Castelain, Gabriel (1890-1915)

1. le témoin
Jean Gabriel Castelain est né à Santes (Nord) en 1890. Il grandit à Haubourdin, un faubourg de Lille, dans une famille catholique très pratiquante. Il a deux frères et deux sœurs : Emile, religieux et brancardier, est blessé grièvement en 1914, et Paul, classe 17, fait la guerre au 8e BCP à partir de 1916. Une sœur meurt de la grippe espagnole en 1918. Gabriel adolescent suit l’enseignement du petit séminaire d’Haubourdin, qui accueille aussi des élèves sans vocation ecclésiastique. Il fait son service militaire de 1911 à juin 1914 (loi des trois ans) puis se marie avec Suzanne le 21 juin 1914. Mobilisé comme sergent au 110e Régiment d’infanterie de Dunkerque, il combat en Belgique, devant Reims, puis sur l’Aisne (Bois de la Miette – ferme du Choléra) à l’automne 1914. Transféré en Champagne en décembre 1914, il est tué lors de la première grande offensive devant le Mesnil-les-Hurlus le 18 février 1915. Il est enterré au cimetière du village, mais les lieux seront totalement bouleversés par la seconde offensive de septembre 1915 : en 1917, son jeune frère Paul ne parviendra pas à retrouver sa tombe.
2. le témoignage
Les carnets furent rendus à sa veuve par l’autorité militaire en 1919. L’association « La Mémoire de Ronchin » a publié en février 2016 un livret (68 pages, ISBN 802 750 778 00010) reproduisant le « Journal de guerre 1914/1915 de Jean Gabriel Castelain ». Cette publication est la copie fidèle des calepins rédigés au jour le jour au crayon, dans la tranchée ou à l’arrière. Une double page présente une photographie de deux pages des carnets originaux en regard de leur transcription et montre le souci de véracité de la reproduction, la seule modification étant des italiques non présentes dans l’original. L’iconographie a été ajoutée par l’association.
3. analyse
Le journal relate les faits de guerre, mais son originalité tient d’abord à ce qu’il traduit des sentiments, des émotions. La rédaction sert un propos intime, un dialogue avec soi-même qui semble aussi destiné à être montré à sa femme après la campagne : « A la pensée que petite Suze lira bientôt ces quelques pages, véritable roman d’un cauchemar vécu, je me sens vaillant, Dieu est là c’est tangible. » (p. 29).
Les combats
Le premier domaine est celui de l’affrontement avec les « alboches », qui ne deviennent les « boches » qu’en octobre. Lors de la bataille de Charleroi, le spectacle des réfugiés fuyant les combats provoque compassion et colère (27 août) : « Que c’est triste : une jeune femme, chassée de la frontière par les alboches, tient dans ses bras une petite mioche qui se meurt. Derrière elles suivent un moussaillon de sept ans et une petite fille de huit ans, ils sont perdus et ne savent où aller, la mère est en haillons (…) quels bandits que ces alboches ! » p.13. La bataille de Guise (29 août) est un traumatisme (« la journée la plus terrible de ma vie ») ; l’affrontement dure toute la journée : «L’officier que je venais de tuer devant moi d’un coup bien ajusté m’avait rendu tout drôle. Que c’est donc terrible. » p. 17. Après la retraite et le combat d’arrêt du 6 septembre, c’est le recul allemand et la description classique du champ de bataille de la Marne qui se découvre aux combattants : «Je suis témoin d’un spectacle horrible, des cadavres par dizaines sont étendus partout, dans les bois, dans les fossés, ruisselant de sang, des têtes déchiquetées, des ventres ouverts, je regardai cela sans trop de haut-le-cœur, la guerre vous endurcit son homme. » p. 21. La reprise de contact à Pontavert devant l’Aisne est violente et l’ennemi ne veut pas déloger : (27 octobre) «par ordre du général, le 110e va être cité à l’ordre du jour : nous avons perdu 1128 hommes du 15 septembre au 15 octobre. Horrible chose que la guerre ! » p. 42. A partir de novembre les considérations personnelles dominent, mais le combat revient par épisodes, 1er février 1915 : «le caporal de demi-section qui avait remplacé celui blessé vendredi dernier tombe, tué d’une balle ou d’un éclat d’obus au cœur. Il dit « je suis blessé » et tombe raide mort près de moi. La mort plane autour de nous à toute seconde depuis le début de la guerre. C’est une compagne terrible, cruelle, ignoble, qui veut de nous à chaque pas (…) Sales boches, il faudra payer un jour toutes vos infamies et vos atrocités. » La dernière description est un tir trop court de préparation de 75 en vue d’un assaut. C’est l’épisode le plus dramatique du recueil (12 février au Mesnil-les-Hurlus) « Ah ! je comprends maintenant quelle doit être la terreur de ceux d’en face pour ces engins effroyables ! (…) un obus ennemi a, paraît-il, coupé le téléphone ; notre capitaine fait lancer plus de 20 fusées rouges pour avertir, rien n’y fait, un brouillard nous sépare. (…) Ils me regardent de côté, les yeux hagards, en répétant, fous d’horreur et de terreur « trop court, Sergent, trop court. » (…) L’horrible tragédie se déroule toujours. J’ai fait depuis quelques minutes le sacrifice de ma vie. A mes voisins immédiats, je crie « c’est le moment de bien mourir mes enfants, pensons à Dieu.» Un mourant me répond « Ah ! Quel malheur, mon Dieu, quel malheur. » Il a 3 enfants. (…) Le capitaine est à l’entrée de la tranchée. Il a les yeux humides et hagards. Fou du spectacle que j’ai vu, je passe, en allant je ne sais où (…) le capitaine me fait brutalement « Ah ! Combien ? Castelain, combien ? » Mon Capitaine, j’ai marché sur tous, mais tous ne doivent pas être morts.» p. 64. L’épisode fait une quinzaine de tués à la demi-section (il y a neuf survivants).
La chère femme
G. Castelain, 24 ans, est très épris de son épouse, et n’a eu qu’un mois de vie maritale jusqu’à la mobilisation. Son journal est jalonné de témoignages d’affection pour « sa petite Suze ». Cette intimité est en permanence reliée à un patronage religieux, à l’évocation d’une protection divine. (6 octobre 1914, courrier) « Quelle confiance quelle résignation, j’ai pu lire entre les lignes ! Oh merci mon Dieu, c’est ce qui m’a fait le plus plaisir ! (…) Ma confiance est sans bornes. Dieu est avec nous. » p. 34. Les dimanches sont importants car les époux se retrouvent réunis dans la communauté de la prière (6 septembre) «Il est dimanche 6 heures « Suze prie pour son Gaby » quel réconfort ! » p. 21 ou « Là-bas ils sont en prières et nous ici assis au soleil sur les bords de l’Aisne paisible (…) nous unissons notre prière à celles ferventes de là-bas, le doux nid familial où il nous tarde toujours de rentrer ! Que c’est réconfortant mon Dieu cette union de prière ! » p. 34
Le déchirement de l’occupation
Le soldat nordiste en campagne prend aussi progressivement conscience de l’envahissement des deux tiers du département (chute de Lille le 12 octobre) : aux tracas du front s’ajoute bientôt une autre inquiétude : (17 octobre) «On parle de l’arrivée des boches près de Lille. Serait-ce possible ? » p. 39. Le journal illustre ce tourment, sans aucunes nouvelles des proches : (22 octobre) « Les nouvelles sur Haubourdin et Lille nous arrivent. Que Dieu nous aide dans cette grande épreuve. Plus de lettres, comme c’est dur aussi, puis l’incertitude. Que c’est angoissant ! » 23 octobre : «le bruit court que Lille a souffert de l’invasion. (…) Ah, combien dure est l’épreuve ! » p. 40. Des communications postales avec des proches à Armentières le rassurent un peu, mais en 1915 les rumeurs et l’absence totale de nouvelles minent le moral du sergent : (19 janvier 1915) «Un nouveau bruit court encore sur la libération de Lille. J’écris une carte à Haubourdin à ma bien-aimée petite femme dont le cœur doit souffrir tant et dont l’idée de cette souffrance me poursuit nuit et jour, augmentant mon chagrin. »
Un croyant au combat
Ce témoignage d’un fervent catholique, dont le frère aîné est rédemptoriste, relève d’une conception d’une religion protectrice : 17 août « Dieu me garde, la bonne Vierge et Saint-Joseph sont là. Courage. ». La foi permet de tenir (à Pontavert) : « Quel épouvantable spectacle que ces morts, que ces hurlements de blessés dans la nuit. (…). Quel réconfort aussi d’avoir la foi en ces horribles moments !… » Le terme «Fiat !» (résignation et résolution) scande les carnets et apporte un calme moral, « fiat donc et patience » p. 29. Les centres d’intérêt sont religieux (après la messe de Minuit à son frère) : « J’écris à Emile une lettre de 6 pages lui donnant les détails de la belle cérémonie. ».
Pour lui la guerre a ramené les soldats vers Dieu, il s’en réjouit : (2 octobre) «Il est bon de remarquer combien le revirement dans la foi est profond. Les sorties d’églises ressemblent maintenant à des sorties de cinéma et ces derniers sont fermés. Alors la constatation est bonne et cela me réjouit fort. C’est sans nul doute ce que Dieu veut à tout prix et il a employé de grands moyens terribles. » p. 33. Ce mouvement touche surtout des croyants auparavant discrets sur leurs convictions : «beaucoup de ceux que l’on ne voyait jamais parler de Dieu, n’ont plus peur maintenant d’afficher leur foi et la plupart ont leur chapelet en main.» p.49. Le retour vers l’autel ne semble toutefois pas général : (28 octobre) «Que Dieu nous aide, nous en avons tous besoin ! Ah ! Qu’ils sont donc malheureux ceux qui n’ont pas la foi ! J’en entends, malgré tout, blasphémer : les malheureux, ce n’est guère le moment ! » p. 42. Pas d’évocation de croisade, mais la seule évocation positive des Allemands détestés est celle de la Toussaint dans la tranchée (1er novembre) «on s’attend à une attaque et à voir surgir des têtes. Non, des chants latins d’une musique douce comme la nôtre, parfois dans les paroles. C’est la Toussaint. Ils ne l’oublient pas, eux au moins. » p.43.
L’auteur est persuadé d’être personnellement protégé, ce qui lui apporte un grand réconfort moral : 28 novembre «La meilleure preuve que je suis protégé miraculeusement, la voici : je viens à l’instant d’échapper à une mort certaine, une fois de plus parmi toutes les autres fois. Je causais tranquillement au Caporal Cavrois (…) une balle boche avec le dzz habituel vient lui traverser la main et écorner ma pipe (…) Pour moi, quelles actions de grâces, n’ai-je pas immédiatement fait monter au ciel ! » p. 51. Le raisonnement poussé à l’extrême déroute un peu le statisticien contemporain: (11 décembre) «Une simple constatation éloquente entre toutes. Je reste à la compagnie le seul sergent réserviste parmi ceux partis de Dunkerque. N’est-ce pas consolant pour moi et encourageant ? » p. 54.
Au total donc un témoignage intéressant sur « ceux de 14 », sur l’expérience nordiste du combat et sur le vécu intime des plus fervents des catholiques flamands français, comme l’illustre encore ce dernier extrait : (1er janvier 1915) « Heureux de se trouver encore vivants, nous nous présentons mutuellement les souhaits de bonne année. Triste journée, quand même où, malgré moi, je me sens bien chagrin. Par la pensée, j’envoie à ma bien-aimée petite Suze mes meilleurs vœux avec mes plus tendres baisers ainsi qu’à mes parents bien-aimés dont de si douloureuses épreuves me séparent. Dieu seul me reste encore présent en moi. Vers lui, montent mon chagrin et toutes mes pensées. Vers lui, je crie ma confiance inébranlable, ma foi au retour cette année sans nul doute. Oh ! Que le découragement viendrait donc vite si Dieu, la bonne Vierge et Saint-Joseph n’étaient là. Chaque jour, là-bas, l’on pense et l’on prie. »
Vincent Suard, juin 2016

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Mazeyrie, André (1876-19..)

Né le 11 juin 1876 à Tulle, fils d’un imprimeur. Etudes de médecine : docteur en 1900. Exerce dans sa ville natale.
En avril 1915, il est affecté au 21e RAC dans les Vosges ; en avril 1917, au 256e RAC.
Il a réalisé un album, sous le titre « Croquis de guerre », comprenant 164 dessins, 108 photos et des documents divers, de très rares notes, rien sur son expérience de médecin, sinon les portraits de brancardiers et de blessés (par exemple « les petits blessés de Craonne »). Les dessins sont souvent réalistes (plume, aquarelle, gouache) ou des caricatures d’Allemands. Il a représenté des paysages vosgiens, Baccarat, Reims, la cagna du colonel, une sentinelle, les ravitailleurs, les prisonniers allemands.
Une exposition de ces dessins a eu lieu à Tulle en 2014, accompagnée d’un livret au format 20 x 20 de 60 pages sous le titre André Mazeyrie, Carnet d’un médecin dans la guerre 1914/1918 (p. 31, la transcription curieuse de la légende d’un dessin représentant un éclopé : « On l’a le filon » devient « On l’a le film », ce qu’une plus grande familiarité avec les témoignages de cette guerre aurait permis d’éviter). L’exposition est reprise au Musée de la Résistance de Limoges du 1er octobre 2015 au 30 juin 2016.
Après la guerre, le docteur Mazeyrie a continuer à exercer et il a rédigé et illustré diverses chroniques sur la Corrèze. La date de son décès n’est pas donnée.

Rémy Cazals, mai 2016

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Fournier, Valentin (1892-1969)

Valentin Edouard Fournier est né le 31 juillet 1892 à Ambialet (Tarn). Cultivateur, il a vraisemblablement vécu en Aveyron puisque son témoignage est publié dans La Main chaude, revue de l’association pour la promotion de l’histoire sociale millavoise, n° 2, 2016, p. 40-45. Valentin Fournier a rédigé son carnet (format 10 x 15) en captivité au camp de Friedrichsfeld, en Rhénanie du Nord. La courte présentation du texte signale qu’il comprend trois parties : la campagne de 1914 ; la capture ; « l’évocation, sous une forme poétique populaire, de plusieurs thèmes : les alliés, la victoire qui viendra, les plaisirs et, comme chez tous les prisonniers de toutes les époques, la nourriture, la bonne nourriture, le bien manger ». Son orthographe laisse beaucoup à désirer, mais les 27 pages reproduites en fac-similé sont parfaitement lisibles. Le texte retenu s’arrête à l’arrivée au camp de prisonniers, le 2 novembre 1914. Autres documents fournis : une photo de Valentin et la page biographique de son livret militaire. La suite du texte est annoncée pour le numéro de 2017 de cette revue annuelle. Le présentateur n’a pas bien suivi l’actualité éditoriale ; le livre collectif 500 Témoins de la Grande Guerre lui aurait montré que les témoignages de soldats peu lettrés sont plus nombreux que ce qu’il croit. Le témoignage de Valentin apporte peu d’informations. Celle qui me semble la plus importante, c’est le souci de garder une trace écrite des événements
Lors de l’annonce de la mobilisation, Valentin, célibataire, effectue le service militaire à la caserne d’Agde du 96e RI. Les premières pages énumèrent les villes traversées en train vers Lunéville. Les marches s’effectuent ensuite sous une forte chaleur, puis sous une pluie épouvantable. La nourriture est très insuffisante, bien loin de la ration théorique du troupier. Des attaques sont mentionnées les 17 et 18 août. Le 22, il signale l’échec d’un assaut à la baïonnette face au feu des mitrailleuses provoquant de lourdes pertes et la retraite. En septembre, toujours dans les parages de Lunéville, une balle traverse son sac et une autre le touche au pied, mais sans gravité ; il passe neuf jours sans manger chaud ; les périodes de repos dans les villages sont l’occasion de boire quelques bouteilles de vin.
Le 14 octobre, départ de Toul vers le Nord. En train, en autobus ou à pied, son régiment traverse le département de l’Aisne et arrive à Ypres. Valentin mentionne un grand couvent où les sœurs distribuent du café et des médailles. Le 30 octobre, au cours d’un violent combat, son groupe est cerné et capturé. Au cours de la traversée de la Belgique, la population leur apporte de la nourriture et les salue en criant « Vive la France ! »
Rémy Cazals, mai 2016

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Seguy, Marie, épouse Coureau (1893-1967)

Née le 6 juin 1893 à Larrazet (Tarn-et-Garonne). Ses parents sont d’origine paysanne : son père (mort en 1917) exerçait le métier de maquignon. À son décès, sa mère continue à s’occuper des terres et des vignes. Marie n’a pas suivi d’études dans le secondaire ; malgré cela son écriture est belle, ses phrases sont très bien tournées et surtout elle a un style qui réussit à faire vivre les événements du quotidien, bonheurs et peines, horreurs de la guerre, dans une farandole qui ne donne qu’une envie : lire la prochaine lettre pour connaitre la suite de l’histoire.
Le 17 aout 1912, elle épouse Anselme Coureau, lui aussi Larrazetois. Ils ont deux filles : Anne-Marie en 1914 et Denise en 1916. Anselme n’est mobilisé dans le service auxiliaire qu’en mai 1917. Auparavant, il a participé à la rédaction du journal de guerre du village avec quatre notables : voir la notice Larrazet.
Après la mobilisation d’Anselme, commence une correspondance quotidienne où elle écrit pour le distraire, pour lui faire partager son quotidien, pour le relier à Larrazet qu’il aime tant. Elle essaie de lui remonter le moral, ne lui dit pas toujours toute la vérité sur sa santé, pour ne pas l’inquiéter et lui raconte les événements du village, mais aussi ce qu’elle lit dans la presse ou ce qu’elle apprend de la bouche du maire ou de personnes qu’elle rencontre dans le train ou bien encore ce que racontent ou écrivent les autres soldats de Larrazet. Ainsi : « Je serai contente de t’annoncer quelque chose. Cela te fera vivre un peu de ma vie. » Plus de 300 lettres nous plongent dans le quotidien de cette période de guerre. Marie a toujours vécu à Larrazet mais elle a un regard, une analyse sur l’Homme, sur tous ces événements qui étonnent de par la richesse et la vérité de l’écriture.
Elle a des avis sur tout : les réquisitions, le pain noir si mauvais, les pénuries de pétrole qui l’empêchent à une certaine époque de lui écrire, le soir, autant qu’elle le voudrait, les permissions des Larrazetois, les réfugiés du nord qui sont accueillis, les nouvelles des voisins partis à la guerre qui sont blessés, portés disparus, prisonniers, décorés ou morts. Les vols dans les maisons (un jour un voisin qui cachait son argent dans un trou dans une grange a été cambriolé et on lui a laissé 3 pièces d’or ; pourquoi ? cela fera couler beaucoup d’encre et de salive mais le mystère ne sera jamais éclairci), l’épidémie de grippe espagnole qui vient à bout d’une jeune Larrazetoise, Mathilde Dauch, victime de son dévouement (voir la plaque au cimetière), l’agonie d’un jeune marié blessé à l’usine d’armement de Castelsarrasin et dont le nom figure sur le monument aux morts (Joseph Nadal), la grève des ouvrières à la poudrerie de Toulouse.
Il faut dire qu’elle est bien placée pour être au courant de tout. En effet, elle habite en face de l’église à une époque où il y a plusieurs services religieux par jour. La mairie est à quelques maisons de chez elle ainsi que la gendarmerie. Les villageois se retrouvent souvent dans cette rue, ils échangent leurs informations issues des lettres reçues et consultent souvent le maire, Monsieur Carné, notaire, rédacteur du journal de guerre du village, porteur des circulaires officielles et lecteur des journaux locaux et nationaux.
Grâce à ses lettres, on partage aussi le quotidien d’une femme du début du XXe siècle : la lessive et le repassage qui durent plusieurs jours, l’éducation des jeunes enfants qui vont à l’école maternelle, le couvent payant, la confection de vêtements avec du vieux car les tissus manquent, l’achat d’un corset, la prise en charge d’un vieil oncle qui perd la tête et qui refuse l’autorité des femmes, les travaux des champs qu’il faut accomplir, l’importance du courrier qu’elle écrit, celui qu’elle reçoit ou qui est retardé, les colis envoyés pour améliorer le quotidien du soldat parti, etc.
Une des plus belles lettres est celle du 11 novembre 1918 où elle lui raconte avec précision comment Larrazet, petit village de 600 habitants, a vécu la nouvelle de l’armistice. Tout est raconté avec tant de détails que si l’on ferme les yeux la scène prend vie : les cloches et le tambour qui sonnent pendant longtemps, le clocher pavoisé aux couleurs de la France où l’on joue du clairon et où brille une lanterne, les fenêtres des maisons pavoisées et illuminées, les enfants qui font une retraite aux flambeaux précédés du garde champêtre qui joue du tambour, coiffé pour la circonstance d’un casque de pompier. Le texte intégral de la lettre est donné ci-dessous.
Françoise Defrance (qui conserve les lettres à Larrazet)

Larrazet, ce 11 novembre 1918, Mon très cher amour adoré,
Enfin ce soir à 2 h, nous avons eu confirmation de cette nouvelle depuis longtemps attendue. Le moment a été grave tu peux le penser, à certains ça leur a renouvelé leurs peines et nous, malgré notre grande joie, nous n’avons pu nous retenir nos larmes, elles étaient de joie car c’est un très grand soulagement que de penser que vous êtes délivrés de cet enfer. M. Carné a donné immédiatement l’ordre de sonner les cloches et le tambour, on les a sonnés pendant longtemps. Joseph Rouzié, du haut du clocher, a joué du clairon, puis ensuite il a mis des drapeaux tout le tour, et ce soir il a mis tout à fait en haut une lanterne. Beaucoup de fenêtres ont arboré le drapeau et maintenant elles sont illuminées. A cinq heures il y a eu retraite aux flambeaux dirigés par Capmartin. Les enfants l’ont faite, ils avaient de longs roseaux et au bout une lanterne. Annette en portait une, je t’assure qu’elle était contente. Capmartin jouait du tambour, pour la circonstance il s’était mis un casque de pompier.
Au même instant j’entends le train qui arrive en gare, et lui aussi veut annoncer la fin du carnage, car il siffle beaucoup et longtemps. je cherche à me représenter la joie qui a été ressentie au front au moment où on a annoncé à tous nos héroïques poilus la signature de l’armistice, on ne peut pas se le représenter tant la joie a dû être immense, il va leur sembler que ce n’est point possible d’être libéré d’un joug pareil, pauvres hommes depuis le temps qu’ils souffrent toutes sortes de maux, vous pourrez au moins cet hiver vous mettre mieux à l’abri, vous chauffer, vous n’aurez plus ce pressentiment de dire peut être tout à l’heure je ne serai plus de ce monde.
Et nos pauvres prisonniers depuis le temps qu’ils sont par-là à souffrir les pires maux, quelle réjouissance pour eux, quelle gaité de cœur qu’ils ont dû ressentir à la pensée qu’ils allaient enfin revoir la France et leurs chères familles qu’ils n’ont pas vues depuis 4 ans.
Hier au soir j’ai eu ta lettre du 8, je suis très contente de tous les renseignements que tu me donnes au sujet de ta maladie, tu vois que tu ne m’avais jamais dit que tu avais été évacué pour la grippe ou bronchite grippale tout cela est à peu près. Je suis très heureuse que cette infirmière ait bien pris soin de toi, tu la remercieras bien pour moi, je t’assure que si elle était là je serais toute heureuse de pouvoir le faire.
Tâche de te fortifier avant de venir, crainte de rechuter en route, ce ne serait vraiment pas du tout agréable.
D’après ce que tu me dis, la manifestation qui a eu lieu à Louviers a dû être très belle, mais je suis à me demander qu’aura été celle de ce soir, alors que la nouvelle est officielle.
Tu as perdu ton pari tu vas être obligé de le payer sans doute bientôt quand vous serez rentrés au centre. Comptes-tu y revenir pour longtemps ou bien au dépôt ?
Ma mère aujourd’hui va mieux.
Aujourd’hui nous avons semé le blé à la Plagnète, demain nous allons faire de l’eau de vie, nous allons procéder comme la dernière fois.
Nous sommes en excellente santé et je désire de tout mon cœur que ma lettre te trouve de même.
Odette et Rosa de Moissac sont très gravement malades, ils ont télégraphié à Anna d’y aller. Allemann l’y a portée en automobile, Odette ne l’a pas connue.
Marie Simon arrive de la gare, elle dit qu’on lui a dit que les Allemands qui sont à Terride [des prisonniers de guerre employés dans l’agriculture ; voir les notices Brusson]criaient au passage du train : « À bas le Kaiser, vive la République. » Tu comprends tout de même qu’il faut qu’ils en aient assez.
Doux baisers de nous toutes.
Ta mignonne adorée pour la vie.
Marie

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Malet, Charles (1897-1978)

Jean Charles Malet est né à Bessières (Haute-Garonne) le 14 juin 1897. Ajusteur mécanicien de profession, il est devenu chauffeur d’automobile à l’entreprise Brusson de Villemur-sur-Tarn. On a de lui 9 lettres adressées à son patron de 1916 à 1919, dans les archives de l’entreprise déposées aux Archives de la Haute-Garonne, et une photo, au volant de la voiture patronale, dans le livre collectif La chanson des blés durs, Brusson Jeune 1872-1972, CAUE de la Haute-Garonne et Loubatières, 1993, p. 81.
Ajourné pour faiblesse en 1915, il est reconnu bon pour le service armé en 1916 et affecté à l’aviation. Sa lettre du 14 août 1916 signale son arrivée en caserne à Bordeaux. Dans celle du 10 septembre, venant de l’école militaire d’aviation de Pau, il décrit le travail de mécanicien et les examens à passer. Le 10 décembre, il regrette de ne pas avoir pu devenir pilote car il aurait voulu vivre « au grand air » et il fait allusion à M. André, le fils du patron qui, lui, a réussi (voir la notice André Brusson qui explique dans quelles conditions). Toujours à Pau, le 1er janvier 1917, il souhaite la fin de cette « misérable guerre ». Envoyé au 2e groupe d’aviation à Lyon, il trouve dans cette ville la vie peu agréable (28 mai). Parti pour le Maroc en juin 1917, il est d’abord mécano monteur à Casablanca où il trouve qu’il fait bien chaud (15 juillet), qu’il faut supporter le sirocco et les fièvres ; il décrit la ville arabe et un défilé militaire. Le 7 novembre, toujours de Casablanca, il remercie son patron pour un mandat (voir les notices Antonin Brusson et Jacques de Saint-Victor) et lui dit qu’il avait bien raison de penser que la guerre serait longue. Sa dernière lettre, de Bou Denib le 25 février 1919, critique un « pays de sauvages que l’on ne peut arriver à soumettre » et remercie pour un autre mandat et pour la promesse de lui réserver le poste de chauffeur.
En effet, la date du retour est proche ; il est démobilisé le 29 septembre 1919 et il reprend son travail quelques jours plus tard, chauffeur attitré d’Antonin Brusson, puis d’André Brusson. Il se marie en 1931. Toute sa famille ainsi que sa belle-famille travaille chez Brusson. Il meurt à Toulouse le 25 mars 1978.
Rémy Cazals, mai 2016

Grâce aux renseignements fournis par Jean-Claude François, auteur du livre Les Villemuriens dans la Grande Guerre, Les Amis du Villemur historique, 2014.

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