Aubry, Victor (1882-1915)

Trois carnets de route de paysans bretons, Plessala, Bretagne 14-18, 2004, 55 p. Ce petit ouvrage regroupe trois témoignages de guerre fort différents.
De Victor Aubry, nous savons peu de choses. Modeste paysan de Bréhan-Loudéac (Morbihan), ce père de famille, mobilisé au 1er régiment d’artillerie colonial de Cherbourg, y fit toute sa guerre. Chaque jour, il jetait quelques notes sur un petit carnet, du 12 août 1914, date de son départ, jusqu’au 11 juillet 1915, lorsqu’il cessa de noircir ce petit confident. Parfois quelques mots, parfois plus quand, comme en Champagne pendant l’automne 1914 et l’hiver 1914-15, le régiment est en ligne. Rien de bien important (5 pages 21×29,7), rien de bien exceptionnel, rien que le quotidien de journées mornes avec quelques moments angoissants et le souci de ne pas oublier sa comptabilité personnelle. Le 25 septembre 1915, Victor tombe à la Main de Massiges, dans le secteur occupé depuis près d’un an. Ses camarades, avant de l’inhumer, recueillent le précieux carnet et l’adressent à sa veuve. La fiche de Mémoire des Hommes donne sa date de naissance : le 4 février 1882 à Bréhan-Loudéac.

René Richard, Bretagne 14-18

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Glannes, André (1894-1916)

« Au moment de rentrer en campagne, j’ai besoin plus que jamais de l’assistance divine. » C’est par ces mots que débute le carnet de guerre d’André Glannes, jeune séminariste lot-et-garonnais né à Tonneins le 19 janvier 1894, partant au front en avril 1915. D’abord simple soldat puis caporal au 7e RI de Cahors avant de rejoindre le 20e RI de Marmande en octobre 1915, il décède des suites de blessures reçues à Verdun en première ligne en juillet 1916, un an après avoir connu le feu. Il laisse à sa famille un carnet rouge dans lequel il a retranscrit ses impressions à partir de son départ vers le front. Son récit est marqué tout à la fois par ses convictions chrétiennes et par un souci de raconter simplement ce qu’il vit. Les références à Dieu, à l’épreuve, au martyre se croisent souvent, alors que le jeune André dit se battre parce qu’« on attaque [ses] croyances ». La guerre apparaît pour lui comme un temps de régénérescence (13 juin 1915). André reste d’abord en retrait de la ligne de feu jusqu’en septembre 1916, notant sporadiquement quelques faits saillants dans lesquels pointe l’amertume d’une attente forcée : « On dirait qu’il est écrit que jamais je ne mettrai les pieds dans les tranchées » (26 septembre 1915). La guerre se résume alors à une pesante « vie de cantonnement », quelques observations des populations et des modes de culture (2 juin1915), au bruit lointain du canon. La découverte des tranchées le plonge dans une « vie nouvelle, faite de peines, de fatigues, d’angoisses, de périls, de privations », mais qui exalte sa foi et sa croyance en la protection divine. Sa foi l’aide à tenir et parfois à exprimer quelque compassion pour l’ennemi.
Dans la Somme, à Arras, puis près de Nancy, il note par intermittence, lorsqu’il en a le loisir, les épisodes qu’il juge remarquables : ses rencontres avec son frère ; le troc développé avec les civils ; la rencontre avec les cadavres pourrissant sur le champ de bataille ; les Méridionaux comparés à des « produits alcooliques » ; l’importance des duels d’artillerie sur lesquels les fantassins n’ont pas de prise ; les relèves pleines d’imprévus qui énervent les hommes. Le 31 décembre 1915, il lance aux Allemands, « en boche », une « Bonne année, vieilles charognes » après qu’un « Gunt Jahr » soit parti des lignes allemandes, et c’est le colonel qui, trouvant la nuit trop calme, fait tirer le 75 et les crapouillots. André exprime son ressentiment envers les Allemands lorsque des camarades tombent près de lui : « Désormais entre eux et moi, ce sera à la vie, à la mort », écrit-il en avril 1916. Et c’est bien la mort qui l’attend quelques semaines après son arrivée à Verdun. Avant cela, un passage par la Marne oblige les fantassins à se souvenir : « Le cafard s’empare de tous ceux qui ont fait la Marne en 1914 » (27 avril 1916). Cette remarque montre combien il est nécessaire d’appréhender les expériences combattantes en prenant en compte l’épaisseur des mémoires plurielles élaborées durant le conflit.
Le témoignage d’André Glannes, tout en offrant des indices précis et précieux du quotidien des fantassins « au ras du sol », souligne combien les facteurs de la ténacité doivent être recherchés dans de nombreuses directions. Sans que le type de soutien moral de ce fervent chrétien soit généralisable à l’ensemble des combattants.
Alexandre Lafon
* Alain Glayroux, Portraits de Poilus du Tonneinquais 1914-1918, Tonneins, La Mémoire du Fleuve, 2006, p. 65-123.

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Mascaras, Paul (1894-1955)

Fils unique de bijoutiers d’Albi (Tarn), il naît à Toulouse le 5 septembre 1894. Études au lycée Lapérouse d’Albi, puis aux Beaux-Arts à Toulouse. Passionné de photographie. Catholique pratiquant. Devance l’appel pour pouvoir choisir son régiment et rester près de chez lui. La guerre le trouve donc au 15e RI d’Albi, où il a obtenu le grade de caporal. Commotionné par un bombardement en novembre 1914, il est évacué vers Lourdes, puis il effectue un stage à Nice avant de remonter comme sergent mitrailleur au 1er RI, puis sous-lieutenant. Il participe aux deux batailles de Champagne en 1915. L’année suivante, il est à Verdun en mars (côte du Poivre) et dans la Somme en août et septembre (Maurepas, Combles). Son régiment subit de lourdes pertes au cours de l’offensive Nivelle à Craonne et au plateau de Californie. D’août à octobre 1917, il appuie l’armée anglaise à Passchendaele. Il demande à être muté dans l’arme aérienne et l’annonce à ses parents dès janvier 1918 : « Je n’agis pas à la légère. Souhaitez que je rentre dans l’aviation. » Mais il doit encore, fin mars-début avril 1918, combattre pour la défense de Noyon au cours de l’offensive Ludendorff. À partir du 5 avril, tout change ; il passe de l’école d’aviation militaire de Dijon à l’école de pilotage de Levroux-Vineuil (Indre), où il bousille « un zinc qui ne volera plus, je vous l’assure », à celle de Pau et enfin à l’école de tir aérien de Biscarrosse. Le 11 novembre arrive alors qu’il n’est pas encore reparti vers le front ; son petit-fils pense que le choix de l’aviation, malgré les risques, lui a sauvé la vie. Après la guerre, il reprend le petit commerce familial, mais continue à s’intéresser à l’aviation civile comme instructeur et examinateur, ainsi qu’au rugby au Sporting Club albigeois.
Son petit-fils, Pierre, a retrouvé dans le grenier de la maison familiale une malle contenant le témoignage du combattant de 14-18 : deux carnets de route ; 1200 lettres adressées à ses parents ; 200 photos. Il a utilisé ce corpus en donnant des articles à la Revue du Tarn et en organisant, avec le service départemental de l’ONAC une exposition pour le Centenaire. Certaines de ces lettres furent ouvertes par le contrôle postal militaire, notamment en mai 1917, époque des mutineries, mais il n’y avait rien à censurer. Par contre, dans une autre lettre, du 19 juin 1915, deux pages sont caviardées, mais de façon tellement maladroite qu’on peut lire tout le texte sans trop de difficulté, un récit de fraternisation en première ligne, du côté de Sapigneul : « Nos tranchées sont parfois à 6 ou 8 mètres de distance. Je viens à l’instant de causer un petit brin avec les Boches qui nous disent qu’ils en ont assez. Ils viennent de m’envoyer un boîte de cigares et mes poilus, en échange ont envoyé deux journaux, Le Matin et Le Petit Journal ainsi que quelques billes de chocolat. Nous nous voyons car personne ne se cache et ne se tire un coup de fusil. » Les photos prises par le mitrailleur représentent son équipe et son matériel, sa cagna, un groupe de prisonniers allemands blessés à Maurepas, fin août 1916, des prisonniers transportant des blessés sur un brancard, puis quelques clichés du jeune pilote.
Rémy Cazals
* Articles de Pierre Mascaras dans la Revue du Tarn n° 188, hiver 2002, p. 637-656 et n° 196, hiver 2004, p. 695-710. Catalogue d’exposition, Fragments de Vie, Paul Mascaras, un Albigeois dans la Grande Guerre, Albi, ONAC, s. d., 54 p.

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Devoise, Emile (1886-1971)

Cet ouvrier du cuir est né à Romans (Drôme) le 23 mars 1886. Partisan d’un christianisme social, il est proche du Sillon de Marc Sangnier. Il est mobilisé au 252e RI en août 1914. Le 26 octobre, il entreprend de mettre au propre, sur un petit carnet, les impressions et les faits consignés au jour le jour dans les moments de loisir que lui laissent ses fonctions de cuisinier. Les notes vont ainsi du 2 août au 13 novembre. Peut-être existait-il d’autres carnets, mais ils n’ont pas été conservés.
Voici ses impressions du 2 août 1914 : « La générale vient de sonner. La République a jeté l’appel : aux armes, citoyens ! Les premiers moments d’effroi passés (une guerre au XXe siècle, est-ce possible ?), le peuple a répondu présent. L’enthousiasme est délirant, impressionnant, on envisage le sacrifice suprême avec sang-froid. C’est pour la civilisation que nous luttons, et nous, républicains, nous sentons que notre devoir est là tout entier car, vainqueurs, et nous le serons, nous ouvrirons des horizons nouveaux aux peuples écrasés par les tyrans, et les appellerons à communier à notre idéal de liberté et de fraternité. Nous aurons accompli le labeur, si dur soit-il, que nous impose l’évolution démocratique. C’est la guerre à la guerre. La caste militaire prussienne est jugée. L’épée de Damoclès qu’elle laissait suspendue sur la tête de l’Europe s’abattra sur elle et l’anéantira, donnant enfin aux peuples des possibilités de travailler à leur bien-être, en diminuant les charges militaires qui nous écrasent. » Dans le courant d’août et septembre, Émile découvre les réalités, les blessés, les morts, les villages qui brûlent, « l’horreur du champ de bataille ». « Quelle terrible calamité que la guerre ! », écrit-il le 5 septembre. Il condamne les pillages opérés par les Français eux-mêmes : « Tous les intérieurs ont été saccagés ; les souvenirs les plus chers traînent dans un désordre indescriptible. Une bonne femme, avec son enfant, à laquelle nous offrons de partager notre repas (elle accepte), se plaint ; on a, jusqu’aux jouets de son petit, tout cassé, rien n’a été épargné. » La veille, 13 septembre, il avait noté qu’un Allemand capturé était tout étonné de constater que les Français ne torturaient pas les prisonniers ; et qu’un caporal français blessé avait été réconforté par les ennemis sur le champ de bataille. Le 13 novembre 1914, le carnet se termine sur « la certitude que nous entrons dans la victoire finale », victoire qui sera payée fort cher, mais « la lutte suprême contre cet horrible cauchemar qu’était le militarisme » est nécessaire. Ce « moloch impitoyable » va mourir. « Et nous pourrons désormais saluer l’aurore d’une Europe réconciliée, laborieuse et fraternelle. » En novembre 1914, c’est une prédiction bien idéaliste. On ignore tout d’une éventuelle évolution de l’auteur au cours de la guerre.
Les présentateurs du témoignage nous disent que ses compétences dans les métiers du cuir et « ses engagements favorables à la Résistance » lui valurent d’être nommé à la Libération, en 1944, à la direction d’une entreprise de tannerie de Romans « dont les dirigeants s’étaient quelque peu fourvoyés dans la collaboration ».
Rémy Cazals
* Je suis mouton comme les autres, Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., Valence, Peuple libre et Notre Temps, 2002, p. 468-483.

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Chaléat, Louis (1877-1942)

Cultivateur, marié, deux enfants, il a 37 ans en 1914 (né à Livron, Drôme, le 3 septembre 1877). Ses lettres de guerre se préoccupent de « ce qui se passe au pays » et donnent à sa femme des conseils pour le travail agricole : « Maintenant, tu me dis que vous avez avancé votre travail et que vous pourrez enfin soigner votre bétail. Vous ferez comme vous pourrez, car il ne faut guère compter sur moi. Vous engraisserez les moutons et tout à votre guise ; pour le fourrage, s’il ne vaut pas d’argent, garde bien ce qu’il faut, mais les pommes de terre, vends-les, cela te débarrassera et te fera de l’argent. Maintenant, pour l’engrais aux fourrages, vous ferez comme vous l’entendrez, mais je te conseille pas d’en mettre si tôt, surtout à la Ramière, car s’il venait m’arriver malheur et que vous ne puissiez continuer, ce serait de l’argent perdu pour vous. »
Un long extrait (3 septembre 1915) éclaire la situation et les sentiments de Louis : « Ma chère Eugénie, j’ai reçu avec grand plaisir ta lettre en m’apprenant que vous êtes tous en bonne santé. Je puis vous en dire de même, je me porte assez bien quoique ayant tous les jours les jambes raides et les reins courbaturés. L’on ne peut de moins faire : il ne fait que pleuvoir, l’on est toujours mouillés, il faut que les effets se sèchent sur toi, tu es éloigné de tout endroit habité et tu ne peux te soigner. Et par comble de bonheur, le colis que tu m’as envoyé et qui m’aurait tant rendu service, je n’ai eu le plaisir d’en profiter, l’on me l’a volé dans ma musette du temps que je n’y étais pas. Par bonheur j’avais pris un picodon [petit fromage de chèvre] et le nougat. Ils ont répudié la petite boîte de thon, mais m’ont pris le saucisson et deux picodons. Et je te jure que quand je m’en suis aperçu, j’en aurais pleuré tant cela allait me rendre service et que toi tu te sacrifies et t’en prives ainsi que les enfants pour améliorer mon sort. Mais que veux-tu, jamais il ne m’avait rien manqué, mais il ne faut qu’un bandit pour faire ces tours-là ; mais avec cela, je ferai comme si j’en avais profité et je t’en remercie bien quand même. Tu me dis sur ta lettre que tu allais battre et que tu avais bien du tourment. Tâche de ne pas t’en faire trop et te soigner le plus possible, car il faut songer que tu as deux enfants à élever et qui ont encore besoin de toi et de tes conseils. Mais ce qui me console c’est que tu es capable d’en faire de bons citoyens. »
Les diverses lettres décrivent la vie « souterraine », dans des « terriers », sous la pluie ; la boue et les pieds gelés ; les rats, les poux, les puces qui « nous vont faire la guerre autant que les Boches ». Il faut vivre en pensant « que cette maudite guerre n’a pas de fin et tant qu’il restera un homme valide cela ne finira pas. Et pour en arriver à ce but, cela va être long et je te réponds que ceux qui sont été tués au début ont eu rudement de la chance car ils n’ont pas eu la souffrance que nous avons eue » (29 juin 1915). Comme beaucoup d’hommes des tranchées, Louis exprime la hantise d’une nouvelle campagne d’hiver (17 juillet 1915). Dès le 9 novembre 1914, il avait remarqué avec un grand bon sens : « Ce sera, je le crois, le plus qui pourra résister en vivres qui aura la victoire.»
Louis Chaléat (294e RI) a combattu dans la Marne, de l’automne 1914 à l’été 1915 ; après une période d’hospitalisation et de convalescence, il est revenu en 1916 en Champagne, dans la Somme et l’Aisne. Blessé au bras droit en juin 1917, il est resté handicapé par sa blessure.
Rémy Cazals
* Je suis mouton comme les autres, Lettres, carnets et mémoires de poilus drômois et de leurs familles, présentés par Jean-Pierre Bernard et al., Valence, Peuple libre et Notre Temps, 2002, p. 283-302.

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Waag, Félix (1894-1989)

Né de parents alsaciens à Rouffach en 1894, Félix Waag grandit à Sarreinsming en Lorraine annexée. Après un baccalauréat technique, il effectue à partir de septembre 1912 son service militaire en tant que volontaire annuel (privilège réservé aux bacheliers) au sein du 8e bataillon de chasseurs à pied de Sélestat. En 1913, il obtient le diplôme de garde forestier, mais préfère travailler dans les mines de charbon. La mobilisation générale d’août 1914 interrompt le stage qu’il effectue aux houillères de Forbach ; il est alors mobilisé en qualité de sous-officier au 17e régiment d’infanterie de Morhange. A la tête de sa section, il participe aux combats de Lorraine dans le secteur de Dieuze, au cours desquels il est blessé à la jambe par un éclat d’obus. D’abord transféré dans un hôpital près de Francfort, il achève sa convalescence au sein du bataillon de réserve de son régiment à Herford (Westphalie), puis bénéficie d’une permission. Accompagné de sa mère, il en profite pour rendre visite à son père mobilisé dans la réserve territoriale et stationné à Barr (Alsace). De retour à Herford, il est employé à former les recrues jusqu’en décembre 1914, puis rejoint son régiment sur le front de la Somme, près de Péronne. Fin janvier 1915, son régiment est transféré en Prusse orientale. Il y est décoré de la Croix de fer 2e classe, puis nommé sous-lieutenant. Le 27 août, il est blessé par balle lors du siège de Kaunas. On l’évacue vers l’hôpital militaire de Königsberg, puis il retourne à Herford et y reprend ses activités d’instructeur. Le 1er novembre, il est incorporé au 55e régiment d’infanterie de la Landwehr à Clèves. Jusqu’au 10 janvier 1916, il profite des charmes de cette ville en dehors de ses heures de formateur, puis est envoyé en Picardie dans le secteur des monts Saint-Aubin et du Plémont, assez calme à ce moment. Il y commande la compagnie pendant les permissions de son commandant. Au début de l’année 1917, il se distingue lors d’offensives ennemies, ce qui lui vaut d’être décoré de la Croix de fer 1ère classe. Vers le 20 mars, il repart pour le front oriental, en direction de la Galicie où il stationne jusque fin 1917. Il y assiste à un mouvement de fraternisation des troupes russes : « nous acceptâmes naturellement » (p.41), ce qui était moins du goût de sa hiérarchie qui y coupa court. En juin, il est temporairement détaché dans une compagnie de lance-mines. En juillet, il a l’honneur d’être félicité par l’empereur Guillaume II en personne, qui, lors du passage en revue de sa compagnie, s’arrêta à sa hauteur en apercevant sa Croix de fer. De la fin novembre 1917 à janvier 1918, il suit des cours pour devenir commandant de compagnie. A partir de janvier, il participe à l’occupation allemande d’anciens territoires russes : il commande la garnison militaire dans le secteur de Genitschesk (nord-est de la Crimée). Détenant le pouvoir militaire, il fréquente l’élite locale et profite de conditions de vie agréables jusqu’au 19 avril 1918, date à laquelle il est à nouveau muté sur le front occidental. Comme d’autres officiers rapatriés, il bénéficie d’abord d’une permission de huit jours à Cologne, puis d’une période d’exercice dans un camp d’entraînement à Gand en Belgique. Là, il constate avec effroi des comportements d’insubordination parmi les nouvelles recrues. Le 2 juillet, il est affecté comme chef de compagnie au 60e IR, et parcourt dès lors le front « partout où ça chauffait » (p.52). Vers la fin de juillet 1918, il est blessé par balle à l’aisselle près de Fresnoy-lès-Roye, emmené à l’hôpital militaire de Saint-Quentin puis transféré à Fribourg. Le 24 août, il est envoyé pour un mois de convalescence à Badenweiler, une station thermale de Forêt-Noire. Son avant-bras gauche demeurant à moitié paralysé, il part subir un traitement par électrochocs à l’hôpital d’Eisenach (Thuringe). Le 21 octobre, il est de retour à Wissembourg, sa nouvelle ville de garnison, et le 27 il obtient une permission. Celle-ci lui permet à la fois d’observer en civil le mouvement révolutionnaire à Sarreguemines, et d’apprendre l’armistice à domicile. Il se rend dès lors à sa caserne pour se faire démobiliser et perçoit du même coup sa solde de novembre. Plusieurs jours plus tard, les troupes françaises arrivent dans son village ; il y assiste avec un camarade en permission, et note à ce propos : « nous les regardions passer avec des sentiments mitigés » (p.55). Commencent alors pour lui les tracasseries avec les autorités militaires françaises à cause de ses états de service en qualité d’officier de l’armée allemande : des soldats français viennent le chercher pour le conduire auprès de leur état-major puis le transférer à la citadelle de Bitche, où se trouvent déjà rassemblés d’autres officiers lorrains. Tous sont soumis aux mêmes interrogatoires, qui consistent notamment à élucider la raison pour laquelle ils sont devenus officiers et pourquoi ils n’ont pas cherché à déserter. A cela Waag répond qu’il détient le baccalauréat allemand et qu’il n’a jamais eu aucune relation avec la France. Il demeure ainsi huit jours à Bitche, puis deux jours au fort de Saint-Julien de Metz avant d’être libéré. En 1919, il se verra finalement attribuer par les commissions de triage une carte d’identité A comme descendant d’Alsaciens français avant 1871. [Des commissions de triage ont été mises en œuvre pour classer la population des provinces reconquises selon des critères nationaux, empruntant à la tradition allemande du droit du sang. Quatre types de cartes d’identité sont crées à cet effet : la carte A est attribuée aux descendants de familles déjà établies en Alsace-Lorraine avant 1871, la carte B à ceux dont l’un des parents est étranger, la carte C aux habitants nés de parents étrangers « alliés », et la carte D aux étrangers de pays ennemis comme l’Allemagne ou l’Autriche, et à leurs descendants.] La même année, il entre dans l’administration des douanes, mais en démissionne dès 1923, déçu de voir son avancement freiné par rapport à celui de ses collègues « Français de l’intérieur ». [Cette expression qui subsiste encore aujourd’hui désigne les habitants des provinces de la France dans ses frontières d’avant 1918, par opposition aux Alsaciens-Lorrains. Les différences de traitement entre ces Français venus travailler dans les administrations des provinces recouvrées en 1919 et les fonctionnaires alsaciens-lorrains sont un des facteurs du « malaise alsacien » qui culmine au milieu des années 1920.] Entre-temps, il épouse Louise Nilès en 1921, avec qui il aura deux enfants nés respectivement en 1923 et 1930. En 1926, il entre comme porion à la Société Métallurgique de Knuttange puis est embauché en 1931 par l’entreprise de construction Dietsch pour diriger les travaux de l’ouvrage fortifié de Drachenbronn sur la Ligne Maginot. Le 2 septembre 1939, il est mobilisé comme soldat de 2e classe dans la réserve et affecté en tant que technicien sur la Ligne Maginot à Forbach. Après l’annexion de fait de l’Alsace-Moselle par le IIIe Reich, il est sollicité en tant qu’ex-officier allemand pour adhérer au parti nazi, mais il décline, considérant qu’il ne s’agit pas des mêmes Allemands qu’en 1918. De son côté, son fils aîné tente de se soustraire à l’incorporation de force dans l’armée allemande, mais en vain ; il fait finalement partie des 130 000 « Malgré-Nous » de la Seconde Guerre mondiale. Retraité en 1959, Félix Waag décède à Thionville en 1989.
Félix Waag a rédigé ses mémoires de guerre à l’âge de 89 ans, entre mai et juin 1983, à la demande de son petit-fils François Waag. Ce dernier, professeur d’histoire-géographie et militant autonomiste, est à l’origine de leur publication (Les Deux Félix. 1914-1918 vu par un combattant d’Alsace-Lorraine, Do Bentzinger, Colmar, 2005, 128 p.). En outre, il en rédige l’avant-propos, l’appareil de notes ainsi qu’une partie introductive et conclusive replaçant le récit de Félix Waag dans le temps long de l’histoire familiale. L’ouvrage est préfacé par l’essayiste autonomiste Bernard Wittmann, qui retrace sous une forme partisane l’histoire de la Première Guerre mondiale en Alsace. Enfin, nombreuses photographies et documents sont reproduits et commentés en annexe.
Outre ses propres souvenirs, Félix Waag s’est appuyé sur sa feuille d’état de services pour reconstituer la trame chronologique, et sans doute aussi sur de la correspondance d’époque. C’est sans doute ce qui explique qu’en dehors de ses mouvements successifs et des anecdotes, le récit se révèle assez pauvre en ce qui concerne sa participation aux opérations militaires : il n’en donne qu’un survol rapide, ce qui est regrettable car il est rare de disposer du point de vue d’un officier alsacien-lorrain de l’armée allemande. Il semble avoir répondu à ses obligations militaires avec un certain sens du devoir. Par la suite, sa vie durant, il a conservé avec une certaine fierté les marques de reconnaissance de sa hiérarchie, comme le certificat de son général d’armée ou les photographies de sa rencontre avec Guillaume II, qui figurent en annexe de l’ouvrage. A la fin de la guerre, il ne semble pas opposé au retour de l’Alsace-Lorraine à la France, mais il accepte mal de se voir reprocher d’avoir servi dans son armée légitime. Maîtrisant assez bien le français depuis le lycée, il semble n’être ni un grand défenseur de la cause impériale allemande, ni un francophile. Comme nombre d’Alsaciens-Lorrains peu politisés, il est surtout attaché à sa petite patrie (Heimat), dont le sort allemand ou français ne lui importe que peu, aussi longtemps que cela n’interagisse pas défavorablement sur sa propre vie. C’est pourquoi après-guerre il se rapproche peu à peu du mouvement autonomiste alsacien, déçu par une politique d’assimilation française dont il a le sentiment d’être victime.
Raphaël GEORGES, avril 2013.

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Leclabart, Louis (1876-1929)

À la recherche des traces rupestres réalisées par les combattants de 14-18 dans les carrières souterraines de l’Aisne et de l’Oise, Thierry Hardier s’interrogea sur la signature d’une des œuvres majeures, une représentation de Jeanne d’Arc de 2 m sur 1,20 : « Louis Leclabart 1916 – Souvenir du 12e RIT ». Il découvrit que le même sculpteur avait laissé quatre importantes traces rupestres dans cette même carrière du Chauffour, qu’il avait également signé des monuments aux morts, et que ses descendants possédaient encore de nombreux dessins et autres œuvres. Au final, avec son collègue d’arts plastiques Benoît Drouart et les élèves du collège Paul Eluard de Noyon, il pouvait publier un beau livre illustré de 96 reproductions : Louis Leclabart, Un artiste picard dans la Grande Guerre, Cap Région éditions, 2010, 164 p.
Louis Leclabart est né à Péronne (Somme) le 26 juillet 1876, aîné de huit enfants. Ses talents reconnus, il a pu étudier à l’école des Beaux-Arts d’Amiens dirigée par Léon Delambre. Marié en 1898, il a deux fils. Il travaille dans l’atelier d’Albert Roze, puis en association avec Paul Beaugrand, et il commence à se faire connaître avant la guerre. Du fait de son âge, il est mobilisé dans la territoriale (12e RIT), mais l’avance allemande est telle que le régiment doit être engagé dans de très durs combats entre septembre et novembre 1914, pour la défense d’Amiens et pour la course à la mer. Par la suite, dans la plaine de Flandre, en Belgique, le régiment territorial tient des tranchées de première ligne ou est utilisé à des travaux de terrassement. Louis, nommé caporal, exerce les fonctions de brancardier. C’est entre le 20 juin et le 11 septembre 1916 qu’il a travaillé au Chauffour. Le 10 mars 1918, il passe à l’escadrille SAL1 comme dessinateur de plans directeurs à partir de photos aériennes (et il illustre son carnet personnel de dessins d’avions et de scènes aéronautiques).
Sur son carnet de croquis, équivalent d’un carnet de voyage, il fait 145 dessins à la mine de plomb : portraits, tranchées, armes, cimetières français et allemands, en remarquant une scène particulière représentant un soldat assis, penché, lisant une lettre, intitulée « Le cafard ». Il n’a pas dessiné pendant les périodes de combat et n’a pas représenté les horreurs de la guerre. La pierre calcaire du Noyonnais se prêtait bien à la sculpture. La Jeanne d’Arc de la carrière du Chauffour, à forte valeur symbolique, est placée en hauteur, à l’angle du poste de commandement, à 250 m de la 1ère ligne. À proximité, il a également réalisé un sphinx de 2 m de haut, rappel de son intérêt pour l’art égyptien. Parmi les autres œuvres sculptées, on peut retenir cette « pleureuse » placée par Leclabart sur la tombe de trois militaires français enterrés et honorés par les Allemands (à Trosly-Loire, Aisne). Démobilisé le 6 janvier 1919, il sculpta encore le décor de huit monuments aux morts dans la Somme (dont celui d’Abbeville), avec une tendance à représenter des soldats se dégageant de la masse de pierre. Thierry Hardier a remarqué les détails réalistes montrant que l’auteur était un vrai poilu : « La jugulaire du casque Adrian n’est pas fixée sous le menton mais passe au-dessus de la visière ; les pointes du col de la capote ont tendance à se redresser légèrement sous l’effet d’un usage prolongé ; et les parties en cuir des cartouchières, au niveau de leur fermeture, se déforment un peu à force d’être exposées aux intempéries. »
Rémy Cazals

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Le Breton, Arsène (1896-1995)

Arsène Le Breton, Campagne de 1914-1918, mon carnet de route, Rennes, Ennoïa, 2004, 135 p.

1 – L’auteur.
Né le 21 juin 1896, à Plumaugat (Côtes-du-Nord), Arsène Le Breton fit des études secondaires solides. Il s’engagea dès la fin 1914 pour 4 années, au 7e Régiment d’Artillerie de Campagne de Rennes. Le 9 mai 1915, son frère, Pierre, est tué pendant la bataille d’Artois. Arsène demande alors à partir au front. Il fera une partie de sa campagne dans une unité d’artillerie de tranchée (101e batterie au 13e RAC) avant de la terminer dans l’artillerie lourde. Revenu de la guerre, il hésitera à devenir prêtre mais il choisira finalement d’être cadre dans les banques puis entrera aux Ponts-et-Chaussées. En retraite en 1961, il décèdera le 17 janvier 1995.

2 – Le témoignage.
Il semble bien qu’Arsène Le Breton ait tenu un petit carnet de guerre. C’est à partir des notes de celui-ci qu’il rédige un vrai journal. D’abord dans l’artillerie de tranchée, donc aussi exposé que les fantassins, il rejoint son unité dans la Somme (avant et pendant la bataille) et la suit sur les fronts de Champagne (début 1917), du Chemin des Dames (avril 1917) et de Verdun (mi-1917). Évacué (lésion au poumon) le 5 août 1917, il retourne au front en mars 1918, au sein du 142e régiment d’artillerie lourde coloniale (secteur sud de la Somme). De nouveau évacué, cette fois pour grippe, il reviendra en ligne en octobre 1918.

3 – Analyse.
Nous ne savons ce qui motiva Arsène Le Breton à mettre au net et à compléter et enrichir ses notes de guerre ; peut-être laisser à sa fille unique et à ses descendants trace de sa guerre dont, comme la plupart des survivants, il avait du mal à vraiment parler. Le résultat est un petit livre aéré, facile à lire, au style simple et sans emphase. Arsène Le Breton n’a pas cherché à faire œuvre littéraire. Il n’envisageait certainement pas une publication. Les illustrations sont sobres, comme les notes de fin de chapitre. L’auteur narre de façon très chronologique ; il décrit, ne juge pas, ne fait pas de commentaires. Point de forfanterie, point de mise en avant, comme tant d’autres témoins. C’est vraiment un récit où les états d’âme du soldat n’apparaissent pas. Ainsi, il croise une cinquantaine de prisonniers de guerre allemands lors d’une permission à Plumaugat. Il le note, indique qu’ils jouent de l’accordéon et chantent dans leur cantonnement mais ne dit rien de ses attitudes personnelles à l’égard de l’ennemi (p. 55). Page 62, il évoque, sans plus de détails (si ce n’est un extrait de la Chanson de Craonne), les remous dans l’armée française après l’échec de l’offensive du Chemin des Dames du 16 avril 1917. Page 121, libéré, il écrit succinctement : « Cette fois, c’est fini … J’ai 23 ans … Je suis libre … Seul dans un coin du wagon, je fais de beaux rêves d’avenir. » Toujours cette sobriété de propos qui est la marque de cet honnête petit livre de souvenirs.
René Richard

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Clermont, Théodore (1888-1973)

Fils de cultivateurs, il est né à Sabaillan (Gers) le 18 février 1888. Titulaire du certificat d’études primaires, il travaille sur l’exploitation familiale. Au cours du service militaire à Montauban, il devient ordonnance du colonel de la Ruelle, et il le suit dans sa retraite en Bretagne. C’est là que la mobilisation le trouve et il descend vers la caserne du 20e RI à Marmande. Il se marie après la guerre (deux enfants) et tient une ferme à Seysses-Savès (Gers). Pendant la guerre, il a pris des notes et les a mises au propre, visiblement de manière fidèle sur un gros cahier de 340 pages, format 18×23, qui débute ainsi : « Ces quelques lignes qui vont suivre ont été écrites au jour le jour pendant la Grande Guerre. Elles ne contiennent que l’emploi de mon temps, les impressions personnelles sur les faits de guerre qui m’ont le plus frappé. Vous ne trouverez donc pas ici le récit de grandes opérations, le but que j’ai poursuivi en écrivant mon carnet de route a été celui de vous renseigner au jour le jour dans le cas où la bonne fortune ne m’aurait pas favorisé ; dans le cas où comme tant de bons camarades que j’ai eus, j’aurais pu rester sur quelque champ de bataille. » Et se termine ainsi : « Tels sont les souvenirs que je garde du 2 août 1914 au 1er janvier 1920, temps pendant lequel l’humanité entière a été bouleversée par la plus terrible des guerres qu’un tyran à la tête d’une nation militarisée a enclenchée. Transcrit des carnets de route pendant l’hiver 1920 et l’hiver 1920-21. Terminé le 25 novembre 1921. » La copie au propre reste bien datée et localisée ; les notes de certains jours sont très brèves.
Fin juillet, en Bretagne, le colonel de la Ruelle est inquiet, et sa cuisinière aussi car elle a vu 1870. Il faut partir au milieu de Bretons que le cidre rend fort joyeux, puis très malades. Le 22 août, c’est le spectacle atroce des blessés lors de la bataille de Bertrix. Le régiment passe l’hiver en Champagne et le suivant en Artois. En décembre 1915, Théodore signale la pluie, mais pas de sortie des tranchées ou de fraternisation. En janvier 1916, il passe à la compagnie de mitrailleuses. En mai, il signale le travail intense des soldats pour assurer à un lieutenant un confort qui choque : « Ils [les officiers] ne sont en général que des égoïstes qui ne pensent qu’à leur bien-être propre et se soucient peu du bonheur de leurs subordonnés. » Lui-même devient ordonnance du sous-lieutenant Archinard. À Verdun, le 26 juillet, l’officier et l’ordonnance sont blessés, Théodore par un éclat d’obus. Courte convalo et le voici en septembre à la côte du Poivre où la vie est fort triste, le ravitaillement arrivant mal. Le 9 février 1917, il note, sachant de quoi il parle : « Les officiers, qui sont comme des petits seigneurs dans un secteur calme, exigent de leur subordonné une exactitude qui ne peut être possible que dans un intérieur où rien ne manque. Si ces messieurs trouvent des ordonnances, cuisiniers et autres employés, c’est que ceux-ci, uniquement pour leur bien-être et pour la sécurité, mais pas complète, de leur existence, préfèrent souffrir ces petits ennuis de tout moment que de monter la garde à la tranchée. »
Le 17 avril 1917, près de la ferme de Moscou, il aménage les tranchées allemandes de 1ère ligne tout juste prises. Après la relève, le 28, les soldats grognent parce qu’on parle de les faire remonter pour attaquer. Alors, situation insolite, « pour punir la compagnie, nous sommes privés de confitures ». Le lendemain, tandis que Théodore et les autres montent, il y a des mutins qui se défilent (la moitié de l’effectif, dit-il). Le 1er mai, tandis que quelques mutins reviennent, les autorités enquêtent pour identifier les meneurs. L’épisode du 20e RI est considéré comme le premier de la crise de 1917 ; il est assez grave pour que 6 condamnations à mort soient prononcées (mais non exécutées). Théodore n’en parle pas, mais signale que les mutins vont être dispersés dans d’autres unités. Lorsqu’il part et revient de permission, il ne dit rien des troubles dans les trains. Aurait-il supprimé quelques notes lors de la mise au propre de son texte ?
Le 23 juillet 1918, il est blessé au bras par un nouvel éclat, et pris en charge par « des gentilles Américaines » à Paris et il reçoit à l’hôpital la visite du colonel de la Ruelle. Retour à la compagnie fin septembre, où manquent beaucoup de camarades : « Que de vies que la dernière offensive y a volées ! » Sa demande pour servir dans les tanks est acceptée et il part pour le camp de Cercottes près d’Orléans, où l’instruction doit durer trois semaines. Au cours de la première : « nous n’avons rien fait. » Au cours de la seconde, les instructeurs donnent des explications très claires. L’armistice survient au cours de la troisième.
RC
*« Journal de guerre de Théodore Clermont », dans Savès-Patrimoine, 3e et 4e trimestres 2008, 207 p. format A4. Contient un tableau très détaillé des lieux et des dates.

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Gaymard, Henri (1884-1963)

Ce cultivateur de Grâne (Drôme) avait 30 ans en 1914 ; sa femme se prénommait Léa, et sa fillette Henriette ; sa mère, Marie Arsac, et le père de celle-ci, un des insurgés grânois de 1851, vivaient aussi à la maison. Henri part dans l’artillerie pour la Lorraine et les Vosges ; en septembre 1915, il participe à l’offensive de Champagne. En octobre, c’est l’embarquement pour Salonique : « Après avoir roulé toute la France, fallait aller encore au diable. » Atteint de paludisme, il est rapatrié, le 16 janvier 1917, à bord du navire hôpital France. La famille n’a pas conservé ses lettres, mais deux versions successives de son journal de guerre, la première au crayon sur deux petits carnets, la deuxième mise au propre avec des compléments sur deux cahiers d’écolier. Il semble qu’il ait dicté cette dernière après sa démobilisation.
Le témoignage d’Henri contient les éléments habituels sur les conditions de vie et les dangers affrontés. Près de Saint-Dié, le 6 septembre 1914, il décrit le champ de bataille : « les arbres tous cassés par les obus ; les fusils cassés en deux ; des vestes de Boches ensanglantées ; çà et là quelques cadavres qu’on n’avait pas pu enterrer ; beaucoup de tombes le long de la route, marquées par de petites croix. » Plus tard, à Montdidier, il note, souvenir scolaire, qu’il a vu la maison de Parmentier. De même, en 1916, dans l’armée d’Orient, il rencontre « un convoi de réfugiés grecs et serbes qui s’en allaient dans la direction de Salonique. […] C’est leurs attelages qui sont à voir aussi, ils ont des buffles avec des cornes très longues. J’avais vu ça il y a quelques années sur le Petit Journal pendant la guerre des Balkans, mais je me serais jamais figuré de le voir de mes propres yeux. » Un peu plus tôt, il avait décrit le caractère cosmopolite de la grande ville de Grèce du nord : « Que de monde à Salonique : des Turcs et des Grecs, voilà ce qui domine, puis des soldats français, anglais, grecs, serbes. Il y a un mouvement extraordinaire. La ville n’est pas mal surtout avec la mer. Nous avons bu du vin de Samos qui est épatant. »
Pendant ce temps, sa mère préparait sur un cahier de brouillon les lettres qu’elle allait envoyer à ses deux fils et à d’autres personnes, et c’est ce brouillon qui a été conservé. Elle signale qu’il faut à la fois accomplir le travail de l’absent (« Léa laboure au Grand Fonds », « Léa est au Plot ramasser la luzerne ») et accélérer son retour (« si tu voyais comme [Henriette] sait bien faire ses prières, surtout pour son papa Henri, qu’il revienne de la guerre »). En avril 1915 : « Cette semaine nous avons bien travaillé, on a charrié le fumier, labouré et semé les pommes de terre au Plot et je te réponds que c’est fait. Il y a encore un coin de colverts à semer, mais nous le ferons cette semaine. Hier, avec Chastan, nous sommes allés labourer au Grand Fonds pour enterrer un peu l’herbe et, un de ces jours, il va charrier le fumier et labourer afin de semer les betteraves. Les blés sont très jolis. Petit à petit, le travail se fait mais combien se fait sentir ton absence. »
Il semble que, dans sa correspondance, Henri ait pratiqué l’autocensure. Mais il a envoyé son premier carnet personnel et la famille l’a lu. Marie écrit à son autre fils, Louis : « Nous qui nous figurions qu’il n’était pas en danger. Eh bien il en voit de dures. Espérons que le bon Dieu le protège encore » (27 décembre 1914). Le fils aîné, Louis, était prêtre. Marie écrit, le 16 mars 1915, à une certaine Élise : « Mon curé soldat est très content à Lyon ; il est parti ravi d’être soldat et de pouvoir faire son devoir comme les autres. […] Il est à la Brasserie du Parc transformée en ambulance. […] Il est surtout occupé au bureau et accompagne le major dans sa tournée aux malades et prend note de tous les malades en traitement pour transcrire cela sur un registre. […] Il a l’autorisation de dire sa messe tous les matins. »
On peut citer en conclusion cet extrait de lettre de Marie en avril 1915 : « La vie est bien triste ici et la liste des victimes de la guerre s’allonge à Grâne, le pays est très éprouvé, il y a aussi bien des disparus et des mutilés. Quand finira cet horrible cauchemar ? On se le demande avec effroi car il n’a pas mine de s’arrêter, nous aurions bien besoin que le bon Dieu y mette la main. »
Rémy Cazals
*Je suis mouton comme les autres…, 2002, p. 395-437. Photo d’Henri Gaymard dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 224.

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