Ramadier, Paul (1888-1961)

Député de l’Aveyron de 1928 à 1940, de 1945 à 1951 et de 1956 à 1958, plusieurs fois ministre et premier président du Conseil de la IVe République. Un des 80 parlementaires à avoir refusé les pouvoirs constitutionnels à Pétain en 1940, Résistant, Juste parmi les Nations. Ce futur homme politique d’importance nationale, est né à La Rochelle le 17 mars 1888, fils de médecin ; il devient docteur en droit et avocat et adhère au parti socialiste en 1904. En 1914, il est mobilisé comme sergent au 322e RI et prend des notes depuis le 15 août jusqu’au 11 novembre 1914, jour de sa grave blessure.
En si peu de temps, le sergent Ramadier participe à l’avancée en Lorraine suivie de la retraite (bien décrite) d’une troupe complètement désorganisée sous le feu, aux officiers désemparés, aux soldats prêts à la panique qu’il faut reprendre en mains en les menaçant, voire en tirant sur les fuyards. Au 2 septembre, le 322 n’existe plus et Ramadier passe au 122. Le lendemain, le régiment entre à Gerbéviller que les Allemands ont détruite croyant que les civils avaient tiré sur eux. Sur le terrain, Ramadier comprend « que dans cette guerre l’artillerie seule importe » et il se préoccupe du front principal : le 4 septembre, il note que la cavalerie allemande est aux portes de Paris ; le 11, « le bruit court que les nouvelles sont un peu meilleures et que les Allemands sont arrêtés ». Se succèdent les jours où il n’y a « rien à manger » et ceux où, au repos, « on mange tout le temps ». Le 30 septembre, vers Seicheprey, la confusion est telle que le bois occupé par le 122e est pris d’assaut par le 142e, baïonnette au canon, affaire qui se termine heureusement par des éclats de rire. On se livre à tous les métiers, terrassier, croque-mort après un bombardement : « Les cadavres que l’on retire des décombres sont en bouillie. Personne ne voulait les remuer, ni chercher leurs plaques d’identité sur leur poitrine sanglante ou défoncée. Il a fallu qu’à la lueur d’un flambeau, dans cette église sombre, je fasse cette corvée de croque-mort. » Par contre, quelques jours après, il rencontre un sien cousin, cavalier, « merveilleux d’astiquage ». La course à la mer conduit le régiment du côté d’Ypres. Le 2 novembre, à Poelcapelle, il subit une attaque d’Allemands qui chargent en criant et sont repoussés. Le 11, à Verbranden Molen, il est gravement blessé à la cuisse et évacué.
RC
*« Carnet de guerre de Paul Ramadier », Revue du Rouergue, automne 2004, p.391-421.

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Cantié, Marius (1884-1917)

Sa famille a conservé de lui des notes prises entre août 1914 et juillet 1916, lorsqu’il était sergent dans le groupe de brancardiers de la 31e division. Commençons par les lire. Ce Méridional est surpris par le climat lorrain comme le montre son récit de la nuit du 15 au 16 août : « Nous devons coucher sur le champ avec 5 cm d’eau, on réussit cependant à s’abriter tout mouillés dans ou sous les voitures d’ambulance et nous passons ainsi une nuit glacée à grelotter dans nos effets mouillés, car impossible de se changer, le sac étant tout trempé aussi. Les officiers de l’ambulance avaient fait monter une tente Tortoise pouvant abriter 50 hommes, mais ont mis tout le monde à la porte et ont supporté d’y coucher seuls sur un brancard, quand les infirmiers n’avaient aucun abri. » D’une façon générale, les officiers gestionnaires, qui ne combattent pas, qui ne soignent pas, sont épinglés pour leurs brimades. En janvier 1915, par exemple, Marius est puni pour avoir fait son service alors qu’il en était exempt ! En février 1916, la popote des sergents est supprimée parce que les officiers veulent prendre le cuisinier à la leur. Aussi, lorsque la formation est disloquée, tout le monde est content « dès l’instant que l’on doit vivre loin de l’officier d’administration ».
Ramasser les blessés, enterrer les morts
Les premiers combats, en Lorraine, sont terribles : « Les blessés arrivent en si grand nombre qu’on est stupéfait. On voit des plaies ignobles, on entend des râles et les cris déchirants des blessés, que le cœur se serre d’angoisse. Le 142 est décimé, le colonel tué, ainsi que le 81, le 96 et le 122 [voir Ferroul]. Les Allemands étaient retranchés dans des fossés profonds et ne craignaient rien de notre artillerie ainsi que de l’infanterie. Les nôtres étant à découvert étaient décimés. » C’était le 18 août, et le lendemain ceux qui restent du 142 et du 122 sont relancés à l’attaque des « Prussiens » fortifiés et se font anéantir : « On les mène autrement dit à la boucherie. » Les brancardiers participent à la retraite, puis à la course à la mer. Le 21 novembre 1914, Marius décrit la ville d’Ypres : « À 8 h les Boches bombardent Ypres avec leurs grosses marmites, brisent le clocher de l’hôtel de ville et l’incendient. Les halles brûlent aussi et le feu se communique à la cathédrale. La ville n’est qu’un immense foyer ardent, et à la nuit c’est tout à fait lugubre. En ville, on ne trouve pas âme qui vive, tout est désert, les rues sont encombrées d’un amoncellement de ruines, les maisons éventrées ou calcinées, des objets épars, çà et là quelque poutre qui fume encore. On dirait qu’un fléau est passé là et a emporté toute la vie avec lui, et n’a laissé qu’une vaste nécropole. »
En février 1915, déplacement vers la Somme (près d’Amiens, « un marchand de vins du Midi nous fait boire tous et remplit nos bidons à titre gracieux »), puis vers la Champagne (« dans des wagons à bestiaux ayant contenu des chevaux et non désinfectés, ayant encore l’odeur et la trace des déjections »). La nuit du 29 mars, près de Mesnil-les-Hurlus, est un bon exemple de ce qui attend les brancardiers après les combats : « D’espace en espace on y rencontre des casemates boisées sur les côtés ayant servi sans doute d’abris aux gradés boches, car tout ceci est un travail boche, et ce n’est pas une petite affaire. En approchant de la ligne de feu, le boyau a, sur tout le long, des niches en terre servant d’abri aux troupes. Nous passons devant la guitoune du général et enfin nous entrons dans les boyaux abandonnés. Tout y est bouleversé, les trous d’obus se touchent et tous les morts qui sont à côté y sont enfouis. Certains forment de véritables murailles. Ils sont là, entassés pêle-mêle, et recouverts de la boue calcaire du pays. Elle a fait prise, et les morts restent là dans ce mortier, oubliés et perdus. Quelquefois on aperçoit un pied ou une main qui dépasse, semblant nous dire : « Je suis là, donnez-moi donc une autre sépulture ! » On trouve aussi des membres épars, des corps sans tête ou à moitié déchiquetés. C’est horrible. La lune de son disque brillant éclaire ces scènes funèbres. Les fusées éclairantes projettent encore leur vive lumière et viennent parfois retomber jusque chez nous. Les balles sifflent toute la nuit, un peu haut il est vrai, mais de nombreux ricochets font voler la poussière autour de nous. »
Les combats et leurs suites
Le 10 juin 1915, Marius Cantié mentionne un épisode comme il y en eut tant : « On annonce qu’hier au soir les Boches ont tenté de reprendre au 96e et au 322e la tranchée du Trapèze. Ils y ont réussi mais une contre-attaque les en a délogés. Une 2e tentative réussit encore mais une vive contre-attaque de nous les en chasse définitivement. Les blessés sont nombreux. Plus de 300 et une quarantaine de morts. » En septembre, du côté de Valmy, il faut faire face aux gaz ; le 1er décembre, « on commence à avoir des évacués pour gelure des pieds ». Des prisonniers allemands passent : « Tous sont contents de s’en tirer ainsi et sont gais, quelques officiers seuls ont l’air maussade et ennuyés comme des rats qui se voient pris. » La lecture des citations à l’ordre de la division ne suscite que ce commentaire : « Quelle blague !!! » En décembre, le 96 refuse de monter à l’assaut, « alléguant que le 81 avait perdu la tranchée et n’avait qu’à la reprendre ». La nuit de Noël, quelques brancardiers « ont fêté un peu trop le mousseux » et bousculent les officiers qui veulent intervenir.
La boue reste un ennemi implacable. « Plusieurs cuisines roulantes restent en panne dans les grands trous de la route avec des roues cassées et des essieux faussés. Il est formé un projet d’évacuer les blessés par le petit chemin de fer à voie étroite. Nous allons passer chefs de gare. » Mais cette proposition du 16 novembre, réitérée le 2 décembre, ne reçoit pas de réponse. Il faut atteler 4 à 5 chevaux à une voiture faite pour un seul. « Il pleut toujours, les cagnas s’effondrent dans les tranchées et même chez nous. Les routes sont des lacs de boue. »
À la recherche de l’auteur
Le carnet de Marius Cantié, peu fourni pour 1916, ne dépasse pas le mois de juillet de cette année. La famille a retenu de lui qu’il était originaire du Pays de Sault, que son père avait été nommé gendarme à Narbonne et que lui-même était employé de banque dans cette ville. La famille avait encore la date et le lieu du décès : 14 septembre 1917 au Bois des Caurières (Meuse). La consultation du site « Mémoire des Hommes » donne la date de naissance du sergent Cantié Célestin Marius Achille, le 27 décembre 1894 à Roquefort-de-Sault.
RC

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Simonet, Benjamin (1872-1964)

Treizième enfant d’une famille d’épiciers, il est né le 30 octobre 1872 à Nancy. Après de bonnes études dans les établissements catholiques de sa ville natale, il s’engage au 101e RI. Admis à l’école d’infanterie de Saint-Maixent, il est sous-lieutenant en 1897. Il sert en Cochinchine puis à Madagascar entre 1900 et 1909. Capitaine au 142e RI de Lodève en 1914, à 42 ans. Marié en 1903, il a quatre enfants. Il est mort à Nancy le 8 mai 1964.
Pendant la guerre, les lettres à sa femme sont riches de précisions quotidiennes, avec une missive particulièrement longue, du 19 octobre 1914, dans laquelle il reprend le récit détaillé des premières semaines de la campagne en Lorraine, l’enfer du 18 août, la retraite dans « une confusion inextricable » jusqu’à Bayon où « le régiment était réduit à une cohue. Plus d’officiers, plus de sous-officiers, près de la moitié des hommes disparus ! »
Officier, il vit cependant près de ses hommes : « Si tu savais quel fardeau ces trois jours de veille en première ligne ! L’esprit toujours tendu vers le moindre incident ; le corps dans l’immobilité presque absolue ; car impossible de faire un pas au-dehors dans la journée sans recevoir balle ou obus. On gît sous terre, à la lueur d’une bougie, nuit et jour, en société d’un soldat téléphoniste, d’un agent de liaison, de mon ordonnance. Pense à la longueur des jours et des nuits ! à ce degré d’énervement et de fatigue d’esprit auquel on atteint : et ceci n’est rien, tant qu’il ne se passe rien d’anormal. Mais dès le moindre incident – et il y en a toujours – c’est l’angoisse ! Cette guerre est vraiment affreuse, plus pénible que celle de plein air, du mouvement » (5 janvier 1915). Il veut faire connaître le sort de ses hommes : « Songe aux souffrances qu’endurent nos malheureux soldats dans les tranchées. Je me demande comment ils résistent » (22 novembre 1914). Il les encourage à sa façon : « Nous allons donc retrouver nos tranchées et les Boches. Il pleut, naturellement ; la boue devient chaque jour plus épaisse, et cela va être trois jours de misère ajoutés aux précédents. C’est pour la France, c’est pour nos femmes, nos enfants ; je viens de le dire à mes hommes. Il faut patienter, souffrir jusqu’au bout, sans se plaindre. C’est à ce prix que nous vaincrons les Boches, et, leur ai-je dit, le plus vite possible, car nous en avons, tous, plein le dos. Ils m’ont promis de tenir » (3 janvier 1915).
Ce capitaine n’hésite pas à critiquer les officiers qui ne veulent pas quitter le dépôt pour revenir au combat (19 novembre 1914), et l’arrière trop crédule : « Vous qui lisez les journaux remplis de balivernes » (12 février 1915). Surtout, il s’en prend au haut commandement : « Aucun renseignement ; nous ignorons tout de notre situation et de celle de l’ennemi ; on nous conduit comme des moutons et nous marchons » (22 octobre 1914). Et, le 19 décembre : « Nous n’avons pu nous installer que très tard au cantonnement car, comme d’habitude, l’état-major n’avait rien fait pour l’assurer. Depuis le début de la guerre, je constate de plus en plus que nous sommes faits pour nous faire tuer, rien de plus. On nous jette à la boucherie avec autant de désinvolture qu’on se moque de nous procurer, non pas le bien-être, mais le minimum de garantie nécessaire à la santé des hommes. […] Je suis de plus en plus furieux. Nos hommes méritent mieux que cela. » L’expression « chair à canon » est employée le 12 février suivant.

RC (d’après les notes de Nicolas Mariot)

*Benjamin Simonet, Franchise militaire. De la bataille des frontières aux combats de Champagne, 1914-1915, Paris, Gallimard, 1986.

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Ferroul, Edouard (1889-1976)

Né à Saint-Sulpice (Tarn), le 15 septembre 1889, dans une famille d’ouvriers agricoles. De sa scolarité primaire il retire sinon une bonne orthographe, du moins une ouverture d’esprit et un goût de l’écriture qui lui fait acheter, avant le départ en 1914, un crayon et un carnet pour noter ses impressions. Il a fait le service militaire au 122e RI de Rodez d’octobre 1910 à septembre 1912 et en est sorti caporal. En août 1914, jeune marié, il a 25 ans. Sur sa fiche matricule, il est noté comme plâtrier. Il part le 3 août ; il est blessé au combat de Loudrefing en Lorraine le 18 août et évacué vers le sud. En convalescence, il recopie ses notes au propre sur deux cahiers : 181 pages pour décrire moins d’un mois, c’est dire que le témoin nous donne bien des détails. Il repart en janvier 1915 au 80e RI ; blessé le 19 mars en Champagne, à Beauséjour, il rédige un troisième cahier, de 56 pages. Il a ensuite combattu de décembre 1915 à septembre 1917 au 116e RI, puis du 10 août au 11 novembre 1918, l’interruption étant due à une maladie non précisée sur sa fiche matricule (à remarquer que celle-ci ne mentionne pas sa première blessure ; les documents officiels ont parfois leurs limites). Démobilisé, et devenu père d’une fillette, il entre comme homme d’équipe à la compagnie ferroviaire du Paris-Orléans en 1920. Ses petits-enfants ont conservé les trois cahiers mentionnés ci-dessus. On ne sait pas s’il a écrit la suite, mais, sur le début de la guerre, le témoignage est remarquable.

Nous avons d’abord une fine description de l’atmosphère lors de l’annonce de la mobilisation : l’incertitude, les rumeurs, le manque subit de numéraire, la consternation, les pleurs, le souci de faire bonne figure (après avoir avoué que lui-même a pleuré). Puis c’est l’effet de groupe lors du départ et du passage du train de gare en gare. On retrouve les camarades et les gradés du temps du service ; on accepte sans rechigner de vivre à la dure ; on part vers l’est, la fleur au fusil. Là, du côté de Lunéville, on entre rapidement en contact avec les réalités de la guerre. Les premiers morts, des uhlans, qui ont sans doute le même âge que lui, inspirent de la compassion, de même que les habitants du village de Xousse incendié par l’artillerie allemande. La frontière est franchie. Certains habitants se comportent en vrais Allemands ; d’autres leur annoncent le piège vers lequel se précipitent les régiments français. C’est là, au débouché du bois de Loudrefing, que les Allemands les attendent dans des tranchées cimentées préparées à l’avance et protégées par des rideaux de barbelés et le tir des mitrailleuses et des canons. Le 122e et le 142e sont fauchés. Édouard Ferroul est blessé par ce qu’il croit être une balle de fusil ou de mitrailleuse, qu’il sent dans son pied, et il doit battre en retraite en rampant sous les balles et les obus, au milieu des morts et des blessés. Il a la chance d’atteindre le bois, puis d’être soigné par les Français et évacué vers Lunéville où un étudiant en médecine le charcute « comme un boucher » pour extraire la balle qui se révèle un schrapnel. Il lui faudra subir encore 80 heures de cahots dans un wagon à bestiaux pour arriver dans un centre de soins à Pau.

En janvier 1915, il note que le retour de blessés guéris vers le front manque d’entrain. En Flandre, il découvre la guerre des tranchées et les incessants travaux de consolidation. Son régiment est ensuite envoyé en Champagne, du côté de Mesnil-les-Hurlus, où les combats ont été acharnés : « Nous marchons dans ce boyau pendant demi-heure et des soldats, qui dorment dans des trous creusés dans la terre et sont éveillés par nous, nous disent que ce boyau conduit au fortin que l’on a pris aux Boches il y a une quinzaine de jours. En effet, nous arrivons à un endroit où nous commençons à voir des tranchées abandonnées et, devant, des fils de fer tout embrouillés, des sacs, des képis, des fusils, du linge, tout dénote qu’il y a eu lutte acharnée. Nous commençons à trouver des morts, mais il y a longtemps qu’ils y sont. On les a poussés au bord du boyau. Tout le monde trouve étonnant que l’on ne les ait pas fait enlever. Un peu plus loin, ils sont au milieu de la tranchée, et la tranchée est tellement étroite que l’on est obligé d’y marcher dessus. Tout cela n’est pas fait pour nous donner du courage. Mais nous n’avons rien vu. Ceux que nous trouvons maintenant, il n’y a pas longtemps qu’ils ont été tués. À un endroit, un obus était tombé sur le bord de la tranchée. Il y a un malheureux qui a été enterré, et il traverse la tranchée à hauteur de ceinture, les jambes enterrées, le corps traverse la tranchée, et il n’y a que la moitié de la tête. C’est horrible à voir. Plus loin, la tranchée est plus basse et il faut marcher plié en deux. Là les morts sont plus nombreux et comme ils encombraient trop la tranchée, on les a balancés par dessus. Il y a des zouaves, des chasseurs alpins, des fantassins, des tirailleurs algériens, des Marocains. Et de tous en grand nombre. Au milieu de la tranchée il y a une jambe, et le corps à qui elle appartient, tout pantelant encore, est sur le bord de la tranchée. » (Encore une fois, au risque de se répéter, il faut demander que s’expliquent ceux qui ont lancé le thème de l’aseptisation de la guerre dans les récits des témoins.) Les horreurs continuent : un obus énorme, tombé en plein dans une tranchée, tue 36 hommes ; les Marocains pillent « tous les cadavres, autant français qu’allemands ; s’il y avait des Allemands blessés, ils leur coupaient la tête. »

Blessé une fois de plus, le 19 mars 1915, Édouard va être évacué : « Au moins, je pourrai aller voir ma famille. Et ma petite fille dont on m’avait annoncé il y avait 8 jours la naissance. »

RC

*Les deux premiers cahiers seront publiés dans la Revue du Tarn en 2012.

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Barge, François (1894-1957)

1. Le témoin

François Barge, paysan né le 5 juillet 1894 dans l’Allier, quitte l’école à 12 ans. Mobilisé comme soldat puis comme caporal au 142e RI, qu’il rejoint en avril 1915.

2. Le témoignage

Avoir vingt ans dans les tranchées, Saint Pourçain-sur-Sioule, C.D.R.P., 1984, 30+XXXIV p.

Le texte, très court, a été écrit en captivité sur un carnet donc deux pages sont reproduites. La publication est le fruit d’un travail de professeurs et d’élèves de la classe de 1re B du Lycée Blaise de Vigenère de Saint-Pourçain-sur-Sioule, qui proposent un appareil critique simple mais réussi en vis-à-vis de chaque page transcrite (orthographe respectée). Des passages d’autres témoignages (Barthas) sont aussi placés en écho au texte. À noter, un graphique très révélateur du temps du récit et du temps réel, qui permet de voir quelles places occupent dans la narration des épisodes plus ou moins intenses (dépôt, attaque).

3. Analyse

François Barge propose un récit court, simple mais très riche, et dont le ton direct, souvent drôle par son laconisme et ses tournures, fait l’intérêt. Il rejoint le front en avril 1915, combat en Champagne, puis à Verdun (Tavannes) en 1916 où il est fait prisonnier.

Son témoignage, qui contient beaucoup de notations agricoles, montre un jeune soldat grand amateur de « pinard » : « moi ayant bu un coup de pinard, il me faisait de la peine à marcher, mon sac très lourd et ma tête plus lourde encore, je me pensais en moi-même : comment cela va-t-il se passer ? » (8)

Il décrit de manière sobre et efficace les attaques auxquelles il participe, et se livre également à des moments d’introspection, repensant à la « jolie blonde » connue en « convalo ». Il a pour l’armée, le bourrage de crâne et la guerre une résignation indifférente : « pendant ce repos, j’ai été nommé soldat de 1ère classe le huit janvier. Cela ne m’a pas fait aussi plaisir que si j’avais obtenu huit jours de perm. » (13).

Il connaît un épisode de fraternisation dû à une tranchée inondée, ce qui ne l’empêche pas d’écrire « sales boches » quelques pages plus loin. Fait prisonnier en juin 1916, il note avec précision son itinéraire, et devient travailleur agricole en Allemagne.

André Loez, avril 2008

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