Deschamps, Paul (1889-1983)

Fils d’un couple d’instituteurs de la région nantaise, il fait des études de médecine et exerce, après la guerre, dans la région parisienne. À la retraite près de Dinard, il y écrit ses Mémoires de n’importe qui, souvenirs de guerre qu’il confie à un jeune ami instituteur. Passionné de littérature, d’histoire, de politique, d’art et de nature, il porte un regard lucide, généreux, parfois ironique sur les hommes. Avant la guerre, monté de Nantes à Paris, il y vit chichement, fréquentant artistes et écrivains célèbres, participant aux réunions d’un groupe de jeunes gens amoureux d’art et de littérature, la Ghilde des Forgerons. Le déclenchement de la guerre le surprend à Paris. Ce réformé pour myopie s’engage au service de la Croix-Rouge. Bien que signataire d’une pétition de soutien à Romain Rolland, il ne refuse pas le fait d’être récupéré en décembre 1914 et déclaré bon pour le service armé. Il débute sa guerre comme aide-major dans un bataillon du 21e RIT, dans le secteur d’Hébuterne, près des régiments du 11e corps d’armée. Il passe ensuite au GBD de sa division territoriale, toujours dans la Somme. Il connaît, en formation sanitaire de soutien de diverses unités, d’autres fronts, calmes comme en Lorraine, très tourmentés comme après l’offensive de septembre 1915 en Champagne, en particulier au fameux Trou Bricot. En février 1916, il est affecté comme médecin de bataillon au 7e RIC, tout en continuant de préparer sa thèse de médecine. Affecté brièvement à l’artillerie légère, il participe au début de la bataille de la Somme. Il rejoint ensuite de nouveau, un bataillon du 7e RIC. En février 1917, il se marie et il continue de rester en contact avec le groupe de la Ghilde qui lance une revue un peu anarchiste, La Forge. Fin avril 17, il est nommé médecin de la place de Quimperlé, Finistère. Ce répit ne dure que 4 mois. Fin août, il doit rejoindre le front, au 101e RIT, dans le secteur de la Côte du Poivre. En décembre 1917, il est sanctionné pour avoir volontairement évacué une section de territoriaux, présentés comme souffrant d’une intoxication alimentaire, alors qu’ils cuvaient un retour de « cuite » collective. Il est alors affecté, pendant plusieurs mois, à l’ambulance 15/5, en Lorraine qui devint un temps ambulance Z, spécialisée dans le traitement des gazés. Surmené, lui-même intoxiqué, soupçonné d’un début de tuberculose, il est évacué, fin 1917, dans le Midi, près de Menton. Il ne retourne pas au front.
Paul Deschamps décrit ce parcours militaire quelque peu tourmenté avec verve et humour. Il ne cache pas les horreurs de la guerre mais il dresse une série de portraits de médecins, d’officiers ou de soldats tantôt attachants, tantôt méprisables, tantôt misérables. L’histoire du pauvre Rabourdin, condamné et fusillé dans des conditions révoltantes et lamentables, est poignante, et la comparaison qu’il fait entre le « type formidable » que fut son premier commandant de bataillon en Champagne et le « salaud », sadique et insupportable (décrit de façon implacable), qui lui succède ressemble à un jugement sans appel.
Dans cette guerre, Deschamps ne perd pas le contact avec l’arrière. Il continue de participer aux actions de la Ghilde. Et, dans ses contacts réguliers avec ce cercle d’artistes et d’écrivains dont certains étaient comme lui au front, il constate une belle vitalité intellectuelle où le rejet de la guerre point. Deschamps est, aux armées, un homme libre et veut le rester. Il ne se résigne pas, ne se replie pas. Ses rencontres et échanges avec son ami Élie Faure (qui sortait de la fournaise) le réconfortent et il avoue que « sa présence spirituelle m’aide encore à vivre … et m’aidera tout à l’heure à mourir ». Et, clôturant son journal de guerre, sa rencontre avec un Henri Barbusse, péremptoire et tout à sa gloire littéraire nouvelle, le laisse un peu décontenancé et amer. Au total, ce journal de guerre est celui d’un honnête homme, lucide et engagé. Le lire offre un plaisir renforcé par l’humour, la malice des propos et la saveur de certains portraits.
René Richard
*Paul Deschamps, Mémoires de n’importe qui (1914-1919), Bretagne 14-18, 1999, 52 p.

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Cadoret, Louis (1892-1915)

Né à La Chèze, près de Loudéac (Côtes-du-Nord), le 11 février 1892. Il effectue son service militaire, au 67e RI de Soissons, lorsque la guerre éclate. Il va s’efforcer de transcrire ce qu’il voit et vit dans un petit carnet. Cet unique carnet va de fin juillet au 6 septembre 1914. Louis Cadoret continua t-il d’écrire ? Nous n’en savons rien. Il disparut le 6 février 1915 dans les combats des Éparges. Ce petit document a été sauvé par un lointain cousin, Louis Cadoret et sa famille étant totalement oubliés à la Chèze. Le document édité compte 29 pages. Mais la transcription même du carnet tient seulement dans 8 pages. Le soldat de 1ère classe Louis Cadoret y raconte dans un récit au style très simple, sans commentaire superflu, les premiers jours de la guerre, les marches d’approche, et, à partir du 22 août, les combats (Longwy, Longuyon, la ferme de Constantine, Mangiennes…) jusqu’au repli vers Montfaucon et Amblaincourt. Les détails sont précis ; les désordres, désillusions et incertitudes de ces premiers combats ne sont point cachés dans ce témoignage captivant et qu’on regrette trop bref.
René Richard
*Mémoires d’un combattant de 1914 : Louis Cadoret, Bretagne 14-18 et Amicale laïque de Plaintel, 1997, 29 pages.

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Lachiver, Jules (1891-1915)

Lettres de guerre (août 1914-mai 1915) de Jules Lachiver, déclaré « mort pour la France » le 9 mai 1915,
Bretagne 14-18, 2000, 31 pages 21×29,5 ISBN : 2-913518-12-5

1 – L’auteur.
Jules Lachiver est né le « décembre 1891 à Gomené, dans le sud-est du département des Côtes-du-Nord, où ses parents étaient instituteurs publics. C’est presque naturellement que leur fils s’orienta vers l’enseignement. Quand il partit au service militaire, le 9 octobre 1912, il exerçait dans l’école publique de Pléhérel, sur la côte. La guerre le surprit à la caserne de Vitré, incorporé au 70e RI, où il était sergent depuis le 2 octobre 1913. Il fit le début de la campagne, sur la Sambre, à Guise et sur la Marne ; il fut blessé le 3 octobre 1914 à Neuville-Vitasse ; blessure légère, hospitalisation brève, remontée au front d’Artois à la mi-novembre. Il passe l’hiver dans ce secteur. Le 9 mai 1915, sa compagnie, la 10e, fait partie de la première vague d’assaut du régiment. Elle est lancée au nord-est de Roclincourt et est décimée par les mitrailleuses allemandes. Jules Lachiver est tombé lors de cette vaine attaque et son corps ne fut jamais retrouvé.

2 – L’ouvrage.
Les parents de Jules Lachiver, très affectés par la disparition de leur fils unique (le père décèdera trois mois après, miné par le chagrin), avaient conservé ses lettres. Ce lot de missives, surtout important de janvier au 8 mai 1915, a été sauvegardé par un neveu qui l’a confié à Bretagne 14-18. Y ont été ajoutés divers documents et, en particulier les courriers échangés après la disparition de Jules Lachiver. La famille garda longtemps l’espoir de retrouver son corps.

3 – Le témoignage.
La correspondance de Jules Lachiver, surtout adressée à ses parents, révèle son entrain et son patriotisme. Pour lui, après la déconvenue de Belgique et le retournement de la Marne, il faut bouter les Allemands hors de France ; là est son devoir qu’il rappelle dans nombre de lettres ; après seulement, il pourra rentrer à la maison, espoir qu’il exprime cependant de plus en plus souvent. On sent, très imperceptiblement percer la lassitude et l’émotion se fait jour de plus en plus. Civil devenu soldat par la force des événements, il se borne à relater les faits de la vie quotidienne à la guerre, sans porter de jugements sur ce que l’on ordonne aux combattants. Sa détermination ne semble jamais faiblir. Mais, au-delà de ses déclarations patriotiques, sa dernière phrase pathétique dans sa dernière lettre (« Écrivez-moi souvent. ») traduit bien une certaine détresse. Il pensait passer encore une fois entre les balles et retrouver les siens. Espoir cruellement déçu.
René Richard

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Capel, Georges (1887-1915)

1. Le témoin
Georges Capel est né le 17 octobre1887 à Saint Valérien, canton de Chéroy, dans l’Yonne, de Florent Capel, charcutier et de Victorine Larrivé, sans profession. Lors de son incorporation au service militaire il exerce la profession d’employé de chemin de fer et est domicilié à Paris (2e arr.). Il a épousé Jeanne, Aline Daguenet le 11 octobre 1911. Il est mobilisé au 289e régiment d’infanterie (55e DI), régiment de réserve du 89e RI de l’Yonne. Georges Capel décède le 22 janvier 1915 à l’hôpital temporaire 22 à Cholet (Maine et Loire) des suites de blessure de guerre.
2. Le témoignage
Journal de guerre 1914-1915. Cet opuscule a été composé par Patrick Capel, arrière-petit-fils de Georges, édité par Editions JPB à Villemandeur (45200) Loiret, ISBN 10 : 2-907055-28-3, ISBN 13 : 9782907055284, 1994, 41 pages, à partir des notes manuscrites de Georges. Ce document est consultable à la Bibliothèque universitaire Sainte Geneviève à Paris. Les notes ont la forme d’un journal quotidien s’étendant du 10 août 1914 au 15 janvier 1915 sans aucun manque. Les apports de l’arrière-petit-fils, Patrick Capel, sont limités à la dédicace, un court « avis au lecteur » et quelques lignes en forme d’ex-libris. En outre, le petit-fils Michel Capel a ajouté un commentaire de 17 lignes dans lequel il rappelle l’authenticité du texte et précise que « l’original s’effaçant petit à petit a été intégralement recopié mot pour mot par Jeanne Daguenet » la veuve de Georges. Il termine par un court paragraphe constituant un hommage aux poilus, à leurs veuves à leurs orphelins (page 41).
3. Analyse
Georges Capel appartient à la classe 1907, il a 27 ans à la déclaration de guerre. Son journal apporte peu d’éléments originaux autres que ceux que l’on recueillerait dans le JMO de son régiment, ce qui n’est pas sans intérêt étant observé précisément que le JMO du 289e RI n’apparaît pas dans le site SGA Mémoire des Hommes arrêté malheureusement au 288e RI. On n’y dispose que de ceux de la 109e brigade (à laquelle est rattaché le 289e RI), de la 110e brigade et de la 55e DIR dont ces unités sont les composantes.
Le 289e RI reçut son drapeau lors d’une cérémonie sur la place de l’Esplanade de Sens le samedi 8 août 1914 à 4 heures du soir. Le lieutenant porte-drapeau était un « enfant du pays » : M. Régnier fils du conseiller général du canton de Chéroy (source : Gaston Gaudaire, Une Ville pendant la guerre, Sens, 1914-1919, Charles Lavauzelle & Cie, 1922).
Avec son régiment Georges Capel quitte Sens le 10 août. Son parcours est ensuite celui du 289e RI faisant mouvement vers la Lorraine. Dans tout le journal l’ennemi est désigné par le vocable « les Prussiens ». Le premier engagement et les premiers morts, dont le commandant Blomme Benjamin Aimé, tué « par le premier obus » (source : Memorialgenweb fiche n° A 284265) sont mentionnés le 25 août dans le secteur de Brainville Porcher, dans la Meurthe-et-Moselle (le texte retranscrit porte « Poncey » mais il s’agit très vraisemblablement d’une erreur de retranscription, il s’agirait plutôt de Porcher à 6 km à l’ouest-nord-ouest de Mars-la-Tour). Après cet épisode de la « bataille des frontières, le 289e RI se replie sur Saint Mihiel et Sampigny.
Embarqué par chemin de fer le 28 août, le régiment fait mouvement vers l’Oise à Tricot pour faire partie d’une nouvelle armée, dite 6e armée, sous les ordres du général Maunoury. Puis une marche de 25 km l’amène à Roye dans la Somme. C’est à nouveau une retraite et, de retour dans l’Oise, le 30 août « la moitié de la compagnie est perdue ».
Une nouvelle marche de « 40 à 45 km » conduit le régiment à Rantigny à 7 km au nord-nord-est de Creil le 31 août. Puis à Cinqueux le 1er septembre. Suivent plusieurs déplacements indiqués par le succession des lieux d’étape pour arriver finalement après un nouveau repli – à pied – à Marly-la-Ville le 3 septembre. Le 6 septembre, Georges note : « Nous n’avons pas pris part à la bataille qui a duré jusqu’à 8 heures du soir ; les trois quarts des officiers de la Division (il en reste 17 au régiment) sont tués ou blessés, la moitié des hommes sont hors de combat. »
Quittant les approches de Paris, un nouveau mouvement est décrit jusqu’au secteur de Soissons atteint le 12 septembre. Le régiment connaît alors une succession de montées en ligne dans le secteur de Crouy (Aisne) et de repos en cantonnements dans divers villages proches de Soissons. Il relève et, alternativement, est relevé par le 246e RI appartenant à la même 55e DI mais à la 109e Brigade. Parfois aussi le 289e RI est relevé par le 231e RI de la 110e brigade.
Le 12 janvier 1915, lors de l’attaque « à la baïonnette » de la cote 132, le lieutenant est tué et Georges Capel reçoit une balle dans l’épaule. Il est évacué le lendemain sur l’hôpital temporaire n° 22 de Cholet. Il y décède le 22 janvier. Sa dépouille est ramenée à Saint Valérien le 25 janvier et il y est inhumé le 26 janvier 1915.
Les apports originaux ressortant du journal de Georges Capel sont rares. On notera essentiellement les suivants :
Un accident se produit dès le départ en chemin de fer de Sens le 10 août 1914 : son train est stoppé suite à un tamponnement en gare de Sompuis (Marne), causant 7 morts et 54 blessés. La cause en est la fréquence élevée des convois allant tous dans la même direction.
Bien que l’on distingue habituellement une phase initiale qualifiée de « guerre de mouvement » suivie d’une « guerre de position » caractérisée par la fixation du front et l’établissement de tranchées, on voit apparaître dès le 14 août le recours aux tranchées dans le secteur de Vigneulles en avant de Saint Mihiel.
Le 12 septembre il est signalé près de Cravançon devant Soissons : « À 11 heures nous avons vu fusiller deux Prussiens pour tentative de vol, nous en avons vu passer neuf autres qui doivent être fusillés pour vol à main armée. »
Le 30 octobre il est fait mention sans le nommer de la mort du général de brigade. Il s’agit du général Arrivet Paul, Blaise, Marcel, tué le 29 octobre à 10h 30 d’une balle dans la tête lors d’une visite de tranchées dans le secteur de Crouy (source : JMO 109e Brigade du 3 août 1914 au 22 mars 1915, registre 26 N 526/1 p. 20/33).
Le 12 janvier 1915, jour de sa blessure par balle à l’épaule, Georges Capel fait état de la mort de son lieutenant. Il est fort probable qu’il s’agisse en fait du sous-lieutenant De Laët Edmond, Ernest, instituteur, chevalier de la Légion d’Honneur, comme le montre sa fiche sur SGA Mémoire des Hommes. La confusion de grade est possible sous la plume de Georges Capel, rappelons que la coutume dans l’armée française est d’appeler « mon lieutenant » aussi bien les aspirants que les sous-lieutenants et les lieutenants (et même les adjudants-chefs dans la cavalerie).
Page 41, Michel Capel, petit-fils de Georges apporte une précision sur les convictions de son grand-père : « Sa femme lui tint la main dans ses derniers moments durant lesquels il garda toute sa lucidité. Il refusa d’un geste le Christ que le prêtre lui présentait dans sa dernière heure. »

Michel Mauny, janvier 2013

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Caillavel, Jean (1895-1915)

Fils d’un voyageur de commerce devenu petit entrepreneur, Jean Caillavel est né à Toulouse le 11 janvier 1895. Dans cette famille de moyenne bourgeoisie, on prend des vacances à la montagne ou à la mer, et on étudie au lycée. Titulaire du baccalauréat, Jean commence à travailler avec son père et fréquente une jeune coiffeuse, mais il est appelé au 50e RI à Périgueux en décembre 1914. Ses lettres décrivent un rata infect, un rude entraînement à la marche, une épidémie de rougeole qui fait trois morts. Il est promu caporal, « un sale grade » parce qu’on y est très embêté, puis sergent en juin 1915. Il arrive sur le front du côté de Souchez en Artois en juillet, au 21e RI. Là, il découvre et décrit tranchées et cagnas, « les différents sons des calibres », la protection contre les gaz, la soif, la fabrication des bagues, des gradés froussards. Il est heureux de recevoir des colis du pays, de rencontrer un Toulousain. Au repos, « on se sent renaître littéralement » car on peut se laver et devenir « aussi frais que le plus haut de nos embusqués ». Le thème des embusqués rejoint celui de l’incrédulité de l’arrière devant les souffrances des poilus ; les permissionnaires sont « unanimes à dire : « Que les gens sont loin de la guerre ! » » Ayant lu dans La Dépêche du 15 juillet le récit d’une manifestation patriotique aux Variétés et au Grand Café de la Comédie à Toulouse, il réplique : « Au sujet de cette guerre, si tu connais quelqu’un qui a des accès de vaillance, des humeurs de combat, qu’il vienne donc faire un tour par ici et il verra où pourra s’arrêter son enthousiasme de guerre vue de bien loin, et à ce propos, tous ces vieux revanchards, tous ces embusqués qui vont écouter la Marseillaise ou le chant du Départ aux Variétés, tête nue, qu’ils viennent seulement à l’arrière de nos lignes et nous les verrons un peu. »
Il estime nécessaire l’offensive du 25 septembre 1915 afin qu’il n’y ait pas de campagne d’hiver, et au début il la croit victorieuse. Mais, le 1er octobre, l’atmosphère de la lettre a changé : « Mon pauvre Papa, j’ai vécu des minutes horribles. […] Tous mes copains, sous-offs, caporaux ou soldats sont ou blessés ou morts. […] Je me demande encore comment j’ai pu en réchapper. […] Excuse mon style, je suis encore un peu hébété des spectacles que je viens de voir. » La dernière lettre de Jean est du 3 octobre. La boîte de chaussures réceptacle du corpus contient plusieurs lettres adressées à Jean par sa mère et retournées faute d’avoir pu atteindre le destinataire. Jean Tirefort a été tué à Souchez le 6 octobre 1915 ; son corps n’a pas été retrouvé ; il n’a jamais vu sa fille Raymonde, née le 20 mai.
Rémy Cazals
*Roger Gau, Jean, classe 1915 ou Lettres volées à l’oubli, Toulouse, Les Amis des Archives de la Haute-Garonne, 1998, 159 p.

Une édition libre accès a été créée par la suite par Roger Gau sur le liste Calaméo : https://fr.calameo.com/books/00026641321c954c09b87

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Mare, André (1885-1932)

Né à Argentan (Orne) le 31 janvier 1885, André Mare a fait l’école des Arts décoratifs, qui lui a donné un métier lui permettant d’avoir pignon sur rue et aussi d’assouvir sa passion pour la peinture. Il fréquente Fernand Léger, Dunoyer de Segonzac, Rouault, Marie Laurencin, etc. Marié en 1910, il a deux enfants lors de la mobilisation. Pendant la guerre, il tient des carnets sur lesquels il fait dessins et aquarelles au cubisme de plus en plus affirmé, un style qu’il considère comme propre à traduire la destruction et à « aller au-delà de la description de ce que l’on voit pour exprimer plus profondément ce que l’on sent ». Son évolution est sensible à travers une série d’autoportraits. À partir d’août 1915, il pratique la photographie et colle des clichés sur les pages du carnet, qui portent aussi une chronique, tenue de manière irrégulière. Ses lettres à sa femme permettent de compléter et d’éclairer le contenu des carnets.
Il commence la guerre comme artilleur, d’abord à Hirson, à la frontière belge, puis à proximité de Paris où les travaux de terrassement lui laissent le temps de se rendre en ville pour s’occuper de ses affaires. Le 31 juillet 1915, il arrive à Valmy où il exerce successivement les fonctions de pointeur, de terrassier, de convoyeur. Il fait la remarque de beaucoup de soldats dans son cas devant l’attitude des anciens : « On réclame la fin et j’ose à peine exhaler mon optimisme devant des hommes qui sont là depuis un an. Le corps colonial, que l’on met à toutes les sauces, que l’on appelle, avec les zouaves, à toutes les occasions, qui n’a jamais de repos, réclame une grande et dernière offensive et a fixé une date, à la suite de laquelle il ne marchera plus. Les fantassins ne veulent plus rien savoir. » Il assiste aux préparatifs de l’attaque de septembre en Champagne ; il croit au succès, puis il constate le prix payé pour une médiocre avance. Il n’hésite pas à critiquer les grands chefs et les erreurs de l’artillerie qui tire sur les fantassins amis.
En décembre, il est réclamé aux sections de camouflage : « Entre casser des cailloux où mes bras n’ont guère l’aptitude et faire de la décoration pour l’armée, je n’hésite pas ! » Il travaille alors à Amiens et à Vimereux avec les Anglais, à produire de fausses écorces d’arbres pour cacher des observatoires, à peindre les canons de façon à ce qu’ils se fondent dans le paysage, à tendre des toiles peintes pour masquer une route, etc. Lors de l’offensive de la Somme, André Mare prend des photos sinistres. Il critique les artistes embusqués, alors qu’il se trouve lui-même proche des premières lignes, où il est blessé, le 12 mars 1917 par des éclats d’obus au cou et à la cuisse. Qualifié de « veinard » par majors et infirmières, il est opéré par Georges Duhamel, puis il peut prendre quelques mois de convalescence. À peine revenu sur le front, en septembre, il est envoyé en Italie où ses premières impressions sont négatives : un monde en trompe-l’œil ; les officiers cherchent à s’embusquer ; le défaitisme des soldats est organisé par les curés. Mais il peut faire du tourisme et il est séduit par la lumière : « La couleur est uniformément chaude, les ombres aussi, la gamme va des ocres aux bruns profonds, le ton moyen est le jaune indien, avec quelques noirs de feuillage et des gris très légers. On ne peut comprendre la vérité scrupuleuse des artistes anciens, combien ils sont servilement près de la nature, si l’on n’a vu cela. Le pays est fait sous le soleil, il est incompréhensible sans lui. L’architecture ne s’explique pas autrement. La répartition des lumières équilibre le tout. »
De retour en France, il participe à l’offensive finale des Alliés, une avance trop rapide pour que le camouflage soit utile. Cela ne se fait pas sans casse ; il voit « des carcasses de tanks un peu partout » et il écrit qu’il en a assez « de la charogne, de l’ypérite ». La fin approche : « À la nouvelle de l’arrivée des parlementaires dans Saint-Quentin, on dansait et on s’embrassait, y compris les Boches prisonniers. » Et le 11 novembre : « Aujourd’hui, ça y est, c’est fini… C’est tellement étonnant que ça écrase. » C’est André Mare qui va réaliser le cénotaphe dédié aux morts pour le défilé de la victoire du 14 juillet 1919, un projet controversé. Après la guerre, il travaille dans la décoration, l’illustration de livres et la peinture, abandonnant peu à peu le cubisme. Il meurt, à 47 ans, le 3 novembre 1932.
Rémy Cazals
*Carnets de guerre 1914-1918, André Mare présenté par Laurence Graffin, Paris, Herscher, 1996, 136 p., nombreuses illustrations tirées des carnets.

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Joly, Emile (1863-1918)

Né à Toulon le 17 mai 1863, cet avocat, radical-socialiste, s’est installé à Mende (Lozère) où il s’est marié en 1887 et où il a eu un fils unique, Paul, né en 1889. Émile Joly est élu maire de Mende en 1908 et réélu en 1912. Il va donc gérer les affaires communales pendant la difficile période de la guerre, tandis que Paul est sous-lieutenant au 81e RI. Du 30 avril 1916 au 14 décembre 1918, Émile Joly tient les 943 pages de son journal. Il y décrit la vie quotidienne, la forte hausse des prix, les foires perturbées, les réquisitions, les mesures contre la prostitution, les envois de colis aux prisonniers mendois en Allemagne, le remplacement des enseignants par des demoiselles, les paysans qui monopolisent les pièces et refusent les billets de banque, la taxe du prix des pommes de terre qui vide les marchés, la récupération du cuivre alors qu’on s’était moqué des Allemands lorsqu’ils l’avaient instituée… Il note qu’en 1916 le communiqué officiel n’intéresse plus la population, que les emblèmes nationaux marqués du cœur de Jésus, abondants au début, ont à peu près disparu, que les établissements d’enseignement sont transformés en hôpitaux, tandis que les cours sont dispensés dans des locaux de fortune dispersés à travers la ville. Le 10 mai 1916, un individu est condamné « pour avoir vendu et tenté de vendre à des militaires un liquide ayant la propriété de provoquer une éruption de boutons d’apparence assez sérieuse pour retarder le départ au front ». Le 20 novembre 1916 et les jours suivants, le maire patriote s’étonne et s’attriste de voir des permissionnaires « découragés, pessimistes et haineux contre les députés, les ministres et le gouvernement ». « Ils en ont assez. La campagne d’hiver, dans la neige, sous la pluie, dans la boue et la vermine, fait d’eux des révoltés. On les plaint, mais on n’a pas le courage de les contredire. » [Sur la vie à Mende pendant la guerre, voir aussi la notice Jurquet Albert.]
Dès le début, le maire de Mende souligne sa situation peu enviable quand il s’agit d’aller annoncer le décès d’un soldat dans une famille. Le 16 juin 1916, il précise : « Verdun nous aura coûté bien cher. Le nombre des Mendois tombés dans cette formidable bataille est déjà grand, et tout fait prévoir qu’il va s’accroître encore, car dix familles sont sans nouvelles depuis près d’un mois. […] Depuis quelques jours, je vis des heures bien pénibles. Je ne sais rien et ces pères désolés, ces mères en larmes, ces sœurs désespérées, ces épouses affolées croient que je sais quelque chose et que, par pitié pour eux, je ne veux rien dire. En ce moment les fonctions de maire sont cruelles à remplir. Il faut consoler ceux dont la douleur est inconsolable. Il faut donner de l’espoir quand on est convaincu que tout espoir est perdu. » Et, le 16 novembre 1916 : « Ces jours-ci, les morts vont vite. La Somme nous coûtera autant, sinon plus que Verdun. » Un an plus tard, jour pour jour, Émile Joly pousse un cri de souffrance : il vient d’apprendre la mort de son fils ; il déborde de haine contre les Allemands et veut se venger. Il entreprend des démarches pour s’assurer que Paul a eu une tombe décente. On lui répond qu’on ne pouvait sacrifier des vivants pour récupérer un mort et qu’on a fait ce qu’on a pu. Le père le concède et s’enferme dans sa douleur. Il meurt le 29 décembre 1918, quinze jours après avoir cessé de tenir son journal.
Rémy Cazals
*Des extraits du journal d’Émile Joly sont publiés par Yves Pourcher dans Les jours de guerre, La vie des Français au jour le jour 1914-1918, Paris, Plon, 1994. Merci à Yves Pourcher et à Samuel Caldier pour les renseignements biographiques.

* L’ensemble du texte sera publié par Jules Maurin en 2018.

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Toison, Léon (1841-1924)

Né à Courteau, près de Château-Thierry (Aisne), le 17 avril 1841, Léon Toison resta fidèle aux activités viticoles de sa famille. Marié en 1868, il eut sept enfants. Il avait 77 ans lorsqu’il écrivit quelques pages sur les terribles journées du 1er juin au 21 juillet 1918. Le manuscrit original a aujourd’hui disparu, mais il avait été utilisé et copié par des érudits de la Société historique de Château-Thierry.
Le fond du décor est un bombardement incessant, tandis que « les Prussiens » occupent la région, pillent les caves et les maisons, enterrent leurs morts dans les jardins. Le 16 juin, les habitants sont évacués vers la ville en partie détruite, et se posent les problèmes de trouver des vivres, de gérer les relations avec les occupants, de remplir les fonctions d’officier de l’état-civil… « Je n’ai plus rien de ce que j’avais eu tant de mal à économiser et à ériger », constate-t-il ; puis : « Comment pourrons-nous encore cultiver ces terres labourées d’obus ? » Le 21 juillet, arrivent les Français et les Américains. Octavie, fille de Léon, a livré par la suite son témoignage oral : « Encore un tableau que je n’oublierai pas : dans l’avenue de Paris, mon père pleurant de joie en dévorant à belles dents le beau pain blanc qu’un Américain vient de lui donner. »
Rémy Cazals
* « « Mes pauvres vignes ! » Journal de Léon Toison, vigneron à Courteau », dans Graines d’histoire, La mémoire de l’Aisne, n° 9, printemps 2000, p. 26-32.

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Jacquelin, Henri (1884-1918)

Son grand-père était instituteur ; son père, cadre dans l’administration des finances ; sa mère, catholique, baptisa ses sept enfants en cachette du père. Né le 15 décembre 1884 à Largentière (Ardèche), Henri est l’aîné. Il fait de solides études, entre à l’ENS en 1905, est agrégé de lettres en 1910. Professeur au lycée, il est élu maire SFIO de Quimper en 1912, mais abandonne ses fonctions en 1914 avant de s’engager alors qu’il avait été réformé pour myopie (il écrit, le 10 mai 1914 qu’il a « conscience d’avoir fait pendant deux ans du service public en compensation du service militaire que j’ai manqué, d’avoir pendant deux ans servi mes idées, d’avoir construit quelques bâtisses qui ne périront pas et qui seront de quelque utilité à des gens misérables, et d’emporter pour la moudre dans ma retraite une ample moisson d’idées tristes et de mépris »). Il est alors marié depuis 1909 à une enseignante à l’école normale de jeunes filles, et ils ont un enfant. Sa guerre est interrompue par une longue convalescence à Quimper du 27 septembre 1914 au 19 mars 1916, pour fièvre typhoïde et graves complications. Il meurt avec le grade de sous-lieutenant, le 26 septembre 1918 à Auve (Marne).
Au front, il constate qu’il a des maladresses d’intellectuel et qu’il n’arrive pas à faire respecter son autorité aux hommes. Il faut dire que ces Bretons sont souvent ivres, ainsi au repos, début août 1916 : « Depuis cinq jours, tous mes héros sont saouls ; ils courent les villages voisins, raflent le pinard, tombent dans les fossés […] Ils sont là, gisants, recroquevillés, les bras en croix, le nez dans les feuilles sèches, poussiéreux, inertes et trois fois morts. C’est la rosée du matin qui les réveille vers 3 heures, ils rentrent se coucher en marchant sur les dormeurs. Se réveillent à la soupe, retournent au pinard, s’endorment, se réveillent, boivent encore, vomissent, retombent et recommencent et continuent. » L’intellectuel est heureux lorsqu’il peut retrouver sa « pauvre chère solitude » et ses lectures sérieuses pendant que les hommes font inlassablement la manille. Il remarque que la guerre n’est glorieuse que dans la tête de certains intellectuels : « Grande douleur, ardent patriotisme, haute vertu, il y faut du génie. On gravit une des plus hautes pentes de l’histoire, mais l’homme reste toujours près de sa bête : amour, vin, argent, sommeil et manille. C’est la pauvre vie qui continue, sous le grand ciel » (19 mars 1916). Et, le même jour : « Dans la France d’aujourd’hui, au bout de deux ans, la guerre ne rayonne plus. Elle est devenue une tranquille habitude pour ceux qui la lisent et pour ceux qui la font. »
« La guerre est devenue pour tous ces hommes un métier qu’ils se piquent de faire proprement. On a sa conscience de mitrailleur, on a sa conscience de canonnier. Ce n’est pas le sentiment de la patrie qui soutient ces simples âmes, ni à plus forte raison celui du droit ou de la justice, ni même la haine des Allemands, « de pauvres bonshommes qui ont la même misère que nous », mais c’est le souci du travail bien fait. […] Le bon soldat, c’est un bon ouvrier et le bon chef ne brandit pas une épée : c’est un bon économe, un bon comptable, un bon entrepreneur de voirie. S’il y joint quelque mépris du danger, et de la bonté, il peut aspirer à tout » (25 mars 1916). La réflexion sur le rôle du chef se poursuit : « Causer avec les hommes, c’est le devoir essentiel. Je ne cherche pas à leur donner du courage : le courage est une improvisation de la bataille. Ni à leur remonter le moral : ils n’en ont point. Je cherche à les tenir en gaîté. Je leur parle de leur permission, du Noël prochain. Je leur promets de la paille pour leur literie, du papier goudronné pour empêcher la pluie de tomber sur leur gourbi à travers les rondins de la toiture » (25/12/1916). Il ne faut pas « s’éterniser au bridge pendant qu’ils piochent dans la boue et sous la pluie », remarque le chef de section. Mais il n’hésite pas, revolver au poing, à faire le serre-file lors d’une attaque (13 décembre 1916) : « Les obus rugissaient, assenaient leur choc formidable, éclataient à droite, à gauche, devant, derrière, partout. On était suffoqués par la fumée et le phosphore, assourdis par ce déchaînement de tumulte, criblés par les paquets de terre, éblouis par les flammes, bousculés par des poussées d’air chaud, soulevés, jetés en bas, cent fois tués, toujours vivants. J’allais à travers cette fin du monde, ayant fait mon deuil et poussant toujours, mon pistolet à la main, les moins valeureux de mes moutons. »
En contraste, voici l’évocation d’une permission (24 janvier 1917) : « J’ai retrouvé ma maison de Quimper dans l’immobilité des choses heureuses. J’ai fait avec douceur le tour de chez moi et il me semblait reprendre une vieille vie juste à la minute où la guerre m’en a arraché. La paix verte de mon cabinet, la chambre claire qui sent l’eau de Cologne, mes livres que je reconnais, que je salue et qui me tentent, moi qui à la tranchée n’arrive plus à terminer une revue. Sur ma table, les lettres intimes de Renan, les cahiers de Wagner sur mon pupitre, et dans mon tiroir les brins de balai pour déboucher ma pipe. La chanterelle même de mon violon ne s’était pas rompue, mes pantoufles avaient l’air de se moquer de mes bottes, mon feu flambait et je me laissais aller jusqu’au fond de mon grand fauteuil, assoupli et mis au point par mes vieilles lectures. »

RC (d’après les notes de Nicolas Mariot)
*Claire Jacquelin, De la rue d’Ulm au Chemin des Dames. Histoire d’un fils, trajectoire d’un homme, 1902-1918, Paris, L’Harmattan, 2000

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Bloch, Marc (1886-1944)

D’une famille alsacienne juive ayant opté pour la France en 1871, fils de l’historien Gustave Bloch, Marc Bloch est né à Lyon le 6 juillet 1886. Lui aussi s’est dirigé vers le métier d’historien, passant par l’ENS et l’agrégation. En 1914, il est professeur au lycée d’Amiens ; il a déjà écrit des articles d’histoire médiévale et sa thèse est en cours. Sergent au 272e RI dans la Meuse, il fait la retraite et la Marne et s’installe dans la guerre de position en Argonne. Adjudant en novembre 1914, il est évacué pour cause de typhoïde de janvier à juin 1915. En Argonne avec le 72e jusqu’en juillet 1916, il échappe à l’offensive de Champagne de septembre 1915 et à Verdun. En mars 1916, il est nommé sous-lieutenant. Il participe à l’offensive de la Somme. De janvier à mars 1917, il est en Algérie, du côté de Constantine. En juin, sur le Chemin des Dames. En août, lieutenant, il est officier de renseignements. Il finit la guerre comme capitaine.
Ses « écrits de guerre 1914-1918 » sont très divers : des carnets contenant des notes laconiques ; des rapports en style officiel, rédigés par lui, mais signés par le colonel ; quelques lettres, dont des testaments à envoyer à sa famille en cas de décès ; des listes de livres à lire, ce qui montre qu’il n’avait pas oublié son projet intellectuel ; des souvenirs rédigés en 1915 ; un article de réflexion publié en 1921. Les « Souvenirs » ont été écrits pendant sa convalescence, « avant que le temps n’efface leurs couleurs aujourd’hui si fraîches et si vives ». Ils montrent d’abord le Paris de la mobilisation, paisible, solennel : « la tristesse qui était au fond de tous les cœurs ne s’étalait point » ; « les hommes pour la plupart n’étaient pas gais ; ils étaient résolus, ce qui vaut mieux ». Dans la retraite, le « cruel tableau » de l’exode des paysans, les pillages, la vie dans la boue, le 75 qui tire trop court, autant de notations présentes dans les carnets des fantassins. Concernant les chefs, Marc Bloch note qu’il ne connaît « qu’un moyen de persuader une troupe de braver un péril : c’est de le braver soi-même ». « Comme tout le monde, ajoute-t-il, j’ai constaté l’extrême insuffisance de notre préparation matérielle et de notre enseignement militaire. » Et : « Je n’ai pas toujours été content de tous les officiers. Je les ai trouvés parfois médiocrement attentifs au bien-être de leurs soldats, trop ignorants de la vie matérielle des hommes et trop peu désireux de la connaître. »
Dans la liste des livres à lire, figure celui de Fernand van Langenhove, Comment naît un cycle de légendes. Francs-Tireurs et atrocités en Belgique (Paris, 1916). Cet ouvrage et quelques autres ont servi de base à l’article de Marc Bloch, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », paru dans la Revue de synthèse historique en 1921. Dans l’histoire, dit-il, de faux récits ont été capables de soulever des foules. Or, la guerre de 1914-18 peut être considérée comme « une sorte de vaste expérience » en ce domaine, qui montre qu’une légende ne se crée que si l’erreur trouve « dans la société où elle se répand un bouillon de culture favorable ». Dans le cas de la guerre récente, il faut souligner le rôle de l’émotion et de la fatigue qui affaiblissent le sens critique, de la censure et du bourrage de crâne qui perturbent le sens du vrai et du faux, mais aussi le « renouveau prodigieux de la tradition orale » et l’importance des lieux de rencontre, notamment les cuisines qui furent comme « l’agora » du petit monde des tranchées.
Même s’il n’est pas possible de le développer ici, il est clair que l’œuvre historique ultérieure de Marc Bloch fut marquée par son expérience de la guerre, qu’il s’agisse de l’étude topographique des paysages ruraux ou de la réflexion comparative sur la défaite de 1940. Résistant sous l’Occupation, Marc Bloch fut pris par les Allemands et fusillé le 16 juin 1944, dix jours après le Débarquement.
RC
*Marc Bloch, Écrits de guerre 1914-1918, textes réunis et présentés par Étienne Bloch, introduction de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Armand Colin, 1997, illustrations.
*Olivier Dumoulin, Marc Bloch, Paris, Presses de Sciences Po, 2000.

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