Parution : Chine et Grande Guerre

L’universitaire franco-chinoise Li MA est la spécialiste de l’histoire de la Chine pendant la Grande Guerre, en particulier de la question des travailleurs chinois recrutés par les Français et les Anglais, employés surtout dans le nord de la France. Li Ma précise que c’est la découverte d’un cimetière de ces Chinois à Saint-Étienne-au-Mont qui est à l’origine de ses quinze années de recherches dans les archives françaises, anglaises, chinoises et japonaises.

On a pu (et on peut encore) lire le texte de son intervention « Travailleurs chinois à l’arrière pendant la Grande Guerre » au colloque international de mai 2013 à Carcassonne, publié dès 2014 sous le titre Travailler à l’arrière 1914-1918, par les Archives départementales de l’Aude (216 pages, illustrations, p. 144-159).

Son dernier livre est une mise au point générale : MA Li, La Chine et la Grande Guerre, Paris, CNRS éditions, 2019, 360 pages, illustrations, importante bibliographie, sources, index détaillé.

Les trois parties du livre présentent :

1. Quand le monde extérieur s’impose à la Chine ;

2. La Chine entre dans la Première Guerre mondiale ;

3. Les conséquences de la Première Guerre mondiale pour la Chine.

La première partie rappelle comment la Chine fut la proie des impérialismes européens, puis japonais, au XIXe siècle depuis les guerres de l’opium, les traités inégaux, les révoltes des Taiping et des Boxers, les crises du régime impérial, le temps des concessions. Dans le même temps, la Chine perdait aussi les liens de suzeraineté sur les périphéries, Corée, Vietnam, Birmanie. Le tableau p. 48-49 liste les concessions, les territoires à bail, les annexions principalement par les Russes et les Japonais, et la carte p. 50 les localise. Les tentatives de réformes et de modernisation du pays échouent. Les mouvements d’insurrection sur l’ensemble du territoire en 1911 contre la dynastie des Qing sont cartographiés p. 58.

Yuan Shikai est élu président de la République chinoise ; il se fait proclamer empereur, mais pour peu de temps. La Chine est alors aux mains des Seigneurs de la guerre, et les Japonais jouent sur ces rivalités pour avancer leurs pions, suscitant la défiance des USA également intéressés par cette région du monde.

Très loin du cœur européen du conflit, la Chine est directement touchée sur son territoire dès août 1914 avec l’intervention japonaise dans la zone d’influence allemande de Quingdao ; mais les gouvernements successifs ou rivaux cèdent aux pressions japonaises pour que la Chine reste neutre. Les « Vingt et une demandes » renforcent la domination du Japon et suscitent l’indignation de la presse chinoise. Des forces chinoises souhaitent cependant l’entrée en guerre pour mériter un siège dans les futures négociations de paix et récupérer la zone de Quingdao.

L’entrée en guerre se fait de façon indirecte par le recrutement des travailleurs chinois dont la deuxième partie du livre expose la situation : accords secrets entre la Chine et les alliés ; transport vers le nord de la France (certains ont dû traverser l’Océan Pacifique, le Canada et l’Atlantique, carte p. 147) ; hébergement dans des camps, salaires, alimentation, discipline du travail, révoltes et répression, rapports avec les populations locales. Un tableau détaillé mentionne plus de cent établissements français ayant employé des Chinois (p. 169- 172). Environ 37 000 travailleurs chinois ont été recrutés par la France, et 94 000 par la Grande Bretagne. D’un autre côté, la Russie a employé environ 200 000 travailleurs chinois.

La troisième partie du livre évoque d’abord le retour des coolies dans leur pays, leurs progrès au niveau de l’éducation, l’apprentissage de l’organisation associative, syndicale et politique, mais le faible impact de cela sur la situation locale. On peut cependant retenir le rôle de Li Jun et celui de l’instituteur Sun Gan en faveur de l’émancipation des femmes.

Le Japon a fini par accepter que la Chine déclare la guerre à l’Allemagne et elle obtient ainsi de figurer à la conférence de paix de 1919. L’opinion publique chinoise reçoit avec enthousiasme les Quatorze points de Wilson, puis s’indigne de « la trahison des Alliés », ce qui provoque le sursaut nationaliste dans les milieux intellectuels, qualifié de « Mouvement du 4 mai » (1919), point de départ de la révolution chinoise (la création du parti communiste chinois a lieu en juillet 1921). Li MA peut conclure : « La participation de la Chine à la Première Guerre mondiale reste secondaire et tardive, mais elle l’a menée vers une véritable révolution politique, intérieure et extérieure. »

Rémy Cazals

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