Hervouet, Auguste (1884-1952)

1. le témoin
Auguste Hervouet est un cultivateur vendéen de la classe 1904. Mobilisé au dépôt de la Rochelle, il intègre ensuite le 323e Régiment d’infanterie. Il séjourne devant Nancy, au saillant de Saint-Mihiel, puis reste en Lorraine en 1915. A Verdun de février à septembre 1916, puis en Lorraine, au Chemin des Dames (juillet 1917), il revient à Verdun en 1918. Il fait la guerre de mouvement (Marne-Aisne 1918) et est légèrement gazé en août; convalescent, il réintègre son unité en octobre 1918 en Alsace. Nommé sergent en mai 1916, il est promu adjudant le 11 novembre 1918. Il sert au 323e de septembre 1914 à juin 1916 (unité dissoute) et puis au 206e RI de 1916 à la fin de la guerre.
2. le témoignage
Ses petits-enfants ont créé l’A.D.E.P.A.H. (association des descendants du poilu Auguste Hervouet) et ont publié en 2010 Harcelés par une pluie de fer et de feu… (181 pages, isbn 978-2-7466-2157-2). Il s’agit de la retranscription fidèle du récit écrit en 1919. Les derniers mots des cahiers donnent le contexte de rédaction : « Je revenais de permission le 5 février (1919) retrouvant les camarades où je les avais laissés. A ce moment, l’idée me vint d’écrire ces présentes mémoires (…) Je m’empresse de dire, j’ai oublié beaucoup de passages intéressants et j’ai surtout abrégé les détails, craignant que je n’aurais pas le temps de terminer mon long récit, ce que j’arrivais cependant à faire 2 jours avant mon départ pour la Roche-sur-Yon (démobilisation). » Il s’appuie pour la rédaction sur des notes prises pendant tout le conflit. Le titre primitif était « Mémoires d’un poilu », mais la famille a préféré renommer le récit par un extrait du texte « si tôt que nous apercevions l’Est s’embraser de lueurs, il ne fallait pas hésiter à se jeter à plat ventre. La mitraille arrivait aussitôt avec des miaulements endiablés, des sifflements lugubres. (…) Au retour, nous fûmes harcelés par cette pluie de fer et de feu… » p. 75. ».
3. analyse
La totalité du témoignage a été rédigée en trois semaines en février 1919, ce qui lui donne son intérêt documentaire; les souvenirs sont encore frais et le récit est d’un bloc, c’est « une carrière de poilu » synthétisée par une écriture efficace. Il y a parfois un certain flou : « Je ne me souviens plus combien de jours nous restâmes à Amance » (septembre 1914, p. 21) et les faits sont consignés par quelqu’un qui connaît la totalité du conflit « Je me souviens que le commandant nous poussant une harangue, un jour (octobre 1914), nous dit au cours de son discours: « La guerre n’est pas finie Messieurs! Elle n’est que commencée!! » ceci nous faisait murmurer tout bas: « vieux fou va! » Pourtant il avait bien raison, mais qui aurait cru à ce moment-là que 4 ans plus tard nous y serions encore! Heureusement nous n’en savions rien. » p. 22. Mais se tenant à une trame chronologique, le récit évite le déterminisme et c’est paradoxalement ce côté ramassé qui donne son caractère vivant et son intérêt aux carnets. Il n’y a pas dans le texte de mention de politique, de religion ou de jugement sur les Allemands (excepté du type « j’avais appris à me méfier de ces oiseaux-là »). Peu de choses sur la vie privée, mais la camaraderie est présente, citée en général pour déplorer la perte de compagnons charentais des débuts.
A. Hervouet fait toute la guerre au front, avec un départ en septembre 1914, sept permissions et deux mois d’évacuation en 1918. Le récit évoque un certain nombre de secteurs calmes, en Lorraine par exemple sur la Seille (avril 1915 jusqu’à février 1916). « Parfois nous tirions sur eux, mais comme toujours il y avait la riposte, il était plus prudent de rester tranquille » p.40; pour les patrouilles de nuit, il faut prendre une barque pour traverser la rivière et emporter une échelle pour passer des ruisseaux. Le combattant a une conscience précise de son sort (1915): « octobre vint et se passa sans apporter beaucoup de changements, toujours des avant-postes, repos ou réserve avec des patrouilles souvent très dangereuses et très désagréables. Il ne fallait encore pas trop nous plaindre, combien nous étions plus heureux que les pauvres camarades occupant des secteurs où les attaques se succédaient. Nous le voyions chaque jour sur les journaux, et avions plutôt bien de la veine d’occuper un secteur aussi calme. » p. 45
Il y a aussi des secteurs dont l’animation reste inquiétante, comme au Chemin des Dames en juillet 1917: c’est une suite éprouvante de petites actions allemandes de rectification « J’avais perdu beaucoup de camarades pendant ce séjour au chemin des Dames et j’ai conservé de Cerny un pénible souvenir. » p. 128. Un secteur de Verdun peut être étonnamment calme (Bezonveaux) dans la neige en janvier 1918 « mon collègue me dit de ne pas me trouver surpris le lendemain matin, de voir les boches sur le terrain et nous regarder, sans même essayer de se dissimuler le moins du monde. Ils nous causeraient même en bon français, mais la consigne était de ne pas leur tenir conversation.(…) Puis l’un d’eux nous cria en bon français « Bonjour Messieurs! », ce bonjour resta sans réponse bien qu’il ait enlevé sa petite calotte ronde à bords rouges, comme ils en avaient tous. Comme il nous voyait nous baisser pour entrer dans notre triste abri, il ajouta « pas se terrer! guerre finich! »…. Un de mes poilus lui cria « Ta gueule! » en lui montrant son fusil et ce fut tout… nous nous contentâmes ensuite de nous regarder, en chiens de faïence, sans rien lui dire. » p.138 . Au contraire, une attaque locale allemande, à l’échelon restreint de la compagnie (Avocourt – Verdun en mai 1918) peut-être extrêmement meurtrière (bombardement brutal, 88 mm et torpilles) « les boches avaient déguerpi. J’allai voir l’autre demi-section, je trouvai le lieutenant à mi- chemin, les larmes aux yeux, me disant qu’il avait cinq tués à sa demi-section (…) avec les trois de chez moi, ça faisait huit tués à la section et cinq très grièvement blessés. Dès le lendemain les cinq succombaient, ce qui fit 13 morts dans la section de 29 hommes et gradés que nous étions » p. 149.
Verdun
A. Hervouet passe par plusieurs secteurs de Verdun (Avocourt, Damloup, Eix, Moulainville, Tavanne, Fleury) ; il évoque le bombardement constant qui frappe en ligne, en corvée ou à la relève. On voit surtout un combat d’artillerie, il y a peu de description de combats d’infanterie ; par exemple, soumis à un bombardement constant de quatre jours devant Damloup en avril 1916, il se terre : « dans ce trou je crois j’ai passé les heures les plus angoissantes de ma vie. » p. 66. L’alcool est important à Verdun « Ce qui ne manquait heureusement pas, c’était la gnôle. Jamais de ma vie, je n’avais autant bu de ce poison, il nous brûlait les intestins, mais ça nous réchauffait un peu et nous remontait le moral quelques instants. S’il baissait trop, nous en buvions un autre coup… » p. 103. Verdun représente l’engagement le plus intensif et le plus durable pour l’auteur qui y devient sergent : « Nous étions au 23 septembre et dans le secteur de Verdun depuis le 28 février, cela faisait donc près de sept mois que la division était dans le secteur. Sûrement, notre 68e DI tenait, à ce moment-là, le record de longue durée dans ce secteur de Verdun où tant de divisions avaient fondu comme beurre au soleil. Mais c’était bien grâce à nos fréquents renforts que nous avons pu tenir aussi longtemps, car bien peu des hommes ont fait les sept mois sans aucun mal. J’eus la chance (si toutefois c’en était encore une) d’être de ce nombre. » p. 107.
La bonne blessure
La bonne blessure est souhaitée par Hervouet, mais est-elle toujours bonne ? (avril 1915) « Mon excellent ami Pierre Pavageau fut atteint d’une balle arrivée par un créneau, elle lui traversa la main. (…) j’enviai son sort, car tous s’entendaient dire : c’était la bonne blessure et il avait bien de la chance! Pourtant j’appris plus tard, il était bel et bien estropié pour toujours. » p. 38. La perspective reste attirante en 1916, alors qu’il est sergent: « Mon ami Grolleau, arrivant de permission le matin, fut blessé, dès la nuit suivante. Sa blessure ne fut pas très grave, assez pour être évacué et s’arracher en vitesse, une grande faveur (que je n’ai pu obtenir) p. 95. Hospitalisé en août 1918, il est amer : « je commençais à goûter au bonheur éprouvé quand on est bien soigné et que l’on ne souffre pas beaucoup. Je me disais souvent: ceux qui avaient été évacués, à plusieurs reprises pendant la guerre, sans avoir eu de graves blessures, avaient eu bien plus de chance que moi, toujours resté à souffrir dans les tranchées! » p. 172
Comment annoncer le décès d’un camarade ? (septembre 1916)
« Ce fut pour moi un coup bien pénible, le pauvre Girard était le seul à la compagnie que je connus avant la guerre. (…) mon devoir était de prévenir sa famille. Ce serait un rude coup pour sa pauvre mère. Il ne fallait pas lui dire, de suite, toute l’étendue de sa perte ceci aurait pu être pour elle un coup mortel. Elle avait déjà eu à déplorer la perte d’un autre fils, mort à la guerre! Avec tous les ménagements possibles, je lui faisais savoir, dès le soir, par une lettre que son fils, mon excellent ami Ferdinand, avait été blessé. Je ne connaissais pas encore la gravité de la blessure, je lui ferais savoir dès que je saurais moi-même. Le surlendemain, je faisais savoir à sa famille ce qui s’était passé, ça me peinait beaucoup… » p.104
Le récit reproduit aussi quelques éléments anecdotiques ; la découverte d’un trésor est assez pittoresque et finalement rare dans un contexte où travaillaient des millions de taupes humaines : (novembre 1915 sur la Seille, devant Nancy) « c’est en creusant un de ces derniers (abris), destiné à faire blockhaus qu’un homme de mon escouade découvrit à 0 m 70 du niveau du sol, un trésor contenant une valeur en pièces d’or et d’argent assez importante. Ces pièces qui dataient du 12ème et du 13ème siècle étaient à l’effigie des ducs de Lorraine et des rois de France. J’en eu trois pour ma part, je me promis de les conserver. Le trouveur eut 700 francs et les 7 ou 8 autres qui l’accompagnaient une somme égale à partager entre eux. Le reste appartenant à l’Etat. » p. 46. L’auteur évoque aussi l’arrivée de soldats d’outre-mer: « A cette époque -là, il nous arriva en renfort des nègres, des Martiniquais. Ils n’étaient pas trop mauvais gars, mais fainéants comme des couleuvres, et surtout avaient une peur terrible des « obis » comme ils disaient, au lieu des obus, jamais il ne leur a été possible de prononcer le « u »! Nous en avions 7 à la section. Ils étaient mélangés avec les anciens de la compagnie, cependant ils parlaient tous français. » p. 94. Le sergent, gazé, est évacué avec une cécité temporaire en août 1918 (combats de l’Aisne à Oulchy le Château) : « les 3/4 de ceux prenant le train étaient aveugles, et il fallait les conduire! J’étais du nombre. Nous nous tenions par nos vestes. Un guide nous conduisait ainsi par 7 ou 8…une fois dans le train on n’entendait que des gémissements de toutes parts. Ce fut un triste voyage. » p. 171.
Au total une vision intéressante en 1919 de l’expérience combattante, avec l’impression d’une guerre loyalement faite (il finit adjudant) mais toujours d’une guerre subie, menée sans enthousiasme : ce même témoignage rédigé dans les années 30 ou 50 aurait-il eu la même tonalité ?
Vincent Suard, juin 2016

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Delfaud, Marc (1887-1962)

Le livre :
Marc Delfaud, Carnets de guerre d’un hussard noir de la République, Editions italiques, 2009, 680 p., cahier photo de 8 p., publié sous la direction du général André Bach qui fournit de nombreuses notes explicatives. Photo de Marc et de son épouse, Jeanne, dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 177.
Texte établi par Jeanne Delfaud, fille de l’auteur, qui a également donné à la fin quelques pages de biographie : né en 1887 à Saint-Denis-du-Pin en Charente inférieure, Marc Delfaud était fils de maréchal-ferrant ; devenu instituteur, il s’est marié en 1911 et le couple a eu un poste double à la campagne ; après la guerre, il enseigne dans les classes élémentaires du lycée de Rochefort, puis du lycée Voltaire à Paris, jusqu’à sa retraite en 1951 ; il est l’auteur d’un manuel d’arithmétique ; révolté par la guerre, il a fait un bref passage au PCF et il restera toujours un syndicaliste ; ses carnets sont au nombre de 18.

Préface d’Antoine Prost :
– pour connaître la guerre, il faut comprendre le vécu des combattants : qui d’autre qu’eux a vraiment su ce qu’était la guerre ? ; chacun l’a décrite avec ses convictions antérieures, sa personnalité
– la situation de téléphoniste explique d’aussi bonnes conditions d’écriture
– MD a montré la solidarité du petit groupe ; le commandement ne sort pas grandi de son témoignage
– antimilitariste, son texte ne contient pas de considérations patriotiques
– il souligne le caractère précoce du mécontentement qui aboutira aux mutineries
– les chefs seraient épouvantés s’ils savaient ce que pensent les hommes ; à demi-voix ils s’entretiennent de leur hâte d’en finir par tous les moyens

« Un instituteur dans la tourmente », par André Bach
– les témoignages sont irremplaçables car le corpus échappe au discours dominant imposé et récusé par les combattants ; leur publication est un phénomène de société ; AB critique ceux qui ont parlé de « dictature du témoignage »
– on n’a pas basculé en 1914 dans un unanimisme qui aurait gommé tous les débats de société antérieurs

Carnet 1 (11 septembre – 24 décembre 1914) [les numéros en tête de ligne renvoient aux pages]
Soldat au 206e RI de Saintes
20. « Quoi que nous éprouvions, il nous faut partir en beauté »
21. blessés allemands : « les malheureux paraissent épuisés » (12/09/14)
24. pillage : orgie succédant à la fièvre du combat, aux angoisses, privations
27. en Lorraine, population à moitié boche
31-32, puis 54, 57, 64, 79. types de chefs : idiot, adoré, mauvais sujet…
36. content quand artilleurs français restent tranquilles (25/09/14)
48. tombes embellies
49. panique
55. recherche du confort
70. déserteurs allemands : ils en ont assez (11/11/14) ; mutilation volontaire
76. Nancy : promeneurs oisifs élégants
81. patrouilles françaises et allemandes font en sorte de ne pas se rencontrer
82. poilus épuisés parlent de tirer sur les gradés, sauf le capitaine qui est aimé (28/11/14) ; aussi 87, 200.

Carnet 2 (25 décembre 1914 – 6 mars 1915)
109. encouragement à avion français au combat
111. prostitution généralisée
120. comme des gosses, combat de boules de neige (entre Français)
126. angoisse à l’arrivée d’une marmite
133. pillage d’un village pour le confort des officiers

Carnet 3 (7 mars – 30 juillet 1915) Saint-Mihiel
157. fraternisations interdites
165. Bavarois préviennent qu’il vont être relevés par des Prussiens
166-167. autres cas de fraternisations
167. embusqués autour du colonel
171. concours de tir entre Français et Allemands qui tourne mal
177. hommes devenus fous sous bombardement
182. le 78e a refusé de marcher (longue note : il s’agit en fait du 63e, et c’est le drame de Flirey)
187. population civile se demande si la révolution ne va pas éclater (30/04/15)
195. exercice ridicule : attaque avec clique et drapeau
210. les Allemands voient les travailleurs, mais ne tirent pas

Carnet 4 (30 juillet – 16 septembre 1915) Lorraine
228. indigné/correspondances ouvertes (08/08/15) ; mesure rapidement suspendue
236. ennui mortel en attendant permission
239. le général demande des patrouilles ; les soldats se débinent au premier coup de feu

Carnet 5 (24 septembre 1915 – 26 février 1916)
251. permission, détresse au moment de repartir
258. les nettoyeurs ont touché un grand couteau de boucher, arme ignoble (19/10/15)
269- 272. distractions : chasse, collets, luge, football ; essai de passer dans l’auxiliaire pour myopie
275. tranchées inondées, fraternisations (31/12/15)
278. cafard, années gâchées
291. autre trêve tacite

Carnet 6 (26 février – 2 avril 1916) Verdun
306. bombardement infernal, gros calibres, dégâts, souhait de la fine blessure ; All. et Fr. en ont assez
308. prisonniers sans résistance, enchantés de leur sort
310. les Fokker maîtres des airs
312. Fr. se rendent ; All. se rendent
326. l’usure des tubes d’artillerie fausse le tir et provoque accidents

Carnet 7 (3 avril – 18 juin 1916) Hauts de Meuse
Ecrasement sous déluge de projectiles ; réparer lignes téléphoniques sans cesse rompues ; tâche dérisoire immédiatement remise en question ; et la boue…
334. désertions
361. les 75 nous tirent dessus
366. encore un refus de marcher (29/05/16)
369. bombardement formidable, pas un blessé
372. la peur de retourner à Verdun

Carnet 8 (26 juin – 21 septembre 1916)
382. trêve tacite, accords, gare aux officiers
385. attend la maladie comme une délivrance
385-387. fraternisation ; envoyez grenades à telle heure car le vieux doit venir
386. action stupide et représailles coûteuses
395. injustice en faveur des officiers pour les permissions
401. chez tous : haine pour galonnés, désespoir, souci de sauver sa peau
405. Mangin : mangeur d’hommes
407-408. cortège de blessés, horreurs
417. démoralisation de tous, même les officiers (08/09/16)
423. je ne souhaite qu’être blessé ou mourir

Carnet 9 (22 septembre – 3 décembre 1916)
435. un officier qui ne sort pas de son trou
436. joie de se trouver dans un bois verdoyant, loin du canon
444. ceux qui ont tenu depuis deux ans sont usés jusqu’à la corde

Carnet 10 (11 décembre 1916 – 8 avril 1917)
451. Propositions de paix de l’Allemagne : nous sommes étourdis, grisés ; mais les Alliés vont refuser
471. les coups de main n’ont pour but que de maintenir l’esprit offensif de la troupe

Carnet 11 (16 avril – 21 mai 1917)
Retour de permission
494. critique de Nivelle = première sincérité de la presse (02/05/17)
498. le je m’en fichisme du commandement

Carnet 12 (22 mai – 24 juillet 1917)
511. permissionnaires font état d’effervescence sur le parcours
514. au 234 on chante l’Internationale, série d’incidents
527. échos de nombreuses rébellions
529. finalement, la peur des sanctions et l’amour-propre l’emportent

Carnet 13 (3 – 27 août 1917)
551. un troupeau morne et triste, mais surveillé de près
555. des Russes, ivres

Carnet 14 (28 août – 30 octobre 1917)
578. nouvelles d’Italie (Caporetto)

Carnet 15 (11 novembre 1917 – 16 février 1918)
583. à Libourne, on ne se croirait pas en guerre
588. une femme évacuée raconte que les Boches ont coupé les mains de tous les jeunes enfants
598. comment les hommes peuvent-ils tenir ? (16/01/18)

…. Carnet 18 (31 octobre 1918 – 30 janvier 1919)
657. c’est la puissance matérielle qui permet de gagner la guerre
658. le 11 novembre 1918 : ravissement extatique
660. soldats californiens n’ont qu’une pensée : rentrer chez eux

Postface par André Bach :
Les derniers carnets montrent la lente usure morale et physique. Rescapé de Verdun, Marc Delfaud se referme sur lui-même ; il est comme en hibernation.

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Clergeau, René (1886-1920)

1. Le témoin

René-Louis-Paul Clergeau, né le 20 octobre 1886 à Sainte-Lheurine en Charente Inférieure, aujourd’hui Charente Maritime. Il est issu d’une famille d’instituteurs. Son père, Adolphe, et sa mère, Louise berthe Lebrun exerçant tous deux cette profession, comme lui-même. La guerre déclarée, il est affecté au 206e RI de Saintes, régiment dans lequel il est chargé du ravitaillement. Le 8 août 1911, il épouse à Saintes Augusta Lacan, elle même institutrice (puis professeure d’anglais, de français et de mathématique, et qui s’éteindra le 2 avril 1977), avec laquelle il a un fils né le 6 avril 1918. René Clergeau décède le 9 mars 1920 des suites des gazages reçus en 1918.

2. Le témoignage 

Clergeau, René, Les cahiers de René Clergeau, 1914-1919. La Grande Guerre au jour le jour… Villebois, La Plume du Temps, collection Histoire, 2002, 337 p.

René Clergeau, instituteur charentais affecté au 206e RI et chargé du ravitaillement, a reproduit dans 6 carnets de guerre, écrits au crayon de papier, parfois en style télégraphique, de format 110×170 mm, qu’il appelle affectueusement ses « chers petits compagnons », sa campagne contre l’Allemagne, du 12 août 1914 au 24 février 1919. Il dit dans l’introduction de ceux-ci : « Ce carnet est pour ma femme, pour mon fils, pour moi si je reviens » et nous renseigne sur sa volonté de transmettre : « J’ai donc écrit au jour le jour, tout simplement les évènements survenus durant la campagne, soit dans mon régiment, soit à moi personnellement. Je ne cherche pas à faire le plus petit étalage sensationnel de faits plus ou moins authentiques n’ayant qu’un but, celui de donner un semblant de valeur à leur acteur. (…) D’ailleurs, je ne fais point un roman mais un simple recueil qui devra aider pour ma mémoire dans l’avenir » (page 8).

Principalement affecté en Lorraine, il subit de plein fouet la bataille de Verdun dans le secteur d’Avocourt et renforce parfois d’autres secteurs en ébullition, notamment au cours de la deuxième bataille de la Marne. Caporal puis caporal-fourrier, il traverse toute la guerre sans aucune blessure – sauf une égratignure de ronce et une grippe espagnole peu active – mais il décède toutefois des suites des gazages de 1918.

3. Résumé et analyse

Formidable document d’une continuité et d’un intérêt descriptif remarquables. Instituteur, son esprit est vif et clair et sa plume, parfois sans concession. René Clergeau nous donne à lire un carnet de guerre référentiel dans la littérature testimoniale. De nombreux éléments peuvent être dégagés de son étude et sa longue affectation en Lorraine, ainsi que la vision du choc de Verdun sont autant de tableaux d’intérêt. Tout y est ; description du front, organisation du régiment, noms de lieux et de personnes, le texte ne manque pas d’informations utiles à l’Historien même si les notes s’espacent pour l’année 1918, étant regroupées mensuellement par le scripteur. Certes, René Clergeau se fait promoteur d’un certain bourrage de crâne dans les premières pages mais il ajuste ses tableaux au fil du temps et livre parfois ses sentiments, vindicatifs contre la presse ou l’arrière. Sa vision, même sommaire, des mutineries est également d’intérêt mais il est singulier de constater le laconisme du 11 novembre 1918 où René Clergeau ne semble faire montre d’aucun sentiment particulier à cette date pourtant mémorable. Cette note révèle l’attrait d’une étude psychologique pouvant être effectuée sur ce témoignage. Est-il un héros du front ? Le témoin se décrit comme un « poilu de derrière la tranchée » type de combattant auquel il rend hommage (page 160). Mais non combattant, il n’est pas un « non souffrant » et, à Culmont, le 16 février 1916, il déclare : « Mes yeux sont encore malades mais cette fois ce sont seulement les paupières, intérieurement. Si je dis cela à ma chère femme, elle va s’inquiéter et je sais d’avance quelle fâcheuse répercussion cela produirait sur sa santé, la sachant impressionnable et prête à s’alarmer. Me faire voir au major, c’est me faire évacuer, ma femme l’apprendra et se frappera encore bien plus. Evacué, je peux suivre un traitement court et rester dans la zone des armées, je pourrais revenir à mon régiment mais si le traitement est long et qu’on me fasse filer dans un hôpital de l’intérieur, c’est ensuite le dépôt et le départ pour un régiment quelconque où je ne connaîtrais personne. Tout cela m’ennuie bien et cependant je ne peux écrire cela à ma chère femme, je préfère lui mentir un peu plutôt que de l’inquiéter » (page 128). Ainsi sont résumés plusieurs raisons répondant aux questions de l’autocensure et du pourquoi ils ont tenus.

Certes il rapporte au début de la campagne qu’ « on a vu dans leurs tranchées, des hommes debout morts, se soutenant mutuellement tellement ils sont nombreux » (page 12), il souscrit à une espionnite qu’il voit durable (pages 14, 30, 96, 123 et 244), constate l’inexplosion des obus allemands, n’explosant pas dans une proportion de 20/50 (pages 12, 49 et 67) ou rapporte les ruses allemandes (pages 23 et 69), comme les puits volontairement empoisonnés par les Allemands avec leurs propres cadavres (page 40). Il dit rencontrer d’ailleurs deux agents secrets et recueillir leurs confidences (page 42). Il rapporte la lecture de l’ordre Stenger d’assassiner les prisonniers français le 20 décembre 1914, à Champenoux (page 43) ou les martyrologes, tel celui de l’instituteur d’Hoéville, revenu de captivité le 22 février 1915 (page 53). Il rapporte également des combats au corps à corps épiques et sanglants mais surréalistes, venant d’un non-combattant, et bien entendu, « les Allemands ont employé dit-on » des balles explosives et dum-dum (page 70).

Il n’est pas tendre dans son appréciation de la population locale Meurthe-et-Mosellane, qu’il trouve grossière et sale, en un tableau peu reluisant (pages 22 et 23) et décrira de même plus loin les Auvergnats ! (page 57). Son tableau d’après bataille de la récupération du matériel abandonné, souillé est intéressante (page 24) et il confirme l’utilisation du vin en remplacement d’une eau insalubre (page 26). Il renseigne à plusieurs reprises sur les pratiques mortuaires (pages 26 et 32). Il décrit l’engagement d’un enfant de troupe (page 34 mais aussi pages 78 et 99 pour savoir ce qu’il est devenu). Le 10 mars 1915, il voit des condors qu’il prend pour des Taube (page 57) ! Il rencontre également des soldats devenus fous (pages 69 ou 188) et évoque un tir ami sur un homme perdu et tué (page 100). Il évoque également des déserteurs (page 127) mais fait aussi un éloge des soldats sobres (les Martiniquais) (page 187) ! A Verdun, le 8 septembre 1916, il rapporte horrifié une attaque de Sénégalais décapiteurs « sans s’occuper d’autre chose que leur zigouillage » (page 197) qui lui fait hiérarchiser l’horreur : « la guerre du fusil est terrible, le pilonnage de l’artillerie est épouvantable mais ce massacre au couteau, ce travail de boucher est monstrueux. Quelle affreuse chose que ce corps à corps au couteau ! Non, ce n’est plus la guerre, c’est… je ne peux pas le dire » (page 198).

Côtoyant plus souvent que le poilu la gent féminine, il voit à Velaine-sous-Amance quelques jeunes filles « malades », terme militaire pour syphilitiques, et qui « trouvent quand même quelques imbéciles pour s’occuper d’elles » (page 75). Comme pour la population, la vue de ces adolescentes enceintes, ces filles malpropres, aux sales mœurs (pages 82 et 84) voire dépravées et malades (page 165) apparaît récurrente. Il évoque aussi les « légitimes » telle cette veuve deux fois ayant épousé deux frères morts successivement (page 238) ou ces femmes (dont la sienne) rejoignant presque simultanément leur mari en cantonnement parisien de repos (page 242). Il parle aussi des occupées, évoquant les relations consenties de femmes avec l’occupant allemand à Berlencourt (page 255) et a même un mot sur les femmes belges (page 264) pour lesquelles il a plus de dilection.

Comme beaucoup, il se prononce parfois sur la durée prévue de la guerre ; ainsi Clergeau pense au 22 novembre 1915 que la guerre ne peut matériellement durer plus de 2 ans (page 112).

Soldat de l’arrière, il avoue avoir acheté « pour 20 sous, une belle fusée de 130 en cuivre et une bague de 105 » pour faire faire un coupe-papier en artisanat de tranchée (page 114) dont il évoque les dangers (pages 180 et 181). Il parle de la guerre psychologique, arguant que des cadavres allemands sont laissés sciemment sur le terrain pour démoraliser l’ennemi (page 136). De sa durée aussi, criant son amertume quant au sentiment du peuple envers le soldat le 1er avril 1917 (page 176), contre les journalistes quand ils évoquent le moral du poilu à cette période (page 194 ) ou contre ceux de l’arrière « que la guerre ne touche pas » (page 222). Les mutineries sont proches, et les mouvements collectifs qu’il décrit au théâtre aux armées du camp de Bois l’Evêque, près de Toul, où la Marseillaise est sifflée en présence des officiers supérieurs, ne sont pas équivoques (page 230). Dans ce camp, il précise que la mutinerie du 17 juin 1917 est partie d’un non-paiement du prêt par les officiers de peur s’enivrement des hommes (page 231). Il n’y prend pas part et précise que « tout cela est noté sans commentaire » (page 231) mais il constate les cas, y compris des trains aux portes arrachées par les permissionnaires (page 235).

A Hoéville, le 22 février il relate l’affaire de l’évasion et de la re-capture au front d’un prisonnier de guerre allemand en bleu horizon (page 212). Devant un « essai de vaccin », il suppute le poilu cobaye médical (page 217). Il peste contre les Américains et les Anglais, plus au café qu’au front (pages 244 et 257), évoque les effets physiologiques de l’ypérite (page 262) ou l’omniprésence du gaz à Esnes, qui gâte jusqu’aux vivres (page 269). Enfin sa vision de la cote 304 et du Mort-Homme en mars 1918 est impressionnante (page 269).

Il en ressort un ouvrage formidablement intéressant sur le plan du contenu mais souffrant d’une présentation médiocre, à l’instar de la reproduction iconographique, qui font leur cette observation d’Egger, historien de la littérature : « … car des milliers d’écrits nouveaux qui se publient chaque année, il n’y a jamais qu’un petit nombre d’œuvres qui méritent d’être distinguées par leur valeur scientifique ou littéraire, et celles-là ne trouvent pas toujours des éditeurs dignes d’elles » (in Egger, Emile, Histoire du livres depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, Hetzel, ca. 1880, page 236).

Yann Prouillet, CRID14-18, décembre 2011

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