Lamothe, Louis (1887-1962) et Dalis

1. Le témoin

Né le 10 février 1887 à Mayrinhac-Lentour (Lot) dans une famille d’agriculteurs. Titulaire du certificat d’études. Catholique pratiquant par habitude, il épouse une femme pieuse, Dalis, le 21 novembre 1911. Le couple exploite avec les parents de Louis la ferme familiale de 25 ha au hameau de Sarrouil, commune de Loubressac, dans la partie Nord du département du Lot. Un enfant, né en 1912, mort en 1920. Deux autres enfants après la guerre.

Mobilisé le 2 août au 339e RI. A Gap, du 9 au 19 août ; en Lorraine, d’août 1914 à septembre 1915 ; en Champagne d’octobre 1915 à avril 1916 ; secteur de Verdun d’avril à août 1916 ; en Lorraine, de septembre 1916 à octobre 1917 ; en Italie, d’octobre 1917 à avril 1918 ; puis dans la Somme.

2. Le témoignage

Le corpus comprend 159 lettres de Louis à Dalis, 11 lettres de Dalis à Louis, et un petit carnet de 82 pages intitulé « Mes mémoires sur la guerre de 1914-1919 », écrit visiblement d’après des notes quotidiennes souvent reproduites telles quelles, mais qui s’arrête brusquement au 1er juillet 1915. Une arrière-petite-fille du couple, Edith Montil, a retrouvé les documents et les a utilisés pour un mémoire de maîtrise soutenu à l’université de Toulouse Le Mirail en septembre 2003 : De la ferme du Causse aux tranchées de la Grande Guerre : itinéraires d’un couple de paysans quercynois, Dalis et Louis Lamothe, 233 p. + Annexes. Un deuxième tome de 110 pages contient la retranscription intégrale des lettres et du carnet. Le premier tome contient des index correspondant aux lettres et au carnet : index thématique (p. 225-230) ; index des noms de lieux (p. 231-233). Egalement les photos de Louis et de Dalis.

3. Analyse

Quelques thèmes relevés dans la correspondance :

– Dès le départ, c’est le paysan qui parle (19 septembre 1914) : « Enfin, vous devez être bien gênés de mon absence, mais faites ce que vous pourrez et le reste attendra. Vous n’êtes pas les seuls car il doit manquer beaucoup d’hommes au pays. »

– Très vite, il est marqué par les pertes énormes. 19 septembre 1914 : « la plus grande partie des classes rentrées après nous [sont] allées remplacer les morts et les blessés de l’active ». 30 juin 1915 : « Tu me dis que le fils de Vernay et le fils de la couturière se sont engagés à partir de suite dans l’artillerie. Ils ont peut-être eu raison, quelqu’un leur a bien conseillé, l’artillerie est bien moins au danger que l’infanterie. » 1er septembre 1915 : « C’est bien malheureux, je pense que si ça dure tout le monde y restera. […] J’ai vu beaucoup de morts à mon régiment et presque tous étaient mariés et pères de famille. C’est terrible de voir des choses pareilles et que rien ne puisse arrêter cette boucherie. » 22 septembre : « Tu me demandes ce que je pense de cette guerre, je te dirai que je n’y connais pas grand-chose. Les Russes reculent toujours, et nous, nous sommes toujours à la même place depuis un an. Ce n’est pas sans doute par les armes qu’elle se terminera. Il s’agirait de savoir quel est celui qui tiendra le plus longtemps question d’argent, de vivres et de munitions. On ne peut guère se reporter sur les journaux car ils ne disent guère que des mensonges. »

– Dès le 25 septembre 1915, on trouve dans une lettre de Louis ce thème présent dans quelques autres témoignages : « Je comprends bien que vous n’avez pas beaucoup de grains, mais pourvu que vous en ayez presque pour vous suffire c’est le principal. Je voudrais bien que personne n’en ait que pour eux, la guerre finirait peut-être plus tôt. » Il y revient le 6 février 1916 : « Je vois bien que vous n’avez pas de goût au travail et vous avez bien un peu raison. Je voudrais que personne ne travaille que pour vivre que pour eux, et comme ça la misère viendrait peut-être dans les villes, ce qui contribuerait à accentuer la fin de la guerre. » Et le 18 septembre 1916, comme une obsession : « Je vois que les oies se vendent un bon prix. Mais ce n’est pas encore assez : il faudrait que ce soit hors de prix, que personne ne puisse rien acheter. La guerre finirait peut-être plus tôt. »

– La guerre a ses rythmes. Bombardements et attaques font de nombreuses victimes. Mais, écrit Louis le 27 août 1915 alors qu’il est au repos, « nous avons des moments qu’on ne se dirait pas à la guerre ». En ligne aussi, parfois : « Les Boches nous laissent tranquilles, et nous aussi » (17 mars 1916).

– La nourriture envoyée du « pays » est toujours la bienvenue. « Ici, écrit Louis le 19 octobre 1916, on peut bien se procurer de quoi manger mais à des prix exorbitants. Je préfère que tu m’envoies des colis de temps en temps, surtout du jambon. Si tu trouvais du saucisson, je le recevrais avec plaisir, c’est les deux choses que j’aime le plus. Pour le vin, nous le payons ici vingt sous le litre, mais aujourd’hui il est venu une coopérative militaire qui nous donne le vin à seize sous. J’en ai profité pour en prendre cinq litres pour moi. » 8 novembre 1916 : « Je t’avais annoncé que hier nous passions une revue de Président de la République. La revue n’a pas eu lieu, le Président n’est pas passé chez nous et nous avons bien fait sans lui. Tu me dis que dans le pays on ne voit pas de figures fraîches, que tout le monde est dans la tristesse, je le crois bien. Pour le front, ici, ce n’est pas tout à fait pareil, les gens sont assez joyeux. Il y en a beaucoup qui gagnent de l’argent en faisant du commerce, les femmes lavent le linge pour les soldats, tout cela leur fait de l’argent. » 23 mars 1917 : « Les riches doivent la trouver mauvaise de manger le pain national car il paraît que dans les villes il n’est pas beau, enfin ça leur apprendrait à vivre puisqu’ils sont si patriotes. Tu me parlais aussi hier que tu avais appris que la révolution était en Russie, c’est bien vrai, le tsar a été obligé d’abandonner le trône mais le nouveau gouvernement est aussi pour la guerre à outrance, ce n’est pas ce qui va lui faire finir. »

Les mémoires en disent davantage sur le plan des descriptions et on peut mieux suivre la chronologie de la guerre, jusqu’en juillet 1915 :

– Serrement de cœur à l’annonce de la mobilisation, heure angoissante du départ, mais « je pars tout de même sans verser trop de larmes, car ce n’est pas le moment de pleurer ce qui n’aurait fait qu’augmenter la douleur de ceux avec qui vous devez vous séparer ».

– Creusement des premières tranchées pour se mettre à l’abri de la mitraille dès le 23 août 1914.

– Les horreurs du champ de bataille, un officier allemand décapité par les éclats d’obus, les plaintes des blessés que l’on ne peut aller ramasser, l’enterrement de toutes les victimes de l’imbécillité humaine (11 septembre 1914).

– Vie de rapine, pillage, pour se venger d’une région infestée de traîtres et d’espions.

– L’attaque du 13 décembre 1914. Les survivants de la compagnie arrivent à la tranchée ennemie, mais le champ reste couvert de morts et de blessés. « Scènes poignantes que je n’oserai décrire ici ». L’ennemi préparant une contre-attaque, il faut abandonner le terrain gagné. La pluie s’en mêle, « aussi c’était presque difficile de reconnaître si nous étions des hommes ou de la boue qui marchait ».

4. Autres informations

MONTIL Edith, « Lettres et mémoires d’un couple de paysans quercynois sur la Grande Guerre », dans Quercy Recherche, la revue du patrimoine du Lot, n° 116, avril-juin 2004, p. 49-56.

Rémy Cazals, juillet 2008

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Chalmette, Léon (1886-1961)

1. Le témoin

Il a lui-même écrit au dos de la couverture de son carnet : « Né le 15 novembre 1886, commune du Sappey, canton de Grenoble Est, département de l’Isère. » En lisant le texte, on comprend que Léon Chalmette est cultivateur : en août 1917, en permission chez lui, il fait les foins. Fin 1917, il évoque sa fiancée Léa ; il l’épouse le 30 novembre 1918. Léon Chalmette est décédé à Lumbin (Isère) le 14 décembre 1961.

2. Le témoignage

Il s’agit d’un carnet format 10×15 trouvé par hasard, mais qui fournit quelques éléments pour en établir le contexte. Les précisions suivantes sont données au tout début : « Carnet de notes appartenant à Chalmette Léon, caporal 174e RI, 2e Compagnie, 15e escouade. » Le carnet compte 58 pages écrites. Il débute le 24 décembre 1916 et se termine le 27 mars 1919. Il y avait vraisemblablement des notes sur la période 1914-1916, mais je ne les ai pas. Nous y apprenons que Chalmette s’est trouvé à Baudricourt (Vosges) en 1916, sans autre précision. Lorsqu’il décrit une attaque à la baïonnette, le 4 mai 1917, il dit qu’il s’agit pour lui de la première fois.

Les 33 premières pages sont d’une écriture régulière avec la même encre. Elles paraissent avoir été écrites à l’hôpital en janvier ou février 1918 en reprenant des notes journalières portées sur un autre support. A partir de la sortie de l’hôpital, de fréquents changements d’encre laissent penser qu’il a poursuivi l’écriture, sinon au jour le jour, au moins en suivant la chronologie. Très lisible, bonne orthographe.

3. Analyse

Du 24 décembre 1916 (retour de permission) au 26 avril 1917, il n’est question que de repos, stage, marches et cantonnements. Le 26 avril, le régiment prend les lignes après avoir traversé les villages d’Hermonville et Cauroy, « celui-ci démoli complètement ». Quelques jours sous les obus, puis :

« Le 3, la journée se passe en bombardement, surtout de notre côté, car paraît-il que nous devons attaquer le lendemain. Le 4 mai en effet, vers les 3 h du matin, notre artillerie redouble de violence, et à 6 h 45 on saute sur le parapet, baïonnette au canon, moment tragique pour moi que c’est la première fois que je vois ça, c’est beau et c’est terrible. Un feu de barrage d’enfer nous coupe la route et cependant nous avançons toujours. Le terrain devant nous, on ne le voit presque pas, un brouillard de poussière soulevée par les obus, ainsi que la fumée produite par les éclatements d’obus, tel qu’en plein jour on y voit pas à dix mètres devant soi. Plus loin sur notre route, une mitrailleuse nous crache des balles ; on se planque dans un trou d’obus ; enfin l’on repart et l’on arrive sans trop de mal à la tranchée boche conquise (tranchée Lambert, secteur du Godat). Comment ai-je pu passer à travers de tout ça, un vrai ouragan de fer, quoi, je me le demande encore. Enfin il est 6 h du soir et encore point de mal, mais une soif qui me dévore. On a tout bu le jus des Fritz. »

L’affaire n’est pas terminée. Il faut résister aux bombardements et à deux contre-attaques avant la relève.

« Le 11 mai, l’on vient de me dire que nous remontons en première ligne ce soir. Quelle barbe ! Ce qui me console, c’est que j’espère bientôt partir en perm… Ce soir, j’ai le numéro 2 à la compagnie. Vivement 5 heures que je le sache.

12 mai. Agitation au régiment. Le 3e bataillon rouspète de remonter en ligne, et cependant il faut aller relever le 409e. Nous autres, le 1er bataillon, nous ne montons que demain. Pour moi, je m’en fous car je suis pour partir en perm. »

Après le retour de permission, déplacements, repos, puis remontée en ligne près de Reims :

« 17 juillet. Partons de Tinqueux à 21 h pour monter en ligne où nous arrivons à minuit. Nous relevons la Cie du 170e qui tient l’emplacement de la voie ferrée au secteur du Cavalier de Courcy. Triste secteur : les tranchées comblées en partie, presque pas de réseaux, et l’on est à quinze mètres des Boches. La première nuit, tout se passe bien, et le lendemain grande stupéfaction parmi nous : les Fritz se montrent et nous disent amicalement bonjour.

18 juillet. Dans le tantôt, un des leurs se rend volontairement. Il s’amène avec un bouteillon, ayant dit à ses copains qu’il allait chercher de l’eau, mais ils l’attendent encore car nous l’avons gardé. Nous lui avons donné à manger car le pauvre bougre, à ce qu’il nous a dit, depuis la veille n’a mangé qu’un petit bout de pain. Il nous dit aussi que chez eux ils n’ont plus de patates et n’ont de la viande que trois fois par semaine. Les jours suivants, tout se passe bien. Les Boches nous envoient des paquets de cigarettes et demandent du pain et du chocolat en place. Nous pouvons travailler à remettre le secteur en état à l’aise car eux font pareil, et soit d’un côté comme de l’autre personne ne tire jusqu’au 24, jour de la relève. »

Rémy Cazals, juillet 2008

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Hugo, Jean (1894-1984)

1.   Le témoin

Né à Paris le 19 novembre 1894, l’arrière-petit-fils de Victor Hugo, Jean Hugo, peintre et décorateur de théâtre, a été un acteur et un témoin privilégié des milieux littéraires et artistiques. Mais il a été aussi un acteur et un témoin de la Grande guerre. Ses souvenirs rassemblés dans Le Regard de la mémoire débutent précisément au moment où la Première Guerre mondiale vient l’arracher à un séjour effectué par la famille Hugo à Guernesey à l’occasion de l’inauguration d’une statue de Victor Hugo sur l’île. Le 5 août, il rentre sur Paris avec sa mère, sa grand-mère et la femme de chambre de celle-ci. L’aisance de la famille est patente : résidences diverses, automobile, repas fréquemment pris au restaurant, fréquentation assidue des cafés, domesticité, etc. La famille de Jean Hugo possède des relations haut placées. En mai 1917, sa mère obtient de son ami Poincaré, la mutation de Jean en tant qu’interprète auprès des troupes américaines.

Le 4 septembre, Jean Hugo reçoit sa feuille de route pour le 36e de ligne, à Caen (p. 15).

Sa qualité de bachelier le fait désigner pour le peloton des officiers (p. 18). Il suit son instruction à Bernay. Il échoue ; il est tout de même nommé caporal, puis sergent en avril 1915. Le 20 mai de la même année, il rejoint le 36e de ligne alors stationné à Fismes en Champagne. Dès le 24 il est transféré avec son régiment en Artois et cantonne à Sus-Saint-Léger.

Fin Mai 1915 : montée en ligne en Artois, au village de la Targette, non loin de Neuville-Saint-Vaast (p. 30). 4 juin 1915 : blessé lors de son premier assaut. Evacué sur l’hôpital de Saint-Malo, puis à Meudon.

11 octobre 1915, départ du dépôt avec un renfort du 36e (p. 42).

Arrivée à Verdun, début avril 16 ; plusieurs attaques.

Chemin des Dames, à la périphérie de l’offensive Nivelle. Témoin du mouvement de mutineries.

29 juillet 1917 : mutation à Gondrecourt, QG de la 1ère division américaine. Hugo traducteur du Général Sibert. Mutation obtenue par les relations de sa mère avec Poincaré.

Avril 1918 : affectation à un bataillon d’infanterie, le 1er du 28e régiment U.S. (Bois l’Evêque) (p. 102). 28 mai 1918, attaque bois de Saint-Eloi près de Cantigny. (p. 104).

Termine la guerre auprès de la 99e escadrille américaine qui ne combattit pas.

2. Le témoignage

Dans Le Regard de la mémoire, Jean Hugo jette un regard rétrospectif sur trente années d’une vie riche en rencontres (Satie, Picasso, Cocteau, Radiguet, Cendrars, Dullin, jouvet, Proust, Colette, Maritain, Dreyer, Max Jacob, etc.), bornée par les deux guerres mondiales. Plusieurs indices permettent d’indiquer que les passages regardant la Grande Guerre ont été rédigés après la Seconde Guerre mondiale : « On m’affecta bientôt au 3e bureau, chargé des opérations […]. Son chef était le jeune major Marshall, qui devint plus tard célèbre… » (p. 94) ; « enfin le 3 septembre [1918], je passai le commandement à Koenig, qui restait dans l’armée où il devait faire une carrière glorieuse et devenir le vainqueur de Bir Hakeim… » (p. 128). Nous ne disposons pas d’informations précises sur la rédaction de ces mémoires. Nous ignorons également si le rédacteur a pu s’appuyer sur les notes d’un journal. Toutefois, certaines précisions de dates, de noms de lieux, de noms de camarades laissent à penser que malgré leur rédaction tardive, ces souvenirs se sont appuyés sur des notes précises.

Une partie  de ces souvenirs ont été publiés une première fois en 1976 chez Fayard sous le titre Avant d’oublier. En 1984, l’intégralité de ces mémoires ont été publiés par les éditions Actes sud sous le titre Le Regard de la mémoire. L’édition utilisée ici est une édition de poche de la collection Babel des éditions Actes sud parue en 1989. Cette édition s’accompagne d’un avant-propos signé Raymond Jean.

Le témoignage intéressant l’histoire de la Grande Guerre court de la page 11 à la page 109 d’un ouvrage qui en compte 585.

3.   L’analyse

Le départ des réservistes en gare de Granville, le 6 août 1914 : « […] le régiment de réserve du 2e de ligne, le 202e , s’embarquait. Les hommes avaient des barbes de plusieurs jours et des fleurs au bout de leur fusil. Sur les wagons, ornés de branchages, des guirlandes entouraient les mots « à Berlin », écrits à la craie » (p. 12)

Un mois plus tard, l’ambiance n’est plus aussi enthousiaste : Jean Hugo rapporte des propos que sa grand-mère aurait entendu durant une halte nocturne à Poitiers le 3 septembre : « Toute la nuit des trains de blessés passèrent. Elle entendit des femmes crier dans la rue : – Assez ! On tue tous nos enfants ! On tue tout, et quand même l’ennemi avance ! Ça ne peut pas durer ! »

ARTOIS

Fin Mai 1915 : montée en ligne en Artois, au village de la Targette, non loin de Neuville-Saint-Vaast (p. 30).

Dans un abri, sous un bombardement ; Hugo est secoué par l’explosion d’un obus qui tue un homme à ses côtés (p. 31-32) ; les difficultés d’évacuation du cadavre (p. 33)

Le 4 juin, montée en première ligne et le premier Assaut : « Les soldats se lamentaient : – C’est-il pas malheureux de faire massacrer les bonhommes comme ça !

Des objets passaient de main en main : des lettres, des grenades, un vieux fromage presque liquide […]. Les canons français tiraient un peu court ; parfois un obus tombait dans le verger. Nous regardions voler les torpilles ; elles s’arrêtaient en l’air, indécises, comme des éperviers, puis piquaient du nez, et tout tremblait… » (p. 35)

La blessure. (p. 36-37)

Religion et religiosité : Hugo est évacué sur l’hôpital de Saint-Malo ; les infirmières : « […] Les religieuses me firent chanter des cantiques, à la messe, et le clairon de Déroulède. » (p. 38)

Ambulance américaine du Chesnay : « Soeur Marthe me donna un paroissien du soldat. Cette semaine de douceur au Chesnay fut ma première rencontre avec la Sainte-Vierge » (p. 41).

Messe : « La Toussaint tombant un lundi, tout le régiment assista à la messe trois jours de suite. Beaucoup y allaient pour passer le temps… » (p. 45.)

Rituels :

13 octobre 1915 : une exécution : « L’homme s’était enfui de la ligne de feu lors de l’attaque du 25 septembre. » (p. 44)

Autre prise d’armes, huit jours plus tard ; remise de décorations (p 44). A ce sujet, voir Marie-Anne Paveau, « Citations à l’ordre et croix de guerre. Fonctions des sanctions positives dans la guerre de 1914-1918 », in Rémy Cazals, Emmanuelle Picard, Denis Rolland, La Grande Guerre Pratiques et expériences, toulouse, Privat, 2005, p. 247-258.

25 octobre : embarqués à Frévent pour Ailly-sur-Noye en « wagons à bestiaux » (p. 44)

Bordels militaires : Bordel d’Ailly (p. 44) ; Toul, janvier 1918 : « […] Dans la rue voisine, comme au XVe siècle, se trouvait le bordel avec sa façade en damier jaune et vert, le gros numéro au milieu. Un phonographe chantait derrière les fenêtres grillées. Tout un bataillon américain descendu les tranchées emplissait la rue ; chaque soldat attendait son tour. » (p. 101)

La boue :

14 novembre, départ d’Ailly-sur-Noye ; passage à Gentelles ; décembre : Fontaine-les-Cappy  (p. 47). « […] Parfois quelques torpilles tombaient et éclataient à grand bruit : les trous qu’elles faisaient devenaient vite des lacs. L’épaisse bouillie pénétrait partout. Les fusils étaient inutilisables. D’ailleurs nous n’étions là que pour sauter en l’air, dans un geyser de boue, si les silésiens sous nos pieds triomphaient des Flamands… » (p. 48-49)

Soldats originaires des Alpes.

« Ils ne savaient ni lire ni écrire et ne parlaient guère le français. Ils se mettaient en cercle et se racontaient en provençal des histoires de leurs montagnes… » (p. 51)

Patrouille : « un soir de janvier [1916], j’allai en patrouille avec le lieutenant Cabouat et quelques hommes. Arrivés devant le réseau de fils de fer allemand, nous nous mîmes à plat ventre sur l’herbe rase. La sentinelle, à dix pas de nous, toussait et se mouchait… » (p. 52-53)

Civils dont certains sont peu hospitaliers : 14 février, repos à l’arrière. Rainecourt ; Renancourt (faubourgs d’Amiens) ; Grandvilliers-aux-Bois, (p. 55)

VERDUN

La réputation de Verdun : « enfin Bettencourt-la-Longue, en Lorraine. Là, les automobilistes qui faisaient le service de Verdun nous disent :

– Nous revenons toujours avec la moitié des camions vides. » (p. 56)

Arrivée à Verdun, début avril 16 : « Nous voyions passer devant la porte les troupes qui descendaient de la bataille ; un adjudant et dix soldat hagards, c’est tout ce qui restait d’une compagnie » (p. 57) ; montée en ligne durant la nuit (p. 58-59).

Euphémisation ? « Un grand infirmier noueux et barbu faisait dans les bois la chasse aux cadavres. Ses mains et ses vêtements sentaient la pourriture. Il retrouvait sous les ronces les morts des premiers jours de la bataille, vieux d’un mois et demi, déjà secs et collés à la terre. Il ramassait aussi des mains et des pieds dépareillés, des lambeaux de capote où adhéraient d’informes quartiers de viande humaine…» (p. 59) ; (p. 61) ; « Devant la première ligne, des cadavres allemands tout secs et noirs, semblables à des parapluies cassés, étaient restés accrochés aux fils de fer » (p. 79).

L’angoisse des hommes avant l’attaque (p. 60).

L’assaut du 13 avril 1916 (p. 62-63) ; la contre-attaque allemande (p. 63) : « On fit le bilan. Ma compagnie avait perdu la moitié de son effectif et presque tous ses cadres. […] Nous avions fait des prisonniers, l’ennemi nous en avait fait ; nous avions conquis un bout de terrain, l’ennemi nous l’avait repris. Il ne faut pas chercher à comprendre, dit l’adage militaire. » (p. 65)

Tournée du chansonnier Botrel aux Armées qui fait un flop lorsqu’il veut faire reprendre en choeur aux soldats ses refrains patriotiques (p. 67)

Croix de guerre ; cérémonie ; peu après (mai 1916): « On nous embarqua dans les camions, à Tannois dans la vallée de l’Ornain. Les soldats murmuraient : – C’est toujours les mêmes qui se font tuer.. » (p. 67);

Cantonnement à Dugny ; puis Fleury-devant-Douaumont ;

Montée en ligne le 22 mai 1916 ; violent bombardement : « Se faire tuer sur place, dit-on. Mais l’eussions-nous voulu, il n’y avait pas moyen de fuir. » (p. 69)

Un des sergents perd la raison (p. 69)

Repos à la Houpette, hameau étiré en longueur de chaque côté de la grand-route de Saint-Dizier à Ligny (p 74).

Théâtre aux Armées, Marguerite Moreno (p. 74)

Montée en ligne dans les forêts des Hauts-de-Meuse ; village de Mouilly ; été-automne-hiver ; tranchées de Sommière-du-Loclont ; Les Eparges (p. 80);

CHEMIN DES DAMES

1917 : en marge de l’offensive du Chemin des Dames (p. 84-85) ; Le 16, départ d’Arcis-le-Ponsart ;  « nous n’allâmes pas plus loin que Breuil-sur-Vesles ». Marches et contre-marches. (p. 85)

Mutineries : (p. 87-90) ; après la reprise en mains, montée en ligne dans le secteur d’Essigny-le-Grand (juillet 1917): « Nous allions en patrouille chaque soir : il fallait faire des prisonniers, pour réhabiliter le régiment » (p. 90).

Mutation… : « Après la mutinerie du mois de mai, humilié et dégoûté, j’avais demandé à ma famille d’essayer d’obtenir mon changement de corps. Painlevé, que ma mère connaissait bien, était alors ministre et la chose fut facile. Mais, maintenant que mon régiment avait repris le combat et que ses faiblesses paraissaient oubliées, je n’avais plus envie de le quitter. Dire adieu au commandant Ménager, à mes frères d’armes La Crouée et Gerdolle, à mon ordonnance, le brave et fidèle Besnard, à mes soldats que j’aimais tant, dont certains étaient avec moi depuis 1915 – j’en avais le cœur fendu. Je dus cependant repartir aussitôt, et retourner à Paris. « Il s’embusque », ont dû penser mes camarades ». (p. 91)

Avec les Américains : le général Sibert demande « Comment chauffe-t-on les granges l’hiver ? » (p. 92) ; Affecté au 3e bureau, chargé des opérations. « Son chef était le jeune major Marshall, qui devint plus tard célèbre. Je traduisais en soupirant des circulaires et des règlements » (p. 94) ; « en octobre [1917], la division Bordeaux prit les tranchées, dans ce qu’on appelait le Grand Couronné de Nancy. A la Toussaint, on lui donna quelques bataillons américains qui occupèrent le secteur d’Arraucourt et du ruisseau de la Loutre Noire. Je fus envoyé auprès du général à Sommerviller, village situé sur la rivière Sânon et le canal de la Marne au Rhin, non loin de Saint-Nicolas-du-Port.

Attaque, 28 mai 1918, bois de Saint-Eloi (p. 104) ; l’entrain des Américains pour l’assaut ; des prisonniers égorgés à la sortie de leur abri (p. 104); la difficulté des Américains à supporter passivement un bombardement ; leur panique : « […] Je menaçai les fuyards et je tirai en l’air. D’autres parurent. Le jeune capitaine les injuria et déchargea sur eux son gros pistolet ; bon tireur, comme tous ses compatriotes, il brisa la jambe à l’un d’eux…. » (p. 104)

La nouveauté représentée par le bombardement aérien : « […] Jusque-là l’aviation s’était bornée à des transports de photographes, à des combats d’oiseaux dans le ciel et à quelques massacres de femmes et d’enfants. Elle entrait maintenant dans notre vie de fantassins. Le je ne sais quoi de hasardeux des bombes d’avion est plus énervant que le tir des canons, dont on peut, ou dont on croit pouvoir deviner le champ d’action. Et puis la guerre durait et le courage s’use. Je ne me sentais pas très brave dans ce village de folleville » (p. 105)

Frédéric Rousseau, mai 2008.

Identification du frère d’arme « La Crouée »

Ayant récemment pris connaissance de la publication en ligne du témoignage de Jean Hugo, je peux l’enrichir en complétant le nom d’un de ses frères d’arme, qu’il cite dans le passage relatif à sa mutation, après une mutinerie.

En effet, je suis le petit-fils de celui qu’il nomme « La Crouée« .

Mon grand-père : Gérard Thiébauld de la Crouée, était capitaine au 36ème R.I. et avait été recruté à Caen (classe 1906), comme Jean Hugo.

Il fut tué le 20 mai 1918, en même temps que son lieutenant (Gerdolle), lors d’un assaut pour la prise du Mont Kemmel. Tous deux reposent dans le cimetière de Lyssenthoech (Belgique).

Mon grand-père habitait à Caen, chez son père, lequel était peintre (comme Jean Hugo) ainsi que sculpteur, d’où probablement des affinités artistiques.

Cet additif apportera aussi une réponse à la question qui était posée en septembre 2008, par Geoffroy de la Crouée.

Vous remerciant de rattacher cette information à ladite publication.

Et vous faisant part de ma considération, au regard du large intérêt que présentent les diffusions de votre site.

Expéditeur : Christian Thiébauld de la Crouée (christian.thiebauld@outlook.fr)

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Morin, Émile (1895-1980)

1. Le témoin

Né le 2 janvier 1895 à La Neuvelle-lès-Scey (Haute-Saône) dans une famille paysanne de six enfants. École normale d’instituteurs de Chaumont. Appelé de la classe 15, sergent en juillet 1915, sous-lieutenant en mai 1917. Avec le 60e RI en Champagne où il est blessé (septembre 1915) ; avec le 42e dans la Somme en septembre 1916 ; dans l’Aisne au printemps 1917, à Verdun en octobre ; deuxième bataille de la Marne où il est à nouveau blessé en juillet 1918. Emile Morin se marie en 1919. Il exerce les fonctions d’instituteur jusqu’en 1951 et milite au sein d’associations d’anciens combattants. Il meurt en 1980.

2. Le témoignage

Emile Morin, Lieutenant Morin, combattant de la guerre 1914-1918, Besançon, Cêtre, 2002, 336 p., illustrations.

Retrouvé et publié par son fils, son témoignage suit de près les notes prises au jour le jour.

3. Analyse

On y retrouve, concrètement exposés les gestes du soldat puis du gradé de la tranchée : poser un réseau de fils de fer ; lutter contre la boue ; fabriquer cannes, bagues et autres objets ; pester contre les chefs, les embusqués, le bourrage de crâne et l’incompréhension de l’arrière… Mais aussi des remarques plus fines sur l’hostilité des fantassins pour « les crapouillots » dont le tir va provoquer des représailles ; l’apprentissage des jeunes auprès des anciens ; les trêves tacites ; « les bruits de la nuit » ; les symptômes précurseurs de l’attaque ; la participation aux soins à des blessés français d’infirmiers allemands capturés… Il ironise sur l’exaltation par l’arrière de la baïonnette et du corps à corps ; il note le rejet par la majorité des combattants des coutelas de boucher qu’on leur distribue en septembre 1915 (voir aussi Louis Barthas) ; il condamne les massacres inutiles de Champagne et d’Artois. Il écrit un passage sur le scandale de l’exécution du soldat Bersot et les pèlerinages de ses camarades sur le lieu du crime. Le long passage sur les mutineries du 6 juin 1917 à Ville-en-Tardenois est à verser au dossier de ce mouvement de révolte au sein de l’armée française (largement cité dans le livre de Denis Rolland, La grève des tranchées. Les mutineries de 1917, Paris, Imago, 2005).

Vers la fin de son texte, Émile Morin écrit : « Ayant survécu, j’avais atteint l’objectif qui, pour tous les Poilus, s’était placé depuis longtemps avant tous les autres buts de guerre, qu’il s’agisse de la délivrance de l’Alsace et de la Lorraine, ou de la défense du Droit et de la Liberté ! »

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