Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.
Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Charles Kuentz concerne les pages 195 à 201 de l’ouvrage.
Eléments biographiques :
Charles Kuentz est né à Ranspach (Haut-Rhin) le 18 février 1897. Il est fils de chef de gare et déménage donc plusieurs fois en Alsace et en Lorraine dans son enfance. Il perd sa mère à l’âge de 12 ans et fait ses études à Montigny-lès-Metz, son père ayant été muté à Boulay (Moselle). C’est là que la guerre le mobilise. Après avoir fait ses classes au camp de Kuterbog, près de Berlin, Il est incorporé dans l’artillerie allemande en 1916 et est affecté en Russie, sur le front devant Baranovitchi, mornes plaines russes… Comme Louis Evrard, il est téléphoniste et chargé, tâche périlleuse, de réparer les fils téléphoniques quoiqu’il arrive. Il arrive sur le front ouest et connait la guerre de positions en Artois et en Flandre en mars et avril 1917. Après une carrière de postier, il meurt à Colmar le 7 avril 2005 à l’âge de 108 ans.
Yann Prouillet, 28 juin 2025
Gluck, Louis (1899-2001)
Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.
Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre-hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Louis Gluck concerne les pages 203 à 213 de l’ouvrage.
Eléments biographiques :
Louis Gluck naît à Wintzenheim (Haut-Rhin) le 14 novembre 1899. Il se souvient qu’avant la guerre, il était considéré comme un « Revanche Helden« , un héros de la Revanche par son instituteur car il achetait des petits drapeaux français en papier (p. 205). À 13 ans, il est fasciné par la vision du Kaiser et les manœuvres de l’armée en felgrau. En 1914, Louis Gluck travaille, jusqu’en 1916 comme aide-comptable au tissage Herzog à Logelbach, dans la banlieue de Colmar (68). Comme sa sœur, elle-même travaillant dans une usine de munitions, il est réquisitionné pour le travail obligatoire en août 1916, construisant des routes pour le front des Vosges. Il reçoit finalement son ordre d’appel dans l’armée allemande le 1er septembre 1917, connaissant ainsi le front de Flandre en Belgique, affecté au téléphone du dépôt de munitions du groupe Ypern (Ypres). Ils décrit les obus à gaz, de trois sortes : « Blaukreuz, Grünekreuz et Gelbkreuz, c’est-à-dire bleu, vert et jaune » (p. 208). Le 11 novembre 1918, il dit : « Jusqu’au dernier moment, les Anglais ont tiré tout ce qu’ils ont pu, pour vider entièrement leur stock de munitions. Et puis tout à coup, fini ! Le silence ! » (p. 210). Il raconte ensuite son retour, en ordre, la tête basse et affamé, en Allemagne. Il constate la Révolution dans l’armée et, comme Alsacien-lorrain, bénéficie d’un traitement spécial. De retour en Alsace, redevenue française, il apprend le français mais comme il doit encore 4 mois à l’armée, en août 1919, il y est réaffecté, au 5e génie de Versailles, où on lui propose un engagement. « N’ayant plus envie d’entendre le bruit du canon », il refuse la proposition (p. 212), devient comptable après la guerre et décède à Colmar le 24 avril 2001.
Yann Prouillet, 28 juin 2025
Froelicher, Antoine (1894-1996)
Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.
Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre-hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Antoine Froelicher concerne les pages 37 à 46 de l’ouvrage.
Eléments biographiques :
Antoine Froelicher naît à Saint-Louis (Moselle) le 12 décembre 1894 d’une famille de paysans éleveurs dont le père est mort quand il avait 5 ans. Il a une sœur et un frère aînés. Adolescent il partage ses activités entre la ferme et du travail de force dans une carrière de grès. Incorporé au 27e régiment de pionniers du Génie à Trèves. Il arrive dans une Pologne russe rurale, conquise en 1915, et voit la guerre d’abord en paysan curieux. Il y subit d’abord le froid et constate la misère de la guerre. Il est un temps Bursche (ordonnance) mais il n’est pas dupe de ce que les Allemands pensent de lui ; il dit : « Les Allemands nous traitaient bien, même si nous les entendions murmurer : « Les Alsaciens-Lorrains sont de beaux soldats, propres, bien gentils, on peut les utiliser, mais ils sont français de cœur ». Il est transféré sur la Somme à la mi-1916, où il participe à des attaques. Il reçoit pour consigne : « À l’entraînement, on nous a dit qu’à l’attaque il faudrait crier comme si on était mille » (p. 41). De retour du front, il devient infirmier et est capturé par des Australiens, à son grand soulagement car, comme Schwintner, il a peur de tomber contre des Schwarzen, des Sénégalais. Il s’estime toutefois fort mal traité par les Anglais. En camp de prisonnier, où l’hygiène est encore plus douteuse que dans les tranchées, il frotte ses « vêtements entre deux gros cailloux pour tuer les poux » (p. 42). Il doit enfin à sa condition d’Alsacien-Lorrain d’être finalement rendu aux Français à la Pentecôte de 1918. Sur le trajet, en camion, du fait du port de sa Mütze, il dit : « Avec nos petits calots allemands, on nous jetait des pierres. Le chauffeur s’est arrêté et a écrit sur la bâche : « Prisonniers alsaciens – lorrains », et cela a cessé » (p. 42). Envoyé à Saint-Rambert, un des quatre camps spéciaux avec Lourdes, Monistrol et dans l’enceinte fortifiée de Paris où il obtient la carte tricolore qui l’assimile à un réfugié français. Il travaille alors dans une ferme où il connaît l’Armistice. Il rentre au pays en uniforme français le 7 janvier 1919, où il a la joie de retrouver son frère, également survivant du front russe. Tailleur de pierre et agriculteur retourné dans la vie civile, il meurt à Saint-Louis le 4 juin 1996.
Yann Prouillet, 28 juin 2025
Finance, Lucien (1896-2000)
Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.
Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Charles Lucien Finance concerne les pages 141 à 154 de l’ouvrage.
Eléments biographiques :
Lucien Finance est né le 27 août 1896 à Sélestat, dans le Bas-Rhin. Il travaille depuis l’âge de 14 ans dans la Société alsacienne d’électricité et, l’uniforme endossé, passe de son bureau à l’écurie, occupé à ramasser le crottin. Incorporé dans un régiment de dragons allemand le 19 juillet 1915, il connait les fronts de Lituanie et de Pologne. Il subit l’attaque russe des cosaques de Broussilov le 11 juin 1916 qui le marque beaucoup. Il refuse la Croix de fer que son supérieur lui propose, tentant d’échanger cette distinction contre « faire en sorte, plutôt, que je n’aie plus besoin de remonter en ligne » (p. 144), ce qu’il obtient, se retrouvant dans un dépôt de 745 chevaux. Subissant une guerre loin d’être traumatique à l’évidence, Lucien Finance tombe même amoureux d’une polonaise employée de la banque de Vilnius, avec laquelle il s’unit en pleine guerre, sous la « bénédiction » de son unité et de ses supérieurs. Au bout de 17 mois de front, il demande une permission pour enterrer son père. Il pense plusieurs fois à déserter mais choisit finalement de « ne pas attirer l’attention » (p. 153). Le 11 novembre survenu, son problème devient celui de rentrer au pays avec son épouse, depuis Vilnius. Pour ce faire, il l’engage comme aide-infirmière en lui passant un brassard de la Croix-Rouge et arrive en gare de Sélestat le 18 novembre 1918, présentant Mania à sa mère « heureuse de me revoir et de la connaître » (p. 154). Il retrouve après-guerre son poste dans l’électricité, il meurt le 1er avril 2000 dans sa ville de naissance.
Yann Prouillet, 28 juin 2025
Evrard, Louis (1897-1994)
Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.
Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre-hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Louis Evrard concerne les pages 155 à 172 de l’ouvrage.
Eléments biographiques :
Louis Evrard est né le 15 février 1897 à Thionville-la-Malgrange (Moselle) et est domicilié à Florange. Il entre à 14 ans au laminoir de Sérémange, spécialisé dans la fabrication de la tôle. Il a 17 ans quand la guerre se déclenche et travaille maintenant sous régime militaire. Le 1er avril 1916, à cause des pertes de Verdun, il est convoqué par la direction pour apprendre qu’il ne peut rester à son poste et qu’il va être mobilisé. Il est incorporé le 4 août 1916, au 37 Feldartillerie Regiment et prend la direction de Königsberg, en Prusse orientale. Après un mois d’instruction, il se retrouve sur le front des Carpates, en septembre, au sein du 268. Feldartillerie Regiment, puis est rapidement muté au 52. Feldartillerie Regiment jusqu’à la fin de la guerre, où il occupe la fonction d’observateur-téléphoniste. Il confirme que, malgré qu’il soit lorrain, il n’a pas subi de discrimination. Il dit : « Les Prussiens étaient bons. Aucun d’eux, jamais, ne m’a manqué de respect, sauf un… » (p. 158). Par contre il convient que le régime des permissions n’était pas le même que celui des allemands, lui-même n’en n’ayant jamais obtenu une ! Sa guerre en Galicie et en Roumanie est assez peu violente. Il subit surtout le froid mais il connaît quand même son baptême du feu, en montagne. Une nuit, il songe à déserter mais, manquant d’être tué, il annule son dangereux projet. Le 24 juillet 1917, son unité franchit le Siret, rivière qui sépare la Roumanie occupée de la Moldavie. La guerre de mouvement complique sa fonction de téléphoniste, devant maintenir coûte que coûte la communication entre les unités et l’état-major. Atteint par la malaria, il connaît un peu l’hôpital puis le régiment, par Budapest, puis un bateau, rejoint la France. Alors qu’il traverse la Lorraine pour rejoindre le front de France, il passe près de son domicile. Il « s’évade » alors pour rejoindre son village. Regagnant son unité au bout d’une semaine de « fausse perme », il est emprisonné un mois à la forteresse de Montmédy, dans la Meuse. Au début du mois d’avril 1918, il débarque à Armentières et participe à l’offensive de la Lys. Il dit : « Les combats étaient nettement plus durs que sur le front Est » (page 168). « Comme il s’est bien comporté au feu, Louis Evrard obtient la Croix de fer le 9 octobre 1918 » mais il dit : « Ce qui était une récompense pour tout soldat allemand m’est apparu comme la honte suprême. Jamais mon père ne m’aurait laissé passer le seuil de la maison en arborant cette décoration. Mes grands-parents, nés français, en seraient peut-être morts de chagrin » (page 169). Il ne va donc pas chercher sa croix. Obtenant une permission, car le capitaine « m’aimait bien », il rentre chez lui alors que l’Empire s’effondre. La guerre s’arrête et il dit : « Nous étions tous très heureux d’être redevenus français » (p. 171). Il reprend alors son poste chez Wendel. Il décède le 27 décembre 1994 à Florange (Moselle) à l’âge de 98 ans.
Yann Prouillet, 28 juin 2025
Didier, Juste (1898-1997)
Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.
Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIe siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Juste Didier concerne les pages 173 à 183 de l’ouvrage.
Eléments biographiques :
Juste Didier est né à Cornimont (Vosges) le 14 décembre 1898, troisième d’une famille de 14 enfants dont le père est un paysan très cultivé qui n’a pas pu faire d’études. Il dit de son adolescence : « Il faut avouer qu’en 1914 nous, les jeunes, étions presque contents que cette guerre vienne » (p. 175). Il est incorporé en avril 1917 au 7e régiment du Génie et arrive au front en décembre, vers Badonviller (Meurthe-et-Moselle). Accompagnant l’infanterie dans les opérations, il fait des abris et s’occupe des barbelés en cas d’attaque. Il est immédiatement confronté à l’horreur des bombardements qui tuent aveuglément. Au printemps 1918, son unité « se transforme pratiquement en infanterie » (p. 178) et subit les attaques allemandes dans le secteur de la forêt de Villers-Cotterêts, subissant une attaque au gaz, dans laquelle il est légèrement blessé. Il note à cette occasion que « ceux qui n’ont pas toussé se sont trouvés malades et durent être évacués » (page 178). Le 2 juin 1918, à Faverolles, alors qu’il est passé aspirant au 10e Génie, il est blessé par plusieurs éclats d’obus, remis comme souvenirs par une infirmière, qu’il garde pendant plusieurs années et qu’il perd à la guerre suivante. A ce sujet d’ailleurs, il constate : « J’ai été étonné du désordre qu’il y a eu lors de la dernière guerre, alors qu’en 1914-1918 tout était très, très ordonné » (p. 181). Transféré d’hôpitaux en hôpitaux, il apprend l’Armistice à l’hôpital de Béziers. A la fin de la guerre il constate enfin qu’« il s’était créé une certaine estime entre soldats français et soldats allemands. On avait l’impression qu’on se valait en somme » (p. 182). Remis sur pied au début de 1919, il rentre enfin chez lui. Il a perdu un frère à la guerre, tué à quelques kilomètres de lui-même peu de temps après sa propre blessure. Ayant exercé après-guerre le métier d’entrepreneur, il décède le 3 janvier 1997 à Remiremont (Vosges) à l’âge de 98 ans.
Yann Prouillet, 28 juin 2025
Courteaux, Charles (1898-1997)
Jean-Noël Grandhomme. Ultimes sentinelles. Paroles des derniers survivants de la Grande Guerre. La Nuée Bleue, 2006, 223 p.
Résumé de l’ouvrage :
Jean-Noël Grandhomme, historien et universitaire, a interviewé, de 1995 à 1999, 17 des derniers témoins du Grand Est (Vosges, Moselle, Bas-Rhin, Jura, Aube, Haut-Rhin, Meurthe-et-Moselle, Suisse et Ardennes). Des histoires d’hommes jeunes, tous nés dans la dernière décennie du XIXe siècle (de 1893 à 1899), jetés dans le conflit et qui se souviennent de leur parcours dans la Grande Guerre, à l’issue de laquelle ils ont miraculeusement survécu, et qui fut pour eux le plus souvent une aventure extraordinaire. L’auteur, spécialiste de la période, a opportunément résumé les entretiens et certainement gommé les erreurs cognitives, les confusions ou les anachronismes attachés à ces entretiens, réalisant un exercice dont il conclut que « l’enquête orale est d’ailleurs devenue une science auxiliaire de l’histoire à part entière depuis une vingtaine années », correspondant à l’ère des ultimes témoins. Il dit : « Avec ces derniers témoins, ce n’est pas seulement la mémoire de la Grande Guerre qui s’en va, mais aussi cette d’une société rurale, mêlée de rudesse et de solidarité. » Par son questionnement en filigrane ; « Quel regard ces anciens soldats, dressés les uns contre les autres par l’Histoire, portent-ils sur cette gigantesque conflagration ? Qu’en ont-ils retenu, et oublié ? Surtout, qu’avaient-ils à nous dire, à nous, Français et Européens du XXIème siècle, juste avant de disparaître ? » érigent cette œuvre mémorielle et testimoniale en véritable livre-hommage. Plus profondément, chacun des témoins, servant dans les deux armées belligérantes, témoignent de leur implication soit dans l’armée française, soit en tant qu’alsaciens ou lorrains dans l’armée allemande, avec les particularismes ou des traitements différenciés attachés cette origine : engagement dans la marine, envoi systématique sur le front de l’est, distinction dans le commandement ou le statut de prisonnier, etc. Le chapitre consacré à Charles Courteaux concerne les pages 71 à 78 de l’ouvrage.
Eléments biographiques :
Chartes Courteaux est né à Fresnes-en-Saulnois (Moselle) le 18 février 1898 dans une famille francophone. Il a 16 ans quand la guerre éclate et, comme Léon Nonnenmacher se souvient de l’arrivée des Français, territoriaux du Midi, en août 1914. Incorporé dans l’armée allemande en novembre 1916 comme Musketier au 106e IR, il est affecté sur le front de Galicie en juillet 1917, où l’armée de Kerenski s’effondre. Il dit de cette période : « En ce qui me concerne, je n’ai jamais tué personne » (page 73), précisant même : « Sur les quatre-vingts cartouches que j’ai brûlées, je n’ai jamais visé personne. (…) J’ai tiré en l’air pour faire du bruit, car les sous-officiers nous avaient à l’œil » (p. 74). En 1918, il arrive à l’arrière du front de Verdun, où il est enterré par un obus. Pour sa convalescence, il est versé dans une cuisine roulante puis intègre le secteur de Cambrai. Le 7 octobre, il jette son fusil et se rend à un anglais qui le « fait prisonnier en douceur », « parfaitement heureux de se retrouver captif » (p. 76). À l’Armistice, qu’il apprend par le « tintamarre » du moment, il est examiné par une commission spéciale de « tri », chargée de déterminer s’il est « d’origine et de sentiments français » (p. 77). Il rentre au pays rhabillé de neuf le 1er janvier 1919. Après-guerre, il exerce le métier de cheminot. Il décède le 14 décembre 1997 à Moulins-lès-Metz (Moselle) à l’âge de 99 ans.
Yann Prouillet, 28 juin 2025
Clary, Jean (?-?)
1. Le témoin
Il n’a pas été possible de retracer la biographie de Jean Clary, dont on ne peut attester qu’il s’agit de son patronyme ou d’un pseudonyme. Les rares éléments contenus dans l’ouvrage, notamment dans la préface de Pierre Mac Orlan qui dit : « Je ne connais pas Jean Clary » (p. IX), semblent indiquer qu’il était lié à Châteauneuf-sur-Loire (Loiret), où il part en permission en 1916. Il a semble-t-il publié un ouvrage sur son château et deux autres livres ; À la chandelle (poésie) chez Grasset et Le tartuffe démasqué aux Étincelles. Il n’est pas non plus précis sur son unité d’affectation, qui semble être le 4e RAC, dont les 4e et 9e batteries ont pour siège Besançon. Son deuxième tableau mentionne le Quartier Duras en octobre 1913. Pierre Mac Orlan indiquant qu’il a reçu le manuscrit d’un jeune auteur ; Jean Clary pourrait avoir fait son service militaire à partir de 1913. Les lieux et les dates qu’il cite correspondent en tous cas à l’engagement de cette unité. Dans le court chapitre « Vous m’écrivez », il reçoit une lettre de sa mère qui évoque une blessure en novembre 1916.
2. Analyse
Jean Clary, La victoire incertaine, Nouvelles Éditions Latines, 1936, 99 p.
Dans un petit opuscule très aéré, Jean Clary aligne 19 tableaux, presque tous datés, sans respect strict de la chronologie toutefois, et localisés, principalement sur le front des Vosges, fournissant des réflexions plus ou moins profondes d’un artilleur en guerre, entre août 1914 et avril 1917. Si certaines d’entre-elles sont purement réflexives et littéraires, d’autres sont plus introspectives ou descriptives sur la pauvre condition du soldat, mais sans précision toutefois qui érigent Jean Clary en témoin de la Grande Guerre. Aussi, tenant plus de la réflexion sur « fond de front », le livre ne contient que très peu d’éléments ou de matérialité utiles, même si le parcours est cohérent et conforme au déplacement du 4e RAC. Il s’insère toutefois dans une bibliographie exhaustive vosgienne, citant des secteurs peu cités, relevés ci-dessous :
– Besançon, quartier Duras, octobre 1913 (p. 9)
– Août 1914 (p. 15)
– Le Thillot, 5 août 1914 (p. 19)
– Wesserling-Felleringen, 7 août 1914 (p. 23)
– Somme, tranchée de la Pestilence, juillet à septembre 1916 (p. 27)
– Vosges 1915 (p. 33)
– Marzelay, hiver 1914 (p. 37)
– Châteauneuf-sur-Loire, en permission, 1916 (p. 41)
– Crête de « Pierre à Cheval », secteur de la Vallée de Celles, Observatoire 02, juin 1916 (p. 45)
– La Chapelotte, janvier 1916 (p. 51)
– Somme, septembre 1916 (p.57)
– La Chalade, novembre 1916 (p. 61)
– Ferme Montabé, La Schlucht, printemps 1915 (p.71 à 81)
– Devant Reims, Route 44, avril 1917 (p.83)
Si l’ouvrage s’ouvre par une erreur toponymique, l’ouvrage comporte quelques belles citations.
Renseignements tirés de l’ouvrage
Page X : Selon Pierre Mac Orlan : « On peut dire qu’il pourrait exister autant de livres de guerre qu’il y eut de soldats sur le front. L’uniformité collective développait la personnalité de chacun. Tout a été dit sur les hommes qui furent pris dans cet engrenage, inexorable comme une machine ».
37 : Chevaux frictionnés de crésyl contre les poux
42 : Sur le jugements des soldats par les civiles aux langues méchantes pendant les permissions : « Le plaisir de nos permissions est gâté dès la gare par le l’œil mauvais des voisines. Elles trouvent que nous sommes venus il n’y a pas bien longtemps. La vue de notre martyr excite leur férocité. Elles nous trouvent beaucoup trop bonne mine. Elles nous suspectent toujours d’une insuffisance de souffrance. Elles réclament pour nous toujours plus de péril, plus de blessures, plus de sang. Celui qui rentre mutilé, on ne plaint pas sa blessure, on jalouse sa pension. Il n’y a que les morts dont on ne dit plus rien. »
58 : « En dépit du martyr quotidien des corps, ce temps de guerre n’admet donc pas une minute de relâche, de passagère négligence, d’accomplissement hâtif où nous ne nous donnions en entier, puisque nous n’arrivons à y tenir que dans la tension illimitée de nous-même et ainsi… jusqu’à en évidemment mourir… »
62 : « À creuser quotidiennement nos tombes, nous avons aboli les dédains… Nous sommes les familiers de la terre… »
72 : Sur sa haine des rats « outrecuidants »
Yann Prouillet, 18 juin 2025
Watkins, Owen Spencer (1873-1957)
Avec les français en France et en Flandre, Owen Spencer Watkins, Berger-Levrault, collection La guerre – les Récits des Témoins, 1915, 114 p.
Résumé de l’ouvrage :
Owen Spencer Watkins, révérend et aumônier du corps expéditionnaire britannique est versé, à Dublin, le 16 août 1914, à la 14e ambulance de 14e brigade de la 5e division. Il débarque en France, au Havre, et le 22 août est embarqué en train pour la région de Valenciennes. Par 9 lettres-tableaux qui se succèdent depuis cette date jusqu’au 31 décembre 1914, l’auteur nous fait vivre successivement la retraite de Mons et la bataille du Cateau (jusqu’au 6 septembre), la bataille de La Marne, celle de l’Aisne, la poursuite vers le nord, la résistance sur la ligne Béthune – Arras – La Bassée, la route de Calais barrée, la bataille d’Ypres – Armentières et la fixation du front préliminaire au premier hiver de guerre. Un appendice, en forme de post-scriptum, révèle, avant l’impression de l’ouvrage (déposé en octobre 1915), le destin de quelques hommes cités, le plus souvent tués dans l’exercice de leur mission.
Eléments biographiques :
L’ouvrage s’ouvre sur une notice biographique des éditeurs qui indique que le révérend Owen Spencer Watkins est né le 28 février 1873 à Southsea, un quartier du sud de Portsmouth (Angleterre). Son père, Owen Watkins, est lui-même révérend, pionnier du champ missionnaire de l’Afrique centrale. Il fait ses études à l’école de Kingswood et au Richmond college. En 1896, à l’âge de 23 ans, il est aumônier wesleyen auprès de la garnison militaire de Londres. Il sert également ailleurs qu’en Angleterre, dans le corps d’occupation en Crète (1897-1899), fait partie de l’expédition du Nil et prend part à la bataille d’Omdurman, qui se déroule le 2 septembre 1898 au Soudan, pendant la guerre des mahdistes. Il fut un des quatre aumôniers qui célébrèrent le service commémoratif du général Gordon, mort le 26 janvier 1885 à Khartoum. En 1899-1900, il se rend dans le sud africain et prend part aux batailles de Lombard’s Kop, de Nicholson’s Neck, au siège de Ladysmith, de Majuba, etc. Ces quatre années de campagnes lui apportent plusieurs citations à l’ordre du jour de l’Armée, la médaille de la Reine et la médaille de l’Egypte, avec plusieurs agrafes. Il attrape manifestement en Afrique une malaria qui le rattrape sur le front. Il parvient toutefois, par ses relations, à éviter l’hôpital de la Base, disant : « Une ambulance n’est pas faite pour s’encombrer de malades » ! Nommé honorary chaplain de 3ème classe le 19 août 1910, il est délégué à la conférence œcuménique de Toronto et aumônier du corps expéditionnaire britannique en 1914, promu à la second classe, ayant rang de lieutenant-colonel. Bien qu’il n’en parle pas dans sa lettre du chapitre V, de l’Aisne au nord de la France, correspondant à la période du 1er au 17 octobre 1914, il est cité à l’ordre du jour par le maréchal sir John French lui-même le 8 octobre. Grand amateur de golf, il a publié avant la guerre plusieurs ouvrages sur son expérience et sa mission africaines. Il réside à la publication du livre, qu’il dédie à sa femme, à Londres, dans le quartier de West Ealing. O.-S. Watkins sera une figure importante dans le développement de l’aumônerie méthodiste et poursuivra sa carrière d’aumônier général. Il quitte l’armée en 1928 et décède en 1957.
Commentaires sur l’ouvrage :
Cet ouvrage est de définition composite, ayant l’apparence d’un carnet de guerre, dument daté, aux noms restitués et au suivi géographique précis, facile à suivre, mais qui indique une suite de tableaux de guerre formés de 9 lettres écrites du 16 août au 31 décembre 1914. L’auteur rejoint l’ambulance de campagne n°14, formée à Dublin, le 16 août 1914, formation sanitaire du Corps Expéditionnaire Britannique (CEB). Embarqué sur le City of Benares, le navire transporte les éléments sanitaires de la Division (entre autres l’hôpital de la Base et son ambulance), il côtoie quatre aumôniers de l’Eglise anglicane et un catholique. Le 22, l’ambulance embarque dans un train à destination de Valenciennes alors que la bataille de Mons est déjà commencée. Mais les marches épuisantes successives vers le nord se heurtent au gros des troupes allemandes qui foncent vers le sud ; c’est la retraite, les premiers secours de l’ambulance à peine déclenchés. La marche vers le sud, par Cambrai, à partir du 26 août, lui fait côtoyer des hommes de toutes armes, agissant au secours des blessés en retraite de Mons ou du Cateau, ce jusqu’au revirement de La Marne, qu’il vit, le 6 septembre, au sud de la rivière, à Saacy. La retraite changeant de camp, la bataille de l’Aisne s’engage suivie d’une remontée effrénée en direction du nord, jusqu’à la Belgique, engagé dans la terrible bataille d’Ypres où le front va finir par se cristalliser à l’entrée de l’hiver. L’ouvrage permet d’entrer dans l’organisation du C.E.B., des différents régiments qui le composent, issu des villes ou des comtés, et des grandes unités qui prennent le nom de leur commandant. Il permet également de toucher du doigt l’action du témoin, sanitaire, médicale mais aussi sacerdotale, même si la diversité des obédiences religieuses anglaises apparaît clairement en filigrane. Mais paradoxalement il exerce peu son ministère, avouant même que la première messe qu’il peut donner au front survient seulement un dimanche de la fin de septembre (p. 47), un mois environ après son départ d’Angleterre. Il s’en ouvre (p. 74) disant : « Quant à l’œuvre d’aumônier, qu’importe ? (…) Peu d’occasions de réunir les hommes en un office solennel ». Peu d’erreurs sont décelées et les épisodes d’espionnite, réelle ou supposée, sont le reflet de la période d’écriture. Il ne sont pas totalement absents toutefois, avec une concentration de multiples cas rapportés (allemands déguisés, signaux lumineux, nuages de fumée ; ailes de moulins, trahison des habitants) (page 81). Existent aussi de rares exagérations (comme ce soldat blessé d’une balle « pénétrant dans la nuque (..) (et) ressorti[e] par la bouche » qui s’exprime aussi héroïquement que sans séquelle !) (page 69) ou ces tireurs allemands embusqués dans les lignes anglaises (p. 86), ne gêne pas fondamentalement le témoignage globalement crédible et opportun. L’ouvrage est titré « avec les français » mais ceux-ci sont relativement peu présents dans le récit qui n’est pas non plus teinté de francophobie exacerbée. Il n’aligne pas non plus les outrances de la « bochophobie », également courante dans les ouvrages ayant cette date d’écriture (1914) ou de publication (1915). Certes le livre met en avant sa « communauté », il dit : « Il n’y a vraiment pas dans l’armée anglaise d’hommes plus braves et plus remplis d’abnégation que les infirmiers et les brancardiers du corps médical » (p. 42). Pendant la bataille de l’Aisne, Owen Spencer Watkins aligne le chiffre des pertes des quatre premières journées de la bataille de l’Aisne : « 13 officiers et 450 blessés passèrent par l’ambulance n°14 ; les aumôniers enterrèrent 2 officiers et 230 hommes. Combien furent accueilli par d’autres ambulances ou inhumés par d’autres aumôniers, il est impossible de le savoir » (p. 46), y revenant quelques jours plus tard, disant, dans le chapitre Béthune – Arras – La Bassée : « Pendant les trois jours de notre présence au front, il ne passa pas moins de 100 officiers et de 3 000 soldats par la 14ème ambulance de campagne, à destination de l’Angleterre ou des hôpitaux de la Base » (page 74 ». Précis sur les lieux cités, le parcours de l’ambulance d’O.S. Watkins (p. 42) est aisé à suivre. Il contient aussi, par son long périple entre Paris et la Belgique, des éléments anthropologiques à noter. Par exemple, il décrit, dans les environs de Villers-Cotterêts : « En beaucoup d’endroits, les villageois veillèrent toute la nuit ; devant leurs maisonnettes, ils dressèrent des tables couvertes de rafraîchissements qu’ils distribuèrent aux troupes qui passaient d’heure en heure – café, thé, pain et beurre, tablettes de chocolat, fruits, cigarettes, gâteaux ; il est probable que tout ce qui pouvait se manger, se boire et se fumer fut consommé longtemps avant le passage de la queue de la colonne » (page 55). L’ouvrage est également intéressant sur le contraste entre l’armée anglaise, non basée sur la conscription universelle, et qui révèle, après la bataille de la Marne, l’absence de renforts due à une armée régulière exsangue dès les premières semaines de guerre (voir pages 89 et 90). Owen Spencer Watkins rend hommage à cette armée et aux sacrifices des soldats du CEB Il dit : « Point de renforts, pas de réserves, rien qu’une mince ligne khaki tenant opiniâtrement en respect des armées allemandes écrasantes » (p. 90) en plein cœur de la bataille d’Ypres en octobre.
L’ouvrage est enrichi d’une carte, d’un portrait de l’auteur et de 6 intéressantes illustrations montrant officiers et personnels de l’ambulance, malades et blessés dans l’église de Dranoutre ou l’ambulance dans un hameau proche du village.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 14 : Respect du drapeau de la Croix Rouge planté sur un tertre près de la gare d’Honnechy (Belgique). Horreur de l’ambulance
15 : Evoque des tranchées dès le 26 août
: Français en retard ou ayant battu en retraite
19 : Voiture hippomobile filtre pour la potabilité de l’eau
25 : Voitures anglaises portant des inscriptions des maisons de commerce
26 : Inscription sur les maisons pour éviter le pillage, parfois respectées par l’ennemi
27 : Bravoure des éclaireurs à moto, étudiants d’Oxford ou de Cambridge
28 : Vision émouvante d’un enterrement et de la participation de la population au traitement du corps en amont (vap 45)
34 : Assainissement du champ de bataille et enterrement des « braves allemands »
37 : Explication du surnom de Tommy : « À une certaine époque, les soldats anglais reçurent un calepin sur lequel ils devaient inscrire leur nom, le numéro de leur régiment et certains détails les concernant personnellement. Une formule imprimée fut jointe au calepin comme modèle à suivre. Thomas Atkins fut le nom hypothétique choisi par l’autorité militaire. Ce nom s’étendit au calepin, puis au soldat lui-même ».
59 : Sur la couleur de l’uniforme anglais : « Notre khaki est sans doute plus pratique, mais paraissait bien terne et bien sale à côté » de celui des cuirassiers
61 : Sur les apports inestimables des véhicules transformés en ambulances par des particuliers
63 : Saccages allemands, consommation des bouteilles et corvée de nettoyage (fin 64)
66 : Croix de Victoria, décoration instituée en 1856, décernée pour haut fait de guerre, avec rente annuelle de 250 francs
80 : Note sur la ceinture Sam Browne, large ceinture de cuir portée par les officiers anglais et imaginée par le général Sam Browne, qui se fit connaître particulièrement à l’époque de la révolte des Cipayes en 1857
80 : Espionnite multiple : allemand déguisé, signaux lumineux, nuage de fumée ; ailes de moulin, trahison des habitants
83 : Autobus londoniens transportant les troupes
86 : Tireurs embusqués dans les lignages anglaises, débusqué pas des gendarmes
88 : Note sur la chanson, sur la route de Tipperary, composée dans les premiers mois de la guerre par Harry Williams et Jack Judge
: Général von Kluck surnommé « Vieux five o’clock », vap 103 « Têtes carrées »
89 : Plaisanterie : « Il y a probablement une armée de Kitchener, mais pas un des pauvres diables qui sont ici ne vivra assez longtemps pour la voir arriver ! »
90 : Premiers froids dans la bataille d’Ypres
92 : Eloignement de l’ambulance (16 kilomètres aller-retour), trajet
96 : On entend le son du canon depuis Folkestone (première permission, 7 jours, du 23 novembre au 1er décembre)
: Visite du roi et du Prince de Galles, remise de décorations
101 : Être « fricassé », être cuit, avoir « du chien », du courage
106 : Foot au front et note sur la différence entre foot-ball Rugby et foot-ball Association
107 : Docteurs soignant gratuitement les nécessiteux, réfugiés et paysans ruinés par la guerre, état sanitaire des hommes
109 : Vue de Noël 1914 anglais
Yann Prouillet, 12 mai 2025
Lebesgue, René (1893 – 1973)
Classe 13, journal d’un sapeur du génie
1. Le témoin
René Lebesgue, né à Valdampierre (Oise), est mécanicien lorsqu’il est incorporé à Versailles au 1er régiment du génie. Sa classe est appelée en novembre 1913, un mois après la classe 12, c’est la première à devoir effectuer trois ans de service militaire. Affecté successivement dans différentes unités du génie, il combat à Massiges en 1914 et 1915, y est blessé, et après sa convalescence part pour l’armée d’Orient (Dardanelles puis Salonique). Rapatrié malade à Toulon, il revient en ligne en mai 1917 (Aisne) jusqu’à la fin du conflit.
2. Le témoignage
Classe 13, journal d’un sapeur du génie, a été publié à compte d’auteur à La Pensée Universelle (1988, 217 pages). Le livre n’a ni préface ni présentation, on sait seulement par la 4e de couverture que « C’est par hasard que Robert Lebesgue a retrouvé le journal de guerre de son père, René. » Il s’agit de carnets journaliers qui mentionnent jour après jour les différentes activités et missions du soldat. Ces carnets ont probablement été recopiés, car on a une mention des « boches » dès le 3 septembre 1914.
3. Analyse
Presque aucune mention intime dans ces carnets de René Lebesgue, c’est un document un peu austère, mais précis pour l’indication les missions et occupations, pour tous les jours du conflit. L’auteur est souvent à l’arrière à faire des travaux d’aménagement, de réparation ou de d’entretien, mais il est aussi parfois très exposé. Ainsi à Massiges en décembre 1914, il aménage des abris, fait de l’instruction aux marsouins pour le creusement de tranchée (« école de sape »), confectionne des réseaux, mais il fait aussi une attaque avec son peloton : (p.31) « c’est affreux, la bataille : morts, blessés, les balles sifflent de tous côtés. Vingt-deux de chez nous sont disparus, morts, blessés ou prisonniers. » Il est ensuite occupé au percement d’une mine, et il signale l’avoir échappé belle (9 janvier 1915, p. 32) « Vers 6h30 ce matin, les boches font sauter notre mine. C’est une chance pour nous que nous n’avons plus de bougie pour nous éclairer dans la mine, nous étions retournés aux abris, sans ce manque d’éclairage nous aurions été dans la mine et sautions avec. ». En mars 1915, il monte avec son peloton au fortin de Beauséjour (p. 39) : « Spectacle affreux : boyaux remplis de morts, boches et français ; nous marchons sur les morts étendus au fond des boyaux à moitié recouverts de terre. Plus loin dans la tranchée, ici un bras qui dépasse, plus loin une main, plus loin un pied. Les cadavres ayant été recouvert, nous rapprofondissons les boyaux démolis par les obus. » Il est blessé légèrement par éclats aux bras et à la tête le 9 avril 1915 dans sa deuxième attaque à Beauséjour.
Après soins et convalescence, il revient à Versailles (Satory) en juillet 1915, où il est versé dans une unité de projecteurs. Parti pour l’Orient en septembre 1915, il est responsable du fonctionnement d’un projecteur oxyacétylénique : il éclaire la tranchée turque (Dardanelles) sur demande de l’infanterie. Il passe ensuite à Salonique en janvier 1916, fait des travaux d’aménagement de camps, construction de cabanes, terrassement… Un temps convoyeur de chemin de fer, il se spécialise ensuite dans la mécanique automobile. Au camp de Karassouli en juin 1916, il devient chauffeur pour son lieutenant, tout en réparant les moteurs des automobiles du secteur.
Malade du paludisme, il est hospitalisé trois mois puis est rapatrié en janvier 1917, il ne réintègre une compagnie du génie au front qu’en mai 1917 à Pontavert. Il se partage alors entre l’entretien des projecteurs, une permanence d’observatoire (système optique de nature non précisée) et divers travaux de camps (terrassement). Il mentionne aussi ses travaux personnels d’artisanat: un briquet en forme de bidon de soldat, un autre en forme de livre, confection d’un avion puis d’un sous-marin. Après son 24e anniversaire (11 novembre 1917, « quelle triste fête ») il est versé à la compagnie télégraphique de l’Armée (Aisne). Il y apprend le morse, dresse des poteaux, tire des lignes… Il participe à la construction et à l’entretien de centraux téléphoniques, puis passe à l’entretien des groupes électrogènes. Il insiste depuis 1917 jusqu’à l’Armistice sur la fréquence et la dangerosité des bombardements aériens allemands. Le 24 décembre 1918, « Le soir à minuit je vais assister à la messe de minuit à l’église du pays pour la première fois de ma vie. », puis il « traîne son ennui » jusqu’à l’été 1919 : quelques corvées, beaucoup de « rien à signaler », et après avoir avec son groupe électrogène éclairé le bal de 14 juillet à Villers-Cotterêts, il est démobilisé en août 1919.
Donc ici un homme débrouillard, habile de ses mains, qui se forme en permanence à de nouvelles missions, et que nous pouvons suivre dans ses activités multiples. Il est peu bavard sur ce qu’il pense du conflit, mais ses écrits illustrent bien, de manière factuelle, ce qu’a pu être une guerre vécue dans l’arme du génie à l’échelle du simple soldat.
Vincent Suard, mai 2025