Bascoul, Paul (1893-1915)

Témoignage disponible aux archives départementales de l’Hérault. Original : ADH 1 J 1719 (archives personnelles et familiales) et 1 J 1720 (correspondance) consultables en ligne.

Etudiant en mathématiques, soldat puis caporal dans le 122e RI.

1. Le témoin

Paul Benjamin Charles Bascoul est né le 16 janvier 1893 à Béziers de Benjamin Bascoul, négociant en bois et charbon, décédé d’un cancer de la bouche, et de Marcelle Cros, institutrice. Il est le second d’une fratrie de quatre enfants. Interne au collège d’Agde, bachelier de l’enseignement secondaire en 1910, il poursuit des études en classe préparatoire scientifique au Lycée Joffre de Montpellier, et réussit le concours d’entrée à Polytechnique. En juillet 1914, il est reçu aux certificats de licence de mathématiques à l’université de sciences de Montpellier. Il est également maître-répétiteur au collège de Clermont-l’Hérault. Classe matricule 1404 au centre de recrutement de Béziers, Paul est d’abord « sursitaire 21 », puis incorporé le 11 août 1914 dans le 122e régiment d’infanterie de Rodez qui fait partie de la 31e DI et du 16e corps d’armée. Soldat, il passe caporal fin novembre 1914. Il est tué à Beauséjour en Champagne le 17 mars 1915.

2. Le témoignage

Il fait partie des centaines de documents et témoignages mis en ligne par les archives départementales de l’Hérault – entrée 14-18, mot clef « Paul Bascoul » – à l’occasion du Centenaire.

Le lot est constitué d’une centaine de souvent longues lettres et de cartes quasi quotidiennes, adressées entre le 12 août 1914 et le 15 mars 1915 par Paul à sa mère surtout, mais aussi à sa sœur ainée Juliette, surnommée « Youyou »,née en 1890, institutrice à Murviel-les-Béziers à ses deux frères, Etienne et Henri, à des parents et amis dont particulièrement Emile Rouvière, médecin, et Marguerite Triolle. Les deux premières lettres sont datées des mercredi 12 et jeudi 13 juillet mais ces chiffres correspondent en réalité aux jours du mois d’août. Le lot comprend encore un cahier des transcriptions de la correspondance de son fils effectuées par Marcelle Bascoul, de quatre lettres revenues du Front avec la mention « le destinataire n’a pu être atteint » (16 mars – 3 avril 1915). S’y trouvent également des lettres de condoléances reçues de parents, de proches et de relations ainsi qu’un portrait photographique de Paul, son diplôme de baccalauréat et enfin des coupures de presse annonçant son décès (16 avril – 9 juillet 1915)

Sous leur formé numérisée, les lettres sont présentées dans leur intégralité et le parcours militaire de Paul a été retracé en annexe par les agents des archives. Le témoignage a traversé le siècle par le biais de sa sœur puis du fils adoptif de celle-ci. Les lettres croisées ouvrent de larges fenêtres sur l’importance des envois entre les fronts, la pression sociale et affective exercée en toute bonne fois de l’arrière, la violence des premières batailles, le rythme spécifique de la guerre sur le front mais aussi sur les premiers émois amoureux d’un jeune homme, fils et frère aimant, bon élève obéissant, enserré progressivement dans une somme d’injonctions contradictoires sous la violence des tirs d’artillerie dans les Flandres et la Marne. Il appartient par bien des éléments à cette catégorie d’intellectuels qui sont au cœur du corpus des « 42 » de Nicolas Mariot. La confrontation entre les imaginaires de la guerre et sa réalité s’avère sans surprise douloureux.

3. L’itinéraire militaire

L’arrivée à la caserne de Rodez le 12 août douche rapidement son enthousiasme ; il met 17 heures de train pour relier Béziers à Rodez et à son arrivée on lui refuse « neuf fois » l’entrée faute de place, attendant « (…) le départ du 322e RI dans 9 jours. Chaque jour, il arrive des hommes, la caserne en contient deux fois comme elle ne peut en contenir (…)» et conclut par cette sentence le 15 août « (…) en vérité en vérité je vous le dis, l’état de siège c’est l’anarchie (…) » Hébergé en ville, il reste optimiste ; « « J’ai rencontré des étudiants dans mon cas avec lesquels je passerai du bon temps je crois » mais rapidement à cours d’argent, il insiste pour coucher à la caserne y compris sur la paille. Finalement, une fois encaserné et habillé, la rencontre avec les autres soldats, des territoriaux, est difficile ; « (…) J’ai essayé de lire un peu ce soir. Impossible. Les odeurs de pieds de mon voisin m’incommodaient à tel point que j’ai du fuir à travers les salles et y vadrouiller sans but comme le juif errant (…) ». L’altérité a ses exigences ; il a du mal avec « ces vieux grognards fraichement descendus de la montagne et qui sentent l’écurie à plein nez ». Le 24 août il envoie à Juliette une réponse lyrique qui révèle son exaltation ;

« Tu me dis bien heureux de ne pas être comme les camarades du même âge à la frontière ? Tu me connais mal. Je préfèrerais le sacrifice utile du sommeil et de ma subsistance aux privations que je subissais ici inutilement à cause du désordre qui régnait. Je préfèrerais les fatigues de la marche forcée à la rencontre de l’ennemi, les affres des nuits passées à la belle étoile sous la menace des boches l’allemand que l’inaction où je suis réduit ici et la vie oisive et inutile que je mène à la caserne. Il m’est pour moi très pénible de songer justement que tandis que tous les jeunes de ma génération se battent, moi je reste en arrière inutile. Je brule du désir de faire la campagne à leurs cotés. Et maintenant qu’à l’habit militaire je me suis fait, maintenant qu’auprès de vous aucun sentimentalisme ne me retient plus, maintenant que je sais maman guérie et que j’ai l’esprit plus tranquille, j’ai demandé à partir avec les premiers partants. Mais rassurez-vous ce ne sera pas encore ».

Les premiers portraits de gradés ne sont pas flatteurs ;

« (…) La vie de caserne va commencer pour nous dans toute son horreur sous l’autorité paternelle de notre commandant Souligne dit « Soubise » une brute alcoolique et bougonne, jurant et tempêtant comme un officier prussien. Un effet de sa tendre sollicitude a été de nous supprimer la liberté de 11 heures à 3 heures. Ca va barder comme nous disons »

Marc Souligne, commandant major au 122e RI est tué à Beauséjour lui aussi le 2 avril 1915. Il est présent dans le témoignage de Pierre Bellet (CRID, 96e RI). Mais finalement, Paul fait état de sa surprise face à l’absence d’encadrement et de formation militaire ; « (…) à peine un lieutenant durant 10 minutes (…) ». A ce moment-là, il pense qu’il va rester trois ans à la caserne pour y être formé. Il continue de toucher son traitement de 30 francs par mois comme maître-répétiteur mais demande assez régulièrement de l’argent.

Le 20 septembre, c’est le départ, soit un mois à peine après son arrivée à la caserne, et le 22 septembre, il envoie sa première carte du front de Lorraine (Toul). Le choc est rapide, le ton tente pourtant d’être rassurant ;

« (…) Immédiatement après la descente du train nous nous sommes mis en marche vers la ligne de feu. Nous y arrivons ce soir après 20 kms de marche. Notre régiment se bat à 200 mètres en avant. Tout ce soir nous avons entendu rouler la canonnade. Elle vient à peine de cesser à la tombée de la nuit. Demain nous irons peut-être au feu. Je ne peux vous donner beaucoup de détails ma carte serait retenue. Sachez seulement que tout va bien. Je me porte à merveille. Je ne suis nullement fatigué du voyage ni de la marche que nous avons faites. »

Le 24 ; « (…) La canonnade est furieuse J’ai fait mes débuts dans une tranchée. Nous n’avons pas tiré un seul coup de fusil (…) ». Le 26, il écrit sa première carte à son ami Emile Rouvière mobilisé comme médecin dans le 5e DEF ; « « (…) les obus pleuvent mais ils n’ont fait aucun mal dans nos rangs. Le seul casque à pointe que j’ai encore vu est celui qu’une de nos patrouilles a trouvé hier dans une tranchée (…) ». Mais dès le 28, il écrit à sa mère ; « Il me tarde que la guerre soit finie. La canonnade est furieuse ; nous n’avons pas encore tiré un coup de fusil ; nous assistons à un duel d’artillerie ou nous sommes vraisemblablement supérieurs car nous avançons. Je supporte très bien les fatigues de la campagne (…) ».

A partir du 3 octobre, il est au repos à Nancy. Dans ses longues lettres, il se plaint de l’absence de courrier, explique le roulement des compagnies en ligne. Il demande un colis « de chocolat, de saucisson, des cartes géographiques, des cigarettes, des gants fourrés et des caleçons ». Les premières lettres lui parviennent au bout de 3 semaines, tandis que lui manque régulièrement de papier. Le 12 octobre, il précise déjà qu’ « « à peine quelques obus tombant sur les vitrages où nous sommes cantonnés ont-ils tué quelques hommes. A l’abattement des premiers jours a succédé une résignation sereine qui raffermit l’espoir de vous revoir ». Ses demandes soulignent qu’il n’envisage pas une guerre longue ; « Tu pourrais m’envoyer une centaine de francs j’en aurais assez jusqu’à la fin de la campagne » (20 octobre). Les exercices militaires se succèdent à l’abri « (…) Jeudi 22 octobre : il y a longtemps que nous nous sommes battus nous effectuons de bonnes marches le long du front je suis content de voir que je tombe les kilomètres sans plus de fatigue que les plus endurcis des troupiers. La marche de 35 kilomètres n’a pas entamé ma belle humeur. (…) ».

Dans les Flandres belges : Fin octobre, c’est l’arrivée dans les Flandres belges dans la terrible bataille d’Ypres ; « (…) 27 octobre nous approchons du front maintenant. Ici la guerre déploie tout son art meurtrier et toute sa formidable industrie. Engins de toute sorte, Anglais, Boers et Belges des Hindous, des prisonniers allemands démoralisés (…) ». La correspondance devient une puissante élégie, les pieds dans la boue et la tête sous les obus. Il envisage sa propre disparition et s’en ouvre à plusieurs reprises, d’abord à sa sœur ;

« (…) Ah ma chérie ! on sent mieux le prix l’affection lorsqu’on risque de la perdre. Le plus grand sacrifice que je ferai à la Patrie, si je dois tomber, sera celui de votre amour. Mais il ne faut pas penser à cela. Il y a près de 20 jours que je ne suis pas allé au feu. Et si par hasard je ne devais pas revenir, il ne faudrait ni me plaindre ni me pleurer (…) »

Rapidement il fait état de son état d’esprit désabusé  :

« (…) J’ai trouvé cette nuit dans une tranchée abandonnée une carte où un boche disait à un combattant de sa nationalité «  C’est dommage que tu ne sois pas encore à Paris. Vise bien pour qu’il en soit bientôt fini de tous ces pantalons rouges » Je n’ai pu m’empêcher de me rappeler le mot d’Henri «  Zigouille le plus de boches que tu pourras et gare-toi ». Tout ça c’est pas facile à faire (…) ».

Après sa sœur, il prépare sa mère à sa disparition (Marcelle a souligné les dernières volontés sur son cahier) ;

« (…) Tu dois te résigner à mon absence maman chérie et si je ne revenais par hasard, ne me pleure pas, que mon souvenir te soit léger, aimable, et souriant. Ne me plains pas ; j’accepte le sacrifice et je serai content de faire mon devoir. Je t’embrasse maman chérie aussi tendrement que je t’aime. Ton Paul chéri ».

Dans les tranchées, Paul exprime un sentiment de déshumanisation de façon récurrente à partir du 4 novembre ; « Le temps dans les tranchées se passe à se terrer comme les lapins dans des trous que nous creusons pour se mettre à l’abri des obus ». Souffrant de solitude, il se rapproche d’un camarade biterrois avec lequel les relations sont parfois difficiles dont le portrait n’est pas toujours flatteur ; «(…) L’ami Clément a été ce blessé ce matin à l’épaule droite très légèrement. La gravité est celle d’un rhume de cerveau (…) ».

Fin novembre il écrit à sa sœur :

« Je ne voudrais pas que vous ayez trop de foi en mon retour, Certes nous devons le souhaiter et pour ma part je le désire ardemment, mais ma chérie vous devez vous préparer à la pire fatalité. Si je ne reviens pas ma volonté est que vous ne fassiez pas rechercher mon corps comme j’ai vu certaines familles le faire, je voudrais que mon souvenir vous soit léger agréable et non pas obsédant et triste. Aussi je voudrais que ma mémoire ne vous soit pas une obsession douloureuse mais un souvenir souriant où se mêlera votre fierté de mère et de sœur de me savoir tombé au champ d’honneur en faisant mon devoir. Hélas le champ d’honneur ! n’est souvent qu’un champ de betteraves, morne et froid où la mort est lente et dure. Peu importe vous ne devez penser qu’à l’auréole dont s’entoure la mémoire des héros et qui doit rejaillir sur vous. Malgré tout ce que je peux dire j’espère bien vous revoir. Vous pouvez être assurées que je serai prudent je prends de plus en plus l’expérience de la guerre, je ne serai ni téméraire, ni fanfaron (…) » 

A partir du 7 décembre, nouveau répit ; il bénéficie d’une formation en arrière du front dans le seul quartier d’Ypres qui ne soit pas encore bombardé, pour apprendre à construire des tranchées modèles, il est finalement à l’abri durant presque un mois. A son retour, le nombre élevé de camarades morts pendant son absence le laisse très déprimé et il fait le récit à sa mère de l’extrême violence aux tranchées ;

« Dans tous les cas il est possible qu’un grand nombre de nous restera sur le champ. La guerre prend un caractère de sauvagerie outrée. En divers points les boches ont achevé dans les tranchées les blessés tombés entre leurs lignes. Quand ils montent à l’assaut, ils ont coutume de pousser devant eux les prisonniers en criant de ne pas tirer. Aussi la consigne est de ne pas faire de prisonniers et de tirer sur tout homme qui se rend ».

Ces écrits rejoignent les récits de Benjamin Simonet ou Pierre Bellet qui appartiennent à la même D.I. Nostalgie de la famille, du pays se lisent le 6 janvier 1915 lorsqu’il reçoit un paquet de sa sœur qui le rend lyrique ;

« Quelle touchante idée ma chère petite sœur de m’envoyer des raisins, des fruits par excellence de mon pays, ma terre de prédilection. Chaque grain tenait enfermé un peu du soleil de là-bas qui brille si joyeux et dont je suis ici si privé. Que le ciel est triste sur ce coin déshérité de la terre. Il semble que le ciel se soit voilé devant les horreurs commises par les hommes et que derrière son voile humide, il pleuvra une pesante larme avec chaque goutte de pluie. Au dessus des hommes qui ont l’air d’être des jouets, Je fais mon devoir sans haine aveuglément le cœur ulcéré des souffrances que je fais naître mais sans laisser faiblir mon bras. Je ne vis que pour vous qui pansez les plaies. »

Le 7 janvier, dès son retour en 1ere ligne il a du enterrer son meilleur ami sous les balles, se retrouve tâché de sang et c’est une ballade allemande qui lui vient sur les lèvres ;«  Oh comme les morts vont vite ! Oh comme les morts sont lourds ! ». L’épisode est relaté plusieurs fois dans les lettres de diverses façons selon la ou le destinataire.

Sur l’arrière front, avant la Champagne, il retrouve un peu d’énergie pour féliciter son frère Étienne de sa blessure à la bouche « tu peux être fier de ta glorieuse cicatrice qui t’a laissé la lumière ». Même s’il se plaint ; « Depuis que nous avons quitté la tranchée on nous ennuie de toutes les façons. Ou bien nous faisons des marches, des exercices » Il peut dormir dans un lit, faire deux repas, se laver, se reposer, écrire, lire, autant de compensations essentielles à sa ténacité. Il entame encore le 26 janvier avec Marguerite Triolle, un début d’un flirt épistolaire et échange sur la musique classique et la poésie en usant largement de son capital symbolique pour user de rhétorique convenue :

«  Nous autres, les petits soldats de la belle France si nous sommes contents de nous battre pour nos foyers, pour nos maman, pour nos sœurs, nous sommes fiers aussi de savoir que les yeux des belles filles nous regardent. Mais combien contraire à notre tempérament, combien répugnante à notre esprit cette guerre de tranchées que no6us impose le Teuton ! et que ne donnerait-on pas pour rencontrer une fois pour toute le boche en rase campagne »

Mais, au même moment, à son frère Étienne mobilisé comme lui, il envoie son testament; « L’un de nous ne peut espérer revenir » et lui demande de consoler sa mère, de payer ses dettes (100 francs à 4 camarades) de devenir le chef de famille et lui lègue sa montre en or. La philosophie devient un ressource mentale qu’il exprime à sa mère ;

«  Nous sommes partis des enfants nous vous reviendrons des hommes. Pendant les longues heures d’angoisse dans la tranchée, heures pendant lesquelles s’ajoute la pensée torturée, on revoit le passé, le cœur gonflé de toutes les larmes qu’on ne pleure pas. Pour avoir étanché le sang, pansé les plaies, on se sent plus compatissant ; pour avoir vu la haine aveugle meurtrir injustement, on devient plus tolérant et plus conciliant. On se sent grandi par toutes les souffrances. Rien ne nous rend si grand qu’une grande douleur. Ceux qui reviendront seront de doux philosophes, ils auront appris à aimer la vie en côtoyant la mort »

Sur le front de Beauséjour, les lettres quotidiennes sont très brèves : 15 mars 1915, « 4e jour sur le front ». Son régiment combat en première ligne dans la commune de Minaucourt (Marne), au fortin de Beauséjour, théâtre de violents affrontements (février – mars 1915). Le 17 mars 1915, il est tué. Commence pour la famille un long travail de deuil sans corps, jamais identifié, ni retrouvé. Aucun de ces frères et sœur n’aura d’enfant. Seule Juliette adopte tardivement un petit garçon.

Christine Delpous – février 2021

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Tort, Alphonse (1889-1974)

Né à Vinassan (Aude) le 19 mars 1889, fils d’instituteur. Lui-même entre à l’école normale de Carcassonne. Service militaire au 122e RI de Rodez de 1910 à 1912. Sergent. Instituteur à Bizanet de 1912 à la guerre. Blessé le 22 août 1914 aux environs de Lunéville (voir la notice Edouard Ferroul dans ce même dictionnaire). Alphonse est soigné dans cette ville. Lors de l’arrivée des Allemands, il est capturé et envoyé au camp d’Ohrdruf. Sa mère meurt pendant sa captivité. Après la guerre, il reprend un poste d’instituteur dans l’Aude, à Coursan, où il termine sa carrière comme directeur d’école, de 1937 à 1946. Il passe ensuite une retraite active dans son village natal.
Le livre que lui a consacré sa fille constitue aussi un témoignage sur la personnalité de celle-ci, sur la méthode mise en œuvre. Elle a utilisé des lettres originales d’Alphonse, des souvenirs de ses paroles et récits, le JMO de son régiment, diverses lettres de parents ou de camarades l’ayant vu blessé. Elle y a ajouté des poèmes de son cru, produits de cette démarche de piété familiale.
Les témoignages principaux portent sur le départ en 14, sur le séjour à l’hôpital, et surtout sur l’attente de nouvelles de sa famille qui craignait sa mort. Ce sont des éléments à prendre en compte dans l’attention que portent les historiens aux souffrances des hommes et des femmes.
* Simone Tort-Dubois, Rouge Garance, 2018, 174 pages, nombreuses illustrations. On peut se procurer le livre chez l’auteur : Simone Tort-Dubois, BP 15, 29 rue de la République, 11130 Sigean.

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Laffitte, Jules

Originaire d’Aigues-Vives (Ariège, canton de Mirepoix). Son père, Sévérien, est un propriétaire aisé, maire de la commune. Jules a un bon niveau scolaire. Interné en Suisse de 1915 à 1917, il entreprend des études de droit.
En août 1914, Jules faisait son service militaire au 80e RI ; il obtient le grade de sergent. Les documents conservés par la famille sont principalement des lettres de Jules, de Sévérien, et de diverses personnes, notamment des lettres de condoléances aux parents dans la période où on le croit mort. Comme la plupart des combattants, Jules accorde une grande importance au courrier qui maintient les relations avec la famille. Les colis sont également les bienvenus.

Au front
Le 2 août 1914 : « Hier j’étais de garde à la Brigade et j’ai su un des premiers que la mobilisation était décrétée ; vous pouvez penser que cette nouvelle ne m’a pas rendu joyeux, bien au contraire ; enfin, que voulez-vous, il faut avoir du courage et si on doit partir il faut avoir l’espoir de revenir ; n’ayez pas de chagrin car tout le monde ne reste pas sur les champs de bataille. » Lors de la marche en avant après la Marne, il est plein de sentiments de vengeance contre les Allemands qui ont pillé les villages ; il songe aussi à venger son oncle tué en 1870. Il répercute la rumeur selon laquelle, avant 1914, les Allemands avaient acheté des creutes de l’Aisne, et les avaient fortifiées en vue de la guerre (18 octobre 1914).
Il demande l’envoi d’une « paire de pantalons bleus, comme ceux des charpentiers, pour mettre sur les rouges » (moins pour éviter d’être visible que parce que les rouges sont en loques, 25 novembre 1914). Il se plaint de « toujours marcher et dormir peu » et du froid de fin novembre.

La blessure
Le 3 décembre 1914, il est gravement blessé près d’Ypres et laissé pour mort sur le terrain. Une balle lui a traversé la bouche d’une joue à l’autre et a atteint le système auditif. Il est ramassé par les Allemands qui avancent, et soigné à Tourcoing, puis à Lille. Un de ses camarades écrit qu’il l’a vu tomber, et la famille le croit mort. Elle reçoit des lettres de condoléances patriotiques : « Votre fils a eu la plus belle mort qu’un soldat puisse rêver : il est tombé mortellement frappé par une balle au front en combattant pour son pays. Puisse cette pensée adoucir votre peine. » Une autre, cependant, remarque que l’annonce n’est pas officielle : « Du courage, il n’est peut-être pas mort. »
En effet, après plusieurs semaines, un avis de la Croix Rouge arrive, puis c’est une lettre de Jules lui-même. Il est prisonnier au camp de Göttingen jusqu’en mai 1915. Il écrit à ses parents que le colis de ravitaillement qu’ils lui ont envoyé l’a sauvé.

En Suisse
Dans le cadre d’accords franco-allemands (voir la notice Gueugnier), il est évacué d’Allemagne et interné en Suisse, près de Montreux, jusqu’en juillet 1917. Là, « les pics recouverts de neige » lui rappellent « la pittoresque silhouette des Pyrénées » ; il croit voir  les montagnes du Saint-Barthélémy. Il pleut, il fait froid, mais : « Quand on a un bon gîte, sans fissures aux parois, une nourriture confortable assurée, on ne doit pas redouter les intempéries qui peuvent s’abattre sur le pays » (30 septembre 1916).
Venant de l’étranger, la correspondance de Jules avec ses parents est étroitement surveillée, comme le montrent, dans le fonds familial, les enveloppes ouvertes par la censure. Mais il peut lire la presse de son « pays » (13 janvier 1917) : « Dans une demi-heure, je descendrai au Foyer des Internés où je vais prendre, de temps en temps, des nouvelles du pays, La Dépêche, édition de l’Ariège, y étant expédiée directement de Toulouse. »
Ses parents, aisés, peuvent se payer le voyage de Suisse, et ils viennent le voir une fois. Cependant, la séparation pèse. Jules évoque avec nostalgie les fêtes de Noël en famille et la foire de Saint-Maurice (7 octobre 1916).

Retour en France
Il peut revenir en France en juillet 1917. Il est toujours militaire et il doit accomplir certaines tâches à l’arrière, dans l’auxiliaire. Il n’apprécie pas et souhaite être purement et simplement réformé : « Il valait bien mieux que je reste en Suisse » (4 octobre 1917). Il doit garder des prisonniers allemands : « Les Boches sont très humbles, ils n’ont pas l’air dominateur que possédaient mes anciens gardiens ; je trouve un peu drôle de les commander après avoir vécu sous leur joug » (18 décembre 1917).
Pour se faire réformer, il cherche un piston : « Que papa parle sérieusement à Pédoya pour qu’il arrive à un résultat le plus tôt possible. Il faut le remuer car lui ne s’est pas gêné pour pousser papa à lui donner le maximum de voix, par conséquent il doit se montrer un peu reconnaissant » (16 décembre 1917).
Rémy Cazals, septembre 2017
Notes :
Gustave Pédoya (1838-1938), général de division, député radical de l’Ariège de 1909 à 1919.
Lorsque Nathalie Dehévora a consulté le fonds Laffitte pour son mémoire de maîtrise Quatre combattants de 14-18 (Université de Toulouse Le Mirail, 2005), il était conservé par la famille. A-t-il été déposé aux Archives de l’Ariège dans le cadre de la Grande Collecte ? Si une réponse est donnée à cette question, elle sera ajoutée à cette notice ; on aimerait aussi connaître les dates de naissance et de décès de Jules Laffitte, ainsi que sa profession.

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Andrieu, Henri (1863-1929)

1. Le témoin
Henri Andrieu est né le 17 septembre 1863 à La Valette commune du Luc (Aveyron). Instituteur dans plusieurs communes aveyronnaises, il a effectué la plus grande partie de sa carrière à Colombiès où il est mort le 3 décembre 1929. Il avait quatre enfants, Emile, Emma, Edmond, et Paul. Ses trois fils ont fait la guerre : Emile est mobilisé le 1er août 1914, Edmond part le 4 juin 1915, et Paul en 1917 devançant l’appel. Tous les trois sont revenus mais Edmond, gazé, est mort en 1927 des suites de ses blessures.
Henri Andrieu, en poste à Colombiès quand la guerre éclate, est bien inséré dans la vie locale. Il s’occupe de la caisse locale du Crédit mutuel et d’une Mutuelle Incendie. Il organise des causeries sur l’histoire locale. C’est un lecteur assidu de La Dépêche, du Courrier de l’Aveyron, de L’Express du Midi.

2. Le témoignage
Dès la mobilisation, Henri Andrieu prend la plume pour relater les évènements dont il est témoin et acteur dans son village. Il écrit sur des cahiers d’écolier qui s’échelonnent du 1er août 1914 au 27 juin 1915. Il semble avoir commencé spontanément à écrire dès la mobilisation, devançant ainsi les instructions adressées aux recteurs d’académies, le 18 septembre 1914, par Albert Sarraut, ministre de l‘Instruction publique, circulaire recommandant « d’inviter les instituteurs de leurs ressorts à prendre des notes sur les évènements auxquels ils assistent présentement ». Le témoignage d’Henri Andrieu est consigné dans quatre cahiers de 32 pages chacun (aujourd’hui conservés par la famille, mais qui pourraient être numérisés par les Archives départementales de l’Aveyron). Les cahiers ne vont pas au-delà du 27 juin 1915, sans que l’on sache si d’autres cahiers ont existé et n’ont pas été conservés.
Le premier cahier commence le 1er août 1914 et s’arrête le 15 septembre 1914
Le second cahier du 16 septembre au 15 novembre 1914
Le troisième cahier du 16 novembre au 28 janvier 1915
Le quatrième cahier du 29 janvier au 27 juin 1915
Il écrit longuement au début du conflit, le premier cahier couvre 46 jours mais au fil du temps, la guerre dure, ses notes s’amenuisent et le dernier cahier court sur 151 jours.
Chaque jour, à côté de la date, Henri Andrieu décompte le nombre de jours écoulés depuis la mobilisation : « 27 juin 1915, 339ejour depuis la mobilisation ». Au fil des cahiers sont agrafés des coupures de journaux, des feuillets annonçant les quêtes, pour la Croix rouge, le vêtement du soldat, la journée serbe ainsi que des insignes comme pour la Journée du 75 ou de petits drapeaux pour la Journée du drapeau belge, etc.
Esprit vif et plume sans concession, Henri Andrieu livre un témoignage sur la guerre vue d’un village éloigné des combats, sur la pérennité de la vie quotidienne et les transformations de celle-ci dues au conflit.

3. Analyse du contenu
Dans ses écrits quotidiens, Henri Andrieu mêle les nouvelles du front, du village et de sa famille. De « l’émotion poignante qui étreint tous les cœurs » le 1er jour de la mobilisation, à ses colères contre les embusqués, resquilleurs et autres profiteurs, à ses angoisses comme celles de toutes les familles qui attendent des nouvelles du front, Henri Andrieu brosse un tableau où affleurent avec sincérité ses convictions et où il restitue l’atmosphère de son village en cette première année de guerre.
Dès le 3 août, il relève les changements visibles : la hausse des prix chez les épiciers mais, ajoute-il, « leur conduite est durement qualifiée » ; l’enlèvement des plaques du bouillon Kub, sans autre commentaire ; les réquisitions de chevaux ; les rumeurs (« on ne parle que d’espions on croit en voir partout) ; mais surtout « l’embarras dans lequel vont se trouver ceux qui restent pour lever les récoltes » ( 2 août 1914 ). Des mécaniciens sont mis à la disposition des cultivateurs pour « la mise en marche et la réparation des machines » (5 août 1914). Certains, qui possèdent des machines, en profitent pour les louer très cher : « il veut 5 francs de l’heure, sa conduite soulève l’indignation » (7 août 1914).
Tout au long de ses écrits Henri Andrieu s’indigne souvent contre les injustices, les profits scandaleux, les passe-droits, contre l’attitude des élus qui selon lui n’est pas digne en cette période. Il s’emporte régulièrement contre les « embusqués ». Il rapporte par exemple que M. va à Rodez « pour tacher moyen d’embusquer T. avec le concours du conseiller de préfecture et son beau-frère commandant de recrutement », et il fustige « toujours ce manque de moralité…toujours l’égoïsme, l’honneur ne compte pas » (14 octobre 1914). Le 9 décembre 1914, il dénonce l’attitude d’un « embusqué » qui pense : « il faut bousculer l’ennemi hors de France mais que les autres le fassent ! ».
Les nouvelles du front occupent une grande place dans les deux premiers cahiers. Il commente longuement les mouvements des troupes, leurs positions, les avancées, les échecs, l’attitude des pays concernés, puisant les détails dans la lecture de la presse et des dépêches officielles affichées, sans toutefois être dupe (« on ne nous dit que la moitié de la vérité », 25 novembre 1914). Les habitants, au hasard des rencontres dans le village ou à la veillée, discutent de la politique, de la marche de la guerre mais aussi des nouvelles qui arrivent par le courrier des soldats au front. Le mercredi 16 février 1915, Henri Andrieu apprend le décès de S.B. de fièvre typhoïde dans un hôpital militaire ; dans le même temps, un camarade du défunt écrit à sa propre famille que « S.B., sergent, se trouvait en première ligne avec ses hommes. Attaqués par l’ennemi, ses hommes auraient refusé de marcher et la seconde ligne aurait ainsi beaucoup souffert. Traduits en Conseil de guerre quelques-uns de ces hommes auraient été condamnés à mort… S.B. aurait perdu ses galons de sergent… » Henri Andrieu ajoute : « la commotion de cette affaire ne serait-elle pas la cause de sa mort ? ». Le 22 octobre 1914, pour la première fois, apparaît dans les cahiers le mot « tranchée » repris d’une lettre de son fils Emile qui mentionne que sa « tranchée est à 150 mètres de celle des Allemands ». Henri Andrieu commente : « nos troupes se maintiennent » comprenant que la guerre s’enlise.
L’angoisse grandit au village, dès la mi-août, à l’annonce des premiers décès et blessés. Le courrier occupe alors une grande place dans les propos du père et dans les conversations des habitants. Il écrit : « comme on est heureux …d’avoir des nouvelles des siens de savoir qu’ils sont parmi les vivants » (18 août 1914) et le 2 septembre, avec beaucoup de pudeur : « trois cartes d’Emile. Ces simples cartes nous font beaucoup de plaisir, elles entretiennent l’espoir ». Les combattants signalent dans leur courrier qu’ils sont avec tel ou tel camarade de Colombiès et les familles font circuler les nouvelles. Au fil des mois, l’attente de courrier sera de plus en plus préoccupante et angoissante. Le moral aussi a changé. Henri Andrieu rapporte les propos d’un habitant : « l’esprit des soldats a bien changé depuis le début des hostilités. Alors on partait à la frontière avec plaisir, maintenant on ne veut plus partir » (8 décembre 1914).
A Colombiès, loin du front, la vie continue. Henri Andrieu assiste aux conseils municipaux, il se déplace à Rodez pour les réunions pédagogiques, il assure ses causeries d’histoire locale. Il relate les faits divers, la vie à l’école, les visites de la famille, les difficultés des cultivateurs, les naissances, les décès. Cependant les effets du conflit se font sentir au village. Les discussions devant les dépêches sont parfois houleuses, la guerre exacerbe les dissensions, les caractères, mais elle rapproche aussi. Henri Andrieu note : « Je porte La Dépêche à Mr le Curé – je suis bien reçu » (10 août 1914). Ces civilités n’excluent pas les prises de position de l’instituteur : « Sermon de Mr le Curé : la France vaincra parce qu’elle est catholique, parce qu’elle prie. –J’ai plutôt confiance en notre armée et en ses chefs » (29 novembre 1914).
Très actif au service des soldats, il organise les quêtes, tient les comptes ; il crée un groupe de tricoteuses qui se réunissent dans l’école après la classe pour l’œuvre du vêtement du soldat. Il organise aussi une collecte de vêtements qu’il expédie à son fils pour les combattants de son unité, il fait des démarches auprès de la Croix rouge pour les familles sans nouvelles, il s’occupe d’aider les familles nécessiteuses pour la rédaction des demandes de subsides, il ne manque pas d’adresser ses condoléances aux familles des disparus et de prendre des nouvelles de ses anciens élèves.
Nicole Dabernat-Poitevin

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Aribaud, André (1896-1989)

1. Le témoin

Né à Montolieu (Aude) le 27 décembre 1896 dans une famille de cultivateurs, fils de Joseph Aribaud et de Marguerite Combettes. Le lendemain de son succès au certificat d’études primaires en 1909, il entre au travail dans une usine textile (où, à partir de 1915, on produit du drap bleu horizon). Engagé volontaire pour quatre ans dans l’artillerie en 1916. Brigadier le 17 mars 1918. Maréchal des logis le 26 août 1919. Rengagé en 1920. Marié le 14 mars 1922. Sous-lieutenant en 1933. Commandant de réserve en 1953, puis lieutenant-colonel. Médaille interalliée, médaille militaire, chevalier de la Légion d’Honneur en 1950. André Aribaud est mort à Carcassonne le 31 mars 1989.

Photo d’André Aribaud dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 37.

2. Le témoignage

André Aribaud, Un jeune artilleur de 75, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 72 p., illustrations.

Texte rédigé en 1984, à l’âge de 87 ans, en suivant de près ses carnets de notes de l’époque et sans ajouter de commentaires anachroniques.

3. Analyse

Le premier chapitre raconte brièvement son enfance et son adolescence à Montolieu, petite ville d’industrie textile proche de Carcassonne, puis la période des classes au 3e RAC. Il arrive sur le front à Verdun en mai 1917, au 273e RAC (97e division), participe à la reprise de la cote 304 et du Mort Homme, puis à la défense face à l’offensive Ludendorff dans l’Aisne en mai 1918 (seule occasion de pointer à vue sur l’infanterie ennemie). En septembre 1918, le régiment est employé dans la reconquête de la poche de Saint-Mihiel et dans la poursuite jusqu’à l’armistice.

Le récit d’André Aribaud suit de près le contenu de ses carnets originaux, sans prise de position pour ou contre la guerre, mais avec des descriptions concrètes utiles pour illustrer l’accueil des bleus par les anciens, l’angoisse sous les obus à gaz, l’horreur du champ de bataille, la compassion pour les blessés, même allemands… Un chapitre explique précisément le fonctionnement de l’artillerie au front. André Aribaud montre, lui aussi, ce que Jean Norton Cru avait tiré de son expérience personnelle et de ses lectures : l’infanterie allemande sans défense contre un barrage par les batteries de 75, et celles-ci, à leur tour, victimes de l’artillerie lourde ennemie (Témoins…, p. 27). Les derniers chapitres de l’ouvrage portent sur l’occupation en Allemagne, les troubles en Haute Silésie en 1920-21, dans la Ruhr en 1923.

4. Autres informations

– Registre matricule, Archives de l’Aude, RW 642.

– Notice dans Les Audois, dictionnaire biographique, sous la dir. de Rémy Cazals et Daniel Fabre, Carcassonne, 1990, p. 39.

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