sinueux où, de place ne place, des avis intiment : « Passage dangereux. Faites vite », j’ai rencontré un blessé, conduit au poste de secours le plus proche. Ensemble nous fîmes halte en un endroit moins exposé. Il me dit : « J’suis de la 9e ; c’est infernal là-haut. Pour ainsi dire plus de sapes, plus de boyaux. Tout le temps des coups de main, des bombardements. On ne roupille quasi plus. Tant qu’à la soupe, on se met souvent la bride (…) On en a déjà vu, mon poteau, mais pas comme ici. Et soi-disant la division ne démarrera que quand elle aura atteint un certain chiffre de pertes… » (p 146)

La sortie de ce secteur difficile est vécue comme une libération miraculeuse : « (…) j’atteins une première étape, Villers-en-Prayères, où les roulantes stationnent sous les arbres frais (…) La zone des privilégiés, de ceux que le sort a touché du doigt, commence ici. » (p 149)

pp 151-155 : chapitre 23 : Le communiqué (G.Q.G.)

Affectation au G.Q.G. de Compiègne, probablement vers fin 1917. Membre de l’équipe chargé de la rédaction des communiqués (mais ne donne aucune description détaillée des services de Pierrefeu).

pp 157-163 : chapitre 24 : Les derniers jours de Compiègne

« Chose singulière, j’ai eu de la peine à m’accoutumer à ce milieu nouveau. On sent qu’ici on a perdu le contact et cela crée comme un malaise. Par instants, il vous manque la rude camaraderie, l’insouciance parfois gaie de front et aussi ce partage émouvant de tout ce qui est quotidien, du tabac aux pensées. Il y a bien un fossé entre ceux qui ont connu la tranchée, et tous les autres. » (p 158)

L’offensive allemande sur Noyon et les fréquentes alertes aériennes entraînent un déménagement complet du G.Q.G. pour Provins.

Pp 165-169 : chapitre 25 : Metz (la farandole et les prisonniers)

La journée du 11 novembre est décevante : « Mais quel manque d’émotion en ce Provins assoupi, en ce Grand Quartier sans flamme et sans cohésion. Car nous ne connaissons ici ni la gravité recueillie du front, ni le délire de Paris. Cette journée unique nous paraît morne et vide. Je l’avais rêvée toute autre. » (p 166) Pierrefeu, quant à lui, en dit tout le contraire : « Le jour de l’armistice fut, à Provins, un jour de folie comme dans toute la France. » (GQG Secteur 1, tome 2, p 238)

Départ pour la Lorraine. Cantonne à Metz et participe aux festivités de la ville libérée.

La dernière vision de guerre évoque gravement le retour de prisonniers français : « Ah ! ceux-là n’avaient pas le droit aux fleurs et aux musiques, à l’accueil triomphal. Pas de défilé pompeux, pas de sympathie. Encadrés militairement, ils semblaient plutôt un troupeau de suspects ou de condamnés. Hâves, le regard fixe, ils allaient, chargés de ballots et de caisses. Etrange théorie où tous les uniformes se mêlaient, où certains soldats – ceux du début – portaient encore des pantalons et des képis d’un rouge éteint. » (pp 168-169)

J.F. Jagielski, décembre 2008

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Laffargue, André (1891-1994)

1. Le témoin

André Laffargue est né en 1891. Il est originaire de Ligardes, un village situé aux limites du Gers et du Lot et Garonne. Après des études au lycée d’Agen, il entre à St Cyr, et entame une carrière militaire de quarante ans. De fait, on se trouve avec André Laffargue devant une existence marquée par les grandes guerres européennes de l’époque moderne. Comme il l’écrit. Il effectue son année de service préalable à Aix en Provence, au 55e régiment d’infanterie. Il quitte St Cyr en décembre 1913, et rejoint en tant que sous-lieutenant le 153e régiment d’infanterie de Toul, au sein duquel il vit la mobilisation d’août 1914. Après une mission initiale de couverture en Lorraine, il prend part aux combats de Morhange à la fin du mois d’août. Puis, la « course à la mer » l’envoie combattre jusque dans les Flandres. En avril 1915, son régiment rejoint l’Artois. Il est blessé gravement à la jambe début mai 1915, lors d’une offensive. Il quitte définitivement les lignes de combat. Lors de sa convalescence, il rédige deux mémoires sur les conditions de réalisation de l’attaque dans la guerre moderne (ces deux études sont publiées chez Plon en 1916, sous les titres Etude sur l’attaque dans la période actuelle de la guerre. Impressions d’un commandant de compagnie, et Conseils aux fantassins pour la bataille). Sur la recommandation de Foch, il entre alors au Grand Quartier Général, où il est affecté au 3e bureau, celui des opérations. Il quitte le GQG début 1917, et rejoint l’Etat-major d’une division d’infanterie. Il vit l’annonce de l’armisitice du 11 novembre 1918 chez Maurice Barrès. Cette amitié révèle l’un des traits principaux de sa personnalité : Laffargue est profondément conservateur, très attaché notamment à la notion de légitimité, à l’idée d’une « terre des morts », garante d’un certain ordre social, à ses yeux disparu.

Après la guerre, Laffargue poursuit son avancée dans les les responsabiltés et les grades, jusqu’au généralat. De 1922 à 1924, il suit l’enseignement de l’Ecole Supérieure de Guerre, dans la même promotion que Charles de Gaulle. En 1926, il entre au cabinet militaire de Joffre, puis, après un séjour dans l’armée du Rhin, il intègre l’Etat major du général Weygand. Il s’attache notamment à la formation de l’infanterie, ce dont témoigne la publication d’un manuel, Les leçons du fantassin. Le livre du soldat, qui connut… 214 éditions jusqu’en 1951! Durant la Deuxième Guerre mondiale, il vit la défaite dans les Ardennes. Au milieu de la débâcle, il traverse les lignes pour rentrer dans le Gers. Weygand l’appelle à ses côtés, et lui confie la direction de l’infanterie. Après avoir assuré le commandement « clandestin » de l’armée des Alpes, il intègre à la fin de la guerre l’entourage de de Lattre de Tassigny, qui lui confie diverses missions au sein de la Ière armée.

Laffargue accepte de témoigner en faveur de Pétain lors de son procès. Mis en disponibilité peu après, il est finalement réintégré, avant de terminer sa carrière militaire en 1951. Il meurt centenaire, en 1994.

2. Le témoignage

Publié en 1962, chez Flammarion, sous le titre Fantassin de Gascogne. De mon jardin à la Marne et au Danube (317 pages). Entre souvenirs et réflexions, le témoignage d’André Laffargue ne laisse finalement qu’une place assez restreinte à son expérience de la Grande Guerre. Le récit de sa participation à la Première Guerre mondiale occupe trois chapitres de l’ouvrage : Ma capote bleu foncé à Morhange, qui couvre les premières semaines de la guerre, avec les opérations de couverture en Lorraine et la Bataille des frontières. Ma capote bleu horizon à l’assaut du 9 mai 1915 aborde l’offensive en Artois, jusqu’à sa blessure à la jambe. Enfin, la pelouse de Chantilly traite de son passage au Grand Quartier Général. La plus grande partie de l’ouvrage traite de l’entre-deux-guerres, et de son parcours durant et juste après la Seconde Guerre mondiale.

3. Analyse

Ce que propose l’auteur, c’est dans un premier temps le compte rendu d’un parcours de militaire durant le 20e siècle : sa vocation, ses études (et notamment son passage par St Cyr et l’école de guerre), ses relations à ses semblables à l’institution. En ce sens, la première moitié de l’ouvrage est assez intéressante, par ce qu’elle nous révèle des éléments qui composent l’imaginaire professionnel d’un soldat comme Laffargue. On soulignera sa critique de l’enseignement proposé à St Cyr, jugé trop morne et sclérosé, les nombreux passages qui témoignent de son admiration pour les chefs (Foch, Joffre, Weygand…), et ses remarques sur la difficulté de l’armée française à s’adapter aux conditions nouvelles de la guerre moderne. Ce qui invite à une lecture attentive de ses deux ouvrages publiés en 1916. Par contre, on comprend assez vite que l’auteur poursuit un autre but dans son livre : justifier sa défense de Pétain lors du procès de ce dernier, réhabiliter l’ « armée de Vichy » (avec de longs développements sur la fiction du « Pétain bouclier » qui préparait en secret la revanche), appuyer son rejet du gaullisme, de la résistance et du parlementarisme (avec notamment une haine prononcée contre Aristide Briand). Il ne faut donc pas se tromper : c’est aussi à un ouvrage politique que nous avons affaire, à travers un exposé de valeurs conservatrices (la légitimité, l’appel au chef…). Bref, le long plaidoyer d’un homme qui semble se refuser à abandonner ce en quoi il a toujours cru.

 

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Gallieni, Joseph (1849-1916)

1. Le témoin

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Joseph Simon Gallieni est né le 24 avril 1849 à Saint-Béat, en Haute-Garonne. Militaire de carrière ayant laissé une profonde empreinte dans les opérations de colonisation menées par la France en Afrique avant la Grande Guerre, il est rappelé sous l’uniforme le 26 août 1914 comme gouverneur militaire de Paris, ville qu’il organise en camp retranché. Ayant eu une influence certaine dans le revirement des armes au cours de la bataille de la Marne, il est nommé ministre de la Guerre sous le ministère Briand. Il meurt le 27 mai 1916 à Versailles et est inhumé à Saint-Raphaël après des obsèques nationales. Joseph Gallieni est fait maréchal de France à titre posthume en 1921.

2. Le témoignage

Joseph Gallieni, Les carnets de Gallieni. Paris, Albin Michel, 1932, 317 p., non illustré. Portrait en frontispice.

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Texte présenté par Gaétan Gallieni, son fils et annotés par Pierre-Barthélemy Gheusi, son officier d’ordonnance, qui donne quelques éléments sur la démarche d’édition, autorisée par « la mort des uns » et justifiée par « les commentaires tardifs ou entachés d’erreurs (…) de quelques autres » (page 10). Gheusi indique que Gallieni « notait, chaque jour (…), sur un agenda in-octavo, le résumé succinct des heures qu’il venait de vivre. Il y a trois carnets. Les deux premiers – 1914 et 1915 – sont entièrement remplis. Celui de 1916 s’arrête, en avril, la veille de la première opération qu’il devait subir (…) à Versailles » (page 10). Le corpus d’écriture représente ainsi 850 pages.

3. Analyse

Le général Gallieni débute son journal de guerre le 1er janvier 1914 alors qu’il occupe les fonctions de commandant d’armée. Peu versé dans la politique, qu’il a en horreur, il se contente de noter jour par jour ses impressions et ses activités journalières. Le 17 mars 1914, il est, selon ses supérieurs, atteint par la limite d’âge et remercié par le Gouvernement. Toutefois, c’est l’Histoire qui va le rappeler vers la capitale où les bruits de guerre de l’été vont se concrétiser le 2 août 1914. Dès lors, Gallieni est rappelé par lettre de Commandement lui confiant les fonctions d’adjoint à titre de successeur éventuel du général Joffre, commandant en chef du groupe des Armées de l’Est. Toutefois, le mois d’août se passe pour lui sans emploi effectif et le G.Q.G. le tient même particulièrement à l’écart en le privant des nouvelles dont sa fonction aurait dû le rendre destinataire. Le 26 août, il est nommé commandant du Camp Retranché et des Armées de Paris et lui est dévolue la charge d’organiser de la défense de la capitale. Il remplace en cela le général Michel, dont l’incurie n’a rien permis d’effectuer pour cette organisation alors que la menace d’invasion se précise. Gallieni va devoir tout mettre en œuvre pour sauvegarder la ville et en défendre les murs, pierre par pierre. Ainsi, à force de travail et de demandes, il va réaliser les travaux nécessaires à cette mise en état de défense de Paris ainsi que la mise en place d’une armée de réserve susceptible de prêter main forte à celles déjà engagée dans la bataille de retraite qui se poursuit au nord. Le 1er septembre, le jour se fait sur la situation militaire de l’ensemble des armées alliées : c’est l’invasion par la marche forcée vers le sud et les Allemands aux portes de la capitale. Le même jour, le gouvernement quitte Paris pour se rendre à Bordeaux, laissant à Gallieni les clés de la ville à défendre coûte que coûte. Celui-ci proclame le 3 septembre qu’il remplira son mandat jusqu’au bout et donne à Maunoury ses dispositions afin de couvrir le nord du Camp Retranché. Cette disposition se révélera primordiale et sera complétée, le 4 par l’ordre n°11 qui va déterminer la « manœuvre hardie qui devait sauver la capitale« . Le 6, Maunoury s’avance vers l’Ourcq et le lendemain, 600 taxis réquisitionnés pour transporter les troupes vont lui prêter main-forte et menacer sérieusement le flanc droit de la 1ère armée allemande. Si gravement que le recul général des armées ennemies sera la seule façon de les sauver de l’encerclement. « Le miracle de la Marne » vient de s’amorcer et la gloire devra en revenir à Gallieni seul ou l’Histoire mentira ! (d’où sa question « Y a-t-il eu bataille de la Marne » ? page 201 et son analyse de la répartition des rôles). Nos armées ayant repris l’offensive, la situation générale s’améliore le 12 septembre 1914 et Gallieni peut être tout à sa tâche de réorganisation du Camp Retranché et traiter les affaires intérieures dans la capitale. Il réorganise d’ailleurs la Presse le 20 (page 99) et contribue à l’état moral général du « cœur » de la France. Le danger écarté, le Gouverneur va dès lors également s’apercevoir des manœuvres du G.Q.G. et de l’hostilité à peine voilée de Joffre qui ne lui sait pas gré du retournement salvateur. En fait, il a du mal à cacher à l’esprit clairvoyant de Gallieni sa propre confusion dans la tenue des opérations générales. Mais Gallieni continue sa tâche malgré ces dissensions et surtout la maladie qui le ronge. Il veut toutefois obtenir un poste plus actif, maintenant que le front s’est cristallisé et que le danger immédiat d’investissement semble définitivement écarté. Il n’obtiendra pas cette fonction, Joffre voulant l’écarter et disposant d’assez de pouvoir devant le gouvernement pour cela. Le 12 mars 1915, Maunoury est blessé et Joffre offre à Gallieni le commandement de sa 6ème armée, ce que refuse le Gouverneur de Paris. Cela va également contribuer à révéler à cet homme intègre les coteries et les jeux politiques cumulés aux incuries de commandement et d’organisation touchant à la défense nationale. Poussé par tout son entourage et malgré son désir farouche de ne point toucher à la politique, Gallieni accepte sous conditions le poste de ministre de la Guerre en remplacement de Viviani, « n’ayant pas réussi« . Ce poste ne satisfera jamais le militaire qui va dès lors se retrouver en première ligne des coups montés et de la bassesse politique. Mal à l’aise et parfois naïf dans l’arène, il va tenter toutefois de faire œuvre utile pour la cause commune et ce dévouement sera tantôt fébrilement reconnu par tous, tantôt traduit par une volonté de pouvoir qui n’aurait jamais aucun fondement dans la volonté même du personnage, profondément intègre. Palabres, débats, temps perdus et dégoût que l’on peut ressentir à chaque page vont accélérer chez Gallieni les soucis d’une maladie qui le tenaille depuis le début et qui ne lui laisse aucun repos. Le 10 mars 1916, à bout de force et vidé de son énergie, il obtient du Gouvernement l’agrément de sa démission et quitte ses fonctions pour intégrer l’hôpital de Versailles afin d’y subir des opérations qu’il n’aurait jamais dû remettre. Il ne quittera plus cet établissement et s’éteindra le 27 mai 1916.

Le journal de guerre de Gallieni est incontournable à plus d’un titre : d’abord par la personnalité et les fonctions de son rédacteur mais aussi par la richesse des détails et des impressions qu’il contient. Cet ouvrage est de surcroît doublé par de nombreuses et pertinentes annotations, véritable livre dans le livre de l’officier d’ordonnance Gheusi. Ainsi tout au long de ces pages se font jour des renseignements incontournables sur les opérations militaires de la bataille de la Marne et des indications précises sur la vision globale des décisions prises à ce moment, ainsi que sur le commandement, mais également une multitude de détails sur la vie politique et militaire au plus haut degré des responsabilités (G.Q.G. exclu). Ce journal, qui couvre donc la période du 1er janvier 1914 au 10 mars 1916 dépeint fidèlement les jeux des intrigues et des ragots tant politiques que militaires.

4. Autres informations

Eléments bibliographiques de et sur l’auteur

Bernhard Jacques Gallieni. Le destin inachevé. Gérard Louis, 1991, 364 pages.

Brulat Paul Histoire populaire du général Gallieni (1849-1916). Albin-Michel, 1936, 123 pages.

Cahisa Raymond Joffre, Foch, Gallieni, Fils des Pyrénées. Pyrénéa (Villeneuve-de-Rivière), 1943, 238 pages.

Charbonnel Henry (Col) De Madagascar à Verdun. Vingt ans à l’ombre de Gallieni. Karolus, 1962, 459 pages.

Charles-Roux F. – Grandidier G. Lettres du général Gallieni de 1896 à 1905. Société d’Editions Maritimes et Coloniales

Cladel Judith Le général Gallieni. Berger-Levrault, 1916, 129 pages.

D’Esme Jean Gallieni. Plon, 1965, 320 pages.

Gallieni Joseph (Cdt) Voyage au Soudan français. Haut Niger et pays de Ségou : 1879-1881. Hachette.

Gallieni Joseph (Cdt) Mission dans le Haut-Niger et à Segou. Société de Géographie, 1885.

Gallieni Joseph (Col) Deux campagnes au Soudan français (1886-1888). Hachette.

Gallieni Joseph (Col) Sénégal et dépendances. Pénétration au Soudan. Société de Géographie, Toulouse.

Gallieni Joseph (Gal) La pacification de Madagascar (1896-1899). Chapelot.

Gallieni Joseph (Gal) Trois colonnes au Tonkin (1894-1895). Chapelot, 1899.

Gallieni Joseph (Gal) Neuf ans à Madagascar (1896-1905). Hachette.

Gallieni Joseph (Gal) Mémoires du maréchal Gallieni. Défense de Paris (25 août – 11 septembre 1914). Payot 1920, 269 pages.

Gallieni Joseph (Lt-col) Une colonne dans le Soudan français (1886-1887). Baudouin.

Gheusi P.-B. La gloire de Gallieni. Comment Paris fut sauvé. Le testament d’un soldat. Albin Michel, 1928, 253 pages.

Gheusi P.-B. Guerre et théâtre. Mémoires d’un officier du général Gallieni pendant la guerre. Berger-Levrault 1919, 374 pages.

Gheusi P.-B. Gallieni. 1849-1916. Charpentier-Fasquelle, 1922, 249 pages.

Gheusi P.-B. Gallieni (1849-1916). Fasquelle, 1922.

Gheusi P.-B. Gallieni et Madagascar. Petit Parisien, 1931.

Gheusi P.-B. La vie prodigieuse du maréchal Gallieni. Plon, 1939, 127 pages.

Klein Charles-Armand Avec Gallieni, portraits varois. Equinoxe, 2001.

Laval Edouard La maladie et la mort du général Gallieni. Perrin, 1920.

Leblond Marius-Ary Gallieni parleEntretiens du « Sauveur de Paris », ministre de la Guerre avec ses secrétaires. Albin Michel, 1920, 316 pages.

Liddell Hart Basil-Henry (Cpt) Réputations. Joffre. Falkenhayn. Haig. Gallieni. Foch. Ludendorff. Pétain. Allenby. Liggette. Pershing. Payot, 1931, 269 pages.

Lyet P. (Cpt) Joffre et Gallieni à la Marne. Berger-Levrault, 1938, 160 pages.

Marcellin Marcellus Gallieni, Grand de France. Paris, Spes, 1932, 189 pages.

Mayer Emile (Lt-col) Trois maréchaux : Joffre, Gallieni, Foch. Paris, Nouvelle Revue Française, 1928, 235 pages.

Michel Marc Gallieni. Fayard, 1989, 363 pages.

Percin Alexandre (Gal) Deux hommes en guerre. Sarrail et Gallieni. Fournier, 1919.

Pilant Paul Le rôle du général Gallieni (août-septembre 1914). Paris, La Renaissance du Livre, 1922, 132 pages.

Vetty Louis Joffre. Foch. Gallieni. Toulouse, Chantal, 1942, 216 pages.

Weiss René L’hommage de Paris à Gallieni, son sauveur. Imprimerie Nationale, 1927, 102 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

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Thivolle-Cazat, Gabriel (1883-1970)

1. Le témoin

Né à Mureils (Drôme) le 30 décembre 1883. Famille d’agriculteurs. Ecole primaire. En 1914, marié, deux enfants. Il passe une partie de la guerre, au début, comme planton au GQG de Joffre (septembre 1914-janvier 1915), puis au QG de Dubail jusqu’en décembre 1915. Il est ensuite affecté au 13e Bataillon de Chasseurs alpins sur le front des Vosges où ses notes s’interrompent en mai 1916. On sait qu’il combattit ensuite en Italie et qu’il survécut à la guerre. Revenu sur l’exploitation familiale à Mureils, il y est décédé le 1er avril 1970.

2. Le témoignage

Deux carnets de notes sont conservés par la famille. Le premier carnet de Gabriel Thivolle-Cazat, de septembre 1914 à décembre 1915, est retranscrit dans Jean-Pierre Bernard et al., Je suis mouton comme les autres. Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, Valence, Editions Peuple Libre et Notre Temps, 2002, p. 439-454.

3. Analyse

Lassitude, démoralisation et révolte apparaissent de bonne heure. D’abord (4 mars 1915), l’auteur espère la fin victorieuse, mais en novembre, c’est : « Que ça finisse donc comme ça voudra, mais que l’on rentre chez soi. » Il y a tant à faire à la maison et sur les terres. Sentiments d’animosité envers les officiers qui traitent les hommes comme les paysans traitent les animaux. Le 2 avril 1916, près de La Croix-aux-Mines, il entend les Boches de la tranchée d’en face chanter l’Internationale en français.

4. Autres informations

– Rémy Cazals, « Culture de guerre, culture de paix. Retour sur les témoignages de combattants », dans Histoire, défense et sociétés, revue de l’ESID, Université de Montpellier III, n° 1, 2004, « Guerre, paix et sociétés. Pour une histoire totale », p. 59-74.

Rémy Cazals, 12/2007

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