Duchesne, Louis (1894-1918)

Le point de départ de cette notice est un cahier intitulé « Souvenirs de la Campagne 1914-1915 [Rajouté : 1916] Duchesne Louis Henri, 102e d’infanterie, 8e compagnie », d’une collection particulière. En lisant le texte, bien écrit, d’une assez bonne orthographe, on apprend que ce soldat appartenait à la classe 14, qu’il habitait en août 1914 à Auneuil (Oise), qu’il était catholique et vraisemblablement cultivateur. Le cahier paraît représenter la mise au propre de notes préalables ; il compte 136 pages, mais le récit n’occupe que les 27 premières. Il s’interrompt brutalement et les pages 28 à 126 sont blanches ou manquantes. Le texte reprend p. 127 avec la copie d’un article de Gustave Hervé dans La Guerre sociale du 25 avril 1915, article en l’honneur de ce commandant que nous « aimions beaucoup dans le parti socialiste auquel il est affilié depuis longtemps. C’était pour les questions militaires le bras droit de Jaurès, et un peu dans le parti notre ministre de la Guerre. L’Armée nouvelle, le puissant livre de Jaurès, est bien un peu son œuvre. Pourquoi ne les a-t-on pas écoutés, lui et Jaurès lorsqu’ils expliquaient au pays que, pour barrer la route à l’invasion torrentielle de l’armée allemande, ce n’était pas augmenter le temps de caserne qu’il fallait, c’était organiser puissamment les réservistes et les territoriaux […] » Le commandant dont il s’agit, blessé, qui fait l’éloge de ses soldats et de ses officiers massacrés lors d’une attaque, n’est autre que le commandant Gérard, et l’article de se terminer sur une critique des méthodes du haut-commandement : « Ce n’est pas possible, non ce n’est pas possible qu’avec un état-major comme le nôtre, où les hommes de valeur fourmillent, il n’y avait pas un moyen de préparer les attaques par le génie et l’artillerie de façon qu’une compagnie de héros comme celle-là n’aille pas s’empêtrer, s’accrocher, se faire décimer dans les fils barbelés des tranchées ennemies. » Le deuxième texte en annexe est un poème de Montéhus, « La Croix de Guerre », dédié « au commandant Gérard, respectueux hommage ». Il est clair, à la lecture de ces deux « annexes » et des notes personnelles de Louis Duchesne que celui-ci a été marqué par les attaques des 24 et 25 février 1915 et par la personnalité du commandant Gérard dont l’attitude très originale sera signalée ci-dessous.

Après les hommes, les chevaux

Le récit de la campagne de Louis Duchesne commence lors de l’annonce de la mobilisation à Auneuil : « Les femmes et les enfants pleurent ». La guerre pourra-t-elle être évitée ? « Le 4 août à 4 heures de l’après-midi, un gendarme nous annonce la terrible nouvelle, la guerre est déclarée. Depuis ce moment que je n’oublierai jamais, les autos se succèdent à la gendarmerie sans interruption, portant des ordres d’un côté et des feuilles de route d’un autre. Que de pleurs ! que de larmes ! Tous les jours depuis la première journée de mobilisation les voies de communications ainsi que le tunnel et le pont du chemin de fer sont gardés par la garde civique. Quel entrain ! depuis les plus jeunes jusqu’aux plus vieux, les habitants assurent la police dans le pays. Des patrouilles parcourent le village toutes les nuits, à huit heures tous les cafés sont fermés. Dans le jour, à chaque train en partance, les wagons sont pleins de mobilisés qui vont rejoindre leur régiment. Puis, après les hommes, ce sont les chevaux qui partent à leur tour, les pauvres bêtes elles vont aussi collaborer à la défense de la France. Le pauvre Bouleau part, bon pour le service, et c’est en pleurant que ses maîtres lui donnent le dernier morceau de sucre. » Les premières nouvelles sont bonnes, mais bientôt arrivent les réfugiés du Nord. La classe 14 va être appelée. Louis va d’abord au 51e RI à Brest, puis au 19e Chasseurs à cheval, enfin au 102e RI de Chartres, tout content car il « espère aller au feu beaucoup plus vite ». Il arrive sur le front de la Somme le 12 novembre, et ses premiers coups de fusil visent un Taube. Il découvre les marmites, les tirs de crapouillots, les ruines du front, la boue, et la camaraderie des anciens qui le surnomment le Ch’tiot. À la veille de Noël, trois Allemands viennent se rendre. Le jour de Noël, on entend « les Boches chanter la messe. Notre première ligne tire et c’est nous [en 2e ligne] qui récoltons les pruneaux boches. » « Le premier janvier, comme nous disons dans notre nouveau langage, nous faisons la nouba. Chaque homme touche ½ litre de vin, du jambon, pommes et oranges, ainsi qu’un bon haricot de mouton ; pour finir la fête, chacun fume un bon cigare offert par des personnes charitables et l’on déguste une bouteille de champagne pour 4 hommes. Dans l’après-midi, nous organisons un petit concert vocal et instrumental exécuté par les poilus de la 7e et de la 8e compagnie et présidé par notre colonel lui-même et son état-major. »

Février 1915

Au cours de ce mois, le régiment vient en renfort d’abord dans l’Aisne, près de Craonne, puis en Champagne, vers Suippes. Là, il croise un régiment décimé qui vient d’être relevé : « C’était chose bien triste de voir ces pauvres bougres défiler près de nous par groupes de deux ou de quatre ; ils ne ressemblaient pas à des hommes mais à de véritables masses de boue en mouvement. » On plonge dans l’horreur à Beauséjour, le 24 février : « Nous traversons une tranchée conquise. Elle est pleine de cadavres allemands et de Français. Ici, c’est une tête qui roule sous nos pieds, plus loin c’est un Boche en bouillie recouvert avec un peu de terre, un poilu met le pied dessus et le sang coule en avant. Enfin c’est une orgie indescriptible, pas moyen de poser le pied par terre sans que ce soit sur de la chair humaine. Arrivés à la tranchée de départ, toute la compagnie est massée, prête à sortir. A midi, le lieutenant Héliès crie : « En avant ! » et tous nous courons en hurlant, mais nous n’avions pas fait quinze [mètres ?] que le premier était couché par une balle. Tout le chemin que nous avions parcouru était parsemé de cadavres, tués ou blessés, soit par les balles de la Garde impériale ou par nos pièces d’artillerie. Enfin, quel carnage, quel massacre, morts sur morts, toute la 4e section de la 8e compagnie est obligée de rester sur le terrain, alors les quelques survivants font avec leurs camarades tués une tranchée humaine. La nuit, tout le monde travaille sous la neige à la construction d’une petite tranchée, mais comme on est plein de fièvre, nous dévalisons les morts de leurs bidons afin de se rafraîchir, mais rien à boire. Nous sommes obligés de manger la neige qui tombe et c’est sous ce mauvais que nous passons la nuit. Le 25, le bombardement recommence et à 10 h un bataillon du régiment charge encore une fois. Ah ! les malheureux, ils font le même boulot que nous la veille, c’est encore un massacre. Toute la journée se passe sous le bombardement, c’est un véritable enfer, nous sommes noirs de poudre et nous tirons autant comme nous pouvons sur ces maudits animaux de Boches. Un obus arrive sur notre parapet et met un de nos copains en miettes. Tous les morceaux retombent sur nous. »

Les ordres prévoient de recommencer le lendemain. Alors il se passe quelque chose d’extraordinaire. Le commandant Gérard leur conseille, « en pleurant » : « Cachez-vous afin que je ne puisse vous rassembler demain. » Au retour au repos, Louis Duchesne constate : « Cette fois nous avons de la place car les ¾ des nôtres sont en moins. »

L’apport précieux des archives

Ce témoin méritait d’être mieux connu. Les Archives départementales de l’Oise, consultées, nous ont fourni d’abord la date précise de naissance de Louis Henri Duchesne à Auneuil, le 23 mai 1894, d’un père journalier et d’une mère ménagère. L’acte de naissance ne porte aucune mention marginale de mariage ou de décès. C’est la fiche matricule qui nous en dit plus. Le jeune homme était ouvrier agricole en 1914. Pendant la guerre, il est devenu successivement caporal (octobre 1915), sergent (janvier 1916), sergent grenadier d’élite (janvier 1918). Il a été blessé à Thiaumont par éclat d’obus à la tête, le 30 août 1916 ; puis à Douaumont par éclat d’obus à la cuisse, le 26 octobre 1916 ; et au Grand Cornillet par éclat d’obus au bras, le 14 mars 1918. Il a été tué le 20 juillet 1918 « aux avant-postes, donnant une fois de plus à ses hommes l’exemple du mordant et de la bravoure ».

RC

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Madrènes, Joseph (1890-1936)

Joseph Antonin Bernard Madrènes est né à La Pomarède, canton de Castelnaudary (Aude) le 24 février 1890. Ses parents étaient cocher et cuisinière au château appartenant à la famille Meunier, et ils ont suivi leurs maîtres lorsque ceux-ci se sont installés à Sallèles-d’Aude. D’après les souvenirs familiaux, les Meunier auraient contribué à l’éducation du jeune Joseph. Puis celui-ci est entré en apprentissage chez un parent, ébéniste à Revel (Haute-Garonne). En 1910, il s’est engagé pour trois ans dans la marine à Toulon, comme charpentier. Rentré à Sallèles, fiancé, il a dû repartir lors de la mobilisation de 1914. La lecture de son témoignage le montre conservateur, patriote et surtout catholique pratiquant et croyant. Proche du Sillon de Marc Sangnier, il milite dans divers cercles catholiques ; à Malte, il cherche à entrer dans toutes les églises ; il célèbre la conversion d’un Anglais au catholicisme ; il prend l’engagement d’aller en pèlerinage à Lourdes après la guerre… Marié en février 1919, il crée son entreprise de menuiserie à Azille (Aude), puis à Toulouse, où il meurt le 22 avril 1936. Entre la fin de la guerre et son décès, à une date que la famille ne peut préciser, il a rassemblé et « mis au propre » les éléments de son témoignage.

La guerre en Méditerranée

Ses notes chronologiques sont portées sur un gros registre très illustré de documents divers, principalement des cartes postales représentant des navires de la flotte française ou des flottes alliées, et des vues de Toulon, Bizerte, Brindisi, Messine ravagée par le tremblement de terre de 1908, Malte, Céphalonie, Milo (« le pays de la Vénus de Milo, dit le commandant »), et autres lieux où son torpilleur a mouillé. Pour qui a lu de très nombreux témoignages concernant l’armée de terre, le dépaysement est certain. Ici, au lieu de l’immobilisation dans les tranchées, on va en quelques jours d’un bout à l’autre de la Méditerranée. La mer joue des tours aux navires qui se déglinguent et aux hommes, victimes du mal de mer (oui, les marins ont le mal de mer : à plusieurs reprises, c’est « tout l’équipage » ou « presque tout l’équipage » qui est malade). On passe donc aussi beaucoup de temps dans les ports afin de réparer les avaries fréquentes, et pour « mazouter », embarquer des vivres et de l’eau. La marine a ses rituels (signaux, pavillons, hourrahs), son langage (appareillage, branle-bas de combat, croisière, etc.) et son argot : le mouilleur de mines, par exemple, « pond des œufs ».

Dans les premiers jours d’août 1914, arrivé au dépôt à Toulon, Joseph Madrènes critique la pagaille qui règne, et il doit soutenir une violente discussion avec de « fortes têtes » hostiles à la guerre. Le 2 septembre, il embarque comme charpentier sur le Protet, contre-torpilleur de haute mer, et la campagne commence mal puisque les deux canons éclatent quelques jours après. Il va rester sur ce navire jusqu’au début de 1917, obtenant le grade de quartier-maître en janvier 1916. Les opérations de guerre du Protet sont variées : il croise au large des bouches de Cattaro (Kotor) pour intercepter les navires autrichiens ; il escorte les convois de troupes qui vont vers la Grèce ; il traque les sous-marins ; il drague les mines et les fait sauter ; il récupère les survivants de navires torpillés… En février 1915, Joseph Madrènes décrit une forte concentration de navires français et anglais pour « un coup contre les Turcs », mais le Protet ne participe pas directement à l’affaire des Dardanelles. Lors du combat naval du 22 décembre 1916 contre les Autrichiens, tout tire, canons, mitrailleuses, fusils, mais l’ennemi passe à travers et peut regagner ses ports de l’Adriatique. La plupart des pertes proviennent du torpillage de navires de surface par les sous-marins ennemis, tandis que Joseph reçoit fréquemment la nouvelle de la mort d’un camarade du village dans les tranchées du front occidental.

1917

Jusqu’au début de 1917, il est question, ici et là, de quelques signes de découragement, du cafard au retour d’une permission à Sallèles pendant que le Protet est réparé à Toulon, de la crainte d’une mutinerie en juin 1915, tellement on est mal à bord. Mais cela ne va pas plus loin. Les officiers s’emploient à relever le moral : « Le commandant nous a fait aujourd’hui une conférence sur la guerre et nous a dit que l’Allemagne jouait ses derniers atouts » (23 août 1915). Mais 1917 (alors que notre quartier-maître a quitté le Protet pour le Marceau) est marquée par des bouleversements. Cela commence par l’annonce, le 17 mars, des troubles à Petrograd et de l’abdication du tsar, et, le 19 mars, du recul allemand dans le Soissonnais. Ce jour-là, Joseph se demande : « Que se passe-t-il en France ? Ici à bord le bateau devient défaitiste ; on y lit La Vague, Le Journal du Peuple. Toute la journée on entend murmurer. Il y a de quoi avoir le cafard. » Le 22 mars, en rade de Brindisi : « Les nouvelles de Russie sont bonnes. Les alliés avancent sur tous les fronts. Hier nous avons eu la visite du roi d’Italie à bord. À cette occasion, l’ordre avait été donné de briquer la plage arrière et de faire les tentes. L’équipage a refusé de le faire. Il a fallu que les officiers parlementent un bon moment. Tout s’est fait par la suite. L’équipage est consigné. En ville il y a eu des manifestations au passage du roi, et des femmes ont demandé du pain. » Le 16 juin : « Les permissionnaires qui rentrent de France disent que tout va mal. Les poilus ne veulent plus marcher. Ce n’est pas possible. » Le 27 septembre, il note encore des émeutes de la faim à Brindisi et à Turin. Le 3 novembre : « Je viens de réitérer ma demande pour entrer dans l’aviation. Pour rien au monde je ne veux rester sur ce maudit bateau défaitiste. » Le 16 novembre, l’information est mauvaise : « En Russie, nouvelle révolution ! Kerensky a pu se rendre maître de Lénine. » Il faut la corriger le 2 décembre : « La Russie qui est aux mains de Lénine vient de conclure un armistice avec l’Allemagne. »

Les notes de l’année 1918 sont très brèves, ce qui est peut-être un signe de lassitude. Le 24 mars, il écrit : « Les journaux italiens nous apprennent que Paris a été bombardé. Qu’est-ce que cela veut dire ? Les Allemands seraient donc aux portes de Paris ? On nous l’a caché. Ce n’est pas ça qui va relever le moral du Marceau. » En France aussi, on n’avait d’abord pas compris qu’il pouvait y avoir des canons de très longue portée. En septembre, Joseph revient en France. Le 11 novembre, il est à Saint-Tropez où il mène une vie quasi-civile, et il accueille l’armistice avec enthousiasme. Le 4 février 1919, il se marie avec sa fiancée Alice, qui l’attend depuis 1914 ; le 14 mars, il est libéré des servitudes militaires.

Le témoignage contient également une série de coupures de presse sur le sort du capitaine de frégate Forget, qui commandait le Protet lors du combat naval du 22 décembre 1916. Forget a été « débarqué » pour avoir molli devant l’ennemi. Joseph Madrènes et tout l’équipage l’ont soutenu, montrant qu’il n’avait fait qu’obéir aux ordres. En 1919, Forget a demandé à passer en conseil de guerre, Madrènes est venu témoigner, et Forget a été acquitté. Mais le Protet, sans Madrènes, a joué un autre rôle dans l’histoire : en avril 1919, avec son ingénieur mécanicien Marty, il a été partie prenante des fameuses « mutineries de la Mer Noire ».

Rémy Cazals, octobre 2011

*L’original du témoignage est conservé par la famille. Numérisation aux Archives départementales de l’Aude, cote 28Dv8, où se trouve aussi la fiche matricule 631, cote RW589.

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Omon, Lucien (1886-1952)

1. Le témoin
Né le 2 septembre 1886, peut-être à Paris où il passe le conseil de révision le 11 mai 1907, avec le grand plaisir d’être reconnu bon pour le service qu’il va effectuer à Guingamp. Assez cultivé puisqu’il deviendra archéologue amateur. Il écrit sans fautes d’orthographe. Son hobby est la photographie. Il fait la guerre dans les rangs du 52e RI ; il semble qu’il soit devenu sous-officier. Il est décédé le 1er mai 1952.

2. Le témoignage
La famille a conservé 27 petits carnets de format 6×11, dont 3 pour le service militaire, 8 pour 1915, 7 pour 1916, 5 pour 1917 et 4 pour 1918-19, ainsi que 800 ou 900 négatifs à partir desquels Lucien a fait des tirages contacts datés et légendés. Le texte d’un carnet évoque quelquefois précisément la prise d’une photo. Sa petite-fille, Catherine Gauthier-Esnault, professeur agrégée d’histoire et de géographie, a composé deux pochettes de diapositives commentées, reproduisant 24 + 12 photos et des extraits des carnets en regard de chacune : Le journal d’un poilu de 1914 à 1916, série MY 1953, et Le journal d’un poilu de 1917 à la Victoire, série MY 1954, Paris, éditions pédagogiques audiovisuelles Diapofilm, 1988. Les livrets donnent aussi trois croquis de localisation : secteur Soissons-Reims en 1915 ; Verdun en 1916 ; les Vosges en 1917. Les renseignements sur l’auteur sont volontairement limités, car il s’agissait de le présenter comme un « poilu parmi tant d’autres ». Une lettre de Catherine Gauthier à Rémy Cazals apporte quelques précisions, reprises ici.

3. Analyse
Les images sont disposées dans l’ordre chronologique. Plusieurs montrent les tranchées et leur boisement, leur caractère particulièrement rudimentaire à Verdun, les systèmes de protection par chevaux de frise et barbelés, la vue à travers un créneau, le costume des soldats pour s’adapter au froid et à la boue, la chasse aux rats, la toilette au cantonnement et les cuisines roulantes (1-6), les tombes des camarades. On peut noter encore une photo de prisonniers allemands souriant avec leurs gardiens (1-2) ; les cordonniers du régiment arborant ostensiblement un exemplaire du journal La Bataille syndicaliste (1-3) ; de faux canons en bois pour servir de leurres (1-12) ; « un groupe de soldats habillés en patrouilleurs » (2-3), ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit d’une patrouille prise en pleine action ; un convoi américain d’artillerie (2-8) ; un tank allemand capturé et exposé à Paris, le 14 juillet 1919 (2-11).
Les quelques extraits des carnets ne disent pas si Lucien Omon a exprimé des opinions sur la guerre, la Patrie, les chefs, l’arrière, etc. Le seul passage un peu développé concerne Verdun, entre Vaux et Douaumont, du 4 au 11 juin 1916. L’auteur voit l’armistice comme la fin du « cauchemar ».
Les carnets et les photos n’ont pas été publiés par ailleurs. Peut-être cette brève notice les fera-t-elle ressortir.

Rémy Cazals, juin 2011

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Coyot, Jean (1896-1960)

1. Le témoin
Fils de coutelier, Jean Gustave Coyot est né à Carcassonne le 25 juin 1896. Ses études le mènent au brevet et il souhaite entrer dans les Postes, mais il en est empêché par la guerre. Il est incorporé au 22e régiment d’infanterie coloniale à compter du 11 avril 1915 et se trouve « aux armées » du 24 juillet 1916 au 4 novembre 1918. Il n’est démobilisé que le 15 septembre 1919, après avoir été nommé caporal fourrier en juin de la même année. Il revient à Carcassonne avec une bronchite chronique (Source : registre matricule, Archives départementales de l’Aude, RW 643). Il reprend alors la boutique paternelle, rue du Marché.

2. Le témoignage
Le 28 août 1934, Jean Coyot achève la réalisation de « son » livre en exemplaire unique, relié, illustré de photos, dessins, poèmes et documents divers, sous le titre « Le Front, Journal de route et souvenirs de guerre », et le glisse dans sa bibliothèque. Le livre collectif Années cruelles 1914-1918, Villelongue d’Aude, Atelier du Gué, 1998 [1ère édition 1983] reprend dans sa conclusion (p. 156-157 de l’édition 1998), un beau texte de Jean Coyot sur la tranchée et le sort du poilu : « La tranchée est un sépulcre où l’on entasse des condamnés à mort. Les obus l’émiettent, les torpilles en soulèvent des lambeaux avec un bruit de cataclysme, les grenades vous y plaquent dans la boue, les balles sont des nuées d’abeilles qui passent et dont la piqûre vous tue […]. »

3. Analyse
La description du fantassin revient à plusieurs reprises dans le texte de Jean Coyot. Les poilus sont, « comme [lui], prudents, effacés, débrouillards, peu sensibles aux hochets ». Opprimés par le Commandement, ils sont des bêtes dociles. Un poème intitulé « Le Moulin de Laffaux » veut faire honte aux chefs qui sacrifient les hommes pour assurer leur renommée. Jean Coyot décrit l’échec du Chemin des Dames, signale des soldats « qui ont sauté chez les Boches », compare la situation des fantassins à celle des artilleurs, s’en prend aux embusqués qui « tiennent le haut du pavé » et aux patriotes qui plastronnent après la victoire. Sa conclusion est nette : tout est préférable à l’horrible tuerie.

Rémy Cazals, juin 2011

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Azéma, François (1877-1968)

1. Le témoin
François Azéma, fils d’autre François, cultivateur à Saint-André de Roquelongue (Aude), est né à Auragne (Haute-Garonne) le 26 mars 1877. Il n’avait que 14 ans à la mort de son père, et les religieux de l’abbaye de Fontfroide auraient achevé son éducation (ses carnets révèlent une assez bonne orthographe). Après le service militaire effectué au 100e RI à Narbonne (on a une photo), il s’est marié en février 1905 et a eu un fils en novembre. Il exerçait la profession de cordonnier à Saint-André lors de la mobilisation. Appartenant à la territoriale, il n’est monté en renfort au 280e RI que le 16 mai 1915 (plus jeune que lui de deux ans, Louis Barthas était parti début novembre 1914 pour le même régiment). Lorsque le 280e est dissous, Azéma passe au 256e, et son chemin se sépare de celui de Barthas. En juillet 1917, âgé de 40 ans, il devient cordonnier au dépôt divisionnaire, puis il passe dans l’artillerie de campagne et enfin au 77e régiment d’artillerie lourde à grande puissance. Il est démobilisé le 28 janvier 1919 à Carcassonne, et écrit : « le 29 je rentre chez moi à St André ». Il est mort dans son village le 22 août 1968.

2. Le témoignage
est représenté par deux petits carnets de 44 et 32 pages conservés par la famille. Les notes sont prises au jour le jour, depuis le 16 mai 1915 jusqu’au 29 janvier 1919, au crayon ou à l’encre selon les possibilités. Sur la dernière page du premier carnet, l’auteur a ajouté, après la guerre, la mention suivante : « Le présent livret a été écrit en entier dans les tranchées jour par jour au fur et à mesure que ma triste vie de tranchées s’écoulait. » Les notes sont très brèves, surtout au début, par exemple en juin 1915 : « 22 marche 8 k, soir revue, 23 exercice, 24 matin marche, soir revue, 25 marche et pluie ». Par la suite, elles forment des phrases, sans développements, mais qui réussissent à montrer le caractère exténuant des marches et des travaux, et les dangers affrontés. Pour la première partie, jusqu’à la fin de 1915, on pourra s’appuyer sur les longues descriptions de Louis Barthas pour développer les propos laconiques de François Azéma, par exemple lors des inondations suivies de fraternisations de décembre 1915 en Artois.

3. Analyse
De juin à décembre 1915, le 280e est en Artois, et on retrouve dans les carnets les noms du Fond de Buval, de la tranchée de Calonne, La Targette, Neuville-Saint-Vaast, etc. Comme Barthas, il fait des corvées de rondins, des marches sous la pluie battante, il subit les journées de bombardements qui alternent avec des périodes plus calmes. Le 26 septembre, il note : « Nous avons passé la nuit bien froide couchés sur la terre » ; le 4 octobre, un obus de 77 tombe sur la cagna « d’où on a pu sortir sans blessure » ; le 11 octobre : « J’ai failli être tué par un 105 tombé à 4 m et qui a tué 2 camarades » ; le 75 fait aussi des victimes, tués et blessés.
Il y avait de la boue avant décembre 1915, mais ce mois-là est particulièrement pluvieux : « Nous sommes allés travailler à déblayer les boyaux où la boue nous arrivait jusqu’aux genoux ; il fallait se donner la main les uns les autres pour s’arracher ; plusieurs ont dû abandonner sac, fusil et équipement pour pouvoir se dégager. […] Puis nous sommes montés en 1ère ligne où nous avons eu de la pluie tout le temps et de la boue jusqu’aux genoux ; il fallait travailler tout le temps à la réfection des tranchées : nous avons souffert atrocement pendant ces jours de 1ère ligne, nos pieds gelaient dans la boue ; pendant ces jours-là les Allemands sont montés sur la tranchée, nous de notre côté on en a fait autant et pendant 5 jours tout le monde était en terrain découvert ; les Allemands nous offraient des cigarettes, puis du rhum. Le 15 décembre nous avons été relevés des 1ères lignes. » Louis Barthas, Léopold Noé et d’autres ont évoqué ces scènes.
François part en permission le 1er janvier 1916. Il rejoint son régiment à Dunkerque, pour aller en Belgique. Le 3 mars 1916 est ainsi décrit : « Monté en 1ère ligne par une nuit noire où on ne voyait pas à un pas, il pleuvait à verse, nous sommes arrivés trempés jusqu’aux os ; du fait de l’obscurité nous tombions dans des trous d’obus où nous avions de l’eau jusqu’à la ceinture ; en résumé, relève très pénible où nous avons souffert atrocement. Le lendemain 4 mars nous avons eu de la neige en abondance nous couvrant ainsi que la terre de son manteau blanc. Cette journée a été très rude car étant mouillés et un vent glacial nous avons gelé ; en somme, journée mémorable par la souffrance que nous avons endurée ; dans la soirée les Allemands nous ont lancé quelques crapouillots sans résultat car personne n’a été blessé ni tué. »
En juin 1916, cet artisan rural, proche des choses de la terre, remarque avec tristesse : « Pendant tout notre séjour à Hardivilliers, nous avons de la manœuvre dans les cultures, soit blé, luzerne, seigle, etc. où nous brisons tout sur notre passage. » Dans la Somme, à la fin de 1916, ce sont encore de très durs moments dans la boue et sous les obus. En Alsace en 1917, cela va mieux, et il va passer dans l’artillerie (sans donner d’explication sur ce changement de statut).
En novembre 1918, un long passage écrit au crayon se termine par la remarque que les prisonniers boches (mot rarement employé) ont été très heureux d’apprendre la nouvelle de l’armistice. Il trouve alors une plume et de l’encre pour écrire, en soulignant la première ligne : « L’armistice a été signé le 11 9bre à 5 heures matin et le feu a cessé à 11 h m. sur tous les fronts. Guillaume II abdique et s’enfuit en Hollande. Son fils le kroumpritz renonce au trône, il en pleure comme un gosse. »
Photo de François Azéma dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 42.

Rémy Cazals, mai 2011

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Olanié, Maurice (1897-1983)

1. Le témoin
Les éditeurs de son témoignage ne donnent ni sa date de naissance, ni son milieu social. Il faut donc traquer ces renseignements dans le texte lui-même. Nous apprenons qu’il a 19 ans en 1916. Il serait donc né en 1897. L’Alsace était le berceau de sa famille, et il parlait allemand. Il est vraisemblablement né à Troyes, puis ses parents ont vécu à Meaux. Il a reçu une bonne instruction primaire et il se montre curieux . Il visite les monuments à Noyon comme à Aix-la-Chapelle ; il passe une semaine merveilleuse à lire dans la riche bibliothèque d’un château, avec l’autorisation du colonel ; il se perfectionne en latin auprès d’un prêtre et en algèbre auprès d’un instituteur. Ayant effectué un stage en cartographie, il en sait plus que les officiers, et s’étonne de leur ignorance. Il est mort à Avignon le 3 février 1983, mais on ignore tout de son métier.

2. Le témoignage
Il est constitué de deux séries de textes. D’abord des carnets rédigés sur le moment en 1917 et 1918, conservés par sa fille. Ensuite des compléments apportés par l’auteur en 1978. Le travail d’édition a été réalisé par Rose-Marie Lange, petite-fille de l’auteur, et Jean-Pierre Rocca, qui a rédigé l’avant-propos et exposé le contexte des opérations militaires. Stephan Agosto a donné une introduction. Le livre, hors commerce, semble avoir été tiré en un petit nombre d’exemplaires en vue de trouver un véritable éditeur. Il porte comme titre Maurice Olanié, 114e Bataillon de Chasseurs alpins, Notes de guerre 1917-1918. Il est complété par quelques photos de la collection Férole (notamment une belle vue de vraie tranchée, boueuse, abri et fils du téléphone visibles ; une étonnante photo montrant, en face de la tranchée française, le visage de deux Allemands casqués). Le texte figure aussi sur le site chtimiste.com.

3. Analyse
Du 12 août au 2 septembre 1917, Olanié se trouve près du Chemin des Dames, en proie à la soif et à la vermine. Le 31 août, il décrit une attaque, précédée d’un barrage, la prise de la tranchée ennemie abandonnée, le nettoyage des abris au lance-flamme, mais aussi la capture de 15 prisonniers.
En mars 1918, il a les oreillons, puis il revient vers Montdidier, pour constater la retraite dans « un désordre indescriptible » (p. 70). Du 6 au 16 avril, il occupe un petit-poste et attend vainement la relève. De mai à août 1918, secteur du Violu dans les Vosges. Le voici ensuite dans l’Oise au moment de la contre-offensive. Le 11 août, le bataillon reçoit de l’eau-de-vie, « ce qui veut dire qu’on est unité de combat ». Ce qui est dur, c’est de respirer l’odeur de cadavre, mais un bombardement violent, qui dure toute une nuit, « par obus de tous calibres et par avions » ne fait aucune victime. Plus loin il décrit Noyon qui flambe sous les obus français ; l’explosion du dépôt de munitions de Bas-Beaurains ; la remontée à travers le département de l’Aisne ; et conclut, le 13 septembre : « La compagnie va se reformer ayant ses effectifs réduits des 2/3. »
Du 30 septembre au 14 octobre 1918, opérations en Belgique. Olanié part en permission et n’en revient que le 2 novembre. Il décrit ainsi la joie qui règne lors de l’armistice : « Quel peut-être, en effet, l’état d’esprit d’hommes qui, la veille encore, n’étaient pas sûrs de terminer sans accident la journée commencée et qui, maintenant, savent que ce cauchemar de quatre années est fini, qu’ils peuvent espérer sans crainte, qu’ils n’entendront plus le bruit si énervant des canons, le sifflement des obus, le grognement des gros noirs ! C’est fini ! Plus d’abris à creuser, plus de tranchées, plus de garde, plus de gaz, plus d’alerte ! » Dans le Brabant, les troupes sont accueillies triomphalement.
Soixante ans après, Olanié ajoute quelques souvenirs. On en retiendra trois. D’abord une critique de la guerre, « cette boucherie » (p. 166), et des combats, « mini-massacres » qui n’ont servi à rien (p. 137). Ensuite, un dialogue dans le no man’s land avec un Allemand qui lui donne des renseignements qu’il ne transmet pas à ses supérieurs parce que « notre artillerie lourde et légère s’en serait donnée à cœur joie, l’artillerie allemande aurait répliqué, et alors quel beau massacre des deux côtés !! » (p. 146). Enfin, et à quatre reprises, il s’en prend, en 1978, aux « salopards de Lénine », à cette « vermine rouge » (p. 119, 134, 162, 166). Il leur reproche d’avoir abandonné les Français en 1917-18. Mais, curieusement, une telle remarque n’apparaît pas dans les notes d’époque. Il est vraisemblable que son opinion de l’URSS et du parti communiste français entre 1918 et 1978 ait joué ici. Un passage, également écrit en 1978, éclaire encore les positions politiques de l’auteur lorsqu’il oppose les « 40 rois qui en mille ans firent la France » aux « mille propres à rien » qui l’avaient « maintes fois conduite au désastre » (p. 123).
Rémy Cazals, 5 mai 2011

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Pomès, Joseph (1883-1966)

1. Le témoin
Joseph Pomès est né le 9 novembre 1883 à Pessan (Gers) dans une famille de paysans aisés. Il est allé à l’école de Castelnau-Barbarens, où il était en pension chez l’instituteur. Il a fait son service militaire dans les Dragons. Célibataire en 1914, il est affecté au 18e RAC avec pour tâche le ravitaillement des batteries de 75. Il vit donc surtout dans l’arrière-front, mais les déplacements fréquents sont pénibles et dangereux. Son régiment est en Champagne d’août 1914 à avril 1915 ; dans la Somme d’avril 1915 à mars 1916 ; à Verdun de mars 1916 à juin 1918 ; il participe à la deuxième bataille de la Marne et à la contre-offensive. Il est démobilisé le 19 mars 1919.
Dans une lettre, Emmanuel de Luget, le présentateur du témoignage, m’écrit ceci : « Joseph Pomès n’a ramené aucune séquelle de ces années de guerre : ni blessure, ni maladie, ni troubles du sommeil, comme si la page était tournée, l’affaire classée, naturellement. Il n’était pas taciturne, mais au contraire d’un tempérament gai. Il n’en parlait pas, sauf avec les gens de sa classe. Pas d’esprit d’ancien combattant non plus. À son retour, il a repris la ferme, sans en étendre la superficie, avec un domestique à l’année et un pour les gros travaux. C’était un propriétaire aisé. Il aimait la chasse, mais pas la pêche. Il avait la passion des chevaux. Il en a toujours eu, même avant la guerre, et n’a jamais voulu d’automobile : il se rendait au marché d’Auch en voiture à cheval. »
Il s’est marié à Pessan, le 3 mai 1920. Il a pris sa retraite peu après la Deuxième Guerre mondiale, et son gendre a repris l’exploitation. Joseph Pomès est décédé à Pessan le 24 décembre 1966.

2. Le témoignage
Joseph Pomès a commencé un premier carnet et lui a donné comme titre « Campagne de 1914 », devant ensuite rajouter les autres années. Le témoignage comprend un deuxième carnet et 200 lettres du front adressées à sa famille. Emmanuel de Luget m’écrit que sa fille et sa femme ont lu les carnets. Ils ont été ensuite « rangés » dans une caisse en bois au grenier. Personne, pas même lui, ne s’en est plus occupé. « On les y savait », sans plus. On les a retrouvés, un peu attaqués par les souris. Emmanuel de Luget a transcrit les documents et les a réunis dans l’ordre chronologique de rédaction, sous la forme d’un tapuscrit de format A4 intitulé « Les carnets de guerre de Joseph Pomès 1914-1919, Texte enrichi de plus de 200 lettres du front ». Il en a rédigé l’avant-propos, et a ajouté trois photos et une chronologie des déplacements de l’auteur.

3. Analyse
Le présentateur remarque très justement que Joseph Pomès s’intéresse surtout à ce qui se passe « au pays », à la vie de l’exploitation, à la famille. La lettre du 8 octobre 1914, par exemple, évoque les travaux : « Enfin je vois que vous vous êtes débrouillés pour faire les travaux. Le dépiquage a dû cependant être long faute de personnel et si vous avez terminé les labours vous avez dû vous lever quelquefois de bonne heure. » La même lettre et d’autres se préoccupent des blessés et des morts du village. Son meilleur copain est Ernest Vignaux, le boulanger de Pessan, « avec qui nous faisons la campagne ensemble depuis le début et que je considère comme un frère » (15 juillet 1915). Mais, le boulanger mobilisé et la farine étant de mauvaise qualité, le pain est mauvais à Pessan. Les parents de Joseph lui ont demandé de transmettre l’information à son copain.
L’évolution de la pensée de Joseph est intéressante. Il part « avec confiance et espoir que ce sera vite fini » (7 août 1914). Dès le 8 mai suivant, il critique un autre Gersois « qui a eu la veine de rester jusqu’à ce moment au dépôt et qui était paraît-il au moment de la mobilisation si partisan de la guerre ; il ne dira pas peut-être toujours pareil. » Celui-là ne semble pas être le seul : « Il y en a beaucoup qui au début criaient « À Berlin » eh bien ! à présent ils sont rares parce qu’on s’aperçoit que nous en sommes loin, aussi beaucoup de ceux-là demanderaient plutôt la paix » (16 mai 1915). Le 21 mai encore : « Nous avons l’occasion de parler tous les jours avec les fantassins. Ils commencent d’en avoir assez. Ils sont découragés, ils n’ont pas tout le tort, car lorsqu’ils veulent sortir des tranchées l’ennemi est si bien retranché qu’ils sont mal reçus par les mitrailleuses, et comme ordinairement c’est toujours celui qui attaque qui casque, c’est pour cela qu’ils ne prennent guère plaisir de monter à l’assaut. » Le tapuscrit contient aussi une lettre de même époque (23 mai), adressée par un soldat du Gers (du 288e RI) aux parents Pomès à Pessan : « Vous me dites de faire tout mon possible pour repousser ces troupes valeureuses et infâmes boches. Oui, cela est beau à dire, mais pas commode à faire et je n’y tiens pas trop à le faire non plus parce que j’en vois trop les conséquences. Mourir pour la Patrie, c’est beau aussi, mais pour moi la Patrie c’est moi, aussi j’étais Patriote mais cela, voyez-vous, m’est passé, et tous ceux qui sont avec moi sont du même avis. Personne ne demande à les taquiner pour les faire partir chez eux. Quand on nous parle de cela, le mal de ventre n’est pas loin. On nous a bourré trop les crânes. »
Plus le temps passe, plus les propos se font virulents. Ainsi le 28 décembre 1917 : « De la victoire à présent on s’en fout mais ce que nous demandons c’est la paix. » Le 10 mars 1918 : « Que vont dire les Parisiens avec les visites si fréquentes des gothas. Ils ne crieront pas tous jusqu’au bout. » Le 5 mai, il s’insurge contre le contrôle de la production et donne à ses parents ces conseils : « Levez-vous tard, couchez-vous de bonne heure, ce qui veut dire travailler pour le nécessaire, soignant la vigne et le bétail, mais ce que je vous recommande n’allez pas vous esquinter pour faire venir du blé. » Mais, en juillet, un sursaut lui fait écrire : « Il faut s’attendre sous peu à un autre coup de torchon. On craindrait à une forte secousse justement sur le point où nous sommes. Eh bien ! ils peuvent venir, nous les attendrons de pied ferme, ils ne passeront pas ! C’est le cri du jour. » Et, le 3 septembre, notant le recul des Allemands, l’agriculteur s’indigne de ce « qu’ils poussent leur méchanceté jusqu’à couper tous les arbres fruitiers. La plus grande partie c’est des pommiers. Ils sont sciés à un mètre de haut. »
Notons enfin trois remarques ponctuelles sur le début de la guerre : la réquisition des chevaux le 4 août 1914 ; un suicide dès le 14 août ; un blessé allemand soigné et nourri en septembre 1914. Au total, même s’il s’agit du témoignage d’un « combattant non directement engagé dans les combats », on peut dire avec Emmanuel de Luget : « La Grande Guerre, c’est aussi la guerre de Joseph Pomès. »
Rémy Cazals, 5 mai 2011

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Hauteur, Gaston (1885-1924)

1. Le témoin

Les cahiers étant parvenus à Jean-Paul Verdier sans filiation directe, Gaston Hauteur est mal connu. Dans un premier temps, c’est la lecture des cahiers qui fournit de rares éléments de biographie que l’on pourrait affiner par des recherches dans l’Aisne. Il est né dans ce département le 28 juin 1885 (le 28 juin 1918, il note qu’il a 33 ans). Il appartient au centre de recrutement de Saint-Quentin. Il est allé au collège ; il a une assez bonne orthographe. Lorsqu’il part en 1914, il est marié et il a un petit garçon, Maurice. Il évoque sa grand-mère Hamart à Soissons (on a donc le nom de jeune fille de sa mère). Sa famille est réfugiée à Epernay en 1915-1916 et revient à Soissons en 1917 ; il s’inquiète de son sort lors de l’avance allemande au printemps 1918. « Sergent-major rengagé », il passe sous-lieutenant en mai 15, puis lieutenant. Il serait resté dans l’armée après la guerre.

On connaît mieux les années 1914-1918 grâce au « prologue » de la dernière version de ses notes (voir ci-dessous) : « Résumé succinct des événements qui se sont passés depuis le début de la guerre jusqu’à mon affectation au corps expéditionnaire d’Orient ». On y apprend qu’il a combattu en Belgique avec le 84e RI en août 14, qu’il a été blessé de deux balles à la cuisse droite lors de la bataille de Charleroi, et qu’il a été hospitalisé jusqu’en novembre, puis affecté à des fonctions d’instructeur à l’arrière. Retour au front, au 127e RI en août 15 à Berry-au-Bac. Evacué pour maladie en octobre. Dans la Somme en septembre 16, à la 2e compagnie de mitrailleuses du 127e, il est blessé le 25 septembre à nouveau à la jambe droite lors de l’attaque de Rancourt, et soigné à l’hôpital maritime de Cherbourg. Officier instructeur à Saint-Étienne, puis à La Courtine jusqu’à l’arrivée des Américains, et à Saint-Yrieix. Il demande à faire partie du corps expéditionnaire d’Orient. Il arrive à Salonique le 13 octobre 1917 et va être affecté au 84e.

2. Le témoignage

Son contenu apporte peu. Ce sont souvent des formules telles que : « C’est un dimanche, nous nous réveillons frais et dispos » (14/10/17) ; ou : « J’ai la désagréable surprise de m’éveiller le matin avec un torticolis bien prononcé » (18/10/17). Il est plus intéressant par son aspect formel et par les questions qu’il pose. Il comprend : 1) Un cahier de « brouillon » qui semble écrit au jour le jour, avec abréviations, ratures, changements d’encre, écriture serrée ; il va du 12 décembre 1917 au 10 avril 1918. On peut penser qu’il y avait à l’origine au moins deux autres cahiers de ce type, l’un antérieur, l’autre postérieur. 2) Un dossier comprenant une partie intitulée « Journal de ma campagne à l’armée d’Orient, 26 septembre 1917 au 27 octobre 1918 » qui semble une première mise au propre, et une partie « papiers souvenirs » qui rassemble des programmes d’épreuves sportives et de soirées récréatives, des menus, notes de service, tableaux d’emplacements et de missions de la compagnie de mitrailleuses, le texte imprimé à Nice de trois chansons « par Fernand chansonnier lillois » (« Des colis ! », « Sing’ries d’Orient », « Le Chargement du Poilu »), un poème écrit par Gaston Hauteur lui-même sur « Le Poilu d’Orient », etc. 3) Un fort cahier de 190 pages dont seulement 117 sont rédigées, d’une écriture large appliquée ; il s’agit visiblement d’une tentative de mise au propre définitive, mais qui restera incomplète : le texte s’arrête brutalement au milieu de la p. 117 avec la date du 11 avril 1918 sans contenu (alors que le cahier précédent poursuit jusqu’au 27 octobre). Cette version porte le titre « Un an de campagne en Orient pendant la Grande Guerre 1914-1918 » ; c’est elle qui représente « le livre » du lieutenant Hauteur, avec une table des matières, elle-même incomplète. Cette rédaction a eu lieu après la guerre. Une comparaison fine des trois versions n’a pas été tentée, le témoignage n’apportant aucune réflexion personnelle, qui pourrait avoir été infléchie, dans un sens ou dans l’autre, au cours du temps. 4) Un cahier de format plus réduit contient 59 photos, tirages papier de petit format et de mauvaise qualité, et 17 dessins à l’humour laborieux, œuvres de Gaston Hauteur lui-même.

Le corpus pose plusieurs questions. Pourquoi Gaston Hauteur a-t-il écrit seulement sur sa campagne d’Orient ? On trouve un élément de réponse dans le prologue : « Pressentant que mon affectation à l’armée d’Orient serait pour moi l’occasion d’impressions nouvelles et de souvenirs agréables, j’ai noté chaque jour les événements me concernant. » Quand a-t-il entrepris la rédaction définitive ? Pourquoi l’a-t-il interrompue au 11 avril 1918 ? Pourquoi le contenu est-il aussi plat ? Jean-Paul Verdier, qui détient le fonds et qui a l’intention de le déposer aux Archives de l’Aisne, remarque à juste titre : « Sans le vouloir sans doute, il semble s’appliquer à éliminer toute trace de subjectivité dans sa rédaction. Il ne restitue ni émotions, ni réflexions personnelles, comme s’il n’avait rien à dire à titre individuel des événements exceptionnels qui s’imposaient à lui. Il incarne peut-être les conceptions, les convictions, les idées reçues de la pensée moyenne, conventionnelle, normée. »

3. Analyse

Débarquant à Itéa, le lieutenant Hauteur ne va pas voir Delphes. Il n’aime pas le vin résiné. Pas grand-chose sur le séjour à Salonique, au camp de Zeitenlick, sinon cette note du 17 octobre 1917 : « L’emploi du temps de la journée est sensiblement le même que celui d’hier. Je fais quelques nouvelles visites dans le camp. Seulement, l’un de nous quatre reste toujours à la chambre car on nous a prévenus qu’il existait parmi les hommes actuellement au camp, une bande de mauvais sujets qui font singulièrement parler d’eux ; ils ne se gênent nullement le soir pour arrêter les gradés, les menacer et même les dévaliser ; ils sont déjà entrés dans les chambres d’officiers où ils ont volé des cantines complètes. Des rafles journalières permettent d’en ramasser quelques-uns. Il est à croire que les régiments de France ont expédié en Orient la lie de leurs unités. Dans le camp, des rixes éclatent journellement entre ces voyous et des soldats alliés, principalement les Grecs ; on enregistre parfois la mort de quelques-uns. »

Installation à Kupa puis à Drevno, face aux Bulgares. Il y décrit sa « maisonnette », édifiée par ses hommes (15/12/17) : « Mon habitation est terminée. Après avoir creusé le sol à un mètre de profondeur, un mur de 0,75 m de haut donne une hauteur suffisante pour s’y tenir debout. Le toit est formé de rondins de bois jointifs, dont les interstices sont bouchés avec de la terre grasse mouillée, le tout recouvert de vieux sacs sous une nouvelle couche de 0,10 m de terre, et enfin un double toit, fait avec la bâche du train de combat et isolée à 10 centimètres au-dessus, empêchera la pluie de percer la toiture. A l’intérieur, une couchette faite de treillage métallique et un foyer m’assurant une douce chaleur. » Le lieutenant est un grand organisateur de soirées récréatives, ce qui lui vaut les compliments de ses chefs.

Installation du bataillon, secteur de Slop : « Je vais visiter notre secteur. Il occupe la droite du régiment, depuis la rive droite du Vardar jusqu’au 2e bataillon, soit environ 2 kilomètres de front, ce qui n’est pas anormal pour le front de l’armée d’Orient. Notre bataillon, qui comprend trois compagnies d’infanterie et une compagnie de mitrailleuses, est installé de la façon suivante : deux compagnies d’infanterie en première ligne, une au mamelon du chemin de fer, l’autre au mamelon des tertres, chacune ayant deux sections en tranchées, une en soutien et la 4e en réserve. La 3e compagnie est en réserve du bataillon. Quant à ma compagnie de mitrailleuses, que j’ai fractionnée pour l’instant en cinq sections en raison de l’existence de deux pièces supplémentaires (Maxim bulgares prises récemment), elle est disséminée dans tout le secteur. Les deux mitrailleuses bulgares seules sont en réserve. Le secteur que nous occupons est très accidenté. Le Vardar, déjà important à cet endroit, coule tantôt en plaine, tantôt entre de hautes montagnes. La rive gauche est beaucoup moins accidentée ; elle est occupée par l’armée anglaise avec laquelle nous sommes en liaison. La végétation est pauvre. La rive droite possède néanmoins quelques vignes, quelques champs de mûriers et de maigres arbustes, abricotiers, églantiers, etc. Beaucoup de ravins sillonnent le terrain, permettant de se rendre en première ligne sans être vu de l’ennemi. Un petit cours d’eau, appelé la Slop, et qui a donné son nom à un petit village détruit qu’elle arrose, coule entre l’emplacement des sections de réserve et celles de première ligne, d’où le nom donné au secteur. Malgré la saison, le cours d’eau est à sec. » Froid et neige en hiver ; fortes chaleurs, moustiques et fièvres dès le printemps.

Le 20 avril 1918, échec d’un coup de main tenté par un corps franc : le bombardement préalable a alerté l’ennemi. « C’est remis au lendemain. » Le 21 avril, « le coup de main réussit », affirmation étonnante quand on lit que le corps franc a ramené un prisonnier et qu’il a eu « 77 hommes hors de combat sur 120 ; 18 tués, le restant blessé, dont une dizaine sérieusement. L’affaire a été chaude. » Suit un mois de repos, avec soirées récréatives. Gaston Hauteur est évacué pour « dysenterie coloniale », début juin. Hôpital de Salonique et de Kozani. Retour au front fin août. A nouveau évacué en septembre (il est tombé de 74 à 58 kilos), il ne participe pas à l’attaque de Dobropolje. Il rentre en France sur le bateau hôpital Lafayette.

Rémy Cazals, mars 2010

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Giboulet, Justin (1887-1973)

1. Le témoin

Justin Rodolphe François Giboulet est né le 15 avril 1887 à Villeneuve-Minervois (Aude). Son père était maréchal-ferrant ; sa mère, épicière. Il entra à l’Ecole primaire supérieure de Limoux, puis à l’Ecole normale de Carcassonne. Après un an de service militaire au 163e RI en Corse, il commença sa carrière d’instituteur en 1908 à Auriac, puis fut nommé à Alzonne après son mariage en 1910, en poste double avec sa femme. Une fille naquit en 1912 ; un fils après la guerre. Il était patriote, de sensibilité politique de gauche, anticlérical sans excès. Il fit la guerre successivement au 343e RI, au 215e à partir de janvier 1916, au 261e à partir d’octobre 1918. Sergent en 1914, il devint adjudant en mai 1918, mais ne voulut pas devenir officier. Il resta principalement dans les Vosges ; dans l’Aisne en juillet 1917. Le mémoire de Solenne Boitreaud cité plus bas donne un index des noms de lieux mentionnés dans le témoignage.

2. Le témoignage

Son fils Jean a conservé 6 carnets originaux de petit format, en tout 397 pages + 17 feuilles volantes, 134 photos sur papier assez intéressantes, et divers papiers et objets. Les notes commencent au 4 août 1914 et s’interrompent au 10 août 1917. L’écriture est « tantôt calme et posée, tantôt agitée », écrit Solenne Boitreaud dans le premier volume de son mémoire de maîtrise, Les Carnets de guerre (1914-1917) de Justin Giboulet, sergent mitrailleur dans les Vosges, Université de Toulouse Le Mirail, 2000, 139 p. Le deuxième volume, 91 p., donne la transcription intégrale des carnets. L’argot de la tranchée dans les carnets d’un instituteur se retrouve dans un glossaire qui complète l’ouvrage.

3. Analyse

L’index des thèmes établi par Solenne Boitreaud comprend les entrées suivantes : abri, artillerie allemande, artillerie française, avions, baïonnette, bicyclette, blessés, blockhaus, bombardement, boucherie, cantonnement, charges, charnier, commission de réforme, conseil de guerre, coup de main, couteaux, dépôt, embusqués, exercice, femme, fraternisations, information, jeu, lecture, lettres (et paquets), maladie, mésentente, mitrailleuse, morts, mutineries, nourriture, observatoire, officier, permission, photographie, popote, prisonnier, promotion, récompense, reconnaissance, religion, rumeur, stage, stratégie, téléphone, tranchée, travaux, viol. Autant de thèmes classiques dans les carnets de combattants, mais abordés ici avec des développements intéressants. On retiendra quelques passages.

– Les recommandations reçues le 17 août 14 : « Les obus allemands peu dangereux. Les éclats ne traversent pas le sac. Les charges à la baïonnette irrésistibles. En pays annexé se méfier. Ne rien accepter des boissons que l’on nous offre. Ne rien répondre aux questions posées par les civils. »

– 18 septembre 14, près de Mandray : « Impression de cimetière. Fusils français abandonnés par cinq et six, vareuses, etc. Bérets de chasseurs alpins. Route semée d’étuis de cartouches allemandes. Les nôtres y ont laissé beaucoup d’hommes. Nous abordons la forêt. Arbres brisés. Terre battue, innombrables effets laissés par les Allemands, des tas de capotes, des casques, des sacs ensanglantés, culots d’obus de batterie de montagne. Après le café, chacun fait provision de souvenirs. Mandray, croix en bois blanc avec inscriptions allemandes. »

– Fin du mois [mai 1916] : « Vie tranquille sans incident. Les Boches n’ont pas lancé un obus. Gaudry, le capitaine de la 17 qui n’a la cote avec personne, m’engueule deux fois dans la même journée au sujet de mon béret et menace de me mettre dedans. Il trouve que les hommes sont trop bruyants et ne saluent pas. Type pénétré de l’esprit militaire, consistant, d’après lui, dans l’observation stricte des attitudes réglementaires et dans l’exécution des conneries les plus stupides. Très courageux dans son gourbi et profond stratège en chambre, très satisfait de son physique, se croit irrésistible. […] L’esprit de bluff règne dans l’armée : la probité fait parfois défaut. Tout se traduit par le « compte rendu » où chacun tente de tirer la couverture à soi. Personne ne veut rien foutre et chacun récrimine quand un camarade obtient une promotion ou une récompense. Beaucoup d’officiers s’occupent trop de leur personne et pas assez de leurs hommes et se moquent pas mal de leur santé. »

– 15 au 31 août 1916 : évocation de « patrouilles qui ne se faisaient heureusement que sur les comptes rendus ».

– 18 octobre 1916 : « Beaucoup de bourgeois carcassonnais ou d’autres lieux, qui n’avaient jamais été au front, se cramponnaient au dépôt à prix d’argent. Les pauvres blessés étaient souvent réexpédiés imparfaitement guéris si bien que, de Lyon ou du front, on les réévacuait sur le dépôt. Les autres s’arrangeaient pour se faire verser dans l’Auxiliaire. C’est ce que fit Farges, marchand de chiffons à Carcassonne. Le matin, il passe la visite à la suite de laquelle on le verse dans l’Auxiliaire. Occasion de grande bombance. Il soupe au Terminus avec trois majors qu’il avait invités et ils vont finir la soirée chez Renée, rue Basse n° 10. […] Voilà ce qu’était, au début de la guerre, la vie de ces bourgeois méprisants et orgueilleux : serrer les fesses et trembler le jour dans un dépôt, et accomplir des prouesses la nuit dans un bordel. Et pendant ce temps, les autres se faisaient casser la gueule. On se sent parfois animé de sourde colère quand on pense à tout cela, à l’existence d’un régime qui permet à ces professeurs de patriotisme d’avant-guerre, à tous les curés, à tous les politiciens, aux riches bourgeois de se défiler pendant que les pauvres bougres qui n’ont que le travail de leurs bras vont se faire trouer la peau. Les Boches sont moins odieux. »

– Juin 1917, au Violu : « Tous les journaux, comme s’ils obéissaient à un mot d’ordre, parlent en faveur du poilu dont il faut améliorer les conditions d’existence. Divers bruits circulent : des divisions se sont mutinées, ont refusé de monter aux tranchées. Des trains de permissionnaires ont manifesté. […] Au cours de la réunion des officiers à la mairie de Granges, Pétain avoua que la situation n’était pas brillante, qu’il fallait éviter d’embêter le poilu surtout au repos, tout au plus une heure ou deux heures d’exercice, pour veiller surtout à l’ordinaire, se mêler un peu plus à la troupe et éviter les histoires. Le colonel du 215e lui-même, cette infecte brute qui conçoit la discipline comme le Boche, a recommandé d’être très doux : il a dit que des corps d’armée ont été décimés à cause de leur rébellion, qu’un régiment désarmé est gardé à Mailly et que même les coloniaux refusent de marcher. Certains régiments se sont soulevés par la faute du haut état-major. Ils escomptaient n’aller qu’une fois à l’assaut, sur la foi des promesses qu’on leur avait faites, et puis on les fait donner une deuxième, troisième fois. A la quatrième fois, ils refusent de marcher. C’est naturel. A la suite de la visite de Pétain, on a enterré l’histoire des poilus du Violu centre parlant avec les Boches. »

4. Autres informations

– Voir les extraits de témoignage du sergent Roumiguières dans Gérard Baconnier, André Minet, Louis Soler, La Plume au Fusil, Les poilus du Midi à travers leur correspondance, Toulouse, Privat, 1985. Giboulet est cité p. 143.

– Voir le témoignage de Fernand Tailhades, du même régiment, dans Eckart Birnstiel et Rémy Cazals (éd.), Ennemis fraternels 1914-1915, Carnets de guerre et de captivité, Toulouse, PUM, 2002.

Annales du Midi, n° 232, octobre-décembre 2000, « 1914-1918 », p. 430-433.

Rémy Cazals, mars 2010

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Mactaggart, Alexander Arthur (1893-1954)

1. Le témoin

Alexander Arthur appartenait à une famille d’origine écossaise. Son grand-père, John A. Mactaggart, était arrivé en Australie, dans la colonie de Victoria, en 1846, à l’âge de 12 ans. Son père, C. Mactaggart, naquit en 1863 à Rokewood (Victoria) et Alexander A. vit le jour à Cape Clear, au sud de Ballarat (Victoria) le 22 novembre 1893. Par la suite, trois sœurs, Pearl, Avalon et Elsie, vinrent agrandir la famille. John A., le grand-père, avait acquis l’hôtel de la petite ville de Cape Clear qui s’était développée grâce à l’exploitation des mines d’or. Une baisse de productivité des mines entraîna le déclin de Cape Clear au début du XXe siècle. Avant de s’enrôler dans l’Australian Imperial Force, Alexander travaillait avec son père dans leur ferme de Colac, au sud-ouest de l’Etat de Victoria.

Répondant à l’appel du gouvernement australien, Alexander A. s’engagea comme volontaire le 6 août 1915. Il embarqua à Melbourne, le 7 mars 1916, à destination de l’Egypte. Au mois de mai, il quitta Alexandrie pour rejoindre la France où il arriva le 15 mai à Marseille avec son unité. Il prit alors le train en direction du front, un voyage de six jours pour parvenir au grand camp d’entraînement de l’armée britannique à Etaples. Affecté à la 2e batterie de mortiers légers de tranchée, il fut envoyé au front le 28 juillet. Il participa aux grandes batailles de la Somme et du Saillant d’Ypres. En 1917, pour un acte de bravoure lors de la seconde bataille de Bullecourt, Alexander reçut une décoration militaire du gouvernement belge réfugié à Sainte-Adresse, près du Havre.

De retour au pays, le 28 juin 1919, il put, grâce à un plan d’aide du gouvernement australien en faveur des combattants, acquérir de nouvelles terres à Colac. Il fut un des pionniers, dans la région, en matière de mécanisation dans la production du lait. En 1926, il épousa Vera Wallington. De cette union sont nés quatre enfants, John Charles en 1927, Alexander Keith en 1928, Arthur Neil en 1936 et Janet en 1944.

Comme de nombreux compatriotes, Alexander restait marqué par son expérience des tranchées. Il évoqua rarement cette période douloureuse de son existence avec ses enfants, refusant même un jour toute discussion avec son fils Neil au sujet de son action à Bullecourt. Ne désirant pas vivre dans le passé, il ne participait pas aux marches organisées pour l’ANZAC Day (25 avril, commémoration du débarquement à Gallipoli). De même, il évitait les réunions d’anciens combattants. En vieillissant, il perdit petit à petit son intérêt pour la ferme et, le 11 juillet 1954, il décédait des suites d’un cancer.

2. Le témoignage

Les carnets rédigés par Alexander Mactaggart consistent en cinq agendas de taille réduite qui présentaient l’avantage de tenir dans la poche de l’uniforme. Ses premières notes débutent le 7 mars 1916 alors qu’il embarquait à Melbourne. Il cessa d’écrire le 28 juin 1919 dès que les côtes de lEtat de Victoria furent en vue. Ce soldat des antipodes raconta quotidiennement son expédition d’outre-mer, couvrant ses années de guerre ainsi que la période de paix entre l’Armistice et son retour au pays. Arrivé au mois de mai 1916 au camp d’Etaples, sa vie rythmée par les entraînements militaires et les baignades au Touquet semblait plutôt l’amuser, mais l’expérience des tranchées, la violence des combats et les souffrances physiques endurées changèrent le ton de ses écrits. Dans son dernier carnet, éprouvé par ses années de guerre, il note à la page du 1er janvier 1919 : « Commencement of another year a more peaceful one than the previous… » « Début d’une autre année plus pacifique que la précédente ».

Ses phrases sont laconiques et ses remarques parfois acerbes à l’égard des soldats alliés. Par exemple, il traite les Britanniques de « stupid heads » et les Français de « silly rotters ». Les agendas de 1918 et 1919 contiennent des adresses de personnes rencontrées en France ou en Belgique. Parallèlement à son journal de guerre, il tint un calepin dans lequel il narrait et commentait, de façon beaucoup plus détaillée, certains engagements auxquels il avait participé et les événements qui l’avaient marqué.

Après son décès, ses carnets ainsi que deux livres de l’historien officiel de l’armée australienne, C.W. Bean, ont été trouvés dans un vieux bureau par son épouse. Neil, un de ses fils, les récupéra en 1977 et entreprit en 1983 de les retranscrire, estimant qu’il s’agissait sûrement du plus précieux bien que son père avait légué. La tâche n’était guère aisée en raison de l’écriture et de nombreux noms de petits villages français difficiles à orthographier pour un Australien. A l’instar de nombreux descendants de soldats australiens, Neil éprouva le besoin de retracer l’itinéraire de son père. A l’automne 2004, il se rendit en Europe pour parcourir les champs de bataille de la Somme et du saillant d’Ypres.

3. Analyse

L’intérêt de ces carnets réside surtout dans le fait qu’ils relatent l’expérience d’un soldat volontaire de guerre non-européen. Comme la Grande-Bretagne, l’Australie déclara la guerre à l’Allemagne le 4 août 1914. Or, une loi interdisait à l’armée australienne d’opérer en dehors du territoire. Afin de contourner ce problème, le gouvernement australien prit la décision de faire appel à des volontaires. A deux reprises, lors de référendums organisés en 1916 et 1917, les citoyens australiens s’opposèrent à la conscription.

Ces carnets constituent une aide précieuse pour retracer l’itinéraire d’un soldat d’un dominion britannique depuis son enrôlement jusqu’à son retour dans son pays natal. Ils s’articulent autour de trois thèmes : la préparation à la guerre et le voyage vers le front occidental, l’expérience de la guerre, l’après-guerre et le retour au pays.

Préparation à la guerre et voyage vers le front occidental

Enrôlé en août 1915, Alexander reçoit un entraînement de plusieurs mois au camp militaire de Castlemaine dans l’Etat de Victoria. Le 7 mars 1916, à Melbourne, il embarque sur le SS Wiltshire. Il note soigneusement ses escales, les îles rencontrées ainsi que la météorologie et les diverses activités pratiquées à bord du navire telles que les exercices et les séances de vaccination qui débutent le 18 mars. Le 9 avril, le navire accoste dans le port de Suez. Après le débarquement, Alexander et ses compagnons de route rejoignent Tell el Kebir où doit se poursuivre leur entraînement. Le 10 mai, ils embarquent pour la France au départ d’Alexandrie. Après 5 jours de navigation en Méditerranée, ils arrivent enfin à Marseille où un train les attend afin de les amener à Etaples, grand camp d’entraînement de l’armée britannique, surnommé « Bull ring ». La période d’entraînement d’Alexander pendant les mois de juin et de juillet, lui permet de profiter de baignades fort appréciées au Touquet Paris-plage « (…) long march to Paris Plage for swim in sea ».

L’expérience de la guerre

Le 28 juillet 1916, Alexander quitte Etaples pour le front dans le secteur de Vignacourt. Ce n’est qu’en août qu’il connaît sa première expérience des tranchées. Le 18, il note : « (…) been in the front trench since 6 pm last night till 8 am this morning am going to have a sleep not closed my eyes since 4.30 am yesterday into line 10 pm », et le 19 août : «  what a night today has been a bit showery makes living a trench miserable feel very tired heavy bombardment ». A la fin du mois de septembre, il débute son apprentissage de Light Trench Mortar et il est affecté à l’Australian Light Trench Mortar Battery un mois plus tard.

Durant l’année 1917, Alexander participe notamment à la seconde bataille de Bullecourt et, en date du 3 mai, il écrit : « Terrific bombardment started at 4 am 2nd Div hoped out it have been heavy strafing by the noice… » Le 8 mai, (il) « got off 60 shots did very well. Put a few in our own M.G. (Machine Gun) position ». Il reçoit d’ailleurs pour cette action une décoration militaire belge de 2e classe avec palmes. Pendant le mois de septembre, il profite d’une permission pour se rendre à Edimbourg, en Ecosse, terre natale de ses ancêtres et pour visiter Londres au retour. Au début d’octobre, il est engagé dans la terrible bataille de Broodseinde qui entraîne de nombreuses pertes parmi les soldats australiens (« our losses heavy »). Il se plaint de ce « dirty dugout cold and hungry and muddie and wet » et du fait qu’il faut partager « 1 blanket for 2 ». L’humidité des tranchées lui cause de douloureux furoncles aux pieds. Il passe la nuit de Noël « in the line slippery cold and plenty of mud and Hun straffed a bit too. So did our chaps ».

Le 2 mars 1918, deux ans après son départ de Melbourne, Alexander se retrouve à nouveau dans le secteur d’Ypres où « Our chaps are up to Hill 60 picking positions they are afraid the Hun is coming heavy bombardment ». Le 17 mars, il découvre les gaz pour la première fois. Par la suite, en mai et juin, il se retrouve dans la région d’Hazebrouck et Strazeele. Après un repos au camp d’Etaples, il retourne dans la Somme. En date du 23 août, il note qu’à « 4.45 am barrage a beauty and the tanks and the troops and us all moved off in the fog and smoke… ». En septembre, Alexander qui est au repos dans un camp aux environs de Péronne, se plaint de n’avoir « nothing to do but sleep and eat … » ou encore « Just hanging on sleeping and eating it will soon end I think ». L’Armistice survient alors qu’il fait mouvement en direction de la frontière franco-belge du côté de Landrecies.

L’après-guerre et le retour au pays

A la fin des hostilités, plus exactement au mois de décembre, Alexander passe deux semaines de permission à Paris où il visite « …the principal Boulevards and Avenues and places special interest also the Bois de Boulogne and Wall and Cemetery…and Avenue des Champs Elysées, Place de la Concorde. Go to Gaumont Palace at night of». Contrairement à ses camarades, il préfère se rendre dans les lieux chargés d’histoire comme le Musée de Cluny, le quartier latin, le Panthéon ou encore la Malmaison, « home of Napoleon beautiful furniture etc…damage Hun occupation (…) ».

Le 17 décembre, il rejoint, en Belgique, son unité cantonnée à Loverval près de Charleroi. Il est logé dans un estaminet en compagnie d’un officier, Mr Landon. Très rapidement, il noue des liens d’amitié avec la famille qui l’accueille et principalement avec le jeune garçon du couple. Les soldats australiens bénéficiant d’un libre parcours sur les transports publics, il en profite pour descendre régulièrement à Charleroi pour y assister à des représentations cinématographiques (« Visit Charleroi afternoon go to Cinema good pictures »). Sa curiosité le pousse à Ham-sur-Heure, où les Forces Impériales australiennes ont établi leur Grand Quartier général dans le château du Comte d’Outremont. Il prend également le train pour rendre à Bruxelles où il rend notamment visite au comte de Mérode, propriétaire du château de Loverval. A la fin du mois de mars, le cœur serré, il fait ses adieux à la famille de Loverval. A la gare de Charleroi, il monte dans un train réservé aux soldats à destination du Havre. Après un bref passage dans le camp militaire de Salisbury Plain en Grande-Bretagne, il embarque enfin, le 12 mai, sur le HMAT Santan qui le conduira en Australie via la Méditerranée et le canal de Suez. Le 28 juin 1919, pour la dernière fois, il note dans son journal : « …we are passing along Victorian coast in sight paid today our final in the army ».

4. Autres informations

BEAN (C.E.W.), The official history of Australia in the war of 1914-1918, University of Queensland press, St Lucia, Queensland, 1983 (first published 1942)

BEAN (C.E.W.), Anzac to Amiens, Penguin Books, Australia, 1993 (first published by the Australian War Memorial, 1946)

www.awm.gov.au (Australian War Memorial) photo officielle E457 d’Alexander Mactaggart avec son mortier de tranchée léger lors de la seconde bataille de Bullecourt en 1917.

Claire Dujardin, avril 2010

 

 

 

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