Préauchat, Elie (1876-1935)

1. Le témoin

Élie Préauchat est né le 10 mai 1876 à Saint-Launeuc (Côtes d’Armor) au lieu-dit La Bruyère, dans une ferme du château, disparue aujourd’hui. Il est le cadet d’une fratrie de cinq enfants. Très tôt, il travaille à la petite exploitation familiale mais fréquente aussi un peu l’école communale. Il épouse en 1909 Léonie Herpe, sa cousine germaine ; ils auront trois enfants.

Élie Préauchat fut mobilisé dès le 4 août 1914, comme soldat de 2ème classe à la 9ème compagnie du 74ème Régiment d’Infanterie Territoriale de Saint-Brieuc. Cette unité commença d’abord par surveiller les côtes de Normandie avant d’être appelée, dès octobre 1914, à renforcer le dispositif de défense du front dans le secteur d’Ypres. Après un hiver très éprouvant pour ces « vieux » soldats que les énormes pertes éprouvées par l’armée française de l’avant pendant les premières semaines de guerre condamnaient à tenir les tranchées, ce fut la terrible attaque allemande aux gaz du 22 avril 1915. Élie Préauchat y est fait prisonnier. Il subit d’abord les dures conditions de vie du grand camp de Meschede où il retrouve son frère cadet Jean-Baptiste. Tous deux étaient si amaigris, si affaiblis, si mal rasés qu’ils ne s’étaient pas reconnus au premier abord. Il apprend alors la mort accidentelle de son fils Pierre, âgé de 2 ans ½, décédé accidentellement, ébouillanté par de l’eau chauffant dans la cheminée alors que sa mère aidait les voisins à planter des choux. Le 21 juin 1915, il est détaché pour travailler dans une ferme à Lochtrop, non loin de Meschede. Il n’y subit pas de sévices, bien au contraire, mais connut, avec la population allemande, les privations. Après sa libération et jusqu’à sa mort, il resta en contact avec ses anciens « gardiens », des fermiers allemands qui lui avaient prédit une revanche pressentie par l’arrivée au pouvoir du Chancelier Hitler en 1933. Il n’eut pas le temps de connaître la suite.

De retour chez lui à Saint Launeuc, en mars 1919, il reconnut au milieu d’un groupe d’enfants sa fille Marie, âgée de 7 ans qu’il n’avait pas vue depuis 4 ans. Il rapporte ce journal de guerre écrit en Allemagne au cours de sa captivité, ainsi que ses carnets de captivité.

Il reprit son travail de cultivateur jusque sa mort, le 14 septembre 1935 des suites de problèmes pulmonaires, séquelles de l’attaque du 22 avril 1915. Il repose au cimetière de Saint-Launeuc.

2. Le témoignage

Carnets de guerre et de captivité d’Élie Préauchat, Janvier 2006, Bretagne 14-18, 76 pages (format 21×29)

Durant la Grande Guerre, Élie Préauchat a toujours pris des notes sur des carnets. À la mi novembre 1914, à l’occasion d’une violente attaque allemande, il écrit : « Les hommes disent qu’ils vont être prisonniers, ils sont presque cernés. La plupart se débarrassent de lettres et écrits compromettants. J’enterre mon calepin où j’inscrivais mes mémoires et mes lettres où il était question des Allemands. » (p. 22) C’est à cette occasion que le premier carnet de notes d’Élie Préauchat a disparu.

Le 22 avril 1915, après une vaine résistance des hommes du 74ème R.I.T. en ligne, Élie Préauchat essaie de se sauver vers l’arrière, abandonnant son sac et vraisemblablement son deuxième carnet de notes. À Meschede, en mai 1915, il nous dit n’avoir pour tout bien que sa gamelle (p. 40).

Dès son arrivée au camp de Meschede, il relate les événements de sa vie quotidienne et note ses impressions sur un troisième carnet constitué d’un petit calepin allemand couvert de Moleskine, contenant les calendriers 1915 et 1916 ainsi que des renseignements postaux.

Le dimanche 3 octobre 1915, il nous dit : « J’écris mes Mémoires de la guerre. Je ne peux me rappeler tout. » Il vient d’ouvrir un quatrième livret de notes sur lequel il a reconstitué ses « Souvenirs des principaux faits de guerre pendant son séjour au front ». Tous les dimanches, il rédige son texte de mémoire et certainement avec l’aide de compagnons du 74ème R.I.T., prisonniers comme lui à Lochtrop. Une fois ce texte terminé, il le retranscrit consciencieusement sur le Tagebuch qu’il vient d’acheter, cahier d’écolier allemand contenant également un emploi du temps d’élève et les cartes des colonies allemandes : le Cameroun, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Sud.

Sur ce cahier d’écolier allemand est transcrit le journal de guerre (août 1914-22 avril 1915) qui constitue la première partie du document publié.

La deuxième partie (avril 1915-août 1916) est un véritable carnet rempli de ses notes écrites au jour le jour, tout d’abord au camp de Meschede puis dans une ferme de Lochtrop. Ce texte s’arrête le 27 août 1916, à la fin du cahier. Très organisé, Élie Préauchat notait méthodiquement sur ce petit document la date des lettres écrites ainsi que l’expéditeur et la date de réception des lettres et des colis. On peut penser qu’il a continué à prendre des notes sur d’autres carnets ou cahiers mais que ceux-ci n’ont pas été conservés ou n’ont pas encore été découverts dans les archives familiales (le Tagebuch a d’abord été retrouvé par un arrière petit-fils à qui, plusieurs mois plus tard, une tante remettait le 3ème carnet oublié dans un vieux tiroir).

3. Analyse

Les témoignages de simples soldats ne sont pas très fréquents et celui d’Elie Préauchat est de qualité. Ce petit paysan de la partie « gallo » de la Bretagne, est de la province non bretonnant, n’a été que quelques mois à l’école communale mais il y a acquis le plaisir et le désir d’écrire et une belle et bonne culture. L’écriture est de qualité, le style est travaillé, l’orthographe est presque toujours correcte. Il veut témoigner et le fait de façon exemplaire : « Si la mort venait à me frapper pendant ma captivité, je prie celui de mes camarades ou autres de faire parvenir ce petit récit à ma famille qui serait reconnaissante à celui qui le lui ferait parvenir. » (p. 34)

Dans ce qui est son journal de guerre (1re partie), il relate de façon précise ce que furent les conditions de vie et de combat de ces territoriaux qui n’auraient jamais dû devenir des combattants de première ligne et qui furent traités, peut-être plus que leurs camarades plus jeunes, de façon indigne. Il écrit ne point se permettre de critiques car il est « trop patriote pour blâmer (son) pays »mais ce qu’il confie pages 32 et 33 est sans appel.

Dans son carnet de captivité (2e partie), Élie Préauchat décrit d’abord la vie étriquée et bornée du prisonnier d’un camp, le bonheur des retrouvailles avec son frère, les privations, le profond ennui, les attentes des colis et des lettres. La mort accidentelle et horrible de son jeune fils Pierre l’affecte tout particulièrement mais ce chrétien convaincu s’y résigne. Il conserve un esprit patriote et est à l’affût des nouvelles, encourageantes ou décevantes. Il s’élève contre ce soldat de son pays, compagnon de captivité qui est volontaire pour travailler et ainsi gagner de l’argent (p. 40). Tout change lorsqu’il est envoyé lui-même d’office dans une ferme. Il se trouve alors mêlé à la population allemande et est en régime de semi liberté. Au milieu de ces « ennemis » civils, point de haine et point d’exactions. La nourriture devient bien meilleure et il grossit. Le travail est rude mais sans contrainte excessive. Un climat de confiance règne entre le groupe de prisonniers et les patrons (dont le fils part à la guerre). Cette rédaction peut sembler très répétitive, mais elle est fidèle à ce qu’était la succession lancinante des jours et des travaux, est le reflet des « jours monotones » des captifs. Il souffre surtout de l’éloignement des siens ; les Allemands qu’il côtoie chaque jour subissent aussi la guerre, tout en espérant la gagner, comme les prisonniers français…. Lorsque la nourriture devient moins abondante, ce dont il se plaint à plusieurs reprises, c’est parce que les privations atteignent la population allemande (p. 71).

Témoignage rare, car rédigé vraiment sur place, quotidiennement. Témoignage sans concession mais sans outrance. Témoignage d’un honnête homme attaché à son pays et à sa famille, désirant la victoire de sa Patrie, mais comprenant aussi les douleurs et malheurs de « ceux d’en face » et déplorant « que la folie humaine a fait commettre beaucoup de crimes » (p. 55).

René Richard, août 2011

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Cocho, Paul (1879-1951)

1. Le témoin
Fils d’épicier, Paul Toussaint Marie Cocho est né à Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord) le 9 janvier 1879. La famille est très catholique. Paul va à l’école chrétienne de garçons et obtient le Certificat d’études primaires. Marié en 1906, il reprend l’épicerie paternelle. Il a quatre enfants, le dernier en 1914. Il adhère à diverses associations chrétiennes. Il poursuit ses pratiques pendant la guerre (messe, prières) et affirme sa soumission à la volonté de Dieu (p. 36). Cependant, au moins au début, il négocie à plusieurs reprises par l’intermédiaire de Notre Dame du Perpétuel Secours : prières contre avantages divers. Une décision favorable d’un médecin est attribuée à son intervention (p. 37) ; le fait de rester au chaud dans l’abri, pendant que les camarades vont travailler en première ligne, doit aussi à ce que la Vierge lui a encore « accordé sa protection ». Curieusement, cette pratique cesse en octobre 1915. Paul Cocho continue d’aller à la messe quand c’est possible, mais il n’est plus question de Notre Dame du Perpétuel Secours, et ses considérations sur la fragilité de la destinée humaine, sur la mort des camarades (p. 168, 177, 187, 216) ne sont accompagnées d’aucune référence explicite à Dieu ou à son entourage. Après la guerre, il continuera à s’occuper d’associations catholiques et sera nommé chevalier de l’ordre de Saint Grégoire le Grand par le pape sur proposition de l’évêque de Saint-Brieuc.
Paul Cocho, caporal en 1914, a un certain goût des grades et des décorations. Sergent en 1915, il devient officier, sous-lieutenant en 1916, lieutenant en 1918. Il obtient quatre citations et en est très fier, après avoir, cependant, critiqué l’incohérence et l’injustice qui président à leur distribution (p. 55, 94). Il est heureux de recevoir la Croix de guerre juste avant de partir en permission afin de pouvoir la montrer (15/11/15). Le 29 avril 1917, il écrit qu’il a « le secret espoir de décrocher d’autres citations et peut-être le ruban rouge » ; il obtient celui-ci le 12 juillet 1919.
Sur le plan politique, il estime que la République vaut mieux que l’absolutisme (p. 179) et il admire la démocratie telle qu’elle se pratique au Danemark, y compris le rôle politique des femmes (p. 215). Mais il souhaite pour la France « que dans l’avenir elle ait un gouvernement plus digne d’elle » (p. 83) et qu’on y reconnaisse « l’importance de la famille nombreuse » (p. 154). Il condamne « les honteuses fiches » du général André, ministre de la Guerre (p. 178) et craint le danger de la contagion bolchevique (p. 181).

2. Le témoignage
Paul Cocho a rédigé son témoignage de guerre sur 9 petits carnets conservés par la famille qui a participé à la publication du livre : Mes carnets de guerre et de prisonnier 1914-1919, Presses universitaires de Rennes, 2010, 225 p. Le livre est préfacé par Fabienne Bock. Il est illustré de quelques photos et complété par des extraits de l’Historique du 74e régiment d’infanterie territoriale. La guerre occupe 107 pages, datées du 31 octobre 1914 au 27 mai 1918, avec des lacunes, notamment de juillet 1917 à mars 1918. Les quelques jours précédant sa capture sont décrits sur un carnet acheté en Allemagne, et il enchaîne sur sa captivité. Cette période, du 27 mai 1918 au 16 janvier 1919 occupe 96 p. Sans doute disposait-il de plus de temps pour écrire, mais il faut voir aussi dans ces longs développements la volonté de raconter une histoire devenue strictement personnelle, celle de l’individu blessé, capturé, soigné (voir des cas semblables dans les notices Bieisse et Tailhades).
Paul Cocho écrit bien ; il fait peu de fautes d’orthographe. Son récit nous apprend qu’il « cause un peu littérature » avec un lieutenant (p. 75) ; prisonnier, il lit ce qui lui tombe sous la main, et fait une longue digression sur Renan dont il connaît deux ouvrages (p. 175).
Les carnets ressemblent parfois à de la correspondance, car il s’adresse à sa femme. Quelques passages ont été rendus illisibles sur l’original, vraisemblablement par l’auteur lui-même. L’un, de 16 lignes, pourrait correspondre à une évocation des mutineries (mai-juin 1917) ; d’autres suivent des considérations sur les femmes allemandes (p. 148, 198).

3. Analyse
– En octobre et novembre 1914, c’est la guerre en Belgique. Paul Cocho décrit des spectacles épouvantables de corps déchiquetés (p. 22), les longues périodes où on attend la mort, presque sans boire ni manger, ni dormir (p. 25). Il est évacué, épuisé, et avoue : « J’ai été témoin de choses qui ont refroidi mon ardeur du début. Je n’imaginais pas la guerre de cette façon ! Ce n’est pas que j’ai peur et je ferai mon devoir si je retourne au feu, mais enfin, je crois qu’après ce que j’ai fait, je puis légitimement essayer d’échapper à la fournaise. » D’autant qu’il existe des embusqués : « On souhaite les tranchées à tous ces gens si tranquilles et si paisibles. » « D’une façon générale, je crois que tout le monde en a assez. L’enthousiasme du début a fait place chez les uns à une sorte de résignation, chez les autres à un profond découragement. » Ce même jour, 22 novembre 1914, il note que beaucoup voient la guerre terminée à Noël ; lui pense qu’elle va « durer longtemps encore, jusqu’à Pâques au moins ». Et le lendemain : « La conversation à peu près unique a roulé, comme d’habitude, sur la durée de la guerre. L’on sent que tout le monde, à quelques exceptions près, commence à en avoir assez. » Toutefois, les Alliés ayant la maîtrise de la mer et pouvant se ravitailler, ils finiront par l’emporter.
– 1915 et 1916 : Paul Cocho se trouve dans les tranchées, toujours en Belgique, menant une guerre étrange (p. 43) : « Qui aurait cru qu’elle aurait consisté à se tenir tapis, au fond des trous, guettant l’ennemi en première ligne, allongés au fond de la tranchée, et attendant les événements en deuxième ou troisième ! » Une guerre différente selon que l’on est artilleur ou fantassin (p. 72), ou bien encore embusqué, sans oublier la catégorie des « embusqués du front » (p. 78), décrite aussi par Louis Barthas. Il présente un capitaine nouveau venu qui a contre lui de devoir commander « à une majorité d’hommes qui font campagne depuis dix mois » ; un autre officier, heureux de prendre en ligne « un commandement vraiment actif et amusant », et Cocho de commenter : « Il se pourrait bien qu’il le trouvât rapidement un peu trop amusant ! » et il ajoute : « Il a encore tous les enthousiasmes et toutes les naïvetés de ceux qui n’ont pas vu vraiment le feu ! » (p. 89). Le 23 septembre 1915, notre Breton décrit l’exécution d’un soldat français. Le 30 juillet 1916, il visite l’ambulance américaine de Mrs Depew.
– Sous-lieutenant affecté aux communications, il se sent lui-même devenir un peu un embusqué (p. 98). De fait, il bénéficie d’un nombre incroyable de permissions entre décembre 1916 et avril 1917, et en prend même une illégale (p. 107). Il fait partie des auteurs de carnets qui ne notent rien pendant les périodes de permissions, en dehors du cafard au moment de repartir (p. 80, 99). Au front, il signale le plaisir de pouvoir parler de la famille et du « pays » avec d’autres Bretons. Il considère les soldats bretons comme des troupes d’élite (p. 40), et les printemps bretons comme les plus jolis (p. 113). Au début de 1917, il décrit les préparatifs de l’offensive, puis son échec en mai attesté par « le remue-ménage qui se fait dans le haut commandement ». Rappelons que 16 lignes rendues illisibles concernaient peut-être les mutineries.
– Blessé et capturé lors de l’offensive Ludendorff sur le Chemin des Dames, le 27 mai 1918, il est soigné, bien traité (p. 126), regardé avec pitié par la population (p. 131). Au lazaret de Mayence, puis au camp de Czersk en Pologne, on ne peut mener qu’une vie végétative dans laquelle l’alimentation joue le rôle principal : rations insuffisantes, compensées par les colis envoyés par sa femme. Si le premier colis ne lui parvient que le 8 septembre, celui du 22 novembre est le 27e. C’est alors l’abondance, et le prisonnier, en promenade, peut distribuer du chocolat aux gamins allemands ravis. En septembre, les Russes donnent des concerts qui ont pour auditeurs Français, Anglais, Italiens, Roumains, Américains et Allemands. Autre spectacle : voir passer les civils, avec un intérêt particulier pour les femmes allemandes, qui portent souvent des toilettes élégantes, mais qui ont toujours « une très forte cheville » (p. 158). Paul Cocho suit l’évolution de la guerre dans la presse berlinoise, la marche en avant des Alliés, les négociations pour l’armistice, la révolution allemande. Curieusement, alors que tant de soldats français éprouvent une forte rancune pour l’empereur Guillaume (et aussi pour Poincaré), Paul Cocho pense que le Kaiser « n’a fait que réaliser les aspirations de son peuple » (p. 182). Reste que, le 16 novembre 1918, le drapeau rouge flotte au-dessus du camp. La période qui suit, au cours de laquelle Paul et ses camarades sont à la fois des prisonniers de guerre et des vainqueurs, est très complexe. Les Allemands, heureux de la fin de la guerre (p. 185), s’amusent (p. 193), et les anciens prisonniers font de même, tout en souhaitant un retour rapide au pays.

Rémy Cazals, 18 mai 2011

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Bourgain, André (1883-1953)

1. Le témoin

André Bourgain est né en 1883. Il est issu d’une famille de la bourgeoisie des métiers du droit. Le grand-père se tournera vers la viticulture puis le père, après la crise du phylloxéra vers la céréaliculture. Sa mère, Louise Noury est le frère du colonel Noury, propriétaire du château de Chantermerle, à Sainte-Pézenne près de Niort. Il a deux frères ; Henri et Pierre. André effectue sa scolarité au collège Saint-André de Poitiers où il obtient la première partie de son baccalauréat. En 1911, alors qu’il effectue une traversée sur un navire de commerce effectuant une liaison entre Le Havre et les Antilles, le navire manque de couler dans une tempête. Il abandonne alors une profession qu’il juge aventureuse. Le 22 juillet 1913, il signe à Poitiers un engagement militaire qui l’affecte au 114e RI de Saint-Maixent mais à l’issue d’une altercation avec son capitaine, ne va pas au bout de sa préparation militaire. C’est donc comme simple soldat qu’il fait la campagne avec son régiment en Lorraine puis en Champagne où il est blessé en septembre 1914. C’est au cours de sa convalescence qu’il rédige les souvenirs de ses deux mois de campagne. De retour au front à une date inconnue, il est promu sergent le 26 février 1915, est gazé puis est porté disparu devant Loos. Fait prisonnier, il est interné à Lunebourg, près de Soltau, camp duquel il tentera de s’évader une dizaine de fois. Il ne regagne la France que le 8 janvier 1919. D’abord cultivateur à Mignaloux-Beauvoir (Vienne), il se lance dans l’immobilier commercial, se spécialisant dans la mutation des débits de boissons. En 1921, André Bourgain se marie à Madeleine Sarget, issue d’une famille de propriétaires terriens et le couple s’installe dans une maison bourgeoise de Saint-Martial-sur-Isop. Trois enfants (Gabriel, Edith et François) naissent de leur union. Courtier d’assurance, il est élu maire de sa commune en 1931 jusqu’en 1944. Il meurt d’un infarctus en 1953.

2. Le témoignage

Kocher-Marbœuf, Eric – Azaïs, Raymond, Le choc de 1914. La Crèche, Geste éditions, 2008, 147 pages.

André Bourgain part donc à la guerre au sein de la 14e escouade de la 8e compagnie du 114e RI Prêt pour la mobilisation, celle-ci se déroule avec calme et détermination puis le train dépose le régiment à Maxéville en Meurthe-et-Moselle. Là, marches et contremarches laissent l’unité inemployée à l’arrière des combats de la bataille de frontières. Ainsi, ce n’est que le 24 que le régiment subit son baptême du feu entre Cercueil et Erbéviller, laissant 400 hommes hors de combat. Tenant la ligne de feu jusqu’au 3 septembre, le 114e est enlevé et transporté sur la Marne près de Fère-Champenoise. Dès son arrivée « dans un petit bois », il est soumis au bombardement et doit retraiter, peu de temps ; la bataille de la Marne est gagnée, c’est la poursuite jusqu’à Mourmelon. Le 26 septembre, André Bourgain est blessé à la tête par un shrapnel. Bien que légèrement touché, il est évacué dès le lendemain et ne reprendra apparemment pas son carnet de guerre dans la suite de sa campagne.

Eric Kocher-Marbœuf, professeur à l’université de Poitiers, présente dans l’édition deux témoignages (dont un des très rares carnets de guerre de gendarme, voir dans ce dictionnaire la notice de Célestin Brothier) dans la campagne d’août-septembre 1914. Dans une préface opportune, résumant bien les enjeux historiographiques récents autour du témoignage, il rapporte – sans que la précision du cheminement par fausses pistes revête un réel intérêt – l’enquête effectuée en amont de la publication du carnet de Bourgain. Quand au témoignage d’André Bourgain, celui-ci n’a pas pu s’affranchir d’une unité dont le rôle dans la période considérée (août-septembre 1914) se révèle finalement fort ténu sauf l’exposé des quelques engagement auxquels il participe sont chargés d’intensité et d’honnêteté. Bourgain ne cède pas au bourrage de crâne même si sa relation à la guerre reste fortement « domestique » par son lien au ravitaillement quotidien. Cela est dû à une activité militaire peu intense en combats de son régiment. Il y apprend pourtant la guerre, et que le feu tue, différemment selon l’endroit où éclate l’obus (page 122) et heurte l’esprit de corps en trouvant « honteux » la déroute du 137e RI (Fontenay-le-Comte) (page 106).

Dès lors, à part quelques pages intenses et quelques descriptions intéressantes, le choix de rapprocher Bourgain de Brothier reste à démontrer. Enfin l’imbrication des deux carnets avec la date d’écriture comme fil conducteur peut être débattue étant donné la diversité des rôles des deux témoins et une pratique de réécriture sur souvenirs frais des deux témoins.

Des notes opportunes rendent l’édition de qualité à peine minorée par quelques rares erreurs de retranscription (croix rouge au lieu de croix de guerre page 90 ou Chalon-sur-Saône au lieu de Châlons-sur-Marne pages 100 et 115). L’ouvrage est illustré de deux portraits des témoins.

Lieux cités (date – page) :

1914 : Saint-Maixent (1er – 3 août – 37-40), Parthenay (3-5 août – 41-46), Thouars, Saumur, Tours, Saint-Pierre-des-Corps, Orléans, Troyes, Mirecourt, Chalon, Chervigny, Maizières, Neuves-Maisons, Pont-Saint-Vincent (6-7 août – 47-49), Neuves-Maisons, Ludres (8-10 août – 50-51), Nancy, Nomény, Lay-Saint-Christophe (11-12 août – 52-53), Dommartin-sous-Amance (15-17 août – 57-58), Brin-sur-Seille, Nancy, Saint-Max (18-19 août – 59-62), Velaine-sous-Amance (21-23 août – 63-65), Cercueil, Erbéviller (24-25 août – 66-72),  Réméréville, Serres (26 août – 3 septembre – 73-97), Hoéville, Réméréville, Cercueil, Jarville (3-4 septembre – 97-100), Toul, Chalon, Troyes, Thaas, Gourganson (5-6 septembre – 101-103), Gourganson, Faux-Fresnay, Euvy (7-11 septembre – 104-114), Châlons, Mourmelon-le-Grand (12-27 septembre – 115-125).

Rapprochements bibliographiques

Paul, Pierre, Le 114ème au feu. Historique de la guerre 1914-1918, S. éd., 1919, 40 pages.
Tézenas du Montcel, Henry, Lettres de guerre, Protat Frères, 1928.
Quivron, D. (Cpt), « Peur ne connaît, mort ne craint ». La longue marche du 114ème R. I., A.I.A.T. (Saint-Maixent), 1980.

Yann Prouillet, février 2011

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Leroy, Georges (1884- ?)

1. Le témoin

G. Leroy est instituteur à Lewarde (Nord) au moment de l’entrée en guerre. Le 22 août 1914, il quitte Lewarde afin d’échapper à l’avance allemande. Sa fuite le conduit à Poitiers où il arrive le 26 août au soir. Malgré la bataille de la Marne et le recul allemand, le Cambraisis demeure aux mains de l’ennemi : ses parents, ses sœurs se retrouvent en zone occupée. Georges Leroy occupe alors un emploi d’instituteur, d’octobre 1914 à avril 1917, à Poitiers.

Après avoir fait ses classes à Poitiers, il est nommé 1ère classe et fonctionnaire caporal le 15 août 1917. Il quitte Poitiers le 2 janvier 1918 en tant qu’élève-aspirant et rejoint l’école située près du front de Lorraine, à Fraisnes. Le 5 juillet 1918, il embarque à Rouvres (un trajet en wagon à bestiaux, p. 116) ; débarquement dans les Vosges, affectation au 264e R.I. le 6 juillet;

Première montée en ligne sur le front des Vosges le 20 juillet 1918. Travaux de protection de réseaux de tranchées. Patrouilles ; après une permission dans le Midi au cours de laquelle il retrouve son père et sa soeur (sa mère est décédée sans l’avoir revu), il retrouve son régiment dans l’Aube à Rance (16 septembre 1918) ; à Suippes le 24 septembre. Après un engagement très violent près de la Ferme Navarin le 29 septembre 1918 il est fait prisonnier avec 6 autres soldats.

2. Le témoignage

Le texte des carnets de guerre de Georges Leroy a été établi par Yves Leroy, son fils, pour leur édition dans l’ouvrage : Annette Becker (éd.), Journaux de combattants et de civils de la France du Nord, introduction et notes d’Annette Becker, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998, p. 108-158.

Note de l’éditrice : « Parfois, Georges Leroy s’adresse à un lecteur potentiel, on peut se demander s’il n’a pas en partie réécrit une partie de ses souvenirs juste après la guerre, d’autant plus qu’il a été démobilisé extrêmement tard et qu’il a donc pu mettre ainsi à profit ses loisirs forcés » (p. 12). Ainsi peut-on lire page 129 : « Peut-être êtes-vous curieux de connaître l’âme d’un soldat en pareille circonstance… » ; par ailleurs, la datation est approximative (par ex. on passe du 18 octobre au 7 novembre)…

3. Analyse

25 septembre 1918 : entrée en ligne pour la dernière bataille, en Champagne, secteur de Souain : « Nous touchons des grenades et chacun fait son plein de cartouches. Le Commandant de la Cie nous harangue dans la cour du château, il nous recommande d’être courageux et nous dit que dès le lendemain nous commencerons la grande bataille qui de la Belgique aux Vosges doit mettre les Boches en déroute… » (p. 124)

La conscience de la supériorité matérielle alliée : « Nous avons devant nous, sous ce soleil radieux un spectacle grandiose, nous apercevons trois lignes d’artillerie échelonnées à environ 2 km de distance et à perte de vue. Ces lignes s’allongent jusqu’à l’horizon, les canons se touchant presque ; aussi quel vacarme, quel tonnerre continuel ! L’artillerie ennemie répond à peine… » (p. 125) ; id., 27 septembre 1918 (p. 127).

Combats près de la Ferme Navarin : 27 septembre 1918 ; Georges Leroy prend part à l’attaque proprement dite à partir du 29 septembre ; l’enfer et la solitude du combattant. Exténué par sa course folle, de nuit, sous les balles et les obus, et sous une pluie battante, il reprend son souffle un moment : « […] En ce moment, je pense, je ne puis croire que c’est moi qui se trouve en ce lieu. Les balles sifflent sans cesse. Une grenouille vient se poser sur mon bras et j’aime son regard paisible et bon, un regard presque humain que je n’ai plus coutume de voir, car dans cette obscurité, dans ces lieux de mort, on ne se regarde plus. Chacun est tout à son devoir, chacun aussi ne semble guidé que par l’instinct de conservation… » (p. 131)

G. Leroy fait part de visions peu aseptisées : 27 septembre 1918, « ce boyau, accidenté, boueux, nous fait deviner qu’il fut le théâtre de luttes récentes. Ici nous rencontrons des armes brisées, des équipements déchiquetés, des objets les plus divers criblés d’éclats d’obus ; là, un soulier renfermant encore la chair et les os sanguinolents m’attristent bien fort. Plus loin le corps inerte d’une jeune soldat barre notre chemin, les pieds disparaissent dans la boue et chacun, en passant, piétine un peu plus ce corps qui, peu à peu, sera lui-même réduit en boue. Ces sortes de spectacles désolent profondément et font haïr plus que jamais la guerre et ceux qui veulent de pareils carnages. » (p. 126) ; id., le 29 septembre 1918 (p. 132).

La capture. Le 29 septembre 1918 (p. 133), par des combattants allemands peu haineux : « Les Allemands nous emmenèrent et nous font suivre un boyau qui me paraît bien long et dans lequel, hélas, je rencontre beaucoup de cadavres que je dois enjamber. […] La grande préoccupation des Allemands est de s’informer si nous avons du chocolat dans nos musettes. Les combattants sont tout à fait convenables à notre égard, l’un d’eux cause un peu le français et se montre fort aimable. Il nous laisse nous reposer car pour moi je suis si fatigué que je ne sais si je pourrai sortir de ce lieu… » Les capteurs, qui sont des combattants, pansent les blessés, et transportent ceux qui ne peuvent marcher jusqu’à leur poste de secours (p 135). Plus en arrière, le comportement de certains allemands est moins honorable : « À Cauroy un officier interroge quelques-uns d’entre nous, pendant que des soldats pillards fouillent nos musettes et veulent nous prendre ce qui leur plaît » (p. 137) ; un soldat le dépouille de sa capote (p. 137).

G. Leroy est un prisonnier peu furieux d’échapper à la guerre : « Sur la route, au fur et à mesure que s’apaise le bruit infernal, malgré ma tristesse d’être aux mains des boches, j’éprouve une sorte de satisfaction de me sentir presque en paix dans cette campagne remplie d’obscurité et si calme » (p. 136)

Les camps d’une fin de guerre :

Camp d’Attigny, 8 octobre 1918 : surpopulation, faim, soif, absence d’hygiène, désolent Leroy : « […] Quelles misères. Des Russes, des Italiens dans leurs vêtements en loques et d’une saleté repoussante sont en train de faire cuire sur des feux de bois leur maigre déjeuner. […] La plupart sont joyeux cependant, depuis quelques jours, les Allemands les occupent à scier les arbres fruitiers de la région et cela est pour eux le signe d’une prochaine retraite et peut-être de la grande défaite » (p. 140) ; s’y trouvent aussi des Français et des Américains (p. 141) ; Leroy constate le poids croissant de la défaite annoncée chez de plus en plus de soldats allemands et l’évolution de leur état d’esprit (p. 139 et 141). 14 octobre 1918 : les prisonniers sont pris dans le flot de la retraite allemande. Manger devient une question obsédante pour les prisonniers ; ils reçoivent quelques secours de la part des civils ; 17 octobre 1918 : des allemands monnayent cher des suppléments de pain ; d’autres offrent généreusement du mauvais tabac… ; à plusieurs reprises, Leroy note que la fuite des troupes allemandes s’accompagne d’un pillage et d’un déménagement à grande échelle (p. 143-144)

Camp de Flize, 18 octobre 1918 ; Leroy évoque à nouveau la présence de prisonniers russes et italiens (p. 144) ; leur dénuement, leur aspect famélique frappent particulièrement Leroy ; plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : tout d’abord la longue durée de la détention de ces Russes et de ces Italiens ; mais plus encore les effets dévastateurs du blocus allié à l’endroit des populations des Empires centraux (à partir de 1916, la disette frappe particulièrement les populations des Empires centraux tant à l’arrière qu’à l’avant ; Leroy témoigne ici de la difficulté éprouvée par les Allemands pour nourrir leurs prisonniers : p. 138-139) ; on peut y ajouter l’abandon spécifique des prisonniers italiens par l’Etat italien (Cf. Giovanna Procacci, Soldati e progioneri italiani nella Grande Guerra, Editori Riuniti, 1993), l’incapacité enfin, de la Russie qui est en pleine révolution et en guerre civile d’assister ses prisonniers de guerre. Les prisonniers français, belges et britanniques ont quant à eux généralement bénéficié des secours de leurs pays respectifs pour atténuer les effets de la misère régnant dans les camps allemands. Mais tel ne semble pas être le cas des Français prisonniers du camp de Flize dans les dernières semaines de la guerre : « […] le moral des prisonniers est détestable, tous souffrent de la faim et sont devenus inabordables ; ils se refusent ordinairement tout service, se regardent comme des bêtes fauves et répondent avec acrimonie même aux paroles les plus délicates. C’est le cas de le dire : « Ventre affamé n’a pas d’oreilles ». Dès qu’une occasion se présente d’avoir des vivres, soit que les civils les donnent, soit qu’un Allemand offre un reste de repas, tous se précipitent sans égard pour les personnes qu’ils renversent à l’occasion et dévorent ces vivres sans même songer aux camarades aussi malheureux qu’eux.

A tout instant le pauvre morceau de pain que les plus prévoyants et les plus volontaires savent garder dans leur musette disparaît. Il y a parmi nous des voleurs de pain et c’est extraordinaire, avec quelle dextérité ils opèrent.

Pour moi, ma souffrance est grande de voir des Français en être arrivés à ce point et de donner un tel spectacle à nos ennemis qui sont responsables et à voir les mines hâves, les yeux presque vitreux, l’allure de vieillard des plus jeunes d’entre nous et qui maintenant déclinent si rapidement, ma haine pour l’Allemand ne fait que croître. » (p. 147) Annette Becker cite ce passage dans Oubliés de la Grande Guerre, humanitaire et culture de guerre. Populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre, Paris, Noésis, 1998, p. 102-103. Sur la question des prisonniers français, voir Odon Abbal, « Vivre au contact de l’ennemi : les prisonniers de guerre français en Allemagne en 1914-1918 » in Sylvie Caucanas, Rémy Cazals, Pascal Payen, Les Prisonniers de guerre dans l’histoire. Contacts entre peuples et cultures, Toulouse, Privat, 2003, p. 197-210.

Dans la retraite allemande :

À mesure que les troupes alliées avancent, les prisonniers de guerre doivent reculer avec les débris de l’armée allemande en direction de la frontière belge.

Sedan, 7 novembre 1918 : « […] Nous arrivons à Sedan dans l’obscurité, les rues encombrées de camions, couvertes de boue, où je distingue des cadavres de chevaux, du matériel brisé, abandonné. De fort nombreux soldats allemands ivres, hurlant, gesticulant, m’attristent fortement et je me demande peut-être pour la première fois ce que je vais devenir dans ce lieu de misère et de brutalité. Un Allemand ivre se jette même sur moi en hurlant, heureusement je me dégage avec rapidité, car je n’ai aucune envie de m’entretenir avec cette brute » (p. 148)

8 novembre 1918, départ de Givonne, entrée en Belgique (p. 149-150)…

Frédéric Rousseau, mai 2008.

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Riou, Gaston (1883-1958)

1. Le témoin

Né le 7 janvier 1883 à Vernoux-en-Vivarais (Ardèche). Homme de lettres qui commence sa carrière littéraire en 1913, année durant laquelle il publie Aux écoutes de la France qui vient. Participe début 1914 à un ouvrage collectif avec Henri Bergson, Charles Gide et Henri Poincaré intitulé Le matérialisme actuel. Soldat ambulancier de 2e classe durant la guerre. Unité inconnue. La mention d’une ancienne appartenance au 31e R.I. (p 103 de l’édition de 1916) ne peut être retenue car ce régiment n’est pas engagé dans le secteur de Dieuze fin août 1914 où le témoin a été fait prisonnier. A cette époque, son unité semble appartenir à la 29e D.I. (111e, 112e, 3e et 141e RI) qui a été engagée dans la bataille dite de Morhange.  Interné pendant 11 mois en Allemagne dans la forteresse d’Orff près d’Ingolstadt. Semble rapatrié à l’occasion d’un échange de prisonniers. Publie à partir de 1923 plusieurs romans qui constitueront les différents volets d’une œuvre d’ensemble sous le titre de La vie de Jean Vaucanson. Participe en 1926 à Vienne au premier Congrès paneuropéen. Devient cette même année le principal animateur de l’Union économique et douanière européenne. Publie en 1927 un essai politique dans lequel il défend l’idée d’un fédéralisme européen, Europe, ma patrie. Il reçoit pour cette publication les encouragements de deux hommes politiques aussi différents que Poincaré et Briand. Poursuit une activité consacrée à la défense de l’idée européenne. Publie en 1928 un second livre en faveur de la construction de l’Europe, S’unir ou mourir. Fonde en 1930 la Ligue France-Europe qui deviendra la Ligue internationale pour les Etats-Unis d’Europe dont il est élu président en 1935.  Proche d’Herriot, il fonde en 1934 la fédération radicale-socialiste de son département natal, l’Ardèche. Est élu premier vice-président du parti radical et président d’honneur des Jeunesses radicales. Est élu député de l’Ardèche aux législatives de 1936 dans la première circonscription de Privas. Siège à la commission des affaires étrangères. En février 1938, quand le chancelier Schuschnigg refuse tardivement de céder aux pressions allemandes au moment de l’Anchluss, il intervient dans le débat d’interpellations tout en apportant son soutien au gouvernement. Il se livre alors à une critique des traités de 1919 qui ont morcelé l’Europe et se déclare favorable à la poursuite de négociations en vue d’un règlement pacifique des tensions. Il vote les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940.  Mort le 12 juillet 1958 à Lablachère.

2. Le témoignage

Gaston Riou, Journal d’un simple soldat, guerre-captivité 1914-1915, Hachette, 1916, 251 p. (préface d’Edouard Herriot, illustrations de Jean Hélès). Cette édition – que nous utilisons ici – possède des passages censurés. Réédité en 1917 chez Hachette et traduit cette même année en espagnol. Cet ouvrage est également réédité après la guerre sous le titre Journal d’un simple soldat, guerre-captivité 1914-1915, Valois, 1931, 283 p., avec restitution des passages censurés. Bien qu’antérieur à 1928, ce témoignage n’a pas été recensé par J.N. Cru.

3. Analyse

Les 26 chapitres de ce témoignage possèdent tous des repères chronologiques précis, notés en tête de chapitre, permettant de dater précisément les faits ou l’évolution du ressenti de la captivité.

Capture et entrée en captivité

Le premier chapitre évoque l’arrivée en Allemagne du prisonnier par le train, le 2 septembre 1914. L’accueil est glacé : menaces de mort à l’égard des ambulanciers qui, selon la propagande allemande, achèvent les blessés, premières privations alimentaires et manifestations d’hostilité par la population civile allemande (femmes et enfants). Cette arrivée est aussi l’occasion pour l’auteur d’évoquer un récent voyage en Allemagne accompli en 1913 à Heidelberg et Leipzig, voyage durant lequel l’auteur fut accueilli dans les milieux intellectuels allemands libéraux. Riou intercale dans ces souvenirs l’évocation de sa campagne en Lorraine dans une division qui « était sacrifiée d’avance » pour permettre la retraite. Il est fait prisonnier à Kerprich près de Dieuze. Cette période de la fin août est ressentie par lui comme particulièrement difficile à vivre : « (…) défaillant de sommeil et de fatigue, dix fois mis en joue par les patrouilles, jour et nuit, j’ai charrié de la chair humaine : des morts, encore des morts (…) » (p 26) Les Allemands lui confient une quarantaine de blessés français issus du 20e corps qui agonisent dans une tente dépourvue de matériel médical. L’auteur relate l’exécution sommaire d’officiers français blessés par des patrouilleurs allemands (p 28). Ignorant son statut – retenu ou prisonnier ? – il est finalement emmené le 28 août sur Dieuze d’où il embarque pour Ingolstadt, toujours persuadé d’être en partance pour la Suisse du fait de son statut d’ambulancier. Lors de son transfert à pied vers son futur lieu de détention, il peut constater les effets de la propagande allemande sur les civils et militaires de l’arrière qui accusent les Français d’être les « agresseurs » (p 34).

Les conditions matérielles de la détention

Le fort d’Orff, situé dans la région d’Ingolstadt, possède le « confort » des vieilles bâtisses militaires… Toutefois, son architecture et son étendue offrent aux prisonniers la possibilité de longues promenades dans les contre-escarpes du fort. L’étendue des lieux atténue assurément le sentiment d’enfermement (p 71-72). La réclusion n’est pas totale. L’auteur est ainsi invité – sous bonne garde – à se rendre en ville avec deux camarades et trois officiers français des services de santé grâce à l’autorisation d’un commandant-major allemand (pp 145-146). Une autorisation spéciale, accordée par le commandant de la forteresse, lui permet également de rendre visite à d’autres détenus français internés dans une redoute située à plusieurs kilomètres de son lieu de détention. La configuration matérielle des lieux et les conditions de détention y sont nettement plus dures que celles du fort  d’Orff (pp 179-183). Riou mentionne un rationnement de la nourriture dès son arrivée. Les privations matérielles sont toutefois légèrement atténuées par un trafic clandestin de marchandises, notamment du thé et du tabac (p 71 et 93). Le temps passant et le nombre de prisonniers augmentant, la nourriture devient moins abondante et la question des vivres demeure la préoccupation principale des prisonniers. Le commandant du camp n’est pas tenu pour responsable de cette pénurie. Ce sont « deux épiciers d’Hepperg », profiteurs de guerre détournant des vivres pour leur profit personnel qui subissent la vindicte des prisonniers… Les gardes allemands, chargés de fournir la part de vivres attribuée aux prisonniers, sont également accusés de se servir largement et d’alimenter le marché noir (p 129-130). Il en est de même pour certains officiers, notamment un certain Bursch dont les agissements douteux ne semblent guère être connus du commandant du camp (pp 139-143). Les querelles d’ordinaire entre compagnies au sujet des parts attribuées à chacune sont arbitrées par les gradés français du camp, en l’occurrence les majors appartenant au service de santé (pp 125-126). Les « canards » les plus fréquents ont pour sujet la question de la répartition des vivres (p 131). Les colis envoyés par les familles ne sont mentionnés qu’à partir du mois de décembre (p 185). A la pénurie de vivres s’ajoute la description de la vie « vide et stérile » du prisonnier et de son amertume face à l’interdiction de correspondre avec les proches. Cette dernière est cependant levée en octobre 14. Toute correspondance est soumise à une réglementation qui paraît sévère aux prisonniers : des cinq compagnies présentes (1 100 hommes) dans la citadelle, seule l’une d’elle a droit à l’envoi d’une lettre chaque 5 jours. Le contenu des lettres est soumis à la censure et ne peut en aucun cas évoquer la guerre (p 92). L’évocation du contenu de cette correspondance par l’auteur laisse apparaître les mêmes phénomènes d’autocensure affective que l’on retrouve chez les combattants (pp 94-95). L’arrivée du rare courrier (lettres et paquets) est toujours vécue comme un événement : « On chante, c’est qu’il y a des lettres ! » (p 183) Outre la description des lieux  et des conditions de détention, l’auteur – qui est et demeure un intellectuel – revient à plusieurs reprises sur la souffrance de vivre en permanence en compagnie d’autres prisonniers dans une promiscuité complète et pesante (p 38, pp 55-56 et p 85). Il parvient, grâce à l’intervention d’un  camarade, à obtenir l’accès à un lieu d’isolement à proximité d’une cuisine et se félicite d’y avoir une table pour écrire (pp 55-58). Rien ne permet d’affirmer de façon sûre que l’ensemble du récit de Riou ait été totalement rédigé au moment de sa captivité mais rien non plus ne permet d’infirmer cette hypothèse : à plusieurs reprises l’auteur s’adresse à une « amie » qui semble être la première destinatrice de ce récit (p 88, p 109). Les datations au début de chaque chapitre et la mention de carnets de captivité (note 1 p 186) confortent l’idée d’une rédaction au moins partielle en captivité. Ce n’est qu’au début novembre que l’auteur mentionne le départ d’une centaine d’hommes pour un camp de travail situé à 8 km de la citadelle. Cette proportion correspond donc à moins de 10% de l’effectif des détenus du fort. L’auteur ne précise pas si l’engagement se fait sur la base du volontariat ou de la contrainte. La seule compensation matérielle est d’ordre alimentaire : « une petite saucisse d’un doigt. » Le rythme de travail paraît assez peu soutenu, les carences alimentaires ayant affaibli les organismes (p 135). Ce recours à la main d’œuvre des prisonniers est à mettre en relation avec les départs des soldats allemands qui, jusque là, n’ont pas encore rejoint le front.

Une expérience de guerre, courte mais intense.

L’évocation des scènes de guerre est également au centre des discussions de ces hommes de derrière les murs. Même si leur campagne a été courte, on y retrouve le rappel des faits de guerre, de l’attitude des supérieurs hiérarchiques au feu, de leur plus ou moins grande compétence, du comportement des hommes au combat, empreinte de peur ou, au contraire, d’une trop grande assurance due à leur inexpérience (pp 49-53). L’auteur revient également sur son expérience d’infirmier et sur le manque de moyens du service de santé dans les premières semaines de la guerre : insuffisance des brancards pour récupérer les corps, recours à « une fourragère de réquisition, rembourrée de paille » pour évacuer les blessés vers des postes de secours improvisés dans des fermes, majors débordés par l’afflux de blessés, manque de matériel chirurgical, conditions d’hygiène plus qu’insuffisantes entraînant des amputations abusives et constantes menaces pesant sur ces postes de secours improvisés qui, à tout moment, risquent d’être pris par l’avance de l’ennemi (pp 74-80).

La guerre vue… d’Ingolstadt.

Pratiquant peu la langue allemande, Riou parvient pourtant à obtenir des renseignements sur le déroulement du conflit grâce à l’Alsacien Durupt. Ce dernier qui parle l’Allemand couramment mène à l’encontre des gardiens allemands une véritable guerre de propagande visant à miner le moral de l’adversaire. Les arguments de ce dernier, sincères, sont certes un peu courts mais témoignent de la confiance et du patriotisme des prisonniers en ce début de guerre (pp 59-66). Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, la forteresse d’Orff n’est pas un univers hermétiquement clos aux visites de l’extérieur. Des civils – dont des femmes – y déambulent régulièrement. Ces contacts avec le monde de l’extérieur sont l’occasion de discussions au cours desquelles les prisonniers maîtrisant l’allemand parviennent à connaître l’essentiel des informations véhiculées par la presse. Leur contenu permet également de mesurer l’efficacité de la propagande de guerre allemande sur les civils (p 66-68). La fréquentation des offices religieux catholiques par les civils et les prisonniers favorise également ces échanges entre prisonniers et civils allemands (pp 70-71). Certaines idylles platoniques parviennent parfois à se nouer entre prisonniers et civiles allemandes (pp 116-118). A l’évidence, les relations privilégiées que l’auteur noue avec le commandant du camp (promenades en sa compagnie) l’autorisent à bénéficier d’un régime de faveurs d’autant plus important que les conditions de captivités demeurent libérales. Au fil des mois, le poids de la guerre sur la population allemande est une réalité qui semble relativement bien perçue par les prisonniers français, sans pour autant que l’auteur  n’omette l’affirmation de quelques clichés bien rodés : « Ces pauvres gens souffrent. Ils ont tous sept ou huit enfants. Leurs économies sont épuisées. La misère menace (…) Ce sont de bonnes natures, point compliquées du tout, un tantinet serviles, lourdes d’un infini de siècles de soumission silencieuse. » (p 228) Riou s’emploie – à l’image de la propagande alliée – à bien différencier le « petit peuple allemand » de ses gouvernants pour mieux disqualifier ces derniers. Il n’hésite pas à forcer le trait sur la prétendue soumission des Allemands aux ordres de leur hiérarchie militaire ou civile (pp 231-232). Le chapitre intitulé « Le petit peuple allemand et la guerre » (pp 228-245) est bien une œuvre de propagande qui n’a sans doute pas été entièrement rédigée à Ingolstadt… L’arrivée de nouveaux prisonniers dans la citadelle en provenance de l’hôpital d’Ingolstatdt permet également aux prisonniers d’avoir des nouvelles récentes de la guerre. Ainsi l’arrivée d’un caporal du 146e R.I.  ayant entendu les récits d’un officier hospitalisé permet-il à l’auteur de connaître la victoire de la Marne et de prendre ainsi conscience de la stabilisation du front occidental (pp 80-84).

La mise en place d’une sociabilité des barbelés : de l’acceptation résignée aux inévitables tensions.

Dans un premier temps, les relations entre prisonniers et geôliers sont cordiales. L’obligation de vivre ensemble crée visiblement des liens. Ainsi des apports de nourriture supplémentaire sont effectués par certains gardiens de façon tout à fait désintéressée (p 89). Il arrive que quelques prisonniers aillent trinquer et fumer avec leurs geôliers (pp 102-103). L’officier responsable du camp, le baron Von Stengel, est qualifié de « type achevé du gentilhomme, amène, courtois, juste. » (p 104) L’auteur lui consacre un chapitre dans lequel il dresse un portrait amène de ce septuagénaire  plutôt francophile qui a participé à la campagne de 1870 (pp 150-164). Son départ, en décembre 1914, est source d’inquiétude pour les prisonniers français : « Il me semblait qu’avec le rappel de Von Stengel une nouvelle captivité commençait, vexatoire, sans sécurité, inhumaine ; que ça allait être désormais la vraie prison… » (p 201). Ce pressentiment est par la suite confirmé par les faits (pp 210-212). A l’opposé, les subalternes de Von Stengel sont dépeints comme de « francs hypocrites, tonitruant de patriotisme, qui vantent les vertus allemandes et simulent des rhumatismes et des faiblesses de cœur pour ne point partir au feu. » (p 172)   Les récits de malades venant d’autres camps confirment l’idée que le régime de détention d’Ingolstadt est, sur tous points, bien moins sévère qu’ailleurs (pp 105-106). Un fourrier allemand pourtant qualifié de « franc malotru et bassement haineux vis-à-vis des Français » n’en fournit pas moins une paillasse à l’auteur en vue d’affronter les rigueurs de l’hiver (p 110-113). L’esprit de camaraderie et d’entraide entre prisonniers est largement évoqué. Du moins dans un premier temps. Pourtant, l’ennui aidant, le désoeuvrement de certains peut devenir un prétexte à tensions. Les rumeurs sont monnaie courante : « Il y a toujours un canard dans le fort. Aujourd’hui, par exemple, l’on commente, sur les couverts, la prise de Breslau par les Russes ! », précise l’auteur (p 107). L’apparition de trafics liés à la pénurie alimentaire est un autre facteur de tension entre les prisonniers. Un petit noyau d’une vingtaine d’entre eux parvient ainsi à créer une oligarchie de nantis dans un monde où « l’on [ne] dure, par ruse, violence ou génie, qu’au prix d’une constante victoire. » (p 120) L’illusion d’une guerre courte s’étiole avec l’arrivée de l’hiver. Désormais les plus optimistes prévoient que « la guerre durera deux ans » et « tous sont à bout de patience. » (p 135) Un chapitre consacré au « cafard » fait son apparition à la fin novembre (pp 170-174). Il est à l’évidence à mettre en rapport avec la perception d’une guerre qui est désormais entrevue comme forcément longue.  L’absence de courrier, la séparation des proches, le désoeuvrement, le « mal du pays » et la découverte de l’enlisement du conflit sont à l’origine de ce que l’auteur nomme un « énervement dont je ne suis point maître.» La vieille forteresse devient alors un « sépulcre ». La qualité des soins apportés aux prisonniers blessés se dégrade fortement à partir de décembre. Le fort d’Orff accueille des prisonniers français convalescents qui ont dû quitter précipitamment l’hôpital d’Ingolstast face à l’afflux de populations civiles venues de Poméranie. Un soldat français sévèrement touché à la face doit endurer les dures souffrances de sa blessure, faute de soins appropriés. « Un abcès maintenant se déclare dans l’oreille interne, il en mourra sans doute », observe lucidement Riou  (pp 196-198). L’arrivée en avril 1915 de prisonniers russes avait été présentée aux prisonniers français comme une menace par les gardes allemands. Ceux-ci sont pressentis comme « une peste asiatique » (p 213). L’accueil qu’organisent les Français pour leurs alliés russes semble contredire cette tentative de mise en opposition. Echange de vivres et de cigarettes, chants et danses mêlent les deux communautés de prisonniers qui sont désormais appelées à vivre ensemble. Mais derrière cette attitude bienveillante des prisonniers français il faut sans doute aussi percevoir un moyen approprié de s’opposer aux discours des gardiens allemands… Les Russes paraissent s’intégrer facilement, notamment en participant activement aux diverses corvées (p 226).

Les maigres distractions…

Au début de la détention, assez peu de travaux d’intérêt général sont imposés aux prisonniers, à l’exception de la confection des maigres repas. Les scènes descriptives de la vie des prisonniers laissent plutôt apparaître une réelle liberté pouvant confiner au désoeuvrement. L’occupation du temps est et demeure donc l’une des plus grandes préoccupations des prisonniers. Les distractions sont rares : observation grâce à « un poste d’observation » des manœuvres d’artilleries lourdes dans une forêt proche du lieu de détention, participation aux offices religieux protestants (en guise de distraction…), jeux sportifs, sculpture sur cailloux de képis ou casques à pointe « écussonnés aux armes de Bavière », exploration de la citadelle en ses parties souterraines ou inconnues (pp 97-99 et pp 118-119). La fabrication d’objets ainsi que l’organisation d’une forme de marché noir entre prisonniers permettent de s’occuper mais apportent également un certain enrichissement visant à lutter contre la faim (pp 120-121 et 178-179). L’existence de cette pratique, où le principe du chacun pour soi est de mise, heurte la conscience de l’auteur qui reconnaît pourtant que le système D demeure une obligation incontournable permettant d’améliorer l’ordinaire. La lecture reste l’un des passe-temps favori de ceux qui ont un goût pour les occupations intellectuelles. Les livres sont rares, « on se les passe les uns aux autres jusqu’à effritement complet. » (p 185). On écrit également beaucoup : des poèmes, des chansons dont les textes caustiques amusent la communauté des prisonniers. L’écriture de carnets de captivité demeure l’activité littéraire la plus répandue. L’autorité allemande s’oppose à cette pratique et l’auteur confie que c’est au moyen « de ruses quasi-quotidiennes » qu’il peut conserver ses carnets personnels (note 1 p 186). Certains soldats profitent de leur captivité pour relater les péripéties des combats d’août et leur capture. Riou les retranscrit textuellement (et sans doute partiellement) dans ses propres carnets (pp 187-193). On notera combien les activités manuelles ou intellectuelles de ces prisonniers ressemblent à bien des égards à celles des combattants du front.

L’échappée belle…

Riou est finalement libéré par la Suisse. Rien dans son témoignage n’explique les circonstances précises de cette libération. Il semble que l’auteur se soit livré ou à une autocensure ou que son manuscrit ait subi une censure extérieure sur cette question sensible au moment de son édition, ce qui pourrait expliquer qu’aucun passage de ce dernier chapitre n’ait eu à subir les foudres d’Anastasie…

4. Autres informations

Archives de l’auteur déposées aux archives départementales de l’Ardèche (cote 69J1-26), manuscrits et correspondance littéraires.

J.F. Jagielski, 27/02/07

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Gueugnier, Charles (1878- )

1. Le témoin

Charles Gueugnier est né le 5 novembre 1878 à Sétif (Algérie) de François Gueugnier et Carmen Calleya. A 20 ans, il part en Angleterre où il est cuisinier. La guerre le surprend chef de cuisine de l’amiral anglais Berkeley-Milne commandant en chef de l’escadre britannique en Méditerranée. Ce dernier lui propose d’être incorporé dans les forces britanniques mais il décline la proposition et rejoint son régiment, le 4e Zouaves, le 3 août 1914. Charles Gueugnier, fait prisonnier le 12 octobre 1914 au Chemin des Dames, est interné au camp de Merseburg (Saxe). En mai 1918, bénéficiant des accords de Berne, il est libéré du camp et transféré en Suisse, en semi-liberté. Il rentre en Algérie à la fin de 1918, mais sa trace est perdue après la guerre.

2. Le témoignage

A partir du 12 octobre 1914, Charles Gueugnier écrit tous les jours sur des feuillets qu’il cache. Il les recopie sur des cahiers pendant son séjour en Suisse à partir du 4 juin 1918 et continue à écrire régulièrement en Suisse, plus épisodiquement après son retour en Algérie jusqu’à sa démobilisation le 3 mars 1919. Ces neuf cahiers ont été conservés par la famille. De larges extraits des cahiers ont été publiés sous le titre Les carnets de captivité de Charles Gueugnier 1914-1918, présentés par Nicole Dabernat-Poitevin, Toulouse, Accord édition, 1998, 239 p., illustrations.

3. Analyse

La durée du séjour, 4 ans, dans le même camp est tout à fait exceptionnelle et apporte un intérêt accru à son témoignage. Le souci continuel de l’auteur de préserver ses notes souligne sa volonté de ne rien oublier de ses années d’enfermement. De son poste d’observation, de sa situation particulière d’interprète (puisqu’il parlait anglais), il donne une photographie du camp dans le temps, en montrant les liens ou l’animosité entre les prisonniers de différentes nationalités, selon l’importance des groupes, mais aussi l’évolution des rapports entre les prisonniers et les Allemands. A travers ses notes, on repère les différents mouvements de prisonniers vers d’autres camps ou détachements de travail. Le moral des troupes françaises affleure avec l’arrivée de nouveaux prisonniers qui sont, pour ceux du camp, une source d’information sur l’évolution de la guerre. Il note scrupuleusement la météo quotidienne et les menus. Très affecté par une faim permanente, il dresse un panorama de toutes les aides destinées aux prisonniers à travers ses attentes de colis, des envois de pain et des avatars de l’acheminement. On retrouve, comme souvent dans la littérature des prisonniers, les distractions du camp, le commerce interne voire un marché aux puces. Pendant son séjour en Suisse, il décrit les ravages de la grippe parmi les prisonniers qui avaient bénéficié d’un internement ou d’une hospitalisation dans ce pays.

Ce témoignage fourmille de détails au quotidien qui donnent un bon aperçu de la vie d’un camp de prisonniers de guerre.

Nicole Dabernat-Poitevin, 12/2007

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Bonneval, Emile (1888-1936)

1. Le témoin

D’une famille originaire de la Corrèze, Emile Bonneval est né le 21 mars 1888 à Saint-Denis, banlieue parisienne, d’un père employé dans les transports publics. A l’école jusqu’au Certificat d’études primaires. Il entre lui aussi dans la compagnie des transports où il monte les échelons en passant des concours internes : il finit inspecteur de la STCRP. Blessé dès le 4 septembre 1914, bien soigné par les Allemands, il doit cependant subir la dure vie de travail dans les kommandos, ce qui altère sa santé. Il meurt à 49 ans, le 12 mai 1936.

2. Le témoignage

C’était d’abord un tout petit carnet soustrait aux innombrables fouilles des gardiens. Après la guerre, il retranscrit ses souvenirs sur le cahier qui, pendant le service militaire, lui avait servi à copier un répertoire classique de chansons. Le cahier est conservé par la famille. Il est publié dans Récits insolites, Carnets de Charlotte Moulis, Emile Bonneval, Etienne Loubet, présentation générale de Rémy Cazals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1984, 67 p. [Emile Bonneval : Le prisonnier aux mille tours, p. 35-49], illustrations.

3. Analyse

Au début de la guerre, rejoint le 156e RI à Troyes. Blessé le 4 septembre en Lorraine, ramassé le 6 par une patrouille allemande. Déplâtré le 4 novembre. Interruption des notes de novembre 1914 à mars 1916. On connaît seulement ses déplacements, d’un camp à l’autre. En avril, envoyé en représailles du côté de Tilsitt, où il évoque Napoléon. Travail à la tourbière, colis, punitions. En octobre 1916 au camp de Stendal et en kommandos agricoles, puis dans diverses activités où il n’hésite pas à pratiquer quelques sabotages.

Rémy Cazals, décembre 2007

Complément : photos du fonds Bonneval dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 21 (deux gamins russes prisonniers en Allemagne) et p. 87 (au camp de Stendal, PG français prêts pour un déplacement).

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