Roussillat, Louis (1897-1978)

Voici un livre curieux : Louis Masgelier, Carnets d’un Creusois dans la Grande Guerre 1916-1918, présentés par Jacques Roussillat, Neuvic-Entier, Éditions de la Veytizou, 1996. Curieux parce qu’on apprend à la dernière page de l’épilogue et du livre que le nom de Masgelier cache celui de Louis Roussillat, le père du médecin auteur de la présentation. Celle-ci est le résultat d’une recherche généalogique et livre des informations sur une famille de souche paysanne. Louis est né en septembre 1897 à Saint-Vaury, près de Guéret. Son père exerçait la profession de tailleur d’habits. Bon élève, poussé par son instituteur, Louis entre à l’École primaire supérieure puis à l’École normale en 1913. Pendant la guerre, il recherche la compagnie de ses collègues et surtout des Creusois. Il pense que les instituteurs occupent une bonne place dans la hiérarchie intellectuelle et sont supérieurs à certains gradés incultes. Il écrit aussi (p. 93) : « J’ai envié quelquefois l’instruction secondaire, j’aurais voulu recommencer ma jeunesse pour suivre les cours d’un lycée, jugeant sur quelques brillants sujets, je vous enviais un brin. Mais je vois bien par ton exemple que je m’abusais quelque peu, que toi, brillant lycéen, bachelier depuis longtemps, tu ne nous vaux peut-être pas comme caractère, comme jugement. »
Louis Roussillat a pris des notes sur trois carnets, de novembre 1916 à janvier 1919 ; il n’en a jamais parlé à son entourage et, d’une façon générale, il évoquait rarement la guerre. De novembre 1916 à octobre 1917, il reste assez loin des lignes, d’abord dans une unité non précisée, puis au 338e RI à partir de juillet 1917. Durant cette période, il décrit exercices et corvées, cours d’élèves caporaux et stage de maniement du fusil mitrailleur. Il voit tomber les premiers obus en octobre 1917 et il découvre les tranchées en novembre. Mais il n’entre dans une phase de combats que fin mars 1918, lors de l’offensive allemande.
Durant la première période, quelques notations :
– à l’annonce de la mort d’un camarade à Verdun, la douleur, puis « la colère contre ces bandits à qui nous devons cette guerre infâme » et la volonté de le venger (p. 51) ;
– le froid de janvier 1917 (p. 75) ;
– le suicide d’un officier (p. 78) ;
– le spectacle des destructions à Ollencourt et Tracy-le-Val (p. 84) ;
– la gêne du jeune gradé qui doit commander de vieux soldats (p. 90) et la remarque que des hommes en groupe se conduisent comme des gamins (p. 98) ;
– l’accoutumance : « Lorsqu’une oreille se tend pour un ordre, l’autre est prête à enregistrer le contraire » (p. 115) ;
– une corvée de barbelés dans la neige en décembre 1917 (p. 117).
Le récit des combats du printemps 1918 va de la page 124 à la page 140. On assiste d’abord à l’affreux exode des civils, puis à l’affrontement du 29 mars avec une charge à la baïonnette conforme à ce qu’en dit Jean Norton Cru. Lorsque l’ordre est donné : « La ligne hésite, oscille un instant. C’est dur de partir à la mort dans cette plaine battue de tous côtés. Puis tous partent, s’élancent, les baïonnettes se fixent au fusil et on tire à la course : la compagnie se précipite sur Fritz. Surpris par cette riposte, les Boches font demi-tour et à toutes jambes redescendent vers la vallée d’où ils montaient. » Il décrit ensuite la joie de retrouver les copains vivants (p. 130), les honteux pillages des maisons par les soldats français (p. 135). En avril, il est nommé caporal, puis sergent et adjudant.
Son fils n’a pas donné le texte du troisième carnet, contenant une dizaine de feuillets laconiques, ajoutant : « La pudeur, la lassitude, peut-être un certain dégoût ont alors arrêté sa main. » Dégoût ? Le poilu aurait-il évolué au contact de la vraie guerre ? Lui qui, sans aucune expérience, écrivait au tout début, assistant au retour des tranchées d’éléments du 202e RI (p. 41) : « On sent la confiance sous ces figures viriles que le danger a quelque peu durcies. C’est la nation en armes où les âges, les métiers les plus divers voisinent dans une même vie, dans un seul et même but : l’aspiration au repos par la victoire sur le Boche. » En décembre 1917, au cours d’une corvée désespérante, il écrit le mot « indignation », mais sans développer sa pensée. Et plus tard encore ? On ne sait.
Rémy Cazals, janvier 2016

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Gamel, Roger (1896-1962)

Sur le livre Impressions de guerre 1914-1918, Carnet de guerre de Roger Gamel, poilu aveyronnais, pas de mention d’éditeur mais un ISBN 978-2-7466-7598-8. Si on retourne le livre, c’est une nouvelle couverture, celle des Impressions de guerre 1914-1918, Journal de guerre de Mimi Jacob (voir ce nom). Le livre double, imprimé en 2014, est le résultat d’un travail pédagogique réalisé au lycée Louis Querbes de Rodez (Fax 05 65 78 12 32) sous la direction de Jean-Michel Cosson, professeur d’histoire et de géographie, et de Sandrine Garriguet, documentaliste. Il semble hors commerce mais il est peut-être possible de se le procurer en s’adressant à ce lycée. Je l’ai moi-même reçu sans commentaire. Les deux témoins n’ont aucun rapport, l’un avec l’autre.
Roger Gamel est né à Rodez le 29 juin 1896. Deux lignes de son carnet (p. 51 et 91) nous apprennent qu’il était employé de commerce, ayant travaillé à Paris à la Samaritaine et aux Galeries Lafayette où il reprit du service lors de sa démobilisation en septembre 1919. Le fait que le cahier ait été trouvé par hasard dans un grenier à Lille est peut-être à mettre en rapport avec ses emplois successifs. Marié en 1920 à Deuil-la-Barre (actuellement dans le Val d’Oise), il mourut dans ce même département, à Belloy-en-France, le 26 octobre 1962. Roger Gamel ouvre son cahier en affirmant qu’il est la copie conforme des notes prises pendant la guerre, notes brèves pour la période du 16 avril 1915 (incorporation au 4e RIC) au 29 août 1916 (mutation au 23e RIC) et plus complètes ensuite. Quelques fautes d’orthographe de l’auteur ou de transcription. Les points de suspension dans les citations qui suivent sont de Roger Gamel.
Sans surprise, on trouve dans ce témoignage les habituelles descriptions concernant la vie des poilus. La pluie (p. 16) : « Ma capote tient debout toute seule tant elle a été mouillée. » Le froid (p. 29, 2 janvier 1917) : « Nos boules de pain nous arrivent gelées aussi faut-il nous servir de nos pelles bêches pour les partager en quatre, nous les faisons passer au feu vif pour pouvoir manger ce pain. » Les poux (p. 56) et les rats (p. 85) : « Un rat m’a mordu à la joue, teinture d’iode… » La boue (p. 56) : « Les boyaux ne sont plus que des canaux de boue dans lesquels on s’enfonce par endroit jusqu’à la poitrine. » Les mercantis (p. 27) « sans scrupules qui nous écorchaient de leurs prix excessifs ». L’aide aux paysans (p. 43) : « Blancs et noirs aident nos paysans dans les travaux des champs. Comme partout, on a craint l’arrivée des « Coloniaux » dont la mauvaise renommée n’a été répandue que par des curieux et des jaloux ; et quand les « Coloniaux » s’en vont, on les regrette et on ne se cache pas pour nous le dire. » En permission, l’accueil démoralisant des « civils très patriotes » qui ne comprennent pas ce qu’est la guerre (p. 62) ; et toujours, au moment de repartir, un terrible cafard. L’officier d’état-major, « très élégant et pommadé », qui, tout pâle, passe une heure avec les fantassins : « Il pourra en raconter long sur la vraie guerre ! » La peur au cours d’une patrouille, la vie au milieu des morts, la mauvaise surprise des obus à l’ypérite (p. 59). Plus originale, la situation du groupe à qui on ne peut faire parvenir de nourriture par voie terrestre (p. 34) : « Par signaux optiques, notre aviation est prévenue du danger que nous courons… une dizaine d’avions survolent notre secteur et nous jettent quelques boites de conserves qu’il nous est impossible de retrouver… »
Intéressante description d’une corvée de soupe (p. 57) avec cette précision très concrète : avant d’avoir à affronter le retour, chargés à l’excès, dans la boue et sous les obus, les hommes de corvée ont le plaisir de boire et manger chaud. Jules Puech (voir ce nom) et d’autres l’ont noté. Jules Puech et sa femme Marie-Louise ont également donné de nombreux exemples de prosélytisme catholique en particulier dans les hôpitaux. Roger Gamel en fournit un cas personnel (p. 59) : « Je quitte l’ambulance de Beaurieux… la sœur me coud à ma vareuse un scapulaire et me donne deux médailles elle m’embrasse et je remonte en ligne.»
Nommé observateur du régiment (7/12/1916), il assiste à la destruction du village d’Andéchy (13/12) ; ayant repéré un groupe de travailleurs ennemis, il les signale et a « la satisfaction à voir éclater 8 coups de 75 en plein but ». Il ajoute : « J’ai bien travaillé. » Lors du recul des Allemands dans l’Oise (21/03/1917), il note la joie des habitants sortant de leurs caves pour recevoir les soldats français, et il condamne les dévastations : « Nous voyons partout les arbres fruitiers sciés, les caves inondées, les puits bouchés avec du fumier… là, par ces abominables manières à faire la guerre on reconnaît l’âme boche… la destruction systématique de ce riche pays est complète… pourquoi avoir scié les arbres fruitiers ? est-ce cela qui arrête une armée ? »
Le 16 avril, son régiment est en réserve. Le 18, il décrit l’attaque du mont des Singes. En juin, secteur calme en Alsace. Une brève allusion aux troubles, le 22 juillet : « Quelques régiments se sont révoltés… ça barde… le 20e Corps qui occupe une partie du secteur a un mauvais moral… les pires canards circulent. » Retour vers le Chemin des Dames, fin juillet. Caverne du Dragon (p. 51), Hurtebise jusqu’en novembre (p. 51-61).
Montagne de Reims en février 1918 ; fort de la Pompelle en mars. Le 19 octobre, il est évacué, atteint de grippe espagnole, mais s’en sort rapidement. Le 11 novembre le surprend à Paris, retour de convalescence.

Rémy Cazals, septembre 2015

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Davat, Hippolyte (1884-1966)

1. L’auteur
Né à Aix-les-Bains (Savoie) le 12 mars 1884. Certificat d’études. Formation de jardinier. Service militaire au 4e Dragons de Chambéry. Garde municipal chargé des espaces verts dans sa ville natale. Marié en 1911, un fils. Pendant la guerre, ravitailleur d’artillerie au 206e RAC, puis dans l’artillerie lourde à partir de janvier 1918. Après la guerre, il reprend sa fonction jusqu’à la retraite en 1943.

2. Le témoignage
Hippolyte Davat, 1914-1918 Ma guerre, 2014, préface de Jacques Delatour, 277 p., contient un lexique des termes techniques, des croquis de localisation, la reproduction en fac-similé de quelques pages.
Retrouvé et publié à compte d’auteur par Guy Durieux (gdurieux07@orange.fr), qui nous a déjà fait connaître le témoignage de Marius Perroud (voir ce nom).
L’original comprend 735 feuillets recto-verso, format 15 x 9,5. Le premier intérêt du texte se trouve dans la volonté de l’auteur de garder une trace de tous les jours, du 3 août 1914 au 14 mars 1919 (sauf les périodes de permissions). L’intention de l’auteur est résumée à la fin : « Où j’étais, ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu et ce que j’ai fait pendant la Grande Guerre. »
Pour la commodité du lecteur, Guy Durieux a parfois allégé le texte de passages répétitifs lorsque la vie était trop monotone ; il l’a divisé en chapitres et il a normalisé l’orthographe. J’ai repéré une erreur de transcription p. 210, lorsque, le 18 avril 1918, Hippolyte signale la mort de « Rolo » ; il s’agit de Bolo (Pacha), fusillé le 17 avril ; et cela montre la rapidité de transmission de cette information.

3. Analyse
S’agit-il du récit d’une vie monotone ? Hippolyte Davat ne combat pas les armes à la main, mais il correspond incontestablement à la définition du combattant donnée par Jean Norton Cru car il vit une grande partie du temps au danger (obus, bombes d’avions). Son texte définit les diverses facettes de son « métier » : avec ses chevaux, il doit installer les batteries sur leur position de tir et les déplacer lorsqu’elles sont repérées ; il doit les ravitailler en obus et apporter la soupe ; il est parfois réquisitionné pour apporter diverses choses à l’infanterie et au Génie ; au début de la guerre, il faut aller récupérer les douilles, les fusils et baïonnettes. Les corvées sont diverses : aller remplir des tonneaux d’eau ; transporter la litière et l’enterrer dans les trous d’obus. Le 7 juin 1916, il note : « Corvée de boue devant la porte des huiles ! Quel travail et à la carrière pour extraire et charger des pierres que nous mettons à la place de la boue. » Le 1er septembre, c’est une corvée de gravier « pour les allées de M. le capitaine ». Tous ces transports ont lieu non loin des lignes et parfois sous les obus quand les attelages ont été aperçus par un observateur depuis sa saucisse. Mais Hippolyte est conscient de la situation encore plus mauvaise des « pauvres fantassins ».
Même compassion pour les chevaux ; l’expression « pauvres chevaux » revient souvent. « Triste chose que la guerre pour ces pauvres animaux aussi », écrit-il le 21 avril 1916. Ils triment dur pour s’arracher à la boue ; ils glissent sur le sol verglacé ; ils passent des nuits sans abri sous la pluie et au froid. Les obus, les tirs de mitrailleuse les effraient. Un jour (17 octobre 1918), un cheval heurte du sabot un obus non éclaté ; l’explosion provoque la fuite « dans tous les sens » des rescapés. « Nos chevaux commencent à en avoir assez », remarque-t-il le 23 octobre 1917, expression largement employée par les poilus, et bien avant cette date. Hippolyte s’attache à certains de ses chevaux, son « grand Canadien » ou ses « deux gris ». Une grande partie de son temps passe en soins (contre la gale) et pansages (19 avril 1917 : « Bon pansage où, les chevaux muant, on avale beaucoup de poils. »).
Quand il a des loisirs, il va boire un litre avec des camarades ; on chante, on joue de l’accordéon. On cueille des fraises et framboises, des champignons ; on ramasse des pommes pour faire du cidre ; on améliore le menu avec la viande d’un sanglier ; on fait une pêche miraculeuse dans un étang en partie asséché (« je cueille les poissons comme avec une pelle ») et il y a largement de quoi en vendre de pleins seaux dans les cantonnements (« c’est une recette pour du pinard »). On aide les paysans chaque fois que c’est possible. Hippolyte fabrique des briquets et, à plusieurs reprises, il dit qu’il « dessine » sur des douilles d’obus pour les camarades qui ont sans doute reconnu ses compétences artistiques. Quant aux Anglais, leur jeu favori est le football ; les Français y participent parfois bien conscients de la supériorité britannique.
Hippolyte témoigne d’un grand intérêt pour les avions : les spécialistes de l’aviation pourraient trouver dans son texte quantité de notations, avec les évolutions qualitatives et quantitatives du début à la fin de la guerre. Au début, on voit quelques appareils isolés ; on tire dessus sans succès et il faut s’abriter lorsque les culots retombent. Puis on assiste à des pirouettes, des acrobaties, des duels dont les résultats sont incertains car le vaincu tombe parfois dans les lignes adverses. A la fin de la guerre, ce sont des escadrilles de dizaines d’appareils que l’on peut voir depuis le sol.
Hippolyte ne manque jamais de noter des renseignements sur les cimetières : tombes individuelles ou collectives, de Français et/ou d’Allemands. Lorsqu’il passe deux fois au même endroit à plusieurs jours d’intervalle, il constate l’allongement des files de croix, l’agrandissement des cimetières. D’une façon générale, il note qu’il est déjà passé auparavant à tel endroit (par exemple dans les parages du Trou Bricot en septembre 1918 comme en septembre 1915).
Certains jours, les notes sont brèves. D’autres fois, il décrit plus longuement des secteurs où l’action a été rude : Champagne fin septembre 1915 ; Verdun en mars 1916 ; le Soissonnais dévasté lors du recul allemand de mars 1917 (arbres fruitiers sciés, puits remplis de fumier, sucrerie de Villers-Saint-Christophe détruite…) ; le Chemin des Dames en mai (tandis que des civils se livrent aux travaux agricoles à proximité du danger) ; environs de Nouvron-Vingré en novembre 1917. Détail curieux : à Aubigny en avril 1917, dans une maison dévastée, il découvre « un petit mémoire écrit à la main de M. Boloré, otage des Allemands en 70 » et les 26 cahiers rédigés par « un homme resté dans l’invasion et inscrivant au jour le jour ses impressions parfois curieuses de ce qu’il voyait ».
La supériorité des Alliés lors des derniers mois de la guerre devient écrasante : « grande activité d’aviation » (26 septembre) ; « des tanks il y en a partout » (1er octobre). Les Allemands reculent en faisant sauter leurs canons dont l’un « ouvre sa gueule comme un crocodile » (10 octobre). Les prisonniers allemands expriment leur joie d’en avoir fini ; chargés d’enterrer des chevaux morts, ils en sont heureux « car ils ont du cheval à manger » et les Français leur apportent du pain. Le 10 novembre, Hippolyte se demande : « Est-ce vrai que cela va finir demain ? » Le11 dans l’après-midi : « Ce calme, pas de canon, me semble tout étrange. » Et le 13 : « Ayant pu se procurer le journal, nous lisons les clauses de l’armistice, c’est salé. » Le 21 novembre, la description du paysage de la route de Somme-Py à Souain est la dernière de ce type dans les carnets.
Ceux-ci comprennent rarement des jugements sur les chefs, sur l’armée et sur la guerre. Mais il y en a quelques-uns. On a déjà fait allusion aux huiles pour lesquelles il faut faire des corvées. Retarder son départ en permission (27 juillet 1915) l’irrite au plus haut point et lui fait comprendre que des pistonnés passent avant lui et que la solidarité entre officiers et soldats « n’existe que sur les journaux ». L’expression « bourrage de crâne » est utilisée le 3 octobre suivant. L’armée ? « Ah ! Armée française, tu ne changeras donc jamais, armée où l’on dévaste tous les champs, ça me fait rage de voir ce travail ! » Les alliés russes ? « Aujourd’hui, sur le journal, capitulation de nos chers alliés, les Russes ! » La guerre ? « Je fais des tas de petites choses qui occupent mon temps et me distraient sans cela ne deviendrions-nous pas fous ? » (17/02/1917). Et, plus largement (19 octobre) : « Que devons-nous penser de cette civilisation ? »
Au total, beaucoup d’informations à tirer de ce livre.
Rémy Cazals, juillet 2014

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Grelet, Louis (1885-1965)

Ce théologien, philosophe et égyptologue autodidacte, fut également marqué dans sa vie par la guerre de 1914-1918. Il était né le 14 mai 1885 au Louverot (Jura), avait été réformé en 1905, mais reconnu apte en 1914. Après une instruction rapide à Besançon, il se retrouve sur le front en mai 1915 en Artois, au 158e RI, se demandant : « Pourquoi cette guerre, Grand Dieu ! Pourquoi ce massacre d’hommes qui ne demandent qu’à vivre, qui ont des projets d’avenir, et qui brutalement, contre-nature, disparaissent de la surface de la terre ? » Il est surpris de voir que la population continue à vaquer à ses occupations près de la ligne de feu, dans les mines et les champs. Quant aux soldats : « Il me semble tels étaient ces hommes dans la vie civile, tels ils demeurent dans la vie militaire. Ils ne s’intéressent que très peu à la guerre elle-même ; ils songent surtout aux occupations qu’ils avaient dans le civil, et leurs conversations roulent principalement sur ces deux seuls sujets : l’amour et le vin. » Il découvre la boue, le dédale des boyaux, les cadavres, l’odeur et les grosses mouches bleues : « Ce qu’est la guerre actuelle, personne ne peut se l’imaginer s’il n’en a pas été le témoin. Les mots sont impuissants à faire voir ce qu’elle est ; les photographies elles-mêmes sont des choses mortes ; il faudrait le cinématographe, et encore il y manquerait un élément essentiel : le son. […] Ce n’est pas de l’héroïsme qu’on nous demande à nous autres soldats, c’est du surhumain ; et on peut en dire autant des soldats allemands. » On vit sous les obus, on ne tire presque pas de coups de fusil et, au 8 juillet, Louis Grelet écrit qu’il n’a pas encore vu le moindre Allemand. Les soldats critiquent les chefs et les communiqués officiels : « En les lisant, on ne se rend pas compte du travail énorme qui se fait dans toutes les parties du front. Dans les boyaux qui conduisent aux tranchées de première ligne, c’est, pendant toutes les nuits, un va et vient perpétuel. Là on ne peut employer ni voiture, ni automobile, ni chemin de fer. On ne peut employer que l’homme. Et il faut porter à dos des sacs de grenades, des sacs de cartouches, du fil de fer, des piquets, de l’eau, des vivres, descendre les blessés et les morts. C’est un travail fantastique. »
Septembre 1915, l’offensive se prépare. Pour Louis Grelet, le mot « offensive » signifie « grand massacre ». Et il aura raison. Le 12 octobre, il note : « Nous apercevons à trente mètres devant nous un bras qui se lève tenant un béret cerclé de rouge. C’est un blessé allemand qui s’est traîné jusque là. Le sergent Lavier va le chercher et le ramène sur son dos, puis des brancardiers viennent et l’emportent. » En décembre, comme l’ont montré Louis Barthas et tant d’autres, l’ennemi est la pluie avec sa conséquence, la boue dans laquelle on s’enlise. Les tranchées sont inondées, le travail ressemble à celui des Danaïdes. Une entente tacite s’instaure, on se montre à découvert, on échange des cigares et de la nourriture, et des paroles de sympathie. En même temps, on se méfie, mais un geste prouve la sincérité des Allemands : pour marquer la fin de la trêve, une mitrailleuse allemande tire en l’air au lieu de faucher une compagnie effectuant une relève à découvert. Le général de division fait lire une note qui signale le passage à l’ennemi de deux sergents, deux caporaux et douze hommes. Le déserteur connu de Barthas n’était donc pas le seul.
En février 1916, c’est Verdun où Louis Grelet assiste à un premier bombardement aérien, et où « les 305 tombent comme ailleurs les 77 ». La marche sur le verglas provoque de nombreuses chutes, « heureusement ou malheureusement sans me faire de mal », remarque notre soldat. Et il faut continuer sous les obus et parmi les cadavres. Les hommes sont épuisés, mais ne sentent plus leur fatigue lorsqu’ils sont relevés, tant ils sont contents de s’éloigner « de ces lieux maudits ». Mais il faut y retourner. Sergent le 22 mars, Louis est blessé le 31 par une balle qui lui traverse le sein droit, et capturé par les Allemands qui le soignent bien : « Dans l’après-midi, une ambulance attelée de deux chevaux vient prendre les blessés qui attendent au poste de secours. On installe à l’intérieur sur des brancards les plus gravement atteints ; puis un infirmier me fait monter sur le siège du conducteur et, entre le conducteur et moi, il fait asseoir un de ses compatriotes qui a les deux yeux crevés, du moins meurtris et clos. Ce dernier demande qui est à côté de lui. Son camarade lui répond : « Franzose. » L’aveugle a un mouvement de recul, mais sur quelques mots de son camarade, il se tient tranquille. Je passe même mon bras sous le sien pour nous soutenir mutuellement et, nous agrippant à l’étroite banquette, nous partons à travers champs. Car, de ce côté-ci comme du nôtre, les routes sont constamment balayées par l’artillerie. » Si le récit de la capture est détaillé (comme celui de Fernand Tailhades, par exemple), les notes sur la vie en Allemagne sont très brèves et limitées à quelques jours de novembre 1918 avec des allusions à la révolution. On aurait aimé là-dessus de longs développements, mais le prisonnier pensait vraiment à autre chose, à son retour en France, et on est bien obligé de dire qu’on le comprend.
Rémy Cazals
*Texte transcrit par Denis Chatelain et publié à Paris, éditions La Bruyère, sous le titre Dix mois de front (juin 1915-mars 1916), 2008, 104 p.

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Darchy, Romain (1895-1944)

Sans conteste, les volumineux « Récits de guerre » du soldat  Romain Darchy partiellement publiés relèvent de la catégorie du témoignage alliant la rigueur des faits à la valeur littéraire du récit construit dans une prose maîtrisée. Composés à partir de carnets tenus au jour le jour, ils nous immergent dans l’expérience de guerre de l’auteur, d’abord simple soldat puis aspirant-officier commandant d’une section d’infanterie à partir de juillet 1917.

L’auteur est mobilisé avec la classe 15 en décembre 1914 et est incorporé au 408e RI avec lequel il découvre le front en avril 1915. Blessé devant le fort de Vaux, il est évacué en mars 1916 après avoir survécu à plusieurs journées de durs combats et de bombardements qui ont manqué de l’enterrer vivant à plusieurs reprises, lui et une compagnie entière, incapable de pouvoir tenir à l’extérieur face au déluge de feu. Il revient au front avec son régiment dans le secteur d’Avocourt et de la cote 304 à l’été 1917. Très sensible à valoriser le courage et l’abnégation des hommes dans la souffrance, il ne manque pas de s’attacher à décrire avec minutie le calvaire des relèves ou des corvées de soupe, à témoigner des conditions de survie des hommes rouspétant mais tenant bon dans le froid de la tranchée. Romain Darchy est un patriote, croyant, qui voit dans la guerre une forme d’héroïsation des combattants français, alors même que le « boche » ou « les sales Teutons » ne peut se concevoir que comme l’ennemi. Ainsi, il donne aux scènes de combat un réalisme certain, ajoutant aux descriptions morbides des blessés et des morts, des images renvoyant à une conception toute religieuse du sacrifice : « Tous les trois se touchent, ils sont morts ensemble. Et le soleil qui se reflète dans un liquide immonde éclaire ces cadavres comme une auréole de gloire » (p. 269). Nous sommes là face à des évocations qui renvoient au témoignage, certes ici moins littéraire, d’Ernst Jünger et aux tableaux d’Otto Dix.

Encerclé le 15 juillet 1918 au bois d’ Eclisse sur le front enfoncé de la Marne, Romain Darchy est fait prisonnier avec une partie de son unité. C’est pour lui le début d’un effondrement psychologique qui se lit à travers son témoignage de captivité. Conduit derrière les lignes allemandes, il ne peut se résigner à aider les blessés ennemis et enrage contre les troupes italiennes qui auraient causé sa capture. Il se considère comme un naufragé condamné à l’exil, tourmenté par le fait de ne pouvoir continuer à se battre alors même que les Allemands pouvaient, encore, l’emporter. L’idée d’avoir été « sacrifié », de pouvoir être de ceux à qui « l’on jettera la pierre », hante les pensées du jeune aspirant qui refuse de parler aux Allemands qui l’interrogent. La douleur ressentie sur le long chemin vers l’Allemagne et la forteresse de Rastatt n’est atténuée qu’avec la satisfaction de savoir les Allemands en retraite et que par le renforcement d’une camaraderie désormais de captivité.

D’un point de vue formel, le récit de Romain Darchy gagne en maîtrise et en densité au fur et à mesure que s’étire le récit, véritable monument dressé à ceux qui sont tombés à ses côtés.

Terminons en soulignant combien le destin singulier Romain Darchy, depuis la mobilisation dans l’armée de la Grande Guerre et jusqu’à la mort tragique sous les coups de la Gestapo en 1944 pour faits de résistance, renvoie à l’engagement de Marc Bloch, figure emblématique d’un tragique premier XXe siècle. Engagements identiques de deux hommes motivés pourtant par des valeurs très opposées.

Alexandre Lafon – décembre 2012

Source : DARCHY Romain, Récits de guerre 1914-1918, Paris, Bernard Giovanangeli Éditeur – Ville de l’Aigle, 479 p. Edition accompagnée de précieuses annexes (biographie, correspondances) qui viennent compléter le texte principal.

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Goudareau, Emile (1880-1961)

1. Le témoin

Né à Avignon le 4 juillet 1880 dans une famille de notables catholiques légitimistes. Son grand-oncle Albin Goudareau (1800-1889) avait correspondu avec Montalembert. Son père, Jules, était compositeur et critique musical. Emile fit son noviciat à Aix-en-Provence, puis poursuivit ses études en Angleterre pour devenir jésuite. Il fut ordonné prêtre à Hastings en 1913. A la mobilisation, il était brancardier au 58e RI d’Avignon. Il se blessa en février 1915 en allant ramasser des blessés (voir plus bas). En juillet, il passa mitrailleur au 111e RI, puis à nouveau au service de santé (voir plus bas), et fut fait prisonnier avec une partie du régiment près d’Avocourt, à l’ouest de Verdun, en mars 1916. Interné dans divers camps, dont celui de Darmstadt. Rapatrié en mars 1918, démobilisé en mars 1919. Après la guerre, il passa près de trente ans au Caire, notamment comme professeur de philosophie et de théologie au collège de la Sainte-Trinité. Il mourut à Bastia le 20 janvier 1961.

2. Le témoignage

La base du témoignage est constituée par les lettres adressées à sa famille ; elle est complétée par d’autres lettres adressées à des jésuites, conservées aux Archives de la Compagnie de Jésus à Vanves. Son petit-neveu Jacques Félix les a éditées et commentées dans un mémoire de Master 2 soutenu à l’université de Toulouse Le Mirail en 2006 : Edition critique de la correspondance de la Grande Guerre d’Emile Goudareau s. j. à sa famille et à d’autres pères jésuites entre 1914 et 1917, tome 1 Mémoire et corpus, 183 p., tome 2 Annexes. La transcription des 60 lettres de guerre (du 19 septembre 1914 au 18 mars 1916) occupe les pages 35 à 82 du tome 1 ; celle des 33 lettres de prisonnier (du 10 avril 1916 au 5 septembre 1917), les pages 87 à 105. L’index des noms propres figure dans ce même tome 1, p. 177-178.

3. Analyse

– Une longue lettre, adressée à son frère Joseph le 17 novembre 1915, est riche d’enseignements divers. Il décrit d’abord ce qu’il appelle « le milieu » : « Il est médiocre : recrutement du Var ou de Corse. Beaucoup de Corses. Classes jeunes, très bruyantes, et qui ne valent pas comme rapports les bons pères de famille ardéchois de l’an dernier. Esprit religieux nul ou à peu près ; esprit de sacrifice à l’avenant. Poincaré est un bandit, et vivement la paix ! Car Poincaré, je ne sais pourquoi, est tenu pour l’auteur responsable de la guerre. Pour le reste, pas trop mauvais garçons. J’ai fait connaissance avec un avocat de Grenoble, très religieux, très bien élevé, et qui est venu à moi comme s’il me connaissait depuis longtemps. Il m’a introduit chez une famille de braves paysans du cru [à Montzéville, près de Verdun] qui m’ont dit et répété que j’étais chez moi chez eux, et que j’y pouvais venir écrire, me chauffer, causer, etc., prendre une tasse de café, car ils font comme tous les gens du pays le petit commerce. » Il décrit ensuite la tranchée, à l’aune d’une propriété familiale dans le Gard : « Imagine-toi une vraie petite ville, avec ruelles et maisons, et une ligne continue de remparts crénelés. Dans chaque créneau, un fusil. Suppose que le village souterrain soit bâti dans les marronniers de Trois-Fontaines. Les Boches sont à Bagatelle, Bagatelle étant ici une hauteur boisée. Seulement ils ont jeté en avant dans le plantier, en l’espèce dans le terrain herbeux en pente douce qui descend jusqu’à nous, un grand boyau perpendiculaire qui aboutit à une tranchée recourbée aux deux bouts. De sorte qu’à 100 m environ de mon blockhaus, sur ma droite, nos poilus sont nez à nez avec eux, à moins de 10 m : suppose que tu sois au mur des marronniers regardant vers Jonquières, et que les Boches soient au jardin de Pierre ou même plus près. » Il évoque ensuite les torpilles qui font beaucoup de bruit et de mauvaises blessures. « Mais dans ce dédale de boyaux et d’abris, c’est assez difficile de toucher, et il ne peut y avoir de mal sérieux qu’avec un bombardement prolongé. » « La majeure partie du temps se passe en corvées », ajoute-t-il.

– En effet, une grande partie de la correspondance évoque les divers travaux : transport de matériaux, construction et réparation des boyaux et des abris, corvées de soupe… « La guerre que l’on fait ici n’est plus qu’un service de caserne, à 2 ou 300 m de l’ennemi, avec de temps en temps quelques épisodes sanglants, et chaque jour quelques petits risques. Ce qui absorbe le temps et les forces, ce sont les corvées, les revues, les appels, au cantonnement des exercices avec maniement d’armes et pas de gymnastique. » Décembre 1915 : « Nous menons en ce moment une vie éreintante, et qui nous laisse à peine le soir une heure ou deux. Les pluies effrayantes qui tombent depuis six jours ont bouleversé et à demi détruit le travail de six mois : les abris s’effondrent, les boyaux sont remplis d’eau et de boue, les tranchées s’éboulent. Il faut réparer tout cela et nos réparations s’effritent sous la pluie de la journée. Nous en avons pour longtemps. On fait main basse sur tout homme disponible. De sorte que mon nouveau travail est un travail de terrassier. Nous nous levons à 4 h, nous partons à 5 h et nous ne revenons le soir que vers 6 h. Sauf le temps de dîner, tout le reste du temps se passe la pelle à la main. Ces jours-ci, j’ai vraiment passé les jours les plus durs que j’ai encore eus. Pluie torrentielle ininterrompue ; nous étions dans des fossés, les pieds dans l’eau, avec une terre à creuser argileuse et visqueuse qui collait à la pelle ; pour qui ne regarderait que l’extérieur des choses, c’est un bagne, il n’y manque pas même l’accompagnement obligé du blasphème à jet continu. A certains moments, la détresse morale est grande. Si la pensée de Dieu pour qui on souffre, et qui nous en tiendra compte, n’était pas loin on se laisserait aller au découragement. Mais heureusement il est là, et on tiendra bien le temps qu’il faudra avec son aide. »

– En fait, il avait connu pareils travaux et pareille lassitude dans son premier régiment, ainsi que le montre la lettre du 3 janvier 1915 adressée à son frère Albin : « Depuis quelques jours nous avons pluie continuelle ; nous pataugeons avec résignation dans une boue liquide : nos souliers sont durs comme du fer, et nos chaussettes toujours mouillées. Quand cela finira-t-il ? » Albin étant mobilisé malgré une santé fragile, Emile lui souhaite de trouver une place dans un bureau, évoquant même l’éventualité d’un piston par un homme influent de la famille (1er septembre 1915). Lui-même, car « on a besoin ici de se remonter le moral », a recours à ce qu’il nomme « belle littérature », les journaux, avec notamment « les articles de Barrès, Bazin et autres du même genre ». C’était le 3 janvier 1915 ; les deux auteurs cités appartiennent à la même ligne de pensée que celle de la tradition familiale ; on ne sait pas si Emile Goudareau a évolué sur ce point. La lettre du 12 janvier 1916 (voir plus bas) laisse apercevoir un certain éloignement des positions de la « belle littérature ».

– De l’hôpital d’Agen, le 21 mars 1915, à un autre père jésuite, à propos de sa blessure : « Vous savez peut-être qu’il y a aujourd’hui juste un mois, je me suis troué la moins noble partie de ma personne à une baïonnette en rampant sur le terrain pour ramasser des blessés. Blessure inélégante. On m’a donné la médaille militaire pour ça. Je suis ainsi entre deux excès d’ignominie et d’honneur. Je souffre beaucoup ; il s’est formé une série d’abcès qu’on a largement ouverts, et on a placé un drain dans la plaie. Voilà un mois que cela dure. Je ne sais guère souffrir en douceur, et j’ai bien besoin de vos prières. »

– On a remarqué l’importance des allusions à Dieu, aux prières. Emile Goudareau est un prêtre sur le front ; il pense et il agit comme tel. Il relate des conversations avec des protestants, avec des incroyants. Un de ceux-ci, sous-lieutenant, sort bravement de la tranchée au moment de l’attaque : « Je lui avais promis d’aller le chercher dès qu’il tomberait. J’y allai, en effet, en rampant ; je me couchai près de lui, espérant qu’à ce moment-là la confession ne serait pas refusée. Mais il était déjà si certainement mort que je ne pus même essayer l’absolution sous condition. Je vous assure qu’en ramenant son corps j’avais envie de pleurer. Cet incroyant avait été magnifique. L’était-il bien, il est vrai, incroyant ? Et que s’est-il passé entre Dieu et lui à ces derniers moments ? » (lettre au père Dauchez, 24 avril 1915). Emile Goudareau confesse les croyants avant l’attaque. Il dit la messe, regrettant que l’assistance comprenne plus d’officiers que d’hommes de troupe (19 octobre 1915). Un paragraphe d’une lettre à son père, le 29 novembre 1915, contient une intéressante remarque sur l’autorité que donne à la parole du prêtre sa proximité du danger : « Je suis retombé dans le service de santé ; voilà pour répondre à Albin qui m’écrivait : « Un prêtre mitrailleur, quel renversement des choses ! » Il faut croire que la providence a été de son avis, car cette nomination de brancardier m’est arrivée sans la moindre démarche de ma part, uniquement sur le désir de l’aumônier divisionnaire qui est allé demander pour moi un peu de temps afin que je puisse m’occuper un peu plus activement du service de la chapelle. On lui a répondu par cette nomination. Je ne pouvais pas refuser ; c’eût été être vraiment dans l’erreur que de vouloir faire le soldat alors qu’on nous demandait de rester dans le rôle que l’Eglise désire pour nous, et qui est de faire le prêtre auprès des soldats. Pourtant, je regrette la vie plus dangereuse du blockhaus qui me donnait le droit de parler avec plus d’autorité aux poilus, mes auditeurs du soir dans mon grenier. »

– Une évolution ? Peut-être apparait-elle dans cet extrait de la lettre du 12 janvier 1916 à son père : « Vous me dites que Paul avait à Avignon la nostalgie du front. C’est qu’il est un peu de ceux que la guerre a campés et établis dans la vie, avec ordonnance, solde, et sport de grand seigneur [l’aviation]. Pour le pauvre diable qui fait métier de corvéable, et bien souvent de domestique, la guerre apparaît de plus en plus ce qu’elle est en réalité, le fléau des fléaux. Peut-être ne se doute-t-on pas assez de la jalousie et de la haine qui s’accumule dans le cœur du plus grand nombre, et Dieu veuille qu’après la guerre il n’y ait pas à se régler de terribles comptes. »

Rémy Cazals, juillet 2008

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