Perrin, Pierre (1888-1975)

Laurendon, Gilles. Un guerrier d’occasion. Journal illustré du fantassin Pierre Perrin (1914-1918), Rennes, Ouest-France, 2012, 375 pages

Résumé de l’ouvrage :
Parti de Rigny-sur-Arroux, en Saône-et-Loire, le 3 août 1914, Pierre Perrin est soldat au 27ème R.I. de Dijon. Sous forme de journal de guerre, mais reportant en fait ses souvenirs, il rapporte une guerre impressionnante de fronts hyperactifs sur La Marne, au Bois d’Ailly, à Verdun, sur La Somme où les Monts de Champagne, qu’il traverse par une suite de miracles continus. Il est à proximité de Reims quand l’allemand plie enfin à l’été 1918. Gazé devant la Suippe, il apprend l’Armistice à Rigny, en permission, miraculé d’avoir traversé quasiment sans blessure une guerre aussi intense que violente.

Éléments biographiques :
Gilles Laurendon, présentateur du témoignage, dans sa courte préface, donne très peu d’éléments sur l’auteur. Aussi, c’est le fils de Pierre Perrin qui nous fournit les éléments complémentaires d’état-civil manquants dans l’ouvrage. Pierre François Léonard Perrin est né le 11 novembre 1888 à Rigny-sur-Arroux, en Saône-et-Loire, de Jean Marie et de Marie Perrin. Ses parents ont une petite maison sur la place de l’Église du village, à côté de l’édifice. Il a deux frères, dont l’un, Benoît Léonard Joseph, caporal au 29ème R.I., né le 20 août 1891, meurt le 13 mars 1915 à l’hôpital de Commercy, ayant contracté la typhoïde. Pierre apprend par une carte le 8 mars son admission à l’ambulance n°6, dans la caserne Oudinot. Il va le voir quelques jours plus tard et apprend sa mort le 14, puis son enterrement le lendemain. Pierre Perrin vivait à Paris (17ème), 8 rue des Nollets, depuis le 27 octobre 1912, où il travaillait comme dessinateur quand la guerre le mobilise au 27ème R.I. de Dijon, 11ème escouade. Il avait fait son service dans ce même régiment en 1913. Il aura lui-même trois enfants. Il occupera aux tranchées plusieurs fonctions, comme planton du colonel de bataillon ou agent de liaison et même infirmier de fortune lorsqu’il est légèrement gazé par exemple. Il est blessé légèrement à la tête par une pierre projetée dans un bombardement le 15 avril 1915, au Bois d’Ailly, et revient au front dès le 20. Il est à nouveau blessé le 18 avril 1917 par éclat d’obus à la jambe droite, au Bois de la Guille, rejoignant le 15 mai suivant. Il est nommé soldat de 1ère classe le 3 juillet 1918 et est ypérité le 6 octobre suivant en bordure de la Suippe pour ne plus revenir au front que le 27 novembre, les combats ayant cessé. Ces blessures finalement légères n’obèrent pas le sentiment d’une suite impressionnante de miracles renouvelés, tel cet obus qui tombe à trois mètres de lui le 25 août 1918, et qui n’éclate pas (page 339). Alors qu’il avait refusé par trois fois le grade, il est nommé caporal le 1er mai 1919 avant d’être enfin démobilisé le 10 juillet suivant. Il a été cité à l’ordre du régiment le 13 novembre 1915 dans ces termes : « Au cours d’une attaque au petit jour a assuré à plusieurs reprises la transmission des ordres en traversant sous le feu de l’artillerie et de mitrailleuses des terrains découverts, a toujours fait preuve de décision et de courage dans des missions analogues ». Il obtient à ce titre la croix de guerre avec étoile de bronze. Il est à nouveau cité à l’ordre de la Brigade le 9 novembre 1918 avec ce motif : « Très bon agent de liaison, s’est fait remarquer pendant la période du 1er au 4 octobre 1918 en assurant la liaison dans des circonstances difficiles. Intoxiqué ». Il est décoré de la Médaille Militaire le 22 mars 1928. Faute d’éléments biographiques plus précis, il faut faire confiance au présentateur de ces souvenirs qui nous indique, pour l’après-guerre : « De retour dans sa famille, Pierre Perrin a recopié scrupuleusement, sans retouche, les lettres, le journal qu’il avait rédigés au front. Sans rien retrancher, sans rien ajouter, au mot près. Il a ainsi rempli quatre cahiers de sa petite écriture serrée et précise » (page 12), écrits auxquels s’ajoutent un corpus de dessins, des portraits de soldats dénommés, dont quelques-uns sont publiés en couleurs en cahier central ou insérés au fil de l’ouvrage. Il revient à Rigny dès sa démobilisation et sera recensé 10 rue St Sauge à Autun en janvier 1920. Pierre Perrin deviendra professeur de dessin dans plusieurs établissements de la ville. Il est libéré de ses obligations militaires en 1937. Il décède à Rigny le 03 juin 1975.

Commentaires sur l’ouvrage :
Indubitablement classable comme l’un des tout meilleurs témoignages de la Grande Guerre, les souvenirs de Pierre Perrin sont précis, fourmillants de tableaux, d’anecdotes et de descriptions qui révèlent une foultitude de points d’intérêt à chaque page. Il décrit de manière détaillée ce qu’il voit, comme les hommes et les officiers, qu’il dénomme et descend en flammes parfois. Par exemple à Verdun le capitaine Robillot « lèche-botte et faux bonhomme, grossier avec ses inférieurs et plat devant ses supérieurs » (page 190). Ainsi, il fournit une mine de données utiles à l’historien, livrant un récit incontournable, rappelant celui d’Emile Morin ou de Gaston Mourlot. Doté d’une intelligence supérieure, il connaît le nom des fleurs et des lichens (page 271), travaille de ses mains, dessine, fait des menus, des écussons, des pancartes, des programmes, des plans de secteur… Il lit beaucoup, dont du André Theuriet, auteur argonnais, et a parfois quelques envolées poétiques sur la nature. Mais Pierre Perrin est surtout un miraculé permanent, renversé par un obus, plusieurs fois blessé, il traverse les secteurs les plus mortifères avec une facilité de façade désarmante. Son témoignage laisse l’impression d’une guerre sans fin, ayant manifestement combattu dans les pires secteurs. Il laisse échapper parfois des sentences qui témoignent de son état d’esprit, par exemple quand ses camarades tombent autour de lui. Il dit alors : « Nous payons chers le droit de vivre libres, et cependant notre volonté ne fléchit pas » (page 190). Ses sentences peuvent aussi être politiques lorsqu’il assène, en mars 1917 : « Que de grenades qui se perdent » (page 234) lorsqu’il apprend la démission de Lyautey. L’ouvrage comporte quelques rares erreurs de transcription (Lionville pour Liouville, Léronville pour Lérouville, Mont Rémois pour Mont Trémois ou V13 pour VB) et aurait gagné à accueillir un index toponymique et patronymique, même si particulièrement denses.

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 18 : Soldat mort d’insolation
24 : Passage de la frontière vers Avricourt le 15 août, ne voit pas de poteau-frontière
25 : Baptême du feu
: Bruit du départ du 75 « comme des coups de pieds dans un ballon de football, et les longs sifflements soyeux et graves »
27 : Héming pillé par les français
: Bruit des balles : « On se croirait au milieu d’un essaim en révolte »
34 : Soldat atteint d’une balle sans force
31 : Vue impressionnante de divers morts allemands
38 : Traite des vaches abandonnées, à la chaîne, cochon tué à la baïonnette
40 : Pétris des babouins dans la glaise
: « Nous ramenons nos pans de capote sur nos pantalons rouges »
: Bruit des marmites « avec un bruit de wagons lancés à toute vitesse »
42 : Tombe et nom gravé sur une écorce
: Ordures laissées par les Allemands
: Voit sauter le fort de Manonviller, détruit à l’explosif par les Allemands
43 : Lecture du Bulletin des Armées de la République
46 : Madame de Thèbes
49 : N’a pas pris de rasoir car croyait une guerre courte, se fait raser avec des ciseaux pliants de poche
51 : Médailles amulettes au képi
: Se déguise pour tromper un gendarme zélé (l’épicerie de l’autre côté de la rue n’est pas dans le secteur de son régiment !)
53 : Cuisiniers collectionneurs de trophées
: Boîtes de conserve servant de pots de chambre
: Mannequin-leurre allemand
55 : S’abonne aux Annales pour s’occuper
57 : Homme égaré tué par erreur, (vap 70 pour lui-même, sentinelle lui tirant dessus)
59 : Obus cassant son fusil, en trouve un sur un tas d’équipements des morts
60 : Main de mort dépassant de la tranchée
: Marmites qu’il appelle bouteille, (vap 61 obus plus petits appelés saucissons, vap 169 casque à pique pour du 240)
61 : Morceaux humains en emplissant des sacs de terre
62 : Abri allemand fait avec des fusils français
65 : Miction dysentérique
: Description d’une marche harassée
69 : Contact, bouteilles lancées contenant des blagues et des insultes contre les boches
71 : Archives de Brasseite pillées
: Mortiers crapouillots de 1844 et 1855 (vap 65)
73 : Obus direct sur 4 hommes
74 : Méridionaux sans gêne
76 : Bottes canadiennes et en caoutchouc
77 : Vu d’anglais à Commercy
78 : Obus allemand à double éclatement
80 : Catapultes à roues
83 : Eau de vie au goût d’éther
: Adresses des familles laissées en cas d’attaque
84 : Vision impressionnante du bombardement, bruit et sapes
87 : Mort d’André Chaumont, d’Epoisses, auteur dans La revue de Bourgogne
89 : Colis américain contenant « un mouchoir, du papier à lettres, un crayon, un savon, du chocolat, une pipe creusée dans une sorte de panouille avec un tube en roseau, et… du papier hygiénique » (vap 366 « un petit sac de toile qui contient du papier à lettres, un crayon, une blague et des cartes à jouer. Quelques-uns y trouvent un rasoir mécanique, d’autres une paire de ciseaux. Petit, lui, y trouve une toupie mécanique… »
90 : Démonte des grenades allemandes
92 : Buse abattue au fusil (vap 119 une autre soignée à la teinture d’iode)
93 : Casque à pointe, trophée convoité
: Général Blazer, détesté, surnommé von Blazer (vap 95 et 115)
96 : Rififi entre régiments (8ème et 56ème) suite à la perte d’une tranchées
: Caisse de calendriers = grenades
: Mutinerie
97 : Capitaine Boll surnommé « capitaine-crapouillot »
98 : Homme tué en pêchant à la grenade (vap 326)
102 : Homme tuant un renard par erreur
: Artisanat de tranchée (vap 107, 109 cannes, 117)
105 : Moustiques
107 : Contact avec des soldats allemands polonais, échange de cigares et de bonbons contre du pain blanc
109 : Poilu’s Park (vap 118 sa description, 284)
111 : Bras tranché abandonné par son propriétaire
113 : Sur le commandement : « Les hommes commandés par de telles savates sont incapables de quoi que ce soit »
114 : Vision épique de la récupération d’un cadavre
: Condamnation à mort d’un soldat par Blazer, réhabilité sous le feu
116 :Recherche des fusées d’obus et part avec 20 kgs de débris d’obus
117 : Canon de 7
: Déserteurs pacifistes fusillés, vue de leur exécution
118 : Distribution de couteaux, pas de succès (vap 161)
: Concert improvisé sur des douilles d’obus
: TPS et Alsaciens employés à l’écoute, ce qu’ils entendent (vap 167)
123 : Paperasserie
126 : Cartes distribuées en prévision d’une attaque
: Couleurs d’obus de 75, croix blanche sur peinture kaki et bandes rouges sombre
128 : Accident de grenade
: Sculpte des blocs de craie
129 : Explosion d’un fourneau de mine, pense à une secousse sismique
130 : Le 27ème RI touche le casque le 8 octobre
: Corvée de fusil, horreur de la tranchée, fouille macabre pour des trophées
: Eclatement d’un canon de 270
132 : Avion-canon
133 : Fait des croix et des plaques de craie gravée (vap 137)
136 : Giclous ou zim-boum, surnom des 88 autrichiens
137 : Têtes sculptées par des coloniaux dans des maisons en craie de Saint-Rémy-sur-Bussy
141 : Déserteur allemand, précurseur d’autres volontaires déserteurs, ruse qui ne prend pas
: Soldats nettoyeurs, qualifiés d’apaches
145 : Brassards allemands pour les attaques de nuit
146 : Mocos (argot pour marins) méridionaux (vap 151 et 152, anti-midi)
150 : Poudre en lamelle (pour les 75) ou en macaroni (pour les 77), fait chauffer le café avec
151 : Girouette et cloche à gaz (vap 197 un avion girouette dans la tranchée)
154 : Déserteurs aux mains liés
: Fumier
: Apprentissage du morse (vap 233, 254)
159 : Obus nouveaux à éclatement successifs et balles traçantes
160 : Avion descendu par une mitrailleuse
: Soldat fataliste
: Fusils braqués sur des cadavres
161 : Cadavre récupéré, analogie avec Dayet
: Obus en bois, cad qui n’éclatent pas
162 : Hommes signalés car ils ont tiré sur des poules
: Obus non éclatés rouillés
163 : Guidetti lance-bombe
Lance-bombe inutilisé pour ne pas recevoir de contre feu
: Chat qui fait la navette entre les lignes françaises et allemandes, à qui on a attaché un ruban tricolore (rappelle Joyeux Noël de Carion)
: « Quel temps pour se faire casser la gueule ! »
164 : Contacts, cris allemands
: Voit une photo aérienne de son secteur
: Peur incontrôlable
165 : Démonte une grenade pour étudier son fonctionnement qu’il décrit (vap 170)
166 : Arbre observatoire (vap 175 percuté par un obus)
167 : Explosion d’un dépôt de munition, débris humains
169 : « …chasseurs dont le ventre s’allume au soleil comme un ablette entre deux eaux »
170 : Tracts allemands par ballons
: Désertion retardant une relève
171 : Apache que l’on doit enfermer en prison
173 : Pilons et huîtres, « grenades plates comme des galets lancés à la main »
: « Quatre jours de permission à ceux qui donneront cinq cents francs en or pour la Défense nationale. Le procédé, financièrement, est peut-être habile, mais ignoble. Aussi on s’est promis de casser la gueule à ceux qui profiteraient de cette annonce. Personne ne s’est présenté »
174 : Torpilles Save
: Habitants revenant dans leur maison avec des gendarmes pour chercher des affaires (vap 341)
: Bourrage de crâne lu dans un rapport à propos d’une désertion de 2 régiments du 15ème corps, qui ne prend pas
175 : Tranchée minée
: Vue de Spahis
176 : Fabrique un violon fantaisie avec un vieux bidon et des fils de téléphone
182 : Corps phénolés en attente de sépulture
190 : Prisonnier allemand aidant le transport sanitaire à Verdun
191 : Vision dantesque de la poudrière de Souville
192 : Allemand devenu fou ayant bu de la teinture d’iode
: Odeur de la putréfaction « que Toussaint comparait à celle du saucisson de Lyon »
: On prend les effets des sacs des morts
193 : Hommes « placés à l’arrière des voitures, chez qui on ne distingue plus que la bouche et les yeux » à cause de la poussière
194 : Broderie de Lunéville
197 : Confectionne des pancartes pour les tranchées
: Contact, lettre posée par les Allemands, avec texte et photo, pour rendre compte des honneurs rendus à des morts français en mars 1916 à Gondrexon (vap 198)
200 : Pierre à percuter les grenades
201 : Tank comparés aux cuirassés de terre d’H.-G. Wells
202 : Description de lance-flammes
204 : Lange Max vu par un guetteur depuis l’hôtel de Ville de Nancy ; qui prévient des tirs pour mettre les gens à l’abri dans le délai entre le départ et l’arrivée de l’obus et vue d’une collection d’obus de divers calibres au même endroit
205 : Conférence tombant faux d’un Alsacien qui parle de Boche
206 : Auto combustion du foin
: Jeux sportifs, score, tricherie, prix remis
207 : Coud une peau de mouton sur son « sac à viande » (vap 221, matelassé)
208 : Menace un épicier sur le prix usuraire des bougies
211 : Boue moirée d’essence
220 : « La guerre est longue à ceux surtout qui la font à pied »
: Comment il braconne le lièvre : « On met du plomb dans le canon du fusil, une bourre de papier par-dessus et une cartouche sans balle » (vap 294)
223 : Prix des denrées
224 : Souliers entourés de drap pour lutter contre le verglas
225 : Argonne : « le bois est partout rasé, on dirait une plantation de manches à balai »
227 : Soldats écroulant les maisons pour récupérer les poutres (vap 233)
: Mange du corbeau et du chat (ceux de Vienne-le-Château), (vap 236 un chat dépouillé)
228 : Faux canons en bois
231 : Dévisse une grenade suffocante pour en faire une lampe à pétrole
: Mention de section franche
233 : Prisonnier de Clairvaux ayant demandé à retourner au front
234 : Perle d’un général « Les autres hommes des petits postes se reposeront en travaillant »
: Tir sur des oies sauvages
235 : Caillebotis tapissés de sacs à terre pour amortir le bruit des pas.
: Prix comparé d’un bombardement
236 : « Le phosphore des trous d’obus éclaire vaguement l’obscurité »
: Piano Erard dans une sape
: Pillage dans Vienne-le-Château par Van den Busche, brocanteur
237 : Signe un acte de décès
: Vue du cimetière de Florent-en-Argonne, horribles cocardes tricolores en fer peint
: Contact, écriteau allemand
239 : « Des gendarmes donc pas d’obus ! »
242 : Proclamation sanguinaire du colonel pour gagner la fourragère
: Voit une photo aérienne de son secteur
: Communication par le sol à l’aide de lampes spéciales et d’une antenne de quelques mètres, fichée en terre (vap 254 TPS et TSF, stage, divers et explications)
: Engagé à ne pas faire de prisonniers, protestation
246 : Bâton près de la tête pour marquer un corps enterré, ce avant la croix
: Pressentiment de la mort
: Légèrement blessé par un obus de 105, il retire lui-même son éclat à la jambe
247 : Hôpital de Bar-le-Duc, description du traitement
: Tirailleur ne voulant pas le thermomètre anal
248 : Obusite Shell shock
: Prêtre pistonné par une commission de réforme
251 : Martiniquais mal traités (vap 252)
: Vol de chaussure ! (vap 256 pour bidon et musette)
252 : Colonel limogé pour avoir dit merde à général
: Lampe à acétylène faite avec un quart, une boîte de conserve et deux ficelles
: Bruit du canon de 37 qui « claque comme un fouet de charretier »
: Officier mort par bravade suite à une assertion de peur
254 : Revue de chevaux
: Evadé prisonnier allemand blessé, tentative infructueuse
255 : Camp disciplinaire du 129ème mutiné, culasses des fusils ôtées. Complot pour aller à Paris
: Vue des péniches bloquées sur la Meuse depuis 1914
256 : Description des femmes dans une usine de munitions
260 : Sur l’effet de la note de Pétain « Pourquoi nous nous battons »
261 : Sur les plusieurs façons d’écrire l’Histoire après un coup de main
: Pas assez grand pour faire porte drapeau au défilé du 14 juillet 1917 à Paris !
263 : « Dans l’air, on suit la courbe des torpilles et la lueur de leur mèche allumée »
264 : Enterrement difficile à cause de la décomposition des corps
: Pochard perdu entre les lignes
268 : Saucisse ressemblant « à quelque monstrueux poisson de légende »
: Trouve des os et les signale, respect dû au mort
: Piège à rat
270 : Saucisse enflammée par avion (vap 287, 299)
171 : Allemand utilisant des 203 japonais
272 : Portes amiantées (vap 286)
273 : Pancarte allemande
274 : Curieux canons anglais à l’âme hexagonale, posés sur des affûts rudimentaires en pierre
: Bataillon du Pacifique
: Fillette tuée par un avion allemand à Talant près de Dijon (Bourrage de crâne ?)
275 : Observateurs japonais
276 : Anglais venu de l’arrière avec une espèce de cloche sur le dos pour recueillir les gaz afin de les étudier
277 : Obus à gaz quasi silencieux
: Chants allemands entendus depuis la tranchée française
: Rats tués par les gaz (vap 322 idem pour les abeilles)
: Portes annamites
: Obus allemands à messages avec nom de prisonnier et renseignements (vap 315 et 316 avec ballonnets de journaux, et 353 journaux allemands jetés par avion)
287 : Concours de grenades VB
290 : Ballonnets pour vérifier la direction du vent pour les gaz
291 : Match de foot anglais contre français, gagné 2 à 1 par les anglais
293 : Mange des moineaux bardés de lard
: Théâtre aux Armées
297 : Pillage et destruction systématique, registre d’état-civil traînant sur le parquet de la mairie de Dommartin-sous-Hans
: Poêle réalisé avec des tôles
301 : Voit un phénomène naturel curieux : « un nuage est apparu, s’est scindé en deux et, par deux fois, un anneau jaunâtre est apparu »
308 : Poisson d’avril
310 : Américains aux dents en or
312 : Vision d’un coup de main dans le vide
: Baraques métro en tôle
314 : Américain abattu car meurtrier
315 : Nuage artificiel
316 : Horreur d’une tête de mort nettoyée par les fourmis !
318 : Pour les Américains, Jeanne d’Arc est la madone de l’Alsace
319 : Américain faisant une photo d’un pont pour prouver qu’il n’est pas gardé !
: Boxe avec des noirs américains, officiers blancs, tatoué ganté, discriminations
320 : Idiotie de la désinfection des paillasses
324 : Américains excités imprudents se baladant sur les parapets sans souci du danger
328 : Faux laisser-passer pour rentrer à Epernay
: Réfugiés logés sous des ponts aux arches aménagées
329 : Canons anti grêle à Épernay
330 : Se brûle légèrement les yeux à cause d’une fiole d’acide chlorhydrique (vap 331)
: Stahlhelm abandonnés par les allemands car trop lourds
332 : Bruit « bien connu » du 210, « un départ sourd, un bruit de wagonnet »
: Découvre dans une sape (piégée ?) un essai de fougasse composée de trois obus de 105, de pilons et de détonateurs
: Ersatz allemand
333 : Essai de signaux optiques
: Obus au phosphore, reflets à long terme
: Renard blessé
: Pipe Pétain
: Change son casque
: Tombe d’anglais avec casque
334 : Chevaux dépecés
335 : Bronzage
338 : Melons et raisons blancs
: Interdiction de familiarité avec les noirs « pour ne pas choquer les officiers blancs qui considèrent les Noirs comme de race inférieure. Et leur guerre de Sécession a duré quatre ans pour libérer les esclaves noirs du Sud ! »
339 : Détruit un nid de guêpe avec des détonateurs
340 : Chien de liaison
: Radeau fait avec des sacs rempli de paille pour passer la Vesle
342 : Pilote abattu non blessé se servant encore de sa mitrailleuse
343 : Nacelle de ballon détachable avec parachute
347 : Gaz pallite ?
: Seins coupés sur une envahie (histoire rapportée !)
348 : Homme tué par une sentinelle dont il n’avait pas entendu les sommations
350 : Sacs Habert
354 : Paillasses allemandes entoilées de papier
: Affiche allemande « représentant un soldat anglais écoutant à un microphone, placée près d’un appareil téléphonique pour avertir de faire attention aux conversations »
: Lanterne pensée piégée mais en fait non, peur des pièges
: Gargousses payées 1 franc par pièce, mais spoliation par des « artilleurs qui, eux, restent plus longtemps que nous et auront le temps de brocanter notre matériel »
355 : Prisonnier occupé à désamorcer les explosifs
357 : Gazé, se lave les yeux avec du café
358 : Comment il est traité
360 : Effets de l’ypérite
362 : Vue de cimetières, spécificités par nationalité
363 : Définition de l’intérieur « ce pays de rêve où on n’entend plus le canon et, le soir, on n’a pas besoin de camoufler les lumières »
364 : Grippe espagnole
: Vue d’Auxerre
365 : Paperasserie risible pour un bonnet de police (vap 366 pour des bretelles)
: Enterrement de Russe
366 : Huile goménolée
367 : 11 novembre 1918
369 : Corneilles mascottes avec des noms allemands
371 : 10 juin 1919, on ne sait comment occuper les hommes, cours multiples
372 : Costume Abrami et visière de casque
373 : Citation de la 2ème Cie du 27ème RI et la sienne (12 novembre 1915)

Yann Prouillet, 2 octobre 2025

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Laroche, Jules (1872-1961)

Jules Laroche. Au Quai d’Orsay avec Briand et Poincaré. 1913-1926. Paris, Hachette, 1957, 231 p.

Résumé de l’ouvrage :
Jules Laroche, venant de l’ambassade d’Italie, est nommé secrétaire au ministère des Affaires Étrangères, le quay d’Orsay, en juin 1913. Dès lors commence le report de 13 années de souvenirs, en forme de témoin privilégié, à cette éminente fonction qui l’amène à gérer de nombreux dossiers importants dans la conduite politique, en lien avec le militaire, dans la Grande Guerre. Celle-ci terminée débute une autre phase majeure de son activité ; la gestion de l’après-guerre et de la paix européenne, du traité de Versailles (dont il est l’un des principaux négociateurs) à celui de Locarno, côtoyant Aristide Briand comme Raymond Poincaré et tous les autres hommes politiques européens avec lesquels il a eu affaire. Ainsi peu d’aspects politiques contemporains de cette période n’échappent à son « rapport » précis et éclairant jusqu’à son départ, nommé ambassadeur de Pologne.

Éléments biographiques :
Jules-Alfred Laroche est né le 4 novembre 1872 chez ses parents, 8 rue Las Cases, à Paris (7e arrondissement) de Théodore Joseph, propriétaire, remarié avec Augustine Eugénie Chavanne, sans profession. Il s’unit à Constantinople avec Pauline Caporal le 5 juillet 1899 et a trois enfants ; Hervé, né en 1900, Anne-Marie, née en 1903 et Frédérique, née en 1907. Licencié en droit, il est stagiaire en 1896 puis attaché d’ambassade l’année suivante, ayant la même fonction à la direction politique à Rome en 1898. Il monte les grades dans sa fonction (3e classe en 1900, puis 2e classe en 1904), postes au cours desquels il fait preuve d’efficacité dans des dossiers sensibles européens (annexion de la Bosnie-Herzégovine en 1908 par exemple). Il exercera entre autres les fonctions de ministre plénipotentiaire de 1re classe, sous-directeur d’Europe et directeur des affaires politiques et commerciales au Ministère des affaires Étrangères (dès octobre 1924). C’est à ce titre qu’il aura, après-guerre, de nombreuses importantes fonctions quant à la rédaction du Traité des Versailles et de tous ceux qui vont suivre, et notamment dans les multiples épineuses questions de la redéfinition des frontières européennes redessinées entre vainqueurs et vaincus. Jules Laroche décède à Dinard, Ille-et-Vilaine, le 13 juillet 1961.

Commentaires sur l’ouvrage :
Publiée en 1957, faisant référence à la Deuxième Guerre mondiale, Au Quai d’Orsay est un livre de souvenirs faisant précisément état de la position centrale de l’auteur pendant ses fonctions secrétariales de 1913 à 1926. La période de la Grande Guerre couvre les pages 20 à 56 mais le reste de l’ouvrage traite de ses conséquences. Il gère par exemple la liaison avec le Ministère de la Guerre et dit : « …vécus dès lors heure par heure les douloureux événements dont on dissimulait le développement au public » (page 21). Après avoir mis sa famille à l’abri à Arcachon, chez l’une des sœurs de sa femme, et suit quant à lui le gouvernement à Bordeaux. Sa vision, de l’intérieur, de la grande machine qui gère le conflit, est très éclairante comme parfois vertigineuse. Ses pages sur Paris vivant l’Armistice sont vivantes et émouvantes. À l’issue, il faut gérer la paix, la dissolution des empires, le tracé des nouvelles frontières et la signature des multiples traitées qui vont s’étaler jusqu’à celui de Locarno en décembre 1925. Sur ces points, Laroche décrit les mécanismes, les enjeux mais aussi les arrière-cours et les personnalités de tous les politiques qu’il a eu à côtoyer. Pour la période 1914-1918, il n’a pas à connaître l’ensemble des dossiers qui composent la gestion du conflit tant dans le milieu politique que militaire mais il est éclairant sur certains dossiers qu’il a à traiter ; il faut ainsi se reporter à l’ensemble des sous-chapitres contenus dans les 14 chapitres qu’il reporte sur la période. L’ouvrage est également très précis sur la description et le caractère des grands hommes de la période, certes de Briand comme de Poincaré, qu’il a reportés dès le titre, mais d’une foultitude de contemporains avec lesquels il a des liens plus ou moins étroits. Longtemps affecté en Italie, l’ouvrage est intéressant sur les liens avec ce pays, notamment pour le faire basculer dans le camp des Alliés. Il y a donc un tropisme italien compréhensible dans le témoignage. Dans les pages finales de son récit, Jules Laroche, fait lui-même le bilan de la période qu’il livre au public. Il dit : « Mes longues années de labeur au Quai d’Orsay avaient été marquées pour moi par la diversité de ma tâche autant que par son intérêt et avaient accru mon expérience professionnelle » (…) À Paris, j’appris à connaître l’autre aspect de l’action diplomatique, à discerner mieux l’enchevêtrement des problèmes, leurs répercussions réciproques, et aussi l’influence de la politique intérieure et de l’impératif parlementaire sur la façon d’envisager les événements extérieurs. (…) Pendant cette période, j’avais pu suivre de près la conduite d’une grande guerre et mesurer les difficultés internes d’une coalition. Appelé à participer au règlement territorial le plus vaste depuis le Congrès de Vienne, j’avais vu la divergence des conceptions, la rivalité des ambitions, non moins que le heurt des personnalités, désagréger l’union des vainqueurs. La conséquence la plus grave en fut sans doute le repli des Etats-Unis, qui se désintéressèrent de l’exécution d’une paix qui portait si fortement la marque de leur influence » (p. 229).

Renseignements tirés de l’ouvrage :
P. 10 : Il apprend l’écriture diplomatique
17 : Coïncidence des auberges tenues par des allemands à proximité de forts d’arrêt. Elaboration d’un projet de Loi restreignant les achats de propriétés et l’exercice de certaines professions par des étrangers dans les département frontières
20 : Après la mobilisation : « Rien n’avait été prévu pour maintenir l’efficacité de notre action diplomatique »
: « Quand la nécessité de combler les vides s’imposa, on eut recours à des auxiliaires dénués de compétence, mais pourvus d’appuis politiques, qui furent plus nuisibles qu’utiles »
23 : Brassard Tricolore A.E. (pour Affaires Etrangères) car les fonctionnaires étaient traités d’embusqués
25 : Crise du 75
: Peur du GQG que leur chiffrement ne fût pas sûr
: Spectre de la dictature en France du fait du rapprochement Doumer/Galliéni
: Retour à Paris le 8 décembre 1914
27 : Giolitti, chantre du neutralisme italien
44 : Bon résumé de la CRB, Hoover, comment Laroche s’en occupe et ce que cela implique. Le Comité des mandataires des villes envahies du Nord présidé par le sénateur Trystram (fin 46) (vap 90)
48 : Relation avec Monaco et problème de succession
52 : Sur l’action des maisons de champagne s’opposant à l’évacuation de Reims du fait de la valeur de leur stock, de plusieurs centaines de millions de francs, et coût de la défense négociée par la consommation par les coloniaux qui ont défendu la ville
53 : Paris au 14 juillet 1918
54 : Projet par des membres du Comité Allié de Versailles de réserver l’occupation de l’Alsace-Lorraine aux Américains à l’exclusion des troupes françaises
57 : Sur la retraite en novembre 1918 de 25 000 allemands en passant par la Hollande, qui ne réagit pas
: Sur les Alliés peu préparés à la victoire, trop concentrés à l’obtenir militairement
65 : Sur le choix de la langue officielle de la conférence de la paix, finalement franco-anglaise. Comment elle s’organise
68 : Sur le problème des carburants entre la Royal Dutch des Anglais et des Français et la Standart Oil des Américains
77 : Wilson à 4 pattes au-dessus d’une carte
80 : Attentat contre Clemenceau
87 : Traités non ratifiés mais ententes quand même entre les parties
90 : Voyage au Chemin des Dames en 1919 (vap 115 dans le Noyonnais), description et colère de Poland, directeur de la CRB dans le Nord et en Belgique, devant les destructions
91 : Wilson a refusé de visiter les régions dévastées « pour que des considérations sentimentales ne vinssent pas influencer son jugement »
93 : Sur l’arrivée des signataires allemands au Traité de Versailles : « Je ne pus me défendre de plaindre ces hommes qui, n’appartenant pas au clan du Kaiser, venaient entériner la défaite de leur pays »
98 : Sur le comportement du Tigre, rogue et impoli
105 : Sur l’article 435 avec la Suisse, sur le maintien problématique des zones franches
122 : « Quiconque n’est pas incurablement atteint de la maladie de la victoire, doit reconnaître que ce n’est pas avec des « diktats » qu’on avance les choses »
: Problème allégué par les Allemands de l’occupation de la Ruhr par les noirs
162 : Salut romain (repris par les nazis), Mussolini pas pris au sérieux
189 : « Il faut que la France paraisse pauvre pour bien montrer notre droit aux réparations ! »

Yann Prouillet, septembre 2025

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Lec’hvien, Michel (1890 – 1974)

War hent ar gêr          Sur la route de la maison

Hen ivez, pell a oa, a verve gant ar c’hoant da lâret, ha hepdale, kenavo d’ar Boched.

Lui aussi, depuis longtemps, bouillait du désir de dire sans délai kénavo aux Allemands.

1. Le témoin

À la mobilisation, Michel Lec’hvien est cultivateur dans la ferme de son père à Kermestr (Ploubazlanec, Côtes d’Armor). Il rejoint à 24 ans le 3e régiment d’artillerie à pied de Cherbourg, puis est transporté à Maubeuge pour renforcer l’artillerie de l’ensemble fortifié : il est fait prisonnier le 8 septembre 1914 lors de la chute de la place. Détenu dans différents camps, il réussit en avril 1916 à s’évader avec deux camarades et à atteindre la frontière hollandaise. Réincorporé au 3e RAP, il fait de l’instruction à Cherbourg jusqu’à son retour volontaire en ligne, avec le 105e régiment d’artillerie lourde en janvier 1918. Démobilisé en août 1919, il reprend la ferme familiale en 1921.

2. Le témoignage

War hent ar gêr – Sur la route de la maison –, sous-titré La Grande Guerre banale et exceptionnelle de Michel Lec’hvien, est un ensemble de textes publié aux éditions À l’ombre des mots en 2018 (275 pages). Le recueil a été publié à l’initiative de Marie-Claire Morin, éditrice fondatrice d’À l’ombre des mots et petite-fille de M. Lec’hvien. L’ouvrage propose deux versions du récit, avec des commentaires et explications de Yann Lagadec et Hervé Le Goff.

a. Le texte en breton est assez court, puisque ce récit d’évasion occupe 22 pages (p. 41 à p.62). War hent ar gêr est un petit opuscule paru en 1929,  qui reprend avec quelques modifications mineures le texte original paru en 1928 dans l’hebdomadaire Breiz. Ce récit est signé « eul laboureur » (le laboureur), dans un hebdomadaire régionaliste modeste par son tirage mais influent par sa diffusion dans les milieux bretonnants, il veut promouvoir la langue et la culture bretonne, son autre but étant moral et religieux, voire catéchistique (note 13 p. 31, H. Le Goff).

b.  Suit une traduction du récit de 1929 (p. 65 à p. 95), effectuée vers 1995 par Job Lec’hvien, prêtre et neveu de Michel, à usage familial. Cette traduction a été revue par Jef Philippe.

c. Viennent ensuite les Souvenirs d’un ancien combattant, la seconde version du témoin Michel Lec’hvien, rédigée cette fois en français vers 1970 ; ce récit a une taille plus conséquente (p. 97 à p. 153).

d. Hervé Le Goff propose un intéressant décryptage culturaliste (p. 15 à 38) et Yann Lagadec un appareil d’explication et de mise en perspective historique (p. 155 à 269).

3. Analyse

a. Le récit d’origine en breton

Dans le registre « témoignage Grande Guerre », outre la rare relation d’une évasion réussie – nous ne manquons pas de récits de captivité –, l’intérêt est ici la forme de cette narration. Il s’agit d’un texte en langue bretonne, très marqué par l’oralité, et pouvant ainsi être destiné à un jeune lectorat ; la publication dans la revue est accompagnée de quelques gravures d’illustration, la revue Breiz se voulant aussi un biais pour familiariser avec la lecture du breton ceux qui n’en étaient pas familiers (A. Le Goff).

b. Le texte d’origine traduit

On trouve ici les figures de style du conte, avec une invitation à l’écoute, et, scandant le récit, des comparaisons imagées, de la sagesse populaire, des proverbes et des dictons familiaux. Il s’agit vraiment d’un témoignage historique, nous dit le locuteur au début, car (p. 64) « ce n’est pas un conte [au sens de : ce n’est pas une fiction], ce que je vais écrire, mais une histoire vécue et véridique d’un bout à l’autre. » On peut prendre (avec autorisation de citation) cinq exemples pour exemplifier cette façon d’écrire ;

– p. 71 les prisonniers doivent abattre des arbres « Aucun salaire ne nous était donné pour notre peine. Je me fatiguai. « Si vous faites le mouton, disaient les anciens, vous serez tondus » De crainte d’être tondu trop court, je demandai à revenir à Sennelager. »

– p. 74 il se décide à préparer son évasion :

« Homme sage, avant d’entreprendre

Prends conseil tout d’abord. »

– pour fuir, il s’associe avec deux camarades, mais pas davantage (p. 75) : « Nous étions maintenant assez de trois. Il ne fallait pas trop publier le désir qui était dans notre esprit. Car, comme disent les Léonards :

La poule perd son œuf

Qui chante trop après pondre. »

– arrive le jour favorable (3 avril 1916) : « le vent était bon, il était temps de vanner. »

– puis pour clore cette première partie de l’évasion (p. 80) :

« Kenavo, ferme de Kamen,

Kenavo, gardien inattentif !

Demain, devant ton maître,

Tu feras une danse sans sonneurs ! »

Alain Le Goff précise que le frère de l’auteur, l’abbé Pierre-Marie Lec’hvien, un des principaux animateurs de la revue Breiz, a fait ajouter dans livret de 1929, avec l’accord de son frère, la phrase prosélyte finale (réussite totale de l’entreprise, fin du récit): « Le lendemain, dimanche des Rameaux, avec mon père (…) j’étais dans mon église paroissiale à la grand’messe, remerciant le Seigneur Dieu, la glorieuse Vierge Marie et Madame Sainte Anne. »  

c. Souvenirs d’un ancien combattant

En 1970, Michel Lec’hvien réécrit en français une nouvelle relation de son épopée (terme impropre car – en breton comme en français – le propos est très sobre). La trame est identique, mais l’ensemble est bien plus détaillé ; ainsi, la période qui va de la mobilisation à la capture à Maubeuge occupe une page en 1929 et cinq dans le récit personnel et non publié de 1970. Le style est factuel, descriptif et exempt de toute l’oralité du texte d’origine. On peut constater que les éléments centraux sont à peu près identiques, mais le temps ayant fait son œuvre, la faim ou la brutalité des Allemands sont atténuées dans le second récit : (p. 110) « Des colis arrivaient de France, de nos familles, ce qui nous permettait de tenir sans trop de mal. » L’évasion devient possible parce que l’auteur va travailler à l’extérieur dans des fermes, et il signale y avoir été bien traité. De même il est intéressant de constater qu’en breton (1928 et 1929), si l’auteur utilise « an Alamaned » (les Allemands) et « soudarded an Alamagn » (les soldats allemands), il cite à plusieurs reprises « ar Boched » (les Boches) : ce sobriquet méprisant a disparu sous le trait de l’auteur en 1970, de même que dans la traduction du texte breton par Job Lec’hien en 1995, on voit ici qu’avec le temps, la Mémoire prend le relais de l’Histoire, en arrondissant les aspérités.

La préparation de l’évasion est minutieuse, et M. Lec’hvien explique comment il a trouvé des conseils avant de se lancer dans ces 75 km à vol d’oiseau qui le séparaient de la frontière (4 jours de marche de nuit, p. 113) « Ceux-là qui étaient repris, se voyaient les vêtements marqués. Habituellement sur la manche de la veste-capote, était cousu un tissu à couleur vive, rouge écarlate, vert cru, bleu, jaune. Cette façon de procéder était de la part des Allemands une lourde erreur. En effet, qui pouvait fournir des renseignements précis à ceux-là qui songeaient à s’évader, sinon ces évadés repris ? Ils pouvaient être considérés à juste titre comme des « professeurs d’évasion ». » Ils sont chaleureusement accueillis par les Hollandais, avec pain blanc à profusion et gestes amicaux (p. 131) : « L’un d’eux nous photographia parmi un groupe de soldats [hollandais] et, nous demandant nos adresses, nous promit de nous envoyer à chacun une photo, il tint parole. » Il n’a pas été possible de retrouver cette photographie en 2016.      

d. contribution savante

Yann Lagadec apporte des éclairages sur ce témoignage ; il reproduit l’article de L’Éclaireur du Finistère (p. 158) qui évoque l’évasion réussie, et qui insiste sur les informations rapportées par les fuyards sur la situation en Allemagne (p. 169, exemplaire du 29 avril 1916) : « La garde des camps est confiée à des territoriaux et à des réformés qui sont nourris comme les prisonniers. C’est une preuve qu’en dépit des fanfaronnades du chancelier, les vivres n’abondent pas en Allemagne. ». Il croise aussi le texte de M. Lec’hvien avec des récits de prisonniers et d’évadés bretons et note par exemple que sur le plan matériel, l’installation de l’électricité dans les baraquements (avec interrupteur extérieur) impressionne les prisonniers (p. 203 note 70) : « Pour ces ruraux bretons, le fait d’être éclairés à l’électricité n’a rien de banal. »

Les motivations profondes des trois évadés sont difficiles à éclairer, mais c’est revoir les siens et la Bretagne qui domine ; la volonté de reprendre le combat n’est pas évoquée et Y. Lagadec n’a trouvé pour cette motivation qu’un seul cas de figure avec un interné civil qui n’avait jamais vu le front (p. 222) ; il se dit en désaccord avec Stéphane-Audouin-Rouzeau et Annette Becker (« Oubliés de la Grande Guerre, 1998, p. 126 et 127,  et « 14-18 Retrouver la Guerre », 2000, p. 119), qui proposent la généralisation selon laquelle les prisonniers brûlent de s’évader pour des raisons patriotiques et pour poursuivre le combat (p. 119) « le désir logique du capitaine de Gaulle comme de celui de l’immense majorité des prisonniers est l’évasion. Car elle est espoir de retour au cœur de la guerre (…)» Selon Y. Lagadec, (p. 222, note 99) cette démonstration « ne parvient pas à convaincre à la lecture des témoignages de la plupart des évadés étudiés. »

Donc un témoignage intéressant, inscrit dans l’histoire de l’évolution rapide de la Bretagne des années Soixante. La force du témoignage de Michel Lech’vien tient dans sa concision, sa modestie-même (Y. Lagadec, p. 268), et, pour le récit en breton, dans sa forme proche du style des conteurs itinérants pour publics adultes, encore nombreux en 1914. Pierre-Jakez Hélias (« Le quêteur de mémoire », 1990, p. 267) montre que ces conteurs accueillis aux veillées avant 1914 ont progressivement été marginalisés par l’alphabétisation des publics, puis entre-deux guerres par l’éclairage électrique et la T.S.F., le poste de télévision venant achever ce processus de disparition. Peut-être Michel Lec’hvien a-t-il voulu proposer en 1970 un récit en français plus dans l’air du temps ? Si celui-ci est plus complet, on lui préférera quand même le court récit d’origine, qui mélange irruption de la modernité de la Grande Guerre et univers culturel bien plus ancien.

Vincent Suard, septembre 2025

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Bourrillon, Henri (1891-1945)

Samuel Caldier, responsable des archives municipales de Mende a publié un ouvrage sur Henri Bourrillon (Maire de Mende et chef de la Résistance en Lozère mort en déportation) : Henri Bourrillon (1891-1945), L’ours de granit, Médiathèque de Mende, 2025, 243 p. Si l’auteur évoque longuement l’action publique de cette personnalité locale et son combat de l’ombre face à l’occupant nazi, il consacre également deux chapitres inédits sur son parcours militaire durant la Grande Guerre puis sur son militantisme au sein des associations d’anciens combattants.

Un poilu dans la Grande guerre (p 47-58)
Né dans une famille de notable lozérien profondément acquise aux valeurs de la Troisième République, Henri Bourrillon n’a aucune vocation pour suivre une carrière militaire. Etant de la classe 1911, il termine ses études en droit en 1913 puis effectue son service militaire dans la subdivision de Clermont-Ferrand. Le 11 août 1914, il est incorporé à la 1ère compagnie du 105ème RI. Simple 2ème classe au début du conflit, il obtient le grade de sous-lieutenant à la fin de la guerre. Son courage et son énergie expliquent cette promotion. Le 30 avril 1916, au cœur de la bataille de Verdun, il obtient une première citation pour avoir assuré la liaison entre le chef de bataillon et le commandant de la brigade sous le feu de l’ennemi. L’année suivante, au petit matin du 20 août, il est grièvement blessé par balle lors d’une attaque menée contre les lignes allemandes dans cette même région d’Avocourt. Encore convalescent, il reçoit une deuxième citation avec croix de guerre (étoile dorée) ainsi que la distinction de chevalier de la Légion d’Honneur. Il est démobilisé le 24 août 1919.

Durant ces années de guerre, Henri Bourrillon écrit quelques courriers à ses proches [aujourd’hui conservés par sa famille]. Certains se distinguent par leur contenu et leur contexte. Dans une lettre écrite en 1917, il décrit l’attaque entrainant sa blessure. Non seulement ce courrier témoigne de la violence des combats mais il décrit également les différentes étapes de prise en charge d’un blessé sur le front ainsi que les difficultés et parfois l’impréparation d’une partie du personnel médical face aux contraintes et aléas de la guerre. Deux autres cartes postales sont envoyées à son père en novembre-décembre 1918. Il l’informe qu’il se rend à Paris pour assister au passage du couple royal de Belgique dans la capitale. Il envisage aussi de se rendre dans les régions dans lesquelles il a combattu : Oise et Somme. Henri Bourrillon a besoin de se souvenir et de réfléchir sur les conséquences de cette boucherie humaine qui caractérise ce conflit majeur.

Un militant des anciens combattants (p 61-79)
Après sa démobilisation, Henri Bourrillon prend la présidence de l’Association mendoise des Anciens Combattants et Mobilisés de guerre puis de la Fédération lozérienne des A.C. Il participe également à la rédaction de quelques articles dans le journal Le Poilu lozérien. Mais la réflexion et la volonté d’agir d’Henri Bourrillon ne s’arrêtent pas là. L’originalité de son militantisme est d’être un des pionniers de la Semaine du Combattant créée en 1922. Ce mouvement, né en province, entend échapper à « la domination parisienne » et veut unir toutes les associations françaises (rurales et urbaines) pour être force de proposition et élaborer un socle commun de revendications. En 1923, lors du congrès de Tours, Henri Bourrillon s’exprime en ces termes :
« Je me demande aujourd’hui si le mouvement généreux qui nous fit nous grouper à notre retour des armées ne se serait pas éteint bientôt sans l’action de la « Semaine » et si nous n’aurions pas eu à enregistrer la faillite définitive de nos associations, de celles du moins qui prétendent à autre chose qu’à l’organisation d’un banquet annuel.
En appelant toutes les associations de France, même les plus petites sections de village, à participer à ses travaux et à étudier en commun ces questions d’intérêt majeur qui sont portées à l’ordre du jour du congrès, la « Semaine » marquera le réveil de beaucoup de nos groupements qui ne chercheront plus leur raison d’être puisque cette grande coalition dans le travail aboutira à la rédaction du cahier minimum de nos revendications et, pour le triomphe de celles-ci à l’indispensable conjonction de nos efforts. »
A la fin des années 20, de nombreuses avancées sont réalisées (carte d’ancien combattant, retraite, journée officielle du 11 novembre, etc.). Henri Bourrillon voit ses efforts récompensés par la venue du ministre de la Guerre André Maginot à Mende lors du congrès national de la Fédération des Associations françaises des Mutilés, Réformés, Anciens Combattants, Veuves, Orphelins et Ascendants qui se tient du 29 au 31 mai 1931.
En plus de son engagement pour donner une plus grande place aux anciens combattants dans la société française notamment pour encadrer la jeunesse, Henri Bourrillon n’a de cesse de militer pour la paix. Tous ses discours publics, qu’ils soient associatifs ou politiques, mettent en avant son pacifisme. Malgré tout, il sera à nouveau mobilisé en 1939 comme capitaine de réserve sur la place de Lavaur dans le Tarn puis il mènera un nouveau combat de l’ombre au sein de la Résistance lozérienne.

Samuel Caldier, juillet 2025

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Gheusi, Pierre-Barthélemy (1865-1943)

Pierre-Barthélemy Gheusi, Cinquante ans de Paris. Mémoires d’un témoin, (1889 –1938), Paris, Plon, 1939, 505 pages

Résumé de l’ouvrage :
Pierre-Barthélemy Gheusi, journaliste, écrivain et directeur de théâtre à Paris, livre, de 1889 à 1938, ses souvenirs déroulés au fil d’une vie dense et à multifacette dans les domaines du journalisme (il est rédacteur au Figaro), de la musique (il est directeur de l’Opéra-Comique), de la politique et même de la Grande Guerre, occupant, en tant que capitaine, la fonction d’officier d’ordonnance de Galliéni. Ses souvenirs sont distillés dans autant de tableaux chronologiés dans les petits et les grands épisodes de sa vie omnisciente. L’ouvrage se décompose ainsi en trois tiers inégaux ; l’avant-guerre, la Grande Guerre et un après-guerre qui se termine peu avant la survenance de la Deuxième Guerre mondiale.

Eléments biographiques :
Pierre-Barthélemy Gheusi est né à Toulouse, le 21 novembre 1865, de Joseph Antoine, alors employé de banque, cousin de Gambetta, et de Hélène Mimard, sans profession. Il étudie au collège de Castres, où il rencontre Jean Jaurès, puis fait des études de droit à Toulouse. Dès 1887, il collabore à une revue (Le Décadent) et se frotte un temps à la politique. Il devient chef de cabinet du sous-préfet de Reims puis, obtenant une mutation à Paris, demeurant rue de Miroménil puis rue Saint-Florentin, il collabore avec le Gouvernement. Il fait ensuite plusieurs voyages à l’étranger, avec des rôles divers, dont diplomatiques. Il occupe diverses fonctions, comme officier de l’Instruction publique, chargé de mission en Syrie et en Palestine, membre de la commission du Théâtre Antique d’Orange, membre de la commission d’admission et d’installation de l’exposition de 1900, membre de la Société des Auteurs Dramatiques, de la Société des Gens de Lettres, du Comité des Expositions à l’Étranger ou de l’Association des Journalistes Parisiens. Il est ancien chef de cabinet du préfet et du secrétaire général de la Seine, attaché aux Ministères de l’Intérieur et des Travaux Publics. Enfin, il est, pendant la Guerre, officier à l’état-major de l’artillerie territoriale de Paris (cf. Base Léonore). Il épouse en 1894 Adrienne Willems, avec laquelle il a plusieurs enfants, dont un fils, Raymond, artilleur, et Robert, aviateur. Directeur de la Nouvelle Revue, il est promu directeur-administrateur du Figaro après-guerre, avant d’être congédié en 1932. Directeur également de l’Opéra-Comique, il en est renvoyé en 1918 par Clemenceau puis, rétabli dans ses fonctions, contraint à la démission en 1936. Il aura écrit dans sa vie 23 œuvres musicales, œuvres dramatiques ou livrets d’opéra, 12 romans, 8 livres d’Histoire et divers autres livres (source Wikipédia). Il meurt à Paris, à son domicile du 4 rue de Florentin, dans le 1er arrondissement, le 30 janvier 1943.

Commentaire sur l’ouvrage :
L’ouvrage, dense, fouillé et multifacette, est un document incontournable sur la vie politique, artistique, mondaine et militaire (pour la Grande Guerre) parisienne pendant toute la 3ème République. Ami de Jaurès, zélateur de Gambetta (par lien familial), et sectateur-réhabilitateur universel de Galliéni, dont il est l’officier d’ordonnance, et sur lequel il a écrit plusieurs livres, Gheusi est un personnage incontournable. Son livre, qui suit un fil chronologique, tout en reportant peu de dates, en est donc difficile à appréhender dans toutes ses acceptions et subtilités, sauf à être un contemporain du même milieu social ou très fin connaisseur de la période. Œuvrant dans de nombreux domaines liés à ses fonctions et la centralité de ses rôles, il construit son ouvrage par tableaux dans une foultitude de domaines, à Paris, en France, comme à l’étranger. Divisé en quatre grands chapitres (Souvenirs de jeunesse – Avant la guerre – La Guerre et Après la guerre), c’est bien entendu le chapitre consacré à la guerre (pages 223 à 387), et notamment par sa position centrale, en 1914, dans l’entourage de Galliéni, qui forme le cœur de l’intérêt de ces mémoires. Il est donc heureux qu’un index paginé des noms cités soit présent en fin d’ouvrage. Il convient donc de s’y reporter pour toute analyse des données que ce livre contient. Bien entendu, quelque peu auto-promotionnel comme autocentré, le contenu de cet ouvrage demande à être confronté aux témoignages politiques et artistiques de mêmes niveau et ampleur. Gheusi est assez direct, décrivant opportunément le plus souvent les milieux qu’il côtoie, y compris montrant les intellectuels habillés en uniforme pendant la Guerre. Le livre est mâtiné, çà et là, de phrases centrales et frappées du coin du bon sens voire même de descriptions à contre-courant. Ainsi par exemple, il n’est pas tendre sur les « m’as-tu-vue-en-infirmière », assimilant les bénévoles sanitaires mondaines en demi-mondaines (page 228). Tout au long de l’ouvrage, il milite pour Gambetta et Galliéni, martelant bien entendu que ce dernier a sauvé Paris. Il donne également quelques éléments militaires intéressants, ainsi bien sûr que des éléments d’ambiance sur le Paris de la Grande Guerre, dans de nombreux domaines, civils comme militaires, et mondains comme politiques. L’ouvrage est donc bien celui d’un témoin, privilégié par sa position comme par sa centralité. Certes, il parisiannise tout, quitte à faire des erreurs factuelles, comme « l’affaire du Zeppelin Z-VIII – L22 » abattu au-dessus des Vosges meurthe-et-mosellanes, qui selon son témoignage menaçait Paris au point de lui faire passer une nuit d’« insomnie de fièvre et d’attente » (page 232). Sa vision d’une Paris menacée, occasionnant le départ du gouvernement, instructive, notamment pour l’ambiance politique pendant les quatre mois de son absence. Il évoque les « réfugiés en province » invités à partir, les députés « paniquards », ceux qui se plaçaient, pour fuir, sur la liste des otages allemands quand ces derniers seraient entrés dans Paris, évoquant une véritable « phrase-médaille » (page 239), etc. Il décrit l’ambiance militaire des tirs contre avions et de leurs risques pour les parisiens, et rapporte également quelques rumeurs de bourrage de crâne, comme les notables de Senlis assassinés et enterrés les pieds en l’air (page 240). Mais cette partie de son récit, dans les heures pénibles précédant la bataille de La Marne et son issue victorieuse, est intéressante. Témoin privilégié, il rapporte faits et ambiance, jusqu’à affirmer : « Pour donner une idée de l’autorité indiscuté de Galliéni, dès ce jour [3 septembre 1914], dans tous les milieux, rappelons un fait sans précédent en une cité menacée des pires désordres par l’approche de l’ennemi. Pendant quatre mois, malgré la réduction quasi-totale de toute police administrative, dispersée désormais et employée ailleurs, pas un crime et pas un délit n’ont été commis, fût-ce dans une des innombrables maisons abandonnées de la capitale – pas même un vol à la tire. Le « jusqu’au bout ! » du Chef, devenu en une nuit l’idole et l’égide de Paris, a rassuré les bons et terrifié les autres » (pages 241 et 242). Il ajoute plus loin, relativement au départ pour Bordeaux du gouvernement : « Le Ministre de la Guerre, une heure avant de rallier le train furtif, mais gouvernemental, qui allait gagner Bordeaux sans être sûr – autre légende que nous laissions circuler malgré son ânerie – de ne pas être enlevé, vers Villeneuve-Saint-Georges, par les uhlans de Von Kluck (…) » (page 243). Bien que n’ayant pas lui-même suivi les exilés bordelais, il y rapporte une atmosphère empoisonnée (page 276). Évoquant les possibles d’une invasion allemande de Paris, il donne détails intéressants sur la rédaction de la proclamation de Galliéni aux parisiens, où elle a été imprimée, ce que voulait dire son « jusqu’au bout » et conclut : « Nous avions, à tous les degrés de la hiérarchie, la bravoure facile de l’indifférence et de la fatalité » (page 243). Il fait même quelques excursions au front, dont il dresse des tableaux parfois surréalistes. Là encore, il atteste : « Nous avons vécu les journées suivantes dans le sillage de la retraite ennemie. Derrière eux, les Allemands on laissé, de chaque côté de la route, des amoncellements de bouteilles vides. Elles attestent que l’orgie est venue au secours du sol envahi et que les vins du terroir ont, eux aussi, contribué à démoraliser l’envahisseur. Mais il laisse après lui la tenace puanteur de ses excès stercoraires, les profanations sacrilèges de son luthéranisme congénital, la nausée de ses atrocités et de ses crimes » (page 255). Sensible à l’ambiance d’alors du champ de bataille, Gheusi rapporte quelques récits d’espionnite, tel celui du pont d’Epluches, qui n’était que prostatique ! (page 267).

Renseignements tirés de l’ouvrage :

Il convient de se reporter à la table des chapitres (4 majeurs et 12, 16, 15 et 17 sous-chapitres) pour hiérarchiser l’ouvrage, ainsi qu’à l’index des patronymes.

Page 197 : Publie dans La Nouvelle Revue, « deux ans et demie avant qu’elle éclatât » un article sur la guerre inévitable, lequel lui vaut des reproches du Quai d’Orsay
224 : En voyage à Berlin six semaines avant la guerre, et dit : « Toute l’Allemagne pue la guerre »
: Camp de concentration en Bretagne (vap 248 pour y interner l’autrichien Max Nordau, qui considère la France « comme le peuple le plus pourri, le plus faraud, le plus gangrené de toutes les tares latines du vieux monde »)
: Sur les Allemands, il dit : « Ce peuple absorbe la musique comme il absorbe de la bière et de la saucisse. Son avidité musicale se satisfait d’ailleurs de n’importe quels sons, de même que sa gloutonnerie se satisfait de n’importe quelle nourriture »
225 : Mort de la femme de Galliéni, qui le plonge dans la guerre corps et âme
232 : Antiallemand, il dit : « Il ne suffira plus, maintenant, de châtier l’Allemagne ; il faut aussi la déshonorer devant le monde »
239 : Tirs contre avions par les Écossais (vap 240 sur les risques encourus et le tireur d’élite de l’Opéra-Comique)
240 : Maire, M. Eugène Odent, et notables de Senlis fusillés et enterrés les pieds en l’air
242 « Train furtif » gouvernemental pour Bordeaux
250 : Sur l’épisode des Taxis de La Marne
252 : Abattage des chiens errants et achèvement des chevaux, puis leur enterrement par des zouaves et des sapeurs de Paris, après La Marne
255 : Bouteilles vides de la retraite allemande au bord des routes, orgies contributrices à la défaite allemande
255 : Effets de 75
260 : Officiers allemands fuyards exécutés par des officiers allemands
: Sur des dormeurs qui sont en fait des soldats morts !
: Réservistes angevins modèles de terrassiers par leurs tranchées paysannes
274 : Contrôle télégraphique et ses surréalismes pour l’affaire Louis-Dreyfus (fin 283), qui rappelle que l’espionnite, multiforme, ne concernait pas que la zone du front
279 : Ordre en blanc
290 : Sur le retour du gouvernement : « Le Gouvernement rentre dans Paris comme il en est sorti, avec une discrétion qui ne comporte ni tambours, ni trompettes, en sorte que la population ne se sera guère plus aperçue du retour des ministres que de leur départ… »
310 : Spectacle des zeppelins pour les parisiens
316 : Crise des 75
344 : Il adjective tous les ministres (le 4 février 1916)
353 : Chiffres sur l’Opéra-Comique
358 : Textilose pour les décors
363 : Voit Mussolini en 1917
369 : 74 voyages d’artistes dans les cantonnements de repos du front (en 1917)
372 : Vue de Mata-Hari (vap 373 son exécution, par une seule balle l’ayant atteinte !)

Yann Prouillet, 5 septembre 2025

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Tatin, Louis (1863-1916)

TATIN, Louis, Edmond, Adhémar (1863-1916)

1. Le témoin.
TATIN, Louis Edmond, Adhémar, est né le 25 novembre 1863 à Saint Michel-l’Écluse-et-Léparon en Dordogne, canton de Saint-Aulaye. Dès 1884, il s’engage volontairement dans l’armée pour une durée de cinq ans au 57ème régiment d’infanterie en garnison à Bordeaux. La carrière militaire semble lui convenir puisqu’ il entre le 17 avril 1888 à l’École militaire d’infanterie, devient élève sous-officier, puis sous-lieutenant en sortant 32e sur 450 élèves et est affecté le 18 mars 1889 au 63ème RI. en garnison à Limoges-Bénédictins. Là, il gravit les différents grades, lieutenant (15 octobre 1889) lieutenant porte-drapeau (28 août 1894). Sa carrière se poursuit très brièvement à Caen au 36ème R.I. en qualité de capitaine, il y arrive le 3 novembre 1900 et dès le 26 novembre 1900 il est de retour à Limoges au 78ème RI. Cette carrière militaire est couronnée assez rapidement par la Légion d’honneur, le capitaine Louis Tatin est fait chevalier le 30 décembre 1900, à 37 ans. En août 1914, Louis Tatin est capitaine-adjoint, il apparaît au troisième rang dans l’ordre hiérarchique après le colonel Arlabosse, le lieutenant-colonel de Montluisant dans l’encadrement du 78e régiment d’infanterie. Au cours de la guerre, il gagne ses galons de commandant. Chef de bataillon à titre temporaire, un décret du 28 décembre 1914 le nomme à titre définitif à compter du 25 décembre 1914. Le capitaine puis chef de bataillon Tatin, occupant la troisième place dans le commandement du régiment du 2 août 1914 au début avril 1916, prend le 7 avril 1916 le commandement du 2ème bataillon. Devenant ainsi le bataillon Tatin très durement éprouvé deux jours plus tard. Le chef de bataillon Tatin est tué le 9 avril 1916, à la Côte du Poivre. Il repose à Verdun, dans la nécropole nationale du Faubourg Pavé, dans le carré des officiers.

2. Le témoignage.
Le cahier du Chef de Bataillon Tatin a été conservé dans la bibliothèque du presbytère de Guéret (Creuse) sans que l’on ait pu déterminer de quelle façon il y était parvenu après la guerre de 1914-1918. Sa veuve, décédée en 1947, sans enfant, avait peut-être confié le cahier à un prêtre de Limoges, nommé à Guéret. Le cahier a été conservé à partir de 1971 par un adolescent devenu professeur d’histoire et de géographie. « Notes et souvenirs, 1914, 1915, 1916 », tel est le titre que l’auteur a donné à son récit présenté dans un cahier de moleskine noir, de format 17 cm x 22 cm. Sur les 136 pages que contient le cahier, seules 119 sont noircies d’une écriture très régulière qui dénote une aisance du scripteur. La mise en page du texte est très simple sur l’ensemble du cahier : les dates sont indiquées dans la marge, à chaque date ou ensemble de dates correspond un développement. Le 2 août 1914 et le 2 avril 1916 définissent les bornes du témoignage du soldat. Ce cahier n’a fait l’objet d’aucun repentir, d’aucune rature et surtout n’a pas été remanié par son auteur ; c’est un témoignage brut qui nous est ainsi proposé. Ce document est à classer dans l’ensemble des carnets et mémoires des soldats qui se sont exprimés sur la guerre telle qu’ils l’ont vécue.

3. Principaux thèmes du contenu du témoignage.
Le soldat a certainement voulu conserver le souvenir de cette guerre en fixant par écrit les différents mouvements de son régiment. Il y a bien sûr une grande concordance entre le récit de Louis Tatin et les indications contenues dans le Journal de Marche et d’Opérations du 78ème RI.
Le thème le plus intéressant réside dans la réflexion personnelle de l’officier sur la conduite de la guerre. Le capitaine, puis commandant Tatin passe rapidement de l’optimisme aux doutes. Si dans un premier temps il pense que la guerre va se dérouler comme l’Etat-major l’a prévu et que la victoire sera vite acquise, Tatin doit se rendre à l’évidence. Il comprend la dureté des engagements, le mauvais entraînement des hommes, le manque de méthode, le manque de matériel, les mauvaises décisions de l’État-major. Et, il expose ouvertement ces critiques dans son cahier.
L’autre intérêt de ce cahier est l’approche de la sensibilité de cet officier, issu de la petite bourgeoisie catholique, rurale du Sud-Ouest de la France, qui découvre la France de l’Est et du Nord et exprime beaucoup d’empathie vis-à-vis de ses concitoyens civils, victimes des bombardements, et des exactions des deux belligérants.
Son regard porté sur les hommes est émouvant car dépourvu de jugement, sauf sur des aspects qui heurtent la morale de son milieu, l’alcoolisme et la prostitution.
Malgré les critiques exprimées à l’égard des officiers supérieurs qui conduisent la guerre au niveau de la division ou au plus haut niveau de l’État-major, rien n’affecte sa loyauté et son patriotisme vis-à-vis de sa hiérarchie et de son engagement de soldat faisant son devoir jusqu’au bout.

Paul Busuttil, 03 septembre 2025

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Dieterlen, Jacques (1893-1959)

Dieterlen, Jacques, Le Bois le Prêtre (octobre 1914 – avril 1915), Hachette, collection Mémoires et récits de guerre, 1917, 280 pages

Résumé de l’ouvrage :
L’auteur, de manière impersonnelle, brosse de nombreux tableaux-hommages aux « Loups du Bois le Prêtre ». Après un panorama des lieux de mort, du Quart-en-Réserve à la Croix des Carmes, à l’ambulance du Gros Chêne et leurs cagnas de boue jaune ; il nous fait suivre la vie du front, faite de petits postes, de patrouilles, de guerre souterraine, d’attaques et de relèves. Dès lors, officiers et soldats de toutes armes, blessés et prisonniers, nous sont dépeints en situation dans leurs peines et leurs sacrifice, toujours héroïques, pour les magnifier.

Eléments biographiques :
Jacques Dieterlen naît à Cannes, dans les Alpes-Maritimes, le 28 novembre 1893, d’une famille d’origine alsacienne. Il est le fils de Christophe et de Suzanne Amélie Thierry. La guerre le surprend alors qu’il fait son service au 168ème R.I. de Toul, entré comme 2ème classe le 29 novembre 1913. Jean Norton Cru avance dans « Témoins » (page 292), relativement à sa présence au front, qu’elle fut courte. Il dit : « Parti comme caporal dès les premiers jours d’août 1914, la brigade active de Toul fut amenée au Bois le Prêtre, devant Pont-à-Mousson, sur la rive gauche de la Moselle. Elle y resta jusque vers le 2 juillet 1915. Mais déjà, avant cette date, Dieterlen, qui avait été promu sergent, avait été blessé et évacué. Sa blessure lui fit perdre le bras droit. À l’armistice, il retourna au pays natal de sa famille, se fixa à Strasbourg [il y habite 1 rue de la Douane] où il fit ses études de droit et s’occupa de presse et de littérature ». Plus précisément, il passe en effet caporal le 1er avril 1914 et sergent le 16 novembre suivant. Le 19 du même mois, il est affecté au 169ème RI, de Toul également, et est en effet, le 10 avril, blessé gravement au Bois le Prêtre par un éclat d’obus (ou une balle explosive en fonction des sources, notamment son dossier de Légion d’Honneur) qui lui fracture l’épaule droite, occasionnant sa désarticulation et son amputation. Il est cité à l’ordre de ce régiment le 20 avril 1915 avec ce motif : « Très belle conduite à la prise d’un petit poste ennemi, a montré une courageuse activité dans l’organisation de la position conquise », citation complétée le 26 août suivant avec le complément : « son lieutenant lui demandant si sa blessure était grave, a répondu « ce n’est rien si la section peut se maintenir dans la tranchée » ». Il est décoré de la croix de guerre, de la médaille militaire (le 15 septembre 1915) et de la Légion d’Honneur (15 septembre 1932). La guerre achevée, il épouse, le 30 août 1920, à Reims, Germaine Ida Madeleine Reiterhart, et s’installe en Alsace où il devient rédacteur en chef du Journal de Schlestadt (Sélestat). Ayant obtenu son baccalauréat en Droit à Strasbourg en juin 1921, il fera une carrière comme auteur de plusieurs ouvrages, mais également comme initiateur de deux revues ; une sur la navigation sur le Rhin et une sur le ski, dont il est un spécialiste. En 1946, il publie un roman, Honeck, chez Flammarion, dans une collection qu’il dirige chez cet éditeur, intitulée La Vie en montagne. Cette fiction, qui évoque les deux guerres mondiales, s’inspire pour la partie Grande Guerre de sa fonction de directeur, à partir de 1917, du Foyer du soldat du Collet, à proximité du col de la Schlucht, dans les Hautes Vosges. Henriette Mirabeau-Thorens Mirabaud-Thorens, Henriette (1881-1943) – Témoignages de 1914-1918) le rencontre et le décrit à plusieurs reprises dans son ouvrage. Le 9 septembre 1917, elle dit : « C’est le jeune Dieterlen qui dirige le Foyer du Soldat du Collet. Il a perdu un bras à la guerre. Il a parfois de la peine à tenir ses chasseurs, qui n’ont pas froid aux yeux : « Mais c’est grâce à ma manche vide que je leur en impose », nous dit-il. Il a écrit un livre admirable sur le Bois-le-Prêtre » (page 288 de En marge de la guerre). Elle en reparle (pages 301, 309 et 318), rapportant les anecdotes que raconte à l’envi Dieterlen sur son poste au Collet et sa vision des poilus. Sa famille dirigeant un hôtel, [c’est pour cela qu’il rencontre Henriette Mirabeau-Thorens, qui le cite dans ses livres], il se retire pendant la Deuxième Guerre mondiale à Gérardmer (Vosges) pour y administrer Le Grand Hôtel. Il est également connu comme artiste peintre et illustrateur. Il meurt dans cette ville le 24 novembre 1959.

Commentaire sur l’ouvrage :
Rien ne manque dans cette suite de longs alignements pénibles de tableaux romancés, animés d’homériques héros toujours tragiques, qui meurent tous d’une balle glorieusement reçue en pleine tête, et de boches barbares et pleutres dans le plus pur esprit du bourrage de crâne le plus grossier, ajoutant aux images d’Epinal pochées à l’invraisemblance l’honneur étalé et la souffrance jusqu’au sadisme. Ce livre surréaliste ne vaut que pour cette démonstration. Norton-Cru décrit parfaitement le sentiment de l’historien à la lecture de ce pensum : « Rien n’est plus navrant alors que de voir un combattant, un mutilé, s’exprimer dans le ton de ces artistes de bravoure qui déchainaient la fureur des poilus. Tout le livre de Dieterlen dépeint une bravoure exagérée ; livresque, non-humaine ; ses soldats sont des surhommes et ils s’expriment dans un style à scandaliser les vrais poilus » (page 293). Cela commence en effet dès la page 10, quand un soldat dit qu’il a aiguisé sa Rosalie ! La baïonnette est souvent citée, comme un instrument de prédilection qu’il associe à l’attaque du soldat, à « l’usage de cette fine petite aiguille d’acier qu’il faudra enfoncer dans des poitrines humaines, puis retirer, puis enfoncer à nouveau… » (page 240). Suivent des pages sirupeuses d’hommes « emportés par cette fièvre héroïque » (page 25), voire cette « ivresse héroïque » (page 114), d’horreur superfétatoire, comme ces morceaux de corps partout, servant d’indicateurs (page 32), cette fosse commune surréaliste en plein milieu de la tranchée (page 38), cette scène qui rappelle furieusement le Debout les Morts de Péricard quand Dieterlen décrit : « …on eut dit que les morts eux-mêmes se réveillaient à la vie pour prendre part à la lutte » (page 41) ou ces blessés affreusement mutilés se jouant de la douleur par des bons mots (page 195). Les soldats, surhommes mythologiques, sont héroïques, même sans arme, comme ce soldat du génie qui capture une mitrailleuse à l’aide d’une simple cisaille (page 114). Ces héros auxquels Dieterlen pense rendre hommage, il ne leur applique pourtant qu’outrance bien peu réaliste dans les conditions de la guerre, ce par des phrases comme « il n’y avait rien qu’il ne surmontât, il n’y avait pas de mitrailleuses qui pût l’empêcher » (page 176). Dans cette avalanche de morts, ne bénéficiant généralement que de très peu de respect, ceux-ci, français comme allemands, sont utilisés comme barrages (page 77), comme banc (page 91) ou comme parapet. Les têtes sont jetées hors de la tranchée (page 202) ou tel soldat s’endort sur le cadavre d’un ennemi (page 231). Par ses outrances sur ce point, Dieterlen méconnait la réalité de la mort au front et de son traitement, ami comme ennemi, surtout pour l’année 1915.
Ces multiples tableaux, le plus souvent mal écrit en termes de dialogues surréalistes qu’aucun poilu n’aurait tenu parce que verbalisant l’inutile à formuler, forment une superposition interminable de héros, les mettant parfois dans des situations stupides comme ce brancardier qui revient avec 10 baïonnettes des morts (page 170). L’allemand est bien entendu soit stupide, soit barbare. La tentative de négociation faite pour récupérer un blessé s’achève par l’achèvement ce celui-ci à la grenade (pages 186 à 189). Ainsi, le « Teuton », le « Fritz » ou le « Boche » ne peut être que mort ou prisonnier, mais Dieterlen avance même « Mais il ne fallait pas qu’il y en eût trop ! » (page 214), d’autant qu’amadoués et renseignés sur la réalité de la guerre ; « Dans la suite, ils devinrent moins naïfs et se rendaient plus facilement » (page 217). D’autres pleutres demandent même aux français d’assassiner leurs officiers (page 228). Quant aux bleus des classes 14 et 15, ils meurent insouciants et naïfs (page 198). Tout l’ouvrage n’est donc une longue suite de verbiage sans précision ni technicité, au-delà du moindre intérêt. À peine Dieterlen s’interroge-t-il sur le « syndrome du survivant » dans la grande boucherie, concluant pour toute analyse seulement que « la mort est lâche » ! (page 203). Dieterlen, qui dédie l’ouvrage « À la gloire de tous les Héros obscurs morts au Bois Le Prêtre. À toux ceux qui leur sont chers », s’essaye ainsi à rendre hommage aux différentes armes ; soldats et officiers, brancardiers, agents de liaison, hommes du génie (chapitre plus surréaliste encore d’inepties, d’insavoir et d’outrances), blessés et prisonniers, etc., mais avec une injustesse qui classe ce Le Bois le Prêtre dans l’un des pires ouvrages de la pourtant intéressante collection bleue des « mémoires et récits de guerre » d’Hachette. Enfin, au relevé des rares dates avancées dans le livre (voir infra), celui-ci n’étale de fait sa narration que sur une période, entre l’arrivée et la relève, au printemps 1915, soit entre la mi-mars et le 10 avril, alors qu’il avance en sous-titre la période Octobre 1914 – avril 1915. Cela correspond manifestement à la courte expérience qu’il a pourtant bien eu lui-même du Bois Le Prêtre.

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Eléments de datation relevés dans l’ouvrage
Page 14 : 2 avril 1915 (169ème R.I.)
25 et 27 septembre 1914 (combats de Mamey) (avant l’arrivée de la division)
142 : 10 avril 1915
159 : 31 mars 1915
190 : Une nuit d’hiver 1914
204 : Un matin de la fin mars 1915
218 : Le jour de Pâques 1915 (4 avril 1915)
224 : Un jour de l’hiver 1914-1915
233 : Premiers jours du printemps 1915 (rappel : printemps = 21 mars)
245 : Avril 1915

Relevé des toponymes cités dans l’ouvrage (page)
Mamey (2 à 5) – Fey-en-Haye (5, 14, 28, 80, 101, 225) – Régniéville-en-Haye (13) – Thiaucourt (13) – Vilcey-sur-Trey (14) – Hauts de Meuse (100) – Fontaine du Père Hilarion (133) – Auberge Saint-Pierre (134) – Route de Norroy (134) – Maidières (148) – Montauville (164, 192, 193, 269, 273, 277, 278) – Pont-à-Mousson (193) – Ravin des Cuisines (274, 277) – Poste de secours de Clos-Bois (275) – Croix des Carmes (277)

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 65 : Artisanat de tranchée
90 : Il tire sur un geai
92 : Coup de fusil ayant « le bruit d’un caillou jetée sur de la glace »

Yann Prouillet, 21 août 2025

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Genevoix, Maurice (1890-1980)

Maurice Genevoix, Trente mille jours. France Loisirs, 1980, 251 p.

Résumé de l’ouvrage :
À quelques mois de sa mort, Maurice Genevoix, revient sur son enfance, sur sa vie, militaire, comme littéraire, avec les succès qu’il a connus, du Prix Goncourt (1925) à l’Académie française (1946). Il appuie son récit sur quelques épisodes marquants (sa recherche de maison, son enfance, ses études, ses voyages, sa pratique d’écriture, alternant livres de guerre et romans, ses prix littéraires, etc.), mâtinés de souvenirs militaires, de son service au 144e RI (1911) à son entrée en guerre avec le 106e RI le 22 août 1914. Il revient aussi sur son « coup de veine » puis sa grave blessure, atteint de trois balles et quelques courts tableaux qui ont marqué sa mémoire.

Eléments biographiques :
Né le 29 novembre 1890 à Decize (Nièvre), il meurt d’une crise cardiaque le 8 septembre 1980, alors qu’il est en vacances dans sa maison d’Alsudia-Cansades, près de Xàbia (province d’Alicante), en Espagne. Nous ne reprendrons pas dans cette notice l’immense carrière et la biographie de celui qui fut l’un des plus illustres témoins de la Grande Guerre, les éléments le concernant étant facilement acquérables sur Internet.

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Dans Trente mille jours, quelques épisodes disséminés évoquent son « expérience » militaire. Page 95, il évoque le statut particulier qu’il choisit pour son service militaire. Il dit : « En 1911, un statut particulier précisait les obligations des jeunes Français admis aux « Grandes écoles ». Comme tous les citoyens, ils devaient à leur pays deux années de service militaire. Mais ils pouvaient, à leur convenance, opter entre deux solutions : ou bien s’acquitter d’abord d’une première année « dans la troupe », la seconde seulement après leur temps d’école et, cette fois, comme officiers. Ou bien entrer d’emblée rue Descartes [Polytechnique] ou rue d’Ulm [École normale supérieure], et accomplir ensuite et d’une traite les deux années de service. C’est la première solution qui nous était judicieusement conseillée, et c’est elle que j’ai choisie ». Il fait son temps à Bordeaux, au 144e RI, et se souvient d’une rixe qui aboutit à une citation « pour avoir courageusement participé à l’arrestation d’un malfaiteur dangereux » (p. 102). Il revoit l’affichage de l’ordre de mobilisation générale et de son ordre de rejoindre le 106e d’infanterie. Il dit : « Un engagement déjà sévère, le 22 août, aux abords de Cons-la-Granville ; fit appeler le premier renfort, dont j’étais » (p. 113). Suit son baptême du feu, la bataille de La Marne, ses engagements aux lisières de Rembercourt-aux-Pots puis de sa campagne jusqu’aux Eparges et sa rencontre avec Porchon (fin p. 124). Il y revient quelques pages plus loin, se souvenant des hommes qu’il a perdus, évoquant d’autres camarades comme Alain-Fournier (p. 133 et 139) ou Louis Pergaud (p. 134) dont il apprend leur mort à quelques pas de sa propre position. Il évoque un peu plus loin de la même façon les camarades de la promo Lakanal 1912 dont il fait le macabre relevé des 19 tués au fil des années de guerre (p. 167). Il se souvient aussi de l’attaque allemande sur la Tranchée de Calonne et les circonstances de sa triple blessure, précisant bien entendu qu’il a déjà écrit tout cela dans Ceux de 14, mais il complète : « J’y reviens après soixante ans, incité ou plutôt obligé par des raisons qui touchent directement à l’inspiration même et, j’espère, à la justification du livre que j’écris aujourd’hui » (p. 137). Page suivante, il évoque son « coup de veine », cet obus qui explose derrière lui sur un parados aux Eparges, et qui ne lui occasionne que quelques légères brûlures (p. 138 et 139). Enfin, il invoque la mort qu’il a pu donner. Il dit : « Il était entendu qu’à la guerre on tirait sur des inconnus que l’on ne voyait pas ; ou seulement sur de vagues silhouettes, aperçues dans un éloignement qui les dépersonnalisait ». Mais il précise juste après : « Deux fois au moins, dans la nuit de la Vaux-Marie, et le matin du 18 février, lors de la première contre-attaque allemande au Eparges, j’ai tiré sur des hommes que je voyais assez pour me rappeler aujourd’hui leur visage » (p. 236). Il contrebalance cet aveu par cet épisode qui illustre le live and let live. Il dit : « … j’ai vu la peur et l’angoisse de mourir dans les yeux du sergent allemand qu’avec trois de ses hommes nous venions de faire prisonniers. Avant de les lancer à l’assaut contre nous, leurs chefs les avaient persuadés que nous fusillions les captifs » mais qu’il épargne et rassurer, conversant avec eux dans leur langue, provoquant leur apaisement et l’aveu : « Je ne suis pas prussien, je suis souabe » (p. 237).
Au final, Trente mille jours n’est pas à proprement parler un livre de souvenirs de guerre mais un complétif de l’œuvre de guerre de Maurice Genevoix dont les pages ne forment qu’une incomplète et quelque peu redondante parfois (à plusieurs reprises il réécrit deux fois les mêmes lignes (cas d’Alain-Fournier, du blessé agonisant ou du « coup de veine ») synthèse.

Yann Prouillet, 8 juillet 2025

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Zeyssolff, Ferdinand (1899-1997)

Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.

Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Ferdinand Zeyssolff concerne les pages 185 à 194 de l’ouvrage.

Eléments biographiques :
Ferdinand Zeyssolff naît à Gertwiller (Bas-Rhin) le 12 mai 1899. Incorporé dans l’artillerie lourde allemande en 1917, il dit avoir refusé d’être affecté sur le front de France. Il est affecté en Roumanie, occupée depuis 1916, puis est envoyé en Palestine pour combattre les anglais du général Allenby devant Jérusalem. Affecté à la mission militaire allemande auprès de l’armée turque de Liman von Sanders, il dit : « Une bonne entente régnait avec les Turcs. Ils se sentaient en sécurité en compagnie des soldats allemands » (p. 187). Mais, dans les vicissitudes de la Grande Guerre dans cette partie du monde, il décide, après le 28 février 1918, de déserter. Par chance, il est signalé comme prisonnier. Commence alors pour lui un incroyable voyage dans un monde en guerre, passant du front de Palestine, dans la région de Jéricho, dans le désert de Syrie, accompagné de mulets, dans lequel l’errance est aussi dure que dangereuse, assuré d’être fusillé s’il est repris. Le 19 septembre 1918, le front germano-turc s’effondre dans ce secteur. Chacun tente de rentrer par ses propres moyens par la Turquie, le sud de la Russie et la Roumanie. C’est la chance de Ferdinand Zeyssolff. En train, il arrive à Constantinople, prend un navire vers Odessa, qui prend feu, heureusement éteint par des marins expérimentés, le sauvant in extremis, et arrive sur les côtes russes en Ukraine, où la guerre entre les rouges et les blancs fait rage. Là il apprend la signature de l’Armistice. Il retrouve alors la Roumanie et finit enfin par gagner l’Alsace, par l’Allemagne du sud, achevant une épopée qui a tout d’une succession sans fin de miracles. Vigneron après-guerre, il meurt le 11 novembre 1997 à 98 ans.

Yann Prouillet, 28 juin 2025

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Schwintner, Joseph (1897-1998)

Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.

Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Joseph Schwintner concerne les pages 25 à 36 de l’ouvrage.

Eléments biographiques :
Joseph Schwintner est né à Wackenbach, hameau de la commune de Schirmeck (Bas-Rhin), le 8 février 1897. Comme Léon Nonnenmacher, il est incorporé dans l’infanterie allemande le 8 septembre 1915 à l’âge de 17 ans, dans un bataillon de travailleurs. De fait il n’est pas encore militaire mais porte l’uniforme d’auxiliaire de l’armée. Il arrive dans la zone du front à Thorn, alors en Pologne prussienne. Il y découvre les Jakobsbaraken. Sa tâche consiste à étayer les tranchées creusées par les « polaks » en Russie, puis en France. Rapidement, au bout de 15 jours, il est affecté au 402e IR. Il vit en mars 1917 l’ordre n°1, promulgué par le Soviet et décrit l’anarchie russe qui s’en suit. L’armistice de Brest-Litovsk le ramène en France, à Metz, avant sa montée sur le front au Chemin des Dames puis en Flandre. Il est alors rapidement transféré à Ypres, en Belgique avant d’être redirigé sur Arras. Il est désigné pour servir d’ordonnance, « brosseur du lieutenant », qu’il assimile à un travail de domestique. Cet officier, par chance, parle le français couramment. Ce poste ne le libère pas complètement des attaques et il se retrouve servant de mitrailleuse. C’est à ce poste qu’il vit ses heures les plus dangereuses. Miraculeusement, il parvient à échapper à la mort (« la guerre, une absurde histoire de hasard » (p. 31)) et met en place une stratégie d’évitement. Il dit n’avoir pas « songé sérieusement à déserter » car « avec les Sénégalais [présents en face de son secteur] nous pensions que c’était risqué » (p. 32), même si beaucoup de camarades alsaciens l’ont fait quant à eux. Il finit par arriver « sans casse » jusqu’aux derniers jours de la guerre, dont il voit le délitement de l‘armée et la dégradation des officiers. Il se démobilise lui-même et rentre enfin dans la vallée de la Bruche retrouver son foyer. Bûcheron et scieur, il reprend son métier et décède à Schirmeck (Bas-Rhin) le 14 mars 1998 à l’âge de 101 ans.

Yann Prouillet, 28 juin 2025

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