Laurendon, Gilles. Un guerrier d’occasion. Journal illustré du fantassin Pierre Perrin (1914-1918), Rennes, Ouest-France, 2012, 375 pages
Résumé de l’ouvrage :
Parti de Rigny-sur-Arroux, en Saône-et-Loire, le 3 août 1914, Pierre Perrin est soldat au 27ème R.I. de Dijon. Sous forme de journal de guerre, mais reportant en fait ses souvenirs, il rapporte une guerre impressionnante de fronts hyperactifs sur La Marne, au Bois d’Ailly, à Verdun, sur La Somme où les Monts de Champagne, qu’il traverse par une suite de miracles continus. Il est à proximité de Reims quand l’allemand plie enfin à l’été 1918. Gazé devant la Suippe, il apprend l’Armistice à Rigny, en permission, miraculé d’avoir traversé quasiment sans blessure une guerre aussi intense que violente.
Éléments biographiques :
Gilles Laurendon, présentateur du témoignage, dans sa courte préface, donne très peu d’éléments sur l’auteur. Aussi, c’est le fils de Pierre Perrin qui nous fournit les éléments complémentaires d’état-civil manquants dans l’ouvrage. Pierre François Léonard Perrin est né le 11 novembre 1888 à Rigny-sur-Arroux, en Saône-et-Loire, de Jean Marie et de Marie Perrin. Ses parents ont une petite maison sur la place de l’Église du village, à côté de l’édifice. Il a deux frères, dont l’un, Benoît Léonard Joseph, caporal au 29ème R.I., né le 20 août 1891, meurt le 13 mars 1915 à l’hôpital de Commercy, ayant contracté la typhoïde. Pierre apprend par une carte le 8 mars son admission à l’ambulance n°6, dans la caserne Oudinot. Il va le voir quelques jours plus tard et apprend sa mort le 14, puis son enterrement le lendemain. Pierre Perrin vivait à Paris (17ème), 8 rue des Nollets, depuis le 27 octobre 1912, où il travaillait comme dessinateur quand la guerre le mobilise au 27ème R.I. de Dijon, 11ème escouade. Il avait fait son service dans ce même régiment en 1913. Il aura lui-même trois enfants. Il occupera aux tranchées plusieurs fonctions, comme planton du colonel de bataillon ou agent de liaison et même infirmier de fortune lorsqu’il est légèrement gazé par exemple. Il est blessé légèrement à la tête par une pierre projetée dans un bombardement le 15 avril 1915, au Bois d’Ailly, et revient au front dès le 20. Il est à nouveau blessé le 18 avril 1917 par éclat d’obus à la jambe droite, au Bois de la Guille, rejoignant le 15 mai suivant. Il est nommé soldat de 1ère classe le 3 juillet 1918 et est ypérité le 6 octobre suivant en bordure de la Suippe pour ne plus revenir au front que le 27 novembre, les combats ayant cessé. Ces blessures finalement légères n’obèrent pas le sentiment d’une suite impressionnante de miracles renouvelés, tel cet obus qui tombe à trois mètres de lui le 25 août 1918, et qui n’éclate pas (page 339). Alors qu’il avait refusé par trois fois le grade, il est nommé caporal le 1er mai 1919 avant d’être enfin démobilisé le 10 juillet suivant. Il a été cité à l’ordre du régiment le 13 novembre 1915 dans ces termes : « Au cours d’une attaque au petit jour a assuré à plusieurs reprises la transmission des ordres en traversant sous le feu de l’artillerie et de mitrailleuses des terrains découverts, a toujours fait preuve de décision et de courage dans des missions analogues ». Il obtient à ce titre la croix de guerre avec étoile de bronze. Il est à nouveau cité à l’ordre de la Brigade le 9 novembre 1918 avec ce motif : « Très bon agent de liaison, s’est fait remarquer pendant la période du 1er au 4 octobre 1918 en assurant la liaison dans des circonstances difficiles. Intoxiqué ». Il est décoré de la Médaille Militaire le 22 mars 1928. Faute d’éléments biographiques plus précis, il faut faire confiance au présentateur de ces souvenirs qui nous indique, pour l’après-guerre : « De retour dans sa famille, Pierre Perrin a recopié scrupuleusement, sans retouche, les lettres, le journal qu’il avait rédigés au front. Sans rien retrancher, sans rien ajouter, au mot près. Il a ainsi rempli quatre cahiers de sa petite écriture serrée et précise » (page 12), écrits auxquels s’ajoutent un corpus de dessins, des portraits de soldats dénommés, dont quelques-uns sont publiés en couleurs en cahier central ou insérés au fil de l’ouvrage. Il revient à Rigny dès sa démobilisation et sera recensé 10 rue St Sauge à Autun en janvier 1920. Pierre Perrin deviendra professeur de dessin dans plusieurs établissements de la ville. Il est libéré de ses obligations militaires en 1937. Il décède à Rigny le 03 juin 1975.
Commentaires sur l’ouvrage :
Indubitablement classable comme l’un des tout meilleurs témoignages de la Grande Guerre, les souvenirs de Pierre Perrin sont précis, fourmillants de tableaux, d’anecdotes et de descriptions qui révèlent une foultitude de points d’intérêt à chaque page. Il décrit de manière détaillée ce qu’il voit, comme les hommes et les officiers, qu’il dénomme et descend en flammes parfois. Par exemple à Verdun le capitaine Robillot « lèche-botte et faux bonhomme, grossier avec ses inférieurs et plat devant ses supérieurs » (page 190). Ainsi, il fournit une mine de données utiles à l’historien, livrant un récit incontournable, rappelant celui d’Emile Morin ou de Gaston Mourlot. Doté d’une intelligence supérieure, il connaît le nom des fleurs et des lichens (page 271), travaille de ses mains, dessine, fait des menus, des écussons, des pancartes, des programmes, des plans de secteur… Il lit beaucoup, dont du André Theuriet, auteur argonnais, et a parfois quelques envolées poétiques sur la nature. Mais Pierre Perrin est surtout un miraculé permanent, renversé par un obus, plusieurs fois blessé, il traverse les secteurs les plus mortifères avec une facilité de façade désarmante. Son témoignage laisse l’impression d’une guerre sans fin, ayant manifestement combattu dans les pires secteurs. Il laisse échapper parfois des sentences qui témoignent de son état d’esprit, par exemple quand ses camarades tombent autour de lui. Il dit alors : « Nous payons chers le droit de vivre libres, et cependant notre volonté ne fléchit pas » (page 190). Ses sentences peuvent aussi être politiques lorsqu’il assène, en mars 1917 : « Que de grenades qui se perdent » (page 234) lorsqu’il apprend la démission de Lyautey. L’ouvrage comporte quelques rares erreurs de transcription (Lionville pour Liouville, Léronville pour Lérouville, Mont Rémois pour Mont Trémois ou V13 pour VB) et aurait gagné à accueillir un index toponymique et patronymique, même si particulièrement denses.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 18 : Soldat mort d’insolation
24 : Passage de la frontière vers Avricourt le 15 août, ne voit pas de poteau-frontière
25 : Baptême du feu
: Bruit du départ du 75 « comme des coups de pieds dans un ballon de football, et les longs sifflements soyeux et graves »
27 : Héming pillé par les français
: Bruit des balles : « On se croirait au milieu d’un essaim en révolte »
34 : Soldat atteint d’une balle sans force
31 : Vue impressionnante de divers morts allemands
38 : Traite des vaches abandonnées, à la chaîne, cochon tué à la baïonnette
40 : Pétris des babouins dans la glaise
: « Nous ramenons nos pans de capote sur nos pantalons rouges »
: Bruit des marmites « avec un bruit de wagons lancés à toute vitesse »
42 : Tombe et nom gravé sur une écorce
: Ordures laissées par les Allemands
: Voit sauter le fort de Manonviller, détruit à l’explosif par les Allemands
43 : Lecture du Bulletin des Armées de la République
46 : Madame de Thèbes
49 : N’a pas pris de rasoir car croyait une guerre courte, se fait raser avec des ciseaux pliants de poche
51 : Médailles amulettes au képi
: Se déguise pour tromper un gendarme zélé (l’épicerie de l’autre côté de la rue n’est pas dans le secteur de son régiment !)
53 : Cuisiniers collectionneurs de trophées
: Boîtes de conserve servant de pots de chambre
: Mannequin-leurre allemand
55 : S’abonne aux Annales pour s’occuper
57 : Homme égaré tué par erreur, (vap 70 pour lui-même, sentinelle lui tirant dessus)
59 : Obus cassant son fusil, en trouve un sur un tas d’équipements des morts
60 : Main de mort dépassant de la tranchée
: Marmites qu’il appelle bouteille, (vap 61 obus plus petits appelés saucissons, vap 169 casque à pique pour du 240)
61 : Morceaux humains en emplissant des sacs de terre
62 : Abri allemand fait avec des fusils français
65 : Miction dysentérique
: Description d’une marche harassée
69 : Contact, bouteilles lancées contenant des blagues et des insultes contre les boches
71 : Archives de Brasseite pillées
: Mortiers crapouillots de 1844 et 1855 (vap 65)
73 : Obus direct sur 4 hommes
74 : Méridionaux sans gêne
76 : Bottes canadiennes et en caoutchouc
77 : Vu d’anglais à Commercy
78 : Obus allemand à double éclatement
80 : Catapultes à roues
83 : Eau de vie au goût d’éther
: Adresses des familles laissées en cas d’attaque
84 : Vision impressionnante du bombardement, bruit et sapes
87 : Mort d’André Chaumont, d’Epoisses, auteur dans La revue de Bourgogne
89 : Colis américain contenant « un mouchoir, du papier à lettres, un crayon, un savon, du chocolat, une pipe creusée dans une sorte de panouille avec un tube en roseau, et… du papier hygiénique » (vap 366 « un petit sac de toile qui contient du papier à lettres, un crayon, une blague et des cartes à jouer. Quelques-uns y trouvent un rasoir mécanique, d’autres une paire de ciseaux. Petit, lui, y trouve une toupie mécanique… »
90 : Démonte des grenades allemandes
92 : Buse abattue au fusil (vap 119 une autre soignée à la teinture d’iode)
93 : Casque à pointe, trophée convoité
: Général Blazer, détesté, surnommé von Blazer (vap 95 et 115)
96 : Rififi entre régiments (8ème et 56ème) suite à la perte d’une tranchées
: Caisse de calendriers = grenades
: Mutinerie
97 : Capitaine Boll surnommé « capitaine-crapouillot »
98 : Homme tué en pêchant à la grenade (vap 326)
102 : Homme tuant un renard par erreur
: Artisanat de tranchée (vap 107, 109 cannes, 117)
105 : Moustiques
107 : Contact avec des soldats allemands polonais, échange de cigares et de bonbons contre du pain blanc
109 : Poilu’s Park (vap 118 sa description, 284)
111 : Bras tranché abandonné par son propriétaire
113 : Sur le commandement : « Les hommes commandés par de telles savates sont incapables de quoi que ce soit »
114 : Vision épique de la récupération d’un cadavre
: Condamnation à mort d’un soldat par Blazer, réhabilité sous le feu
116 :Recherche des fusées d’obus et part avec 20 kgs de débris d’obus
117 : Canon de 7
: Déserteurs pacifistes fusillés, vue de leur exécution
118 : Distribution de couteaux, pas de succès (vap 161)
: Concert improvisé sur des douilles d’obus
: TPS et Alsaciens employés à l’écoute, ce qu’ils entendent (vap 167)
123 : Paperasserie
126 : Cartes distribuées en prévision d’une attaque
: Couleurs d’obus de 75, croix blanche sur peinture kaki et bandes rouges sombre
128 : Accident de grenade
: Sculpte des blocs de craie
129 : Explosion d’un fourneau de mine, pense à une secousse sismique
130 : Le 27ème RI touche le casque le 8 octobre
: Corvée de fusil, horreur de la tranchée, fouille macabre pour des trophées
: Eclatement d’un canon de 270
132 : Avion-canon
133 : Fait des croix et des plaques de craie gravée (vap 137)
136 : Giclous ou zim-boum, surnom des 88 autrichiens
137 : Têtes sculptées par des coloniaux dans des maisons en craie de Saint-Rémy-sur-Bussy
141 : Déserteur allemand, précurseur d’autres volontaires déserteurs, ruse qui ne prend pas
: Soldats nettoyeurs, qualifiés d’apaches
145 : Brassards allemands pour les attaques de nuit
146 : Mocos (argot pour marins) méridionaux (vap 151 et 152, anti-midi)
150 : Poudre en lamelle (pour les 75) ou en macaroni (pour les 77), fait chauffer le café avec
151 : Girouette et cloche à gaz (vap 197 un avion girouette dans la tranchée)
154 : Déserteurs aux mains liés
: Fumier
: Apprentissage du morse (vap 233, 254)
159 : Obus nouveaux à éclatement successifs et balles traçantes
160 : Avion descendu par une mitrailleuse
: Soldat fataliste
: Fusils braqués sur des cadavres
161 : Cadavre récupéré, analogie avec Dayet
: Obus en bois, cad qui n’éclatent pas
162 : Hommes signalés car ils ont tiré sur des poules
: Obus non éclatés rouillés
163 : Guidetti lance-bombe
Lance-bombe inutilisé pour ne pas recevoir de contre feu
: Chat qui fait la navette entre les lignes françaises et allemandes, à qui on a attaché un ruban tricolore (rappelle Joyeux Noël de Carion)
: « Quel temps pour se faire casser la gueule ! »
164 : Contacts, cris allemands
: Voit une photo aérienne de son secteur
: Peur incontrôlable
165 : Démonte une grenade pour étudier son fonctionnement qu’il décrit (vap 170)
166 : Arbre observatoire (vap 175 percuté par un obus)
167 : Explosion d’un dépôt de munition, débris humains
169 : « …chasseurs dont le ventre s’allume au soleil comme un ablette entre deux eaux »
170 : Tracts allemands par ballons
: Désertion retardant une relève
171 : Apache que l’on doit enfermer en prison
173 : Pilons et huîtres, « grenades plates comme des galets lancés à la main »
: « Quatre jours de permission à ceux qui donneront cinq cents francs en or pour la Défense nationale. Le procédé, financièrement, est peut-être habile, mais ignoble. Aussi on s’est promis de casser la gueule à ceux qui profiteraient de cette annonce. Personne ne s’est présenté »
174 : Torpilles Save
: Habitants revenant dans leur maison avec des gendarmes pour chercher des affaires (vap 341)
: Bourrage de crâne lu dans un rapport à propos d’une désertion de 2 régiments du 15ème corps, qui ne prend pas
175 : Tranchée minée
: Vue de Spahis
176 : Fabrique un violon fantaisie avec un vieux bidon et des fils de téléphone
182 : Corps phénolés en attente de sépulture
190 : Prisonnier allemand aidant le transport sanitaire à Verdun
191 : Vision dantesque de la poudrière de Souville
192 : Allemand devenu fou ayant bu de la teinture d’iode
: Odeur de la putréfaction « que Toussaint comparait à celle du saucisson de Lyon »
: On prend les effets des sacs des morts
193 : Hommes « placés à l’arrière des voitures, chez qui on ne distingue plus que la bouche et les yeux » à cause de la poussière
194 : Broderie de Lunéville
197 : Confectionne des pancartes pour les tranchées
: Contact, lettre posée par les Allemands, avec texte et photo, pour rendre compte des honneurs rendus à des morts français en mars 1916 à Gondrexon (vap 198)
200 : Pierre à percuter les grenades
201 : Tank comparés aux cuirassés de terre d’H.-G. Wells
202 : Description de lance-flammes
204 : Lange Max vu par un guetteur depuis l’hôtel de Ville de Nancy ; qui prévient des tirs pour mettre les gens à l’abri dans le délai entre le départ et l’arrivée de l’obus et vue d’une collection d’obus de divers calibres au même endroit
205 : Conférence tombant faux d’un Alsacien qui parle de Boche
206 : Auto combustion du foin
: Jeux sportifs, score, tricherie, prix remis
207 : Coud une peau de mouton sur son « sac à viande » (vap 221, matelassé)
208 : Menace un épicier sur le prix usuraire des bougies
211 : Boue moirée d’essence
220 : « La guerre est longue à ceux surtout qui la font à pied »
: Comment il braconne le lièvre : « On met du plomb dans le canon du fusil, une bourre de papier par-dessus et une cartouche sans balle » (vap 294)
223 : Prix des denrées
224 : Souliers entourés de drap pour lutter contre le verglas
225 : Argonne : « le bois est partout rasé, on dirait une plantation de manches à balai »
227 : Soldats écroulant les maisons pour récupérer les poutres (vap 233)
: Mange du corbeau et du chat (ceux de Vienne-le-Château), (vap 236 un chat dépouillé)
228 : Faux canons en bois
231 : Dévisse une grenade suffocante pour en faire une lampe à pétrole
: Mention de section franche
233 : Prisonnier de Clairvaux ayant demandé à retourner au front
234 : Perle d’un général « Les autres hommes des petits postes se reposeront en travaillant »
: Tir sur des oies sauvages
235 : Caillebotis tapissés de sacs à terre pour amortir le bruit des pas.
: Prix comparé d’un bombardement
236 : « Le phosphore des trous d’obus éclaire vaguement l’obscurité »
: Piano Erard dans une sape
: Pillage dans Vienne-le-Château par Van den Busche, brocanteur
237 : Signe un acte de décès
: Vue du cimetière de Florent-en-Argonne, horribles cocardes tricolores en fer peint
: Contact, écriteau allemand
239 : « Des gendarmes donc pas d’obus ! »
242 : Proclamation sanguinaire du colonel pour gagner la fourragère
: Voit une photo aérienne de son secteur
: Communication par le sol à l’aide de lampes spéciales et d’une antenne de quelques mètres, fichée en terre (vap 254 TPS et TSF, stage, divers et explications)
: Engagé à ne pas faire de prisonniers, protestation
246 : Bâton près de la tête pour marquer un corps enterré, ce avant la croix
: Pressentiment de la mort
: Légèrement blessé par un obus de 105, il retire lui-même son éclat à la jambe
247 : Hôpital de Bar-le-Duc, description du traitement
: Tirailleur ne voulant pas le thermomètre anal
248 : Obusite Shell shock
: Prêtre pistonné par une commission de réforme
251 : Martiniquais mal traités (vap 252)
: Vol de chaussure ! (vap 256 pour bidon et musette)
252 : Colonel limogé pour avoir dit merde à général
: Lampe à acétylène faite avec un quart, une boîte de conserve et deux ficelles
: Bruit du canon de 37 qui « claque comme un fouet de charretier »
: Officier mort par bravade suite à une assertion de peur
254 : Revue de chevaux
: Evadé prisonnier allemand blessé, tentative infructueuse
255 : Camp disciplinaire du 129ème mutiné, culasses des fusils ôtées. Complot pour aller à Paris
: Vue des péniches bloquées sur la Meuse depuis 1914
256 : Description des femmes dans une usine de munitions
260 : Sur l’effet de la note de Pétain « Pourquoi nous nous battons »
261 : Sur les plusieurs façons d’écrire l’Histoire après un coup de main
: Pas assez grand pour faire porte drapeau au défilé du 14 juillet 1917 à Paris !
263 : « Dans l’air, on suit la courbe des torpilles et la lueur de leur mèche allumée »
264 : Enterrement difficile à cause de la décomposition des corps
: Pochard perdu entre les lignes
268 : Saucisse ressemblant « à quelque monstrueux poisson de légende »
: Trouve des os et les signale, respect dû au mort
: Piège à rat
270 : Saucisse enflammée par avion (vap 287, 299)
171 : Allemand utilisant des 203 japonais
272 : Portes amiantées (vap 286)
273 : Pancarte allemande
274 : Curieux canons anglais à l’âme hexagonale, posés sur des affûts rudimentaires en pierre
: Bataillon du Pacifique
: Fillette tuée par un avion allemand à Talant près de Dijon (Bourrage de crâne ?)
275 : Observateurs japonais
276 : Anglais venu de l’arrière avec une espèce de cloche sur le dos pour recueillir les gaz afin de les étudier
277 : Obus à gaz quasi silencieux
: Chants allemands entendus depuis la tranchée française
: Rats tués par les gaz (vap 322 idem pour les abeilles)
: Portes annamites
: Obus allemands à messages avec nom de prisonnier et renseignements (vap 315 et 316 avec ballonnets de journaux, et 353 journaux allemands jetés par avion)
287 : Concours de grenades VB
290 : Ballonnets pour vérifier la direction du vent pour les gaz
291 : Match de foot anglais contre français, gagné 2 à 1 par les anglais
293 : Mange des moineaux bardés de lard
: Théâtre aux Armées
297 : Pillage et destruction systématique, registre d’état-civil traînant sur le parquet de la mairie de Dommartin-sous-Hans
: Poêle réalisé avec des tôles
301 : Voit un phénomène naturel curieux : « un nuage est apparu, s’est scindé en deux et, par deux fois, un anneau jaunâtre est apparu »
308 : Poisson d’avril
310 : Américains aux dents en or
312 : Vision d’un coup de main dans le vide
: Baraques métro en tôle
314 : Américain abattu car meurtrier
315 : Nuage artificiel
316 : Horreur d’une tête de mort nettoyée par les fourmis !
318 : Pour les Américains, Jeanne d’Arc est la madone de l’Alsace
319 : Américain faisant une photo d’un pont pour prouver qu’il n’est pas gardé !
: Boxe avec des noirs américains, officiers blancs, tatoué ganté, discriminations
320 : Idiotie de la désinfection des paillasses
324 : Américains excités imprudents se baladant sur les parapets sans souci du danger
328 : Faux laisser-passer pour rentrer à Epernay
: Réfugiés logés sous des ponts aux arches aménagées
329 : Canons anti grêle à Épernay
330 : Se brûle légèrement les yeux à cause d’une fiole d’acide chlorhydrique (vap 331)
: Stahlhelm abandonnés par les allemands car trop lourds
332 : Bruit « bien connu » du 210, « un départ sourd, un bruit de wagonnet »
: Découvre dans une sape (piégée ?) un essai de fougasse composée de trois obus de 105, de pilons et de détonateurs
: Ersatz allemand
333 : Essai de signaux optiques
: Obus au phosphore, reflets à long terme
: Renard blessé
: Pipe Pétain
: Change son casque
: Tombe d’anglais avec casque
334 : Chevaux dépecés
335 : Bronzage
338 : Melons et raisons blancs
: Interdiction de familiarité avec les noirs « pour ne pas choquer les officiers blancs qui considèrent les Noirs comme de race inférieure. Et leur guerre de Sécession a duré quatre ans pour libérer les esclaves noirs du Sud ! »
339 : Détruit un nid de guêpe avec des détonateurs
340 : Chien de liaison
: Radeau fait avec des sacs rempli de paille pour passer la Vesle
342 : Pilote abattu non blessé se servant encore de sa mitrailleuse
343 : Nacelle de ballon détachable avec parachute
347 : Gaz pallite ?
: Seins coupés sur une envahie (histoire rapportée !)
348 : Homme tué par une sentinelle dont il n’avait pas entendu les sommations
350 : Sacs Habert
354 : Paillasses allemandes entoilées de papier
: Affiche allemande « représentant un soldat anglais écoutant à un microphone, placée près d’un appareil téléphonique pour avertir de faire attention aux conversations »
: Lanterne pensée piégée mais en fait non, peur des pièges
: Gargousses payées 1 franc par pièce, mais spoliation par des « artilleurs qui, eux, restent plus longtemps que nous et auront le temps de brocanter notre matériel »
355 : Prisonnier occupé à désamorcer les explosifs
357 : Gazé, se lave les yeux avec du café
358 : Comment il est traité
360 : Effets de l’ypérite
362 : Vue de cimetières, spécificités par nationalité
363 : Définition de l’intérieur « ce pays de rêve où on n’entend plus le canon et, le soir, on n’a pas besoin de camoufler les lumières »
364 : Grippe espagnole
: Vue d’Auxerre
365 : Paperasserie risible pour un bonnet de police (vap 366 pour des bretelles)
: Enterrement de Russe
366 : Huile goménolée
367 : 11 novembre 1918
369 : Corneilles mascottes avec des noms allemands
371 : 10 juin 1919, on ne sait comment occuper les hommes, cours multiples
372 : Costume Abrami et visière de casque
373 : Citation de la 2ème Cie du 27ème RI et la sienne (12 novembre 1915)
Yann Prouillet, 2 octobre 2025
Retour, Maurice (1889-1915)
Baron, Louis. Maurice Retour (1889-1915). Un modèle d’apostolat. Un entraîneur d’hommes. Paris, Mariage et famille, non daté (Ca 1937), 22 p.
Résumé de l’ouvrage :
Maurice Retour, né en 1889 à La Ferté-Macé dans l’Orne, est marié, père de famille et chef d’entreprise d’un tissage de 350 ouvriers. Il entre dans la guerre comme sous-lieutenant pour devenir capitaine en mars 1915. Le 27 janvier, il meurt dans un assaut sur la crête de Tahure avec le 205e R.I. Passionné d’apostolat, Louis Baron lui consacre une biographie mettant en avant son sacrifice consenti pour la France.
Eléments biographiques sur l’auteur :
Maurice Frédéric Michel Retour naît le 11 janvier 1889 à La Ferté-Macé dans l’Orne, où il demeure, de Léon Frédéric et de Berthe Marie Thédeville. Il se marie à Paris (7e) le 15 avril 1912 avec Yvonne Aline Angèle Huet, avec laquelle il a deux enfants, Michel et Emmanuelle, qui naîtra après sa mort. Il dirige un tissage comprenant 350 ouvriers. Engagé volontaire pour trois ans le 9 octobre 1908, au 104e R.I., où il est nommé caporal (le 9 février 1909), il est élève officier la même année et passe sous-lieutenant de réserve au 5e (1910). Il entre dans la guerre à ce grade, passe lieutenant dès septembre puis capitaine à titre temporaire en mars 1915. Le 19 juin, il est blessé à la main (arrachement de l’index et plaie au genou) par éclat d’obus au Labyrinthe, en Artois. Deux fois cité, il obtient la Légion d’Honneur le 4 juillet 1915. Le 27 septembre, il meurt dans un assaut sur la crête de Tahure avec le 205e RI Patron social, il dirige un tissage après la mort de son père. Il dit « Savoir que plus de 350 personnes attendent de vous le pain de chaque jour, être certain qu’avec du travail, de l’intelligence et de la patience on arrivera à les faire gagner d’avantage, que voulez-vous de plus pour vous donner la fièvre de chercher toutes les améliorations pratiques … ! » (p. 10). Particulièrement religieux, il est passionné d’apostolat et son biographe le considère comme un apôtre laïc. Il s’enrôle dans la Confrérie de Saint Vincent de Paul et est nommé par son évêque délégué cantonal de l’œuvre des écoles libres du canton de La Ferté.
Commentaires sur l’ouvrage :
Ce livret est le résumé d’une biographie plus conséquence, publiée chez le même éditeur, intitulée L’un d’eux, Maurice Retour, d’abord chez Pierre Téqui, dans la collection « Aux cadets de la jeune France » en 1927, puis aux éditions Mariage et Famille dix ans plus tard. Louis Baron met ainsi en avant son apostolat religieux, véritable apôtre laïc, qui consent, heureux, à son sacrifice ultime pour la France en 1915.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Maurice Retour part au front avec un « Manuel d’Instruction Religieuse » ; Louis Baron dit de lui : « Son âme n’attend plus que le suprême holocauste » (p. 15) ou « La mort peut venir ! Il est prêt. « Être tué à la guerre, c’est une belle mort » (p. 19). Manifestement patron social, il démontre les mêmes sentiments auprès de ses hommes en guerre. Pendant la retraite de La Marne, il porte le sac d’un homme « déprimé » qui a du mal à marcher « puis l’entraîne lui-même « bras-dessus bras-dessous » et parvient ainsi à lui faire achever la route ». Plus loin : « N’ayant pu obtenir la grâce d’un soldat condamné à mort, il obtient du moins la permission de passer la dernière nuit auprès de lui. Il l’exhorte à mourir courageusement, en chrétien, et l’assure qu’il va lui-même écrire à sa famille pour défendre sa mémoire ». Enfin, il fait dire des messes aux morts de son régiment (p. 18). A l’assaut devant Tahure, il dit à ses hommes : « Si je marche à l’assaut à votre tête, suivez-moi. Si je tombe, dépassez-moi, et toujours en avant ! » (p. 21).
Yann Prouillet, septembre 2025
Janériat, Joseph (1879 – 1916) et Joséphine (1884- 1956)
Lettres à Joséphine Histoires intimes de la Grande Guerre 1914 – 1916
Karine Chavas
« Mon Joseph aimé, je te quitte, il faut aller donner aux vaches. Voilà quatre heures, le temps est sombre, ça sera vite nuit. »
1. Les témoins
En 1914, Joseph et Joséphine Janériat sont des cultivateurs qui vivent dans une ferme à Sainte-Colombe (Rhône). En 1914, leurs trois filles ont respectivement 9, 7 et 5 ans. J. Janériat est d’abord affecté au 109e RIT à Vienne puis à Bollène (Vaucluse) ; il monte en ligne en avril 1915 avec le 299e RI et est longtemps stationné en Lorraine en secteur calme ; il est tué en novembre 1916 à Verdun, dans la bataille de reconquête de Vaux-Douaumont (début le 24 octobre 1916).
2. Le témoignage
La correspondance échangée entre Joseph et Joséphine a été découverte par la famille, classée et présentée à Sainte-Colombe à l’occasion du Centenaire. Karine Chavas a retranscrit cet ensemble (une centaine de lettres et une centaine de cartes) et l’a publié en 2017 (Lettres à Joséphine, éditions Sutton, 190 pages). Elle précise en avant-propos avoir seulement corrigé l’orthographe et ajouté de la ponctuation, en gardant la syntaxe et la grammaire d’origine, pour profiter au mieux de « de la verve et du langage typique de l’époque ».
3. Analyse
Nous avons ici une correspondance paysanne marquée surtout par l’affection et l’attachement familial. L’évocation de l’arrière-plan agricole est constante mais le détail des activités militaires de Joseph est lui presque complètement absent.
a. « Joséphine, contrairement à Joseph, aime beaucoup écrire » (Karine Chavas)
Joséphine adresse de longues et fréquentes lettres à son mari (avec autorisation de citation, 5.01.1915, p. 20) « Mon époux bien aimé, je m’en vais te quitter pour aujourd’hui. Voilà trois lettres que je t’envoie à la file, je vais finir par écrire comme un notaire, toutes mes soirées passant à faire des lettres. » Elle correspond le plus souvent possible, faire écrire les trois filles à leur père, et révèle une aisance réelle dans ses courriers, avec un style très marqué par l’oralité ; elle donne des nouvelles des enfants, de proches ou de connaissances qui sont « montés » à la ferme, fait le bilan des travaux de la journée et des projets pour le lendemain.
Joséphine reproche à Joseph de ne pas écrire assez souvent, et surtout de n’en pas « mettre suffisamment », elle voudrait que ses lettres ressemblent aux siennes ; dès le début de la séparation, elle lui signale (p. 16) « Tu m’a fait joliment attendre pour m’écrire depuis mercredi. J’attendais, je n’ai reçu qu’aujourd’hui. J’étais désolée (…) Mon Joseph aimé, écris moi bien souvent, tu seras si gentil. Moi, je te fais de si jolies lettres. » Les cartes de Joseph sont laconiques, ce qui déclenche des plaintes répétées (p. 26)« Et encore, on dirait toujours que tu es pressé de finir. Tu me racontes que des choses ennuyeuses. Tes lettres n’ont point d’amitié. » Soulignons que toujours, après les reproches, vient un changement de ton et de nombreux témoignages de tendresse, ce qui fait que Joseph ne peut se formaliser, les missives n’ayant jamais une tonalité acariâtre ; dans la même logique, avec malice, les filles sont instrumentalisées (p. 64), ainsi de Marie : « Mon cher papa aimé Que je suis contente que tu nous aies écrit aujourd’hui. Maman t’écrivait tous les jours, nous étions si tristes de n’avoir point de réponse. Tu avais trop à faire car tu nous aimes trop pour nous oublier comme ça.»Joséphine sait aussi reconnaitre les progrès (p. 34) : « C’est bien gentil pour toi de m’avoir vite répondu, surtout de m’en avoir bien mis.» Il est probable que le courrier est plus vital pour elle, un peu isolée dans sa ferme en haut du village, que pour lui, socialisé en permanence avec les camarades de sa section.
b. Joseph, une courbe d’apprentissage de la correspondance ?
L’historien préfère toujours l’authenticité de la source, mais ici la transcriptrice a eu raison de rectifier l’orthographe, cela permet d’apprécier ce que dit Joseph sans le diminuer, par exemple p. 15 : « je dérdire bauqot que mas lettre tant trouve de même » pour « je désire beaucoup que ma lettre t’en trouve de même. » ou p. 124 « s’il na reverien » pour « s’il n’arrive rien ». Il n’a pas l’inspiration de sa femme (p. 29) : « Je te réponds de nouveau car on me dit que je ne t’écris jamais assez souvent. Je ne sais pas quoi il faut mettre pour garnir ce pareil papier. » Ses cartes restent courtes mais apparaît progressivement un jeu sur ses amorces et ses salutations, marqué par une inventivité tendre qui le dédouane probablement un peu de son manque d’inspiration, on a successivement : « Chère bien aimée, Chère épouse, Chère amie, Bien chère petite maman, Ma bonne amie ou Chère bonne amie… » et on passe en signature du « Joseph » tout simple à « Ton ami bien aimé, Joseph, Ton Joseph qui t’embrasse bien fort, Ton Joseph qui t’aime, Ton ami (plusieurs fois) », et un tendre « À ma petite maman » signé « Ton gamin ».
Joseph, souvent bonhomme, est toujours rassurant et parfois savoureux (p. 114, 24.06.15) : « L’on vit un peu en philosophe dans les bois. L’on ne sait pas trop les nouvelles. Tout va bien ici, rien de nouveau. » Remerciant pour un colis qu’il partage (2.07.15, p.118) : «J’en ai trois à mon escouade qui ne sont pas riches (…) Ici, l’on s’aime les uns aux autres. » Il fait une seule fois allusion aux embusqués, ne parle jamais des opérations militaires ni des Allemands, et sur ces sujets adopte toujours avec Joséphine un ton distancié (21.07.15, p. 127) « Aujourd’hui, l’on apprend à lancer des boîtes à mitraille et des fusées. Tu sais, je vais finir par devenir galopin, l’on apprend rien qu’à mal faire au régiment. »
c. Plus que de guerre, il est avant tout question d’amour dans cette correspondance (Karine Chavas)
Ici, comme dans d’autres correspondances d’époux séparés par la guerre, c’est l’éloignement qui fait découvrir la force de l’attachement (p.42, 3.02.15) : [perspective de se revoir] « Mon Aimé, nous serons plus libres, nous serons comme des jeunes amoureux car je crois qu’on le devient. » et plus loin « Je ne t’avais, je crois, jamais aimé comme à présent, nous nous étions jamais si bien compris. Je prie Dieu beaucoup que tu reviennes pour t’aimer encore d’avantage (…) ». De même, comme dans d’autres témoignages ruraux, l’éloignement fait attribuer aux correspondants les désaccords passés à une mère ou à un père qui vit à la ferme avec eux (p. 54, 19.02.15) :« jusqu’à présent, nous étions jamais bien compris, supporté et aimé l’un l’autre grâce à mon pénible père qui était l’auteur de tous nos ennuis et tous nos désaccords ; [son frère François] « Il me disait : pauvre petite sœur, prend patience, que veux-tu, il n’est au monde que pour le travail et pour ronfler. Il n’a jamais su ce que c’était qu’autre chose.»
d. Les enfants
Joséphine donne souvent des nouvelles des enfants, et attache de l’importance au maintien du lien familial (p. 69, 3.03.15) « Toute ta petite famille va bien. Marie et Marcelle dorment sur la table. Alice fait des additions. Nous allons faire notre prière pour toi. Chaque soir nous la faisons ensemble. » Elle fait écrire aux filles des cartes pour les fêtes ou l’anniversaire (p. 39) : « (…) Le temps nous dure bien que tu viennes pour de bon. Espérons que ce sera bientôt petit père chéri. Les gros mimis de tes trois filles qui t’aiment bien. » Elle aide la plus petite (6 ans, p.60) : (…) Je t’envoie une jolie carte en attendant que tu viennes me faire des gros mimis. La maman conduit ma petite menotte et moi je suis bien contente.» Alice envoie à son père en mars 1916 un poème qu’elle a composé et celui-ci a annoté au dos de la carte (p.151) « Chère Alice, que Dieu du ciel entende ta petite voix pour toujours Ton papa qui t’embrasse. »
e. les travaux et les jours
Pour Joséphine les journées de travail, jointes aux soins aux enfants, sont harassantes, et l’inquiétude du lendemain et un relatif isolement produisent une véritable usure physique et psychologique. L’extrait conséquent qui suit pourrait tout à fait être reproduit à titre d’exemple pédagogique dans un manuel d’histoire au collège (28.05.15, p. 100) – elle dit ne pas avoir le temps de faire une grande lettre – «Mais tu me pardonneras pour cette fois, petit adoré, ta mignonne est si las ce soir. J’ai tant bûché ces deux jours. Nous avons fini de rentrer nos luzernes de la baraque cet après-midi. Nous avons fait trois voyages avec Lulu et puis avec les bœufs de Joséphine. C’est moi, petit chéri, qui ai fait le voyage et puis tu sais, il était même gros. Le père Combe m’a fait compliment comme j’avais bien su faire. J’ai bien bûché cette semaine et je ne sais vraiment pas ce qui peut me tenir debout. Ce doit être la Sainte Vierge car je ne suis guère forte. Je n’ai pas un pauvre moment pour le foin, les vignes qu’il faudrait attacher. Mon quatre-fonds est resté tout inculte, maintenant il ne faut pas songer. De tout côté il sort du travail et toujours du monde en moins pour le faire. Le père Rivoire m’aidait encore de temps en temps. Il a reçu sa feuille. »
f. La fin
Joseph passe avec le 299ème en octobre 1916 à l’arrière de Verdun, pour une période d’entraînement avant une offensive, et il rassure sa femme, sur des secteurs « pas mauvais. » Joséphine n’est qu’à moitié dupe, déjà en 1915 (p. 118) elle lui avait fait remarquer : « Jean Guignard a écrit aujourd’hui, j’ai vu sa lettre qui explique comme ta compagnie est mal placée. Un homme a été tué. Toi, tu ne racontes rien de tout ça à ta petite femme pour ne pas l’effrayer. » Les préparatifs de l’offensive Nivelle-Mangin (24 octobre 1916 – reprise de Vaux et Douaumont) finissent par être connus à l’arrière, et Joséphine s’inquiète (22.10.16, p. 174) : « (…) Beaucoup me disent que vous allez attaquer dans l’endroit où vous êtes et que ça sera très dangereux. »
La dernière carte de Joseph date du 23 octobre, veille de l’offensive :
« Nous sommes par là, dans des camps de bivouac, pour des divisions. Je suis en bonne santé. (…) Rien de bien important pour le moment que bien des cassements de tête. Reçois mes nouvelles chère femme et en t’embrassant de tout mon courage, et bien des caresses aux enfants. » « rien de bien important pour le moment… » : quand on pense au tumulte effroyable de la préparation d’artillerie qui précède cet assaut général sur Verdun… Joseph minore jusqu’au bout les dangers, et le lecteur contemporain, lui aussi anesthésié, est finalement assez surpris d’apprendre sa mort le 1er novembre : au propre comme au figuré, Joseph a jusqu’au bout protégé les siens.
On voit en définitive que c’est surtout par l’évocation de la forte affection que se portent les membres de cette famille paysanne que ce recueil est intéressant ; cet univers est si puissant que la transcriptrice termine ses remerciements par une mention bien sympathique, assez rare dans l’univers austère de l’historiographie de la Grande Guerre (p. 186) : « Et comme il s’agit dans ces lettres bien plus de famille et d’amour que de guerre, je souhaite pour conclure renouveler justement tous mes vœux d’amour à mes merveilleuses filles et à mon compagnon (…) pour qui je vais voler… quelques mots à Joséphine : « Je ne t’avais, je crois, jamais aimé comme à présent ». »
Vincent Suard, septembre 2025
Bourrillon, Henri (1891-1945)
Samuel Caldier, responsable des archives municipales de Mende a publié un ouvrage sur Henri Bourrillon (Maire de Mende et chef de la Résistance en Lozère mort en déportation) : Henri Bourrillon (1891-1945), L’ours de granit, Médiathèque de Mende, 2025, 243 p. Si l’auteur évoque longuement l’action publique de cette personnalité locale et son combat de l’ombre face à l’occupant nazi, il consacre également deux chapitres inédits sur son parcours militaire durant la Grande Guerre puis sur son militantisme au sein des associations d’anciens combattants.
Un poilu dans la Grande guerre (p 47-58)
Né dans une famille de notable lozérien profondément acquise aux valeurs de la Troisième République, Henri Bourrillon n’a aucune vocation pour suivre une carrière militaire. Etant de la classe 1911, il termine ses études en droit en 1913 puis effectue son service militaire dans la subdivision de Clermont-Ferrand. Le 11 août 1914, il est incorporé à la 1ère compagnie du 105ème RI. Simple 2ème classe au début du conflit, il obtient le grade de sous-lieutenant à la fin de la guerre. Son courage et son énergie expliquent cette promotion. Le 30 avril 1916, au cœur de la bataille de Verdun, il obtient une première citation pour avoir assuré la liaison entre le chef de bataillon et le commandant de la brigade sous le feu de l’ennemi. L’année suivante, au petit matin du 20 août, il est grièvement blessé par balle lors d’une attaque menée contre les lignes allemandes dans cette même région d’Avocourt. Encore convalescent, il reçoit une deuxième citation avec croix de guerre (étoile dorée) ainsi que la distinction de chevalier de la Légion d’Honneur. Il est démobilisé le 24 août 1919.
Durant ces années de guerre, Henri Bourrillon écrit quelques courriers à ses proches [aujourd’hui conservés par sa famille]. Certains se distinguent par leur contenu et leur contexte. Dans une lettre écrite en 1917, il décrit l’attaque entrainant sa blessure. Non seulement ce courrier témoigne de la violence des combats mais il décrit également les différentes étapes de prise en charge d’un blessé sur le front ainsi que les difficultés et parfois l’impréparation d’une partie du personnel médical face aux contraintes et aléas de la guerre. Deux autres cartes postales sont envoyées à son père en novembre-décembre 1918. Il l’informe qu’il se rend à Paris pour assister au passage du couple royal de Belgique dans la capitale. Il envisage aussi de se rendre dans les régions dans lesquelles il a combattu : Oise et Somme. Henri Bourrillon a besoin de se souvenir et de réfléchir sur les conséquences de cette boucherie humaine qui caractérise ce conflit majeur.
Un militant des anciens combattants (p 61-79)
Après sa démobilisation, Henri Bourrillon prend la présidence de l’Association mendoise des Anciens Combattants et Mobilisés de guerre puis de la Fédération lozérienne des A.C. Il participe également à la rédaction de quelques articles dans le journal Le Poilu lozérien. Mais la réflexion et la volonté d’agir d’Henri Bourrillon ne s’arrêtent pas là. L’originalité de son militantisme est d’être un des pionniers de la Semaine du Combattant créée en 1922. Ce mouvement, né en province, entend échapper à « la domination parisienne » et veut unir toutes les associations françaises (rurales et urbaines) pour être force de proposition et élaborer un socle commun de revendications. En 1923, lors du congrès de Tours, Henri Bourrillon s’exprime en ces termes :
« Je me demande aujourd’hui si le mouvement généreux qui nous fit nous grouper à notre retour des armées ne se serait pas éteint bientôt sans l’action de la « Semaine » et si nous n’aurions pas eu à enregistrer la faillite définitive de nos associations, de celles du moins qui prétendent à autre chose qu’à l’organisation d’un banquet annuel.
En appelant toutes les associations de France, même les plus petites sections de village, à participer à ses travaux et à étudier en commun ces questions d’intérêt majeur qui sont portées à l’ordre du jour du congrès, la « Semaine » marquera le réveil de beaucoup de nos groupements qui ne chercheront plus leur raison d’être puisque cette grande coalition dans le travail aboutira à la rédaction du cahier minimum de nos revendications et, pour le triomphe de celles-ci à l’indispensable conjonction de nos efforts. »
A la fin des années 20, de nombreuses avancées sont réalisées (carte d’ancien combattant, retraite, journée officielle du 11 novembre, etc.). Henri Bourrillon voit ses efforts récompensés par la venue du ministre de la Guerre André Maginot à Mende lors du congrès national de la Fédération des Associations françaises des Mutilés, Réformés, Anciens Combattants, Veuves, Orphelins et Ascendants qui se tient du 29 au 31 mai 1931.
En plus de son engagement pour donner une plus grande place aux anciens combattants dans la société française notamment pour encadrer la jeunesse, Henri Bourrillon n’a de cesse de militer pour la paix. Tous ses discours publics, qu’ils soient associatifs ou politiques, mettent en avant son pacifisme. Malgré tout, il sera à nouveau mobilisé en 1939 comme capitaine de réserve sur la place de Lavaur dans le Tarn puis il mènera un nouveau combat de l’ombre au sein de la Résistance lozérienne.
Samuel Caldier, juillet 2025
Tatin, Louis (1863-1916)
TATIN, Louis, Edmond, Adhémar (1863-1916)
1. Le témoin.
TATIN, Louis Edmond, Adhémar, est né le 25 novembre 1863 à Saint Michel-l’Écluse-et-Léparon en Dordogne, canton de Saint-Aulaye. Dès 1884, il s’engage volontairement dans l’armée pour une durée de cinq ans au 57ème régiment d’infanterie en garnison à Bordeaux. La carrière militaire semble lui convenir puisqu’ il entre le 17 avril 1888 à l’École militaire d’infanterie, devient élève sous-officier, puis sous-lieutenant en sortant 32e sur 450 élèves et est affecté le 18 mars 1889 au 63ème RI. en garnison à Limoges-Bénédictins. Là, il gravit les différents grades, lieutenant (15 octobre 1889) lieutenant porte-drapeau (28 août 1894). Sa carrière se poursuit très brièvement à Caen au 36ème R.I. en qualité de capitaine, il y arrive le 3 novembre 1900 et dès le 26 novembre 1900 il est de retour à Limoges au 78ème RI. Cette carrière militaire est couronnée assez rapidement par la Légion d’honneur, le capitaine Louis Tatin est fait chevalier le 30 décembre 1900, à 37 ans. En août 1914, Louis Tatin est capitaine-adjoint, il apparaît au troisième rang dans l’ordre hiérarchique après le colonel Arlabosse, le lieutenant-colonel de Montluisant dans l’encadrement du 78e régiment d’infanterie. Au cours de la guerre, il gagne ses galons de commandant. Chef de bataillon à titre temporaire, un décret du 28 décembre 1914 le nomme à titre définitif à compter du 25 décembre 1914. Le capitaine puis chef de bataillon Tatin, occupant la troisième place dans le commandement du régiment du 2 août 1914 au début avril 1916, prend le 7 avril 1916 le commandement du 2ème bataillon. Devenant ainsi le bataillon Tatin très durement éprouvé deux jours plus tard. Le chef de bataillon Tatin est tué le 9 avril 1916, à la Côte du Poivre. Il repose à Verdun, dans la nécropole nationale du Faubourg Pavé, dans le carré des officiers.
2. Le témoignage.
Le cahier du Chef de Bataillon Tatin a été conservé dans la bibliothèque du presbytère de Guéret (Creuse) sans que l’on ait pu déterminer de quelle façon il y était parvenu après la guerre de 1914-1918. Sa veuve, décédée en 1947, sans enfant, avait peut-être confié le cahier à un prêtre de Limoges, nommé à Guéret. Le cahier a été conservé à partir de 1971 par un adolescent devenu professeur d’histoire et de géographie. « Notes et souvenirs, 1914, 1915, 1916 », tel est le titre que l’auteur a donné à son récit présenté dans un cahier de moleskine noir, de format 17 cm x 22 cm. Sur les 136 pages que contient le cahier, seules 119 sont noircies d’une écriture très régulière qui dénote une aisance du scripteur. La mise en page du texte est très simple sur l’ensemble du cahier : les dates sont indiquées dans la marge, à chaque date ou ensemble de dates correspond un développement. Le 2 août 1914 et le 2 avril 1916 définissent les bornes du témoignage du soldat. Ce cahier n’a fait l’objet d’aucun repentir, d’aucune rature et surtout n’a pas été remanié par son auteur ; c’est un témoignage brut qui nous est ainsi proposé. Ce document est à classer dans l’ensemble des carnets et mémoires des soldats qui se sont exprimés sur la guerre telle qu’ils l’ont vécue.
3. Principaux thèmes du contenu du témoignage.
Le soldat a certainement voulu conserver le souvenir de cette guerre en fixant par écrit les différents mouvements de son régiment. Il y a bien sûr une grande concordance entre le récit de Louis Tatin et les indications contenues dans le Journal de Marche et d’Opérations du 78ème RI.
Le thème le plus intéressant réside dans la réflexion personnelle de l’officier sur la conduite de la guerre. Le capitaine, puis commandant Tatin passe rapidement de l’optimisme aux doutes. Si dans un premier temps il pense que la guerre va se dérouler comme l’Etat-major l’a prévu et que la victoire sera vite acquise, Tatin doit se rendre à l’évidence. Il comprend la dureté des engagements, le mauvais entraînement des hommes, le manque de méthode, le manque de matériel, les mauvaises décisions de l’État-major. Et, il expose ouvertement ces critiques dans son cahier.
L’autre intérêt de ce cahier est l’approche de la sensibilité de cet officier, issu de la petite bourgeoisie catholique, rurale du Sud-Ouest de la France, qui découvre la France de l’Est et du Nord et exprime beaucoup d’empathie vis-à-vis de ses concitoyens civils, victimes des bombardements, et des exactions des deux belligérants.
Son regard porté sur les hommes est émouvant car dépourvu de jugement, sauf sur des aspects qui heurtent la morale de son milieu, l’alcoolisme et la prostitution.
Malgré les critiques exprimées à l’égard des officiers supérieurs qui conduisent la guerre au niveau de la division ou au plus haut niveau de l’État-major, rien n’affecte sa loyauté et son patriotisme vis-à-vis de sa hiérarchie et de son engagement de soldat faisant son devoir jusqu’au bout.
Paul Busuttil, 03 septembre 2025
Roujon, Jacques (1884-1971)
Jacques Roujon, Carnet de route (août 1914 – janvier 1915), Paris, librairie Plon, 1916, 319 pages
Résumé de l’ouvrage :
Jacques Roujon, journaliste au Figaro, débute son carnet de guerre alors qu’il rejoint les réservistes de son régiment, le 152ème R.I., à Humes, au nord de Langres. Il y attend, jusqu’au 24 août, d’être affecté, soit dans le régiment d’active, soit dans celui de réserve, le 352ème. Soldat de 2ème classe, il fait partie finalement d’un contingent de renfort qui doit à priori rejoindre l’Alsace, où se trouvent les deux régiments, mais il débarque finalement à Raon-l’Etape, en pleine bataille des frontières, au moment où s’engage la bataille de La Chipotte. Il y participe, manque d’y être capturé et, soufflé par un obus, il est évacué dès le lendemain, montant à Rambervillers dans un train qui évacue les blessés, alors que « seulement » commotionné, il ne l’est finalement pas. Retapé, il revient à Humes avant d’être à nouveau réaffecté, cette fois-ci pour le 352ème (27ème puis 24ème compagnie), stationné au bord de l’Aisne. Il va dès lors occuper, d’après la bataille de La Marne jusqu’au 17 janvier, date de son évacuation pour maladie (hémoptysie), le secteur de Soissons. Il voit alors construire le front à l’ouest du Chemin des Dames, qu’il quitte au plus fort de la bataille de Crouy.
Eléments biographiques :
Jacques François Joseph Roujon est né le 30 octobre 1884 à Paris. Il est le fils de Henry, directeur des Beaux-Arts et membre de l’Académie française (1911), et de Marie Adeline Caroline Louise Reichel. Il fait de brillantes études à Paris, au lycée Janson de Sailly, et obtient deux licences, en droit et en lettres. Il fait son service militaire en 1905 et 1906 et exercera un temps comme avocat, de 1908 à 1910. Il demeure alors 1 rue Armand Gautier. Quand la guerre se déclenche, il est rédacteur au Sénat (depuis 1912 et jusqu’en 1919) et à la rubrique Affaires Etrangères (1920-1922) pour le Figaro, journal dans lequel il publie, en feuilleton, Carnet de route chez Plon en 1916, date à laquelle il revient au journal, manifestement réformé pour problème pulmonaire. Après 15 mois d’hôpital, il est réformé temporaire à partir du 15 janvier 1915 et jusqu’en 1916, il est versé dans le service auxiliaire en août 1916 et ne retournera jamais au front. Après la guerre, il occupe un temps un poste de secrétaire à la commission des chemins de fer de l’Etat, et est chargé de la rubrique Politique étrangère et participe à d’autres périodiques. Il rejoint ensuite plusieurs autres journaux (collaborateur au Temps, rédacteur en chef de l’Ami du Peuple puis au Matin (chef du service Etrangers 1935) – voir sa notice sur Wikipédia et son dossier de Légion d’Honneur sur la base Léonore). Une note de 1923 (dossier de Légion d’Honneur -chevalier 1927) atteste : « Spécialiste des plus avertis en matière de politique extérieure, s’est particulièrement distingué par le patriotisme ardent et la manière brillante avec lesquels il défend la thèse française depuis l’armistice ». Il verse dans le nationalisme puis le régime de Vichy pendant la Deuxième Guerre mondiale. La Libération lui fait quitter un temps la France. Il est alors condamné par contumace à 5 ans d’emprisonnement pour « acte de nature à nuire à la Défense Nationale », c’est-à-dire trahison, mais immédiatement amnistié en application de la loi d’Amnistie du 6 août 1953 (jugement sur la base Léonore). Il publie encore un ouvrage sur Le Duc de Saint-Simon en 1958. Il meurt à Randan (Puy-de-Dôme) le 22 septembre 1971.
Commentaire sur l’ouvrage :
L’ouvrage s’ouvre sur une préface de Robert de Flers, collègue au Figaro, qui érige le poilu en héros non déique ou mythologique. En effet, par sa qualité de journaliste, Jacques Roujon allie dans cet ouvrage la culture littéraire, le vocabulaire et le sens de l’observation qui font de son carnet de guerre une œuvre qui semble de prime abord avoir l’aspect du roman mais qui fait état de son parcours pendant les 5 mois de guerre, denses, qu’il subit, participant à deux phases différentes du conflit : la bataille des frontières à l’Est (combats de la Trouée de Charmes), en août, même s’il n’en voit que deux jours des plus intenses, et la bataille de l’Aisne, entre la bataille de La Marne et les combats de 1915. Dès lors, il manie dans son récit précision des circonstances, des lieux et de la datation. Toutefois, les 15 pages qu’il consacre à la journée du 25, après son débarquement à Raon-l’Etape, dans les Vosges, sont floues ; il est à Rambervillers le 24 et au matin du 25, il repars vers l’est, voit des crêtes et des collines, un clocher qui s’effondre, un village (non dénommé), des routes, des ponts (pages 31 à 46), mais un suivi plus prévis des tableaux qu’il dépeint avant sa commotion n’est pas possible, Roujon alignant des tableaux certainement vécus mais imprécis, quelque part au nord-est de Rambervillers, dans le secteur de Doncières. Il devient bien plus précis lors de sa deuxième affectation qui l’échoue principalement à Bucy-le-Long, au bord de l’Aisne. Ses tableaux sont toutefois vivants, bien décrits, parfois dantesques (comme son évacuation en train sanitaire, pages 47 à 50) et nombre des camarades de son environnement sont décrits de manière précise et dynamique. Si certains tableaux semblent frappants, comme ce soldat mourant debout (page 44), et quelques phrases du style « Il faut se dépêcher d’aller au feu, si l’on veut arriver avant les grands coups » (page 11) ou « Vivement qu’on nous envoie faire la guerre » (page 12), l’ouvrage n’est pas teinté de bourrage de crâne. Dès lors une foultitude d’éléments, de données, de tableaux ou de belles phrases sont à relever de l’analyse. Sa « période » axonaise est référentielle pour la description de la construction du front de l’Aisne, dans le secteur de Soissons, prolongement occidental du Chemin des Dames. Il y dépeint parfois un ennui profond : « Mais on s’ennuie, parce que la guerre d’aujourd’hui est terne, comme la couleur des uniformes » (page 139) ou « Au fond, rien ne ressemble plus à l’armée en temps de paix qu’en temps de guerre » (page 138), qui alterne avec des phases d’hyperviolence. Il est même un temps téléphoniste d’artillerie (page 156). À noter que Roujon, dans son récit, insère 10 pages du carnet de son ami Verrier, qui témoigne de la période du 1er au 17 septembre, complétant ce qu’a manqué Roujon (pages 92 à 101). Jean Norton Cru nous indique qu’en fait, Verrier est en fait Paul Verdier, chef de bureau au sous-secrétariat aux Beaux-Arts. Le doute introduit, il serait donc opportun de vérifier chacun des patronymes cités, y compris sur les morts annoncés. La notice de Roujon par Cru est lisible pages 237 à 239 de Témoins. Au final, malgré seulement cinq mois de guerre, Carnet de route de Jacques Roujon est bien un ouvrage référentiel.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Mise à part pour le combat devant Rambervillers le 24 août, le suivi du parcours de l’auteur est aisé à la lecture ; il n’est donc pas repris dans la présente analyse.
Page 1 : Vue de la gare de l’Est le 11 août 1914
3 : Durée de la guerre (vap 24, 89, 116 et 260)
8 : Fumier et purin (vap 9, 10, 18, 58 et 107)
11 : « Il faut se dépêcher d’aller au feu, si l’on veut arriver avant les grands coups »
: Nom des journaux locaux haut-marnais : Le Petit Haut-Marnais et Le Spectateur
15 : Sachet de petits vivres : café, sucre, potages concentrés (vap 196 la revue, 8 jours par biscuit manquant dans la Légion)
19 : Vérification scrupuleuse du contenu du sac
26 : Fleurs au fusil et vue du départ de la colonne de Humes
29 : Exode des Vosgiens
31 : Vue d’une distribution « de café, de graisse, de pommes de terre et de haricots. Il faut démonter la gamelle, la remplir et la remonter sur le sac »
33 : Spectacle du bombardement : « Nous sommes très excités ; chacun voudrait regarder de tous les côtés à la fois, ravi de prendre part à une vraie bataille à si peu de frais. Personne n’a peur, personne ne prononce de mots héroïques. Rien que des interjections rapides » (vap 288)
34 : « Le clocher dégringole ; j’ai une impression de « chiqué » ; ce clocher devait être en carton pour s’être affaissé si vite »
: Met des fleurs dans son carnet de guerre
: Voit son premier blessé
: Bruit de la bataille : « Il semble que des mains invisibles tapent à grands coups de bâton une quantité considérable de tapis »
36 : Artilleur à cheval : « Il nous jette un regard doux et méprisant des cavaliers pour les fantassins » puis il dit, sur l’infériorité des canons français : « Les Allemands nous canardent à douze kilomètres. Ils tirent avec des 210. C’est très joli de faire la guerre, mais il faudrait avoir des joujoux pour ça »
43 : Balle dans sa musette
44 : Homme mourant debout
45 : Boîte de tisons
: « Un myope sans lunette a une psychologie de noyé »
56 : Le 3 août : « Je prends un vrai bain, dans une vraie baignoire. Sensation inouïe ! J’ai pris beaucoup de bains jadis, mais machinalement, sans y penser. Aujourd’hui, je savoure cette jouissance »
65 : Boîtes de conserve : langues, foies gras, jambonneaux, corned-beef appelées des Rimailhos à cause de leur calibre
67 : Garde de police de convoi, pour empêcher les soldats de sortir de la gare
69 : Vue de prisonnier allemand
74 : Nanteuil-le-Haudouin pillé par les Allemands
78 : Blessés allemands et français : « Pas de disputes, vainqueurs et vaincus son également las »
97 : Lanterne sourde
99 : Chevaux brûlés au pétrole
: Route jonchée de bouteilles cassées
104 : 19 septembre, première fois qu’il creuse une tranchée. Il dit « Il paraît que les Allemands en font et que c’est utile »
: Tableau épique du vaguemestre (vap 112 sur le courrier et 120 sur les colis)
108 : Traversée casse-gueule d’une champ de betterave
110 : Sculpte des animaux fantastiques dans des betteraves
118 : Fait des capuchons avec des sacs de pommes de terre
120 : Vue de Maxime Girard, du Figaro
125 : Sur le petit poste : « Prendre le petit poste, la nuit, dans un secteur inconnu, c’est une sensation neuve. Pour la première fois, on a l’impression de faire la guerre, la guerre telle qu’on l’imaginait, la guerre « des histoires »
128 : Fils de fer garnis avec des boîtes de conserve
132 : Soldat mort par accident de tir, vue de son enterrement
137 : Revue de cheveux
138 : Utilise « grande guerre ». Bulletin des Armées n’arrivant pas au front
149 : Fusil rendu inopérant par la boue
151 : Bruit du 155 allemand « qui semble le frou-frou d’une gigantesque robe de soie » (vap 214 : « Le sifflement des obus qui sont presque à bout de course rappelle le cri d’un chien hurlant à la lune ») et (vap 175, bruit de la fusillade : « bruit d’étoffe qu’on déchire, et n’arrête plus » ou 274 : « La fusillade, entendue à distance, ressemble au bruit que fait un chariot en roulant sur des pavés »)
152 : Tir organisé depuis le sol sur un avion
: Tombes d’anglais, mesures qu’il prend pour les orner
168 : Tayon et Ratayon, ancêtre dans le Soissonnais
187 : Balle arrêtée par un portefeuille
190 : Prix d’un paquet de tabac de cantine : 7,5 centimes
192 : Trantran pour traintrain
200 : Reçoit un « sac de couchage en toile cirée doublée de flanelle. C’est un événement qui compte dans la vie d’un soldat »
: « Tout le revers de la colline est envahi par des feuillées »
201 : Superstition d’un soldat qui dit : « Je sais bien que je serai tué »
204 : Aspect bigarré des soldats le 21 novembre 1914, air de romanichels (vap 205 et 225)
205 : Sur l’adaptation comme soldat : « Sous la fantaisie des accoutrements, nous restons des soldats. Nous le sommes tous devenus sans effort de volonté. L’adaptation aux misères du métier s’est faite insensiblement… »
211 : Soldat braconnier
212 : Description d’un contenu de sac et poids
216 : Grotte bergerie
217 : Poule tuée par un shrapnell
224 : « Une troupe qui ne sait pas faire du maniement d’armes, c’est un troupeau »
236 : Pose de Ribard
238 : « Pour s’abriter, on creuse de petites cases assez semblables à celles où l’on déposait les morts dans les catacombes »
: Sur le tirs inutiles : « Pendant la nuit, sur un secteur d’un kilomètre, il se tire en moyenne un millier de coups de fusil qui ne tuent ni ne blessent personne. Cette fusillade a simplement pour but d’empêcher des patrouilles de circuler entre les lignes » (vap 255 « La compagnie a brûlé trente mille cartouches environ et peut-être n’a-t-elle pas tué un seul Boche »)
240 : Tableau intéressant d’une visite médicale
244 : « Les heures de sommeil, c’est autant de pris sur la guerre »
246 : « Depuis quelques jours, nous reprenons goût aux caractères d’imprimerie. Qu’on nous envoie des livres, n’importe lesquels, pourvu qu’ils soient bons à tuer le temps. Tout ce qui sort un peu le pauvre soldat de la vie purement animale est le bienvenu »
247 : Rue bombardée jonchée de soufre
249 : Vue de soldats du train de combat
253 : Phare de tranchée
: Homme blessé criblé de balles des deux camps
Yann Prouillet, 30 août 2025
Le Roux, Hugues (1860-1925) – Le Roux, Robert (1887-1914)
Hugues Le Roux, Au champ d’honneur et Te souviens-tu…, Paris, Plon, 1916 et 1920, 297 et 289 pages
Résumé de l’ouvrage :
Hugues Le Roux, journaliste parisien ayant ses entrées dans les ministères, évoque l’entrée en guerre de son fils, Robert, sous-lieutenant au 356ème R.I. de Toul, dès le 1er août 1914, la mobilisation décidée. Par de courtes descriptions et l’appui de quelques lettres échangées entre son fils et sa fiancée, Hélène, il suit son parcourt et les premiers combats que le fils connaît dans la bataille des frontières et du Grand Couronné qui défend la ville de Nancy. Le 26 septembre, il reçoit un avis de blessure qui semble peu grave mais qui contient la mention d’une paralysie des jambes. Le père obtient l’autorisation de rejoindre son fils à l’hôpital Gama de Toul où, très gravement blessé, il est sur son lit de souffrance. Dès lors, l’ayant rejoint, il recueille les circonstances de sa blessure héroïque puis assiste à son agonie et à sa mort, qui survient le 18 octobre à 3 heures du matin. Il l’enterre alors dans un cimetière de la ville. Son second ouvrage, placé à la suite dans l’édition présentement étudié, est un hommage, Robert Le Roux étant le fil dans ses voyages divers, sur le front comme autour de la terre, entre novembre 1914 et juin 1919.
Eléments biographiques :
Robert Charles Henri Le Roux, est un journaliste parisien connu sous le pseudonyme d’Hugues Le Roux. Il est né le 23 novembre 1860 au Havre (Seine-Maritime), de Charles Clovis et de Henriette Gourgaud. Il collabore avec plusieurs grand journaux parisiens (Le Matin, Le Journal, Le Figaro ou Le Temps mais aussi la Revue politique et littéraire) et est également auteur de près d’une quarantaine d’ouvrages entre 1885 et 1920. Dans son dernier livre, Te souviens-tu…, il raconte d’ailleurs comment il trouve l’un de ceux-ci, Ô mon passé…, sur une étagère dans un local de la gare à Haparanda, en Suède. Grand voyageur, il dit, page 91 de Tu te souviens… « …le Celte que je suis ne se sent tout à fait chez lui qu’en mer ». Il a deux fils, Guy et Robert, et une fille, Marie-Rose, qui a 18 ans en 1914. Ceux-ci semblent avoir été miraculés lors d’une attaque de croup lorsqu’ils étaient jeunes. Avant la guerre, il a la douleur de perdre son épouse, puis son premier fils. Un paragraphe nous renseigne aussi sur le « poids » de la guerre sur toute la famille : « Dans le Midi, mon beau-frère, le professeur à la Faculté de chirurgie, est placé d’office à la tête d’un hôpital de la Croix-Rouge. Mon second beau-frère, le père de Charles, reprend son uniforme de médecin-major. Mes deux sœurs ont revêtu l’une et l’autre la robe de l’infirmière. Ma chère fille, Marie-Rose, ma nièce Alice, entrent comme assistantes dans des hôpitaux normands que leur tante administre en qualité de Présidente de l’Union des Femmes de France. Moi je suis accrédité auprès du Ministre de la Guerre. J’ai charge de recueillir à son cabinet et puis de commenter, ces nouvelles que, chaque jour, le Grand Quartier Général, assisté du Gouvernement, met au point vers minuit. À l’heure tardive où je viens chercher cette manne qui, demain, nourrira les cœurs d’espoir ou d’inquiétude, la porte du ministère est gardée comme un accès de forteresse » (pages 25 et 26). Il fait après-guerre une carrière politique, conseiller général puis sénateur (1920). Il meurt à son domicile, 58 rue de Vaugirard à Paris, le 14 novembre 1925. Au Champ d’honneur évoque la vie et la mort du dernier fils qui lui reste, Robert Charles Henri, né le 15 août 1887 à Sèvres, en Seine-et-Oise. Licencié es-sciences, il a fait des études d’ingénieur-chimiste dans une école du Luxembourg. Il parle plusieurs langues, ayant voyagé en Allemagne, où il passe une année, et en Angleterre. Peu avant la déclaration de guerre, il se fiance avec Hélène Aigner, jeune artiste-peintre, née en 1891, membre du Salon des artistes français depuis 1912, puis rejoint son corps à la mobilisation. Il dirige une section de la 19ème compagnie du 356ème R.I. de Toul, partie de la 145ème Brigade de la 73ème division du XXème Corps. L’ouvrage ne mentionne aucun toponyme précis mais le JMO précise les conditions des combats de Lironville, dans lesquels il est gravement blessé et un temps laissé paralysé sur le terrain avant d’être enfin relevé et envoyé à l’hôpital de Toul. Il meurt finalement le 18 octobre 1914.
Commentaire sur l’ouvrage :
L’ouvrage, composite, d’Hugues Le Roux, débute par une série de tableaux dont le premier se situe le 1er août 1914 à Paris. Le père indique la mobilisation de Robert, comme sous-lieutenant, en partance pour l’Est (Toul), puis son départ, dès le 2. Il s’adresse alors à lui, narre ses activités liées à l’écriture des communiqués pour son journal, avant de recevoir l’annonce des premiers morts de son entourage, qu’il cache à son fils, déjà au combat. A partir du 21 septembre (page 49) ; il publie des « fragments » de lettres échangés entre les deux promis, entre le 2 août et le 20 septembre 1914 (page 79). C’est dans cette partie de l’ouvrage que se trouvent des éléments utiles à l’étude du témoignage de Charles Le Roux. Sur sa mobilisation, et avant même son premier engagement, il fait ré-aiguiser son sabre mais dit « mes bonshommes sont ma meilleure arme » (page 57). Mobilisé dans un régiment de réserve, il dit : « Ne croyez pas qu’on nous juge inutilisables. Nous sommes prêts. On nous garde pour nous porter au point où nous serons le plus utiles quand aura lieu ce choc dans lequel nous vaincrons… » (page 58). Il tient au comportement irréprochable de ses hommes, réprime le pillage ou le simple vol, et dit : « Je suis très sévère sur ce point-là. Je veux qu’ils se comportent poliment » (page 62), (il y revient page 74, au grand étonnement même de propriétaires lorrains de fruits). Volontaire et patriote, il puise sa force dans l’amour de la Patrie et de sa fiancée ; le 30 août, il déclare : « Je me donnerai corps et âme pour mon pays et pour vous ; vous ne faites qu’un dans mon cœur. Mais lorsque j’aurai fait tout ce que je dois, je tâcherai de revenir » (page 67). Il avance même le 17 septembre, à l’endroit de l’ennemi : « Mais pour les rosser il va falloir les rattraper chez eux » (77). Ce avant qu’Hugues Le Roux reçoive lui-même la lettre terrible dans laquelle son fils annonce sa blessure. Il dit « Mon cher papa, j’ai : 1° le bras traversé, et ce n’est rien, 2° la poitrine traversée de droite à gauche, avec plaie à la moelle : c’est plus ennuyeux, car cela paralyse mes jambes… » (page 81). Dès lors, Hugues Le Roux, grâce à ses contacts avec les ministères, parvient à obtenir rapidement du Gouverneur de Paris, Joseph Galliéni en personne, l’autorisation de se rendre à Toul au chevet de son fils. Il le trouve gravement blessé mais ayant pleine conscience. Il recueille alors les circonstances dans lesquelles il a été blessé (sans toutefois en donner les précisions toponymiques). Hélène et sa mère le rejoignent pour voir une dernière fois le mourant, que le père assiste jusqu’à son dernier souffle, le 18 octobre, à 3 heures du matin. Ayant acheté un cercueil, il inhume son fils dans le cimetière de la ville puis rentre à Paris, dès le 20 octobre, devant une ultime réflexion sur la belle terre de France qui défile devant lui sur le chemin de son retour. Ayant perdu le dernier de ses fils, et donc sans descendance, l’ouvrage s’achève sur un éditorial et un projet de Loi, en juillet 1916, visant à faire perdurer le nom des morts dont la lignée s’éteint avec le dernier fils. Robert Le Roux fera, sur son lit de mort, ce constat désabusé : « Ma guerre, çà été une demi-heure et trois cents mètres » (page 158). Au final, l’ouvrage apparaît globalement double, ayant l’apparence d’un témoignage, composite car contenant des lettres échangées ou reçues, s’étalant du 1er août au 20 octobre 1914, mais qui en fait forme une biographie militaire sommaire et un recueil daté de réflexions, souvent poignantes, d’un père orphelin de ses fils. L’ouvrage rappelle, dans la démarche mémorielle, celui de Roger Allier, enquêtant sur la mort de son fils dans les Vosges, à Saint-Dié, à l’été 1914. Au Champ d’honneur, publié en 1916, est en fait le premier volet d’un diptyque à croiser avec le livre Te souviens-tu…, publié aux mêmes éditions quatre ans plus tard, deux ans plus tôt (1920). Ce second volume, prolongeant l’hommage à son fils, est quant à lui un livre de réflexion psychologique faisant état de ses voyages, multiples, autour du monde, entre novembre 1914 et la signature du traité de Versailles en juin 1919. Leur relation, localisée et datée, est prétexte à se souvenir de son fils et à penser qu’il l’accompagne dans chacune de ses stations. Il est en effet mandé, tout au long de la guerre, de parcourir les pays soit pour exercer une mission péri-diplomatique, soit pour faire acte de propagandisme, soit pour recueillir des fonds ; notamment pour la Croix Rouge, aux Etats-Unis. Il annonce avoir recueilli 10 millions de dollars dans cette action. Il dit, au Japon, en septembre 1915 : « On m’envoie ici, mon Enfant, pour que je m’efforce à lire dans l’âme indéchiffrable de nos Alliés, à deviner jusqu’où il leur plaira de collaborer avec nous » (page 100). C’est parfois l’occasion d’en décrire, par des tableaux simples, ambiance et caractéristiques, parfois anthropologiques. Il revient sur la mort de son fils et sur ce qui survient dans les 5 années qui suivent. Par exemple il dit recevoir, en mars 1916, un diplôme de chancellerie attestant de la blessure à mort de son fils dans les combats de Lironville (page 142) puis un autre, en 1918 ; en hommage de la Nation, dont il fait une poignante et sobre description (pages 237 à 242). Après son tour du monde, il effectue un court pèlerinage sur les terres lorraines, en 1916, parcourant les « Pays-de-Sans-Femmes » (page 150). Il visite un fort, monte en avion avec « Pivolo », surnom de l’as Georges Pelletier-Doisy (page 215), espérant avoir tué à la mitrailleuse des boches pris pour cible depuis le ciel. Aussi, la fin de son récit itinérant bascule parfois dans le bourrage de crâne et l’invraisemblance des témoignages par procuration. Mais de belles lignes psychologiques d’un père qui ne se remet pas de la mort de son fils peuvent être toutefois relevées.
Renseignements tirés de l’ouvrage Au Champ d’honneur :
Page 15 : Vue de la mobilisation à Paris
45 : « À cette heure, toutes lumières éteintes ou voilées, la lune triomphante fait de Paris un grand mausolée »
65 : Description de la chambre d’une enfant lorraine, concluant « … ce qui fait l’âme de Jeanne d’Arc… »
68 : Comment il fait matriculer ses effets et complète (p. 75) « …le propre de la guerre est de modifier les uniformes »
77 : Wigwam = tipi
: Pain grillé à la pointe de la baïonnette
103 : Sur les blessés graves : « Ils savent encore qu’ils vivent, parce qu’ils souffrent »
153 : Vue poignante de l’intérieur d’un ambulance
204 : L’autorité militaire de Toul autorise l’ouverture de magasins pendant quelques heures
205 : Fait un oreiller mortuaire en cousant deux mouchoirs bourrés de coton
212 : Cité à l’ordre de l’armée
254 : Colonel Dehay, commandant le 356ème R.I., décousant les rubans de ses croix pour les donner à Hugues Le Roux
272 : « On voit sur le pommeau [de son épée] de petites éraflures en cercle. C’est la marque des dents de sa fiancée. À Paris, au moment du départ, il lui a demandé de mordre dans cet acier. Elle y a laissé une trace que ses lèvres à lui ont effleurée bien des fois »
Renseignements tirés de l’ouvrage Te souviens-tu :
Parcours suivi dans l’ouvrage :
1915 : Dans l’Atlantique – New-York, mars – Harvard, avril – Potomac, mai – Washington, Far West, San Francisco, Océan Pacifique, août – Polynésie, septembre – Yokohama, septembre – Tokyo, octobre – Miyajima, Pékin, novembre – De Pékin à Petrograd, décembre 1915 – janvier 1916.
1916 : Haparanda, février – Paris, mars – Lorraine, Verdun, Montreuil-sur-Mer, avril – Paris, juin
1917 : Somme (à la N69), été – Camp de Mailly, octobre
1918 : A bord de La Lorraine, avril – Washington, West Virginia, mai – Paris, juin à novembre
1919 : Saint-Germain-en-Laye, 23 juin
Page 46 : Evoque en mars 1915 le torpillage du Lusitania (qui aura lieu le 7 mai suivant)
59 : « Et les morts sont bien morts quand nul ne parle d’eux » (Victor Hugo)
105 : Fait dire une messe à Tokyo le 18 octobre 1915
108 : « Si aujourd’hui, je suis venu dans ce temple rendre visite à ta mémoire, c’est que je souffre trop de ne plus te rencontrer nulle part »
128 : Soldat russe crachant par terre sur le passage de l’Impératrice en janvier 1916
132 : Perd des cadeaux dans le naufrage du paquebot Ville-de-la-Ciotat (le 24 décembre 1915)
138 : Il se questionne sur sa foi
142 : Mur-mausolée pour son fils dans son appartement parisien
218 : Nommé « Oncle de la 69 », N69 à l’été 1917
246 : Récolte d’argent jeté dans un drap aux Etats-Unis
277 : Comment il apprend l’Armistice à Paris
284 : Coup de canon Place du Carrousel à Paris pour la signature du 23 juin 1919
Yann Prouillet, 24 août 2025
Dieterlen, Jacques (1893-1959)
Dieterlen, Jacques, Le Bois le Prêtre (octobre 1914 – avril 1915), Hachette, collection Mémoires et récits de guerre, 1917, 280 pages
Résumé de l’ouvrage :
L’auteur, de manière impersonnelle, brosse de nombreux tableaux-hommages aux « Loups du Bois le Prêtre ». Après un panorama des lieux de mort, du Quart-en-Réserve à la Croix des Carmes, à l’ambulance du Gros Chêne et leurs cagnas de boue jaune ; il nous fait suivre la vie du front, faite de petits postes, de patrouilles, de guerre souterraine, d’attaques et de relèves. Dès lors, officiers et soldats de toutes armes, blessés et prisonniers, nous sont dépeints en situation dans leurs peines et leurs sacrifice, toujours héroïques, pour les magnifier.
Eléments biographiques :
Jacques Dieterlen naît à Cannes, dans les Alpes-Maritimes, le 28 novembre 1893, d’une famille d’origine alsacienne. Il est le fils de Christophe et de Suzanne Amélie Thierry. La guerre le surprend alors qu’il fait son service au 168ème R.I. de Toul, entré comme 2ème classe le 29 novembre 1913. Jean Norton Cru avance dans « Témoins » (page 292), relativement à sa présence au front, qu’elle fut courte. Il dit : « Parti comme caporal dès les premiers jours d’août 1914, la brigade active de Toul fut amenée au Bois le Prêtre, devant Pont-à-Mousson, sur la rive gauche de la Moselle. Elle y resta jusque vers le 2 juillet 1915. Mais déjà, avant cette date, Dieterlen, qui avait été promu sergent, avait été blessé et évacué. Sa blessure lui fit perdre le bras droit. À l’armistice, il retourna au pays natal de sa famille, se fixa à Strasbourg [il y habite 1 rue de la Douane] où il fit ses études de droit et s’occupa de presse et de littérature ». Plus précisément, il passe en effet caporal le 1er avril 1914 et sergent le 16 novembre suivant. Le 19 du même mois, il est affecté au 169ème RI, de Toul également, et est en effet, le 10 avril, blessé gravement au Bois le Prêtre par un éclat d’obus (ou une balle explosive en fonction des sources, notamment son dossier de Légion d’Honneur) qui lui fracture l’épaule droite, occasionnant sa désarticulation et son amputation. Il est cité à l’ordre de ce régiment le 20 avril 1915 avec ce motif : « Très belle conduite à la prise d’un petit poste ennemi, a montré une courageuse activité dans l’organisation de la position conquise », citation complétée le 26 août suivant avec le complément : « son lieutenant lui demandant si sa blessure était grave, a répondu « ce n’est rien si la section peut se maintenir dans la tranchée » ». Il est décoré de la croix de guerre, de la médaille militaire (le 15 septembre 1915) et de la Légion d’Honneur (15 septembre 1932). La guerre achevée, il épouse, le 30 août 1920, à Reims, Germaine Ida Madeleine Reiterhart, et s’installe en Alsace où il devient rédacteur en chef du Journal de Schlestadt (Sélestat). Ayant obtenu son baccalauréat en Droit à Strasbourg en juin 1921, il fera une carrière comme auteur de plusieurs ouvrages, mais également comme initiateur de deux revues ; une sur la navigation sur le Rhin et une sur le ski, dont il est un spécialiste. En 1946, il publie un roman, Honeck, chez Flammarion, dans une collection qu’il dirige chez cet éditeur, intitulée La Vie en montagne. Cette fiction, qui évoque les deux guerres mondiales, s’inspire pour la partie Grande Guerre de sa fonction de directeur, à partir de 1917, du Foyer du soldat du Collet, à proximité du col de la Schlucht, dans les Hautes Vosges. Henriette Mirabeau-Thorens Mirabaud-Thorens, Henriette (1881-1943) – Témoignages de 1914-1918) le rencontre et le décrit à plusieurs reprises dans son ouvrage. Le 9 septembre 1917, elle dit : « C’est le jeune Dieterlen qui dirige le Foyer du Soldat du Collet. Il a perdu un bras à la guerre. Il a parfois de la peine à tenir ses chasseurs, qui n’ont pas froid aux yeux : « Mais c’est grâce à ma manche vide que je leur en impose », nous dit-il. Il a écrit un livre admirable sur le Bois-le-Prêtre » (page 288 de En marge de la guerre). Elle en reparle (pages 301, 309 et 318), rapportant les anecdotes que raconte à l’envi Dieterlen sur son poste au Collet et sa vision des poilus. Sa famille dirigeant un hôtel, [c’est pour cela qu’il rencontre Henriette Mirabeau-Thorens, qui le cite dans ses livres], il se retire pendant la Deuxième Guerre mondiale à Gérardmer (Vosges) pour y administrer Le Grand Hôtel. Il est également connu comme artiste peintre et illustrateur. Il meurt dans cette ville le 24 novembre 1959.
Commentaire sur l’ouvrage :
Rien ne manque dans cette suite de longs alignements pénibles de tableaux romancés, animés d’homériques héros toujours tragiques, qui meurent tous d’une balle glorieusement reçue en pleine tête, et de boches barbares et pleutres dans le plus pur esprit du bourrage de crâne le plus grossier, ajoutant aux images d’Epinal pochées à l’invraisemblance l’honneur étalé et la souffrance jusqu’au sadisme. Ce livre surréaliste ne vaut que pour cette démonstration. Norton-Cru décrit parfaitement le sentiment de l’historien à la lecture de ce pensum : « Rien n’est plus navrant alors que de voir un combattant, un mutilé, s’exprimer dans le ton de ces artistes de bravoure qui déchainaient la fureur des poilus. Tout le livre de Dieterlen dépeint une bravoure exagérée ; livresque, non-humaine ; ses soldats sont des surhommes et ils s’expriment dans un style à scandaliser les vrais poilus » (page 293). Cela commence en effet dès la page 10, quand un soldat dit qu’il a aiguisé sa Rosalie ! La baïonnette est souvent citée, comme un instrument de prédilection qu’il associe à l’attaque du soldat, à « l’usage de cette fine petite aiguille d’acier qu’il faudra enfoncer dans des poitrines humaines, puis retirer, puis enfoncer à nouveau… » (page 240). Suivent des pages sirupeuses d’hommes « emportés par cette fièvre héroïque » (page 25), voire cette « ivresse héroïque » (page 114), d’horreur superfétatoire, comme ces morceaux de corps partout, servant d’indicateurs (page 32), cette fosse commune surréaliste en plein milieu de la tranchée (page 38), cette scène qui rappelle furieusement le Debout les Morts de Péricard quand Dieterlen décrit : « …on eut dit que les morts eux-mêmes se réveillaient à la vie pour prendre part à la lutte » (page 41) ou ces blessés affreusement mutilés se jouant de la douleur par des bons mots (page 195). Les soldats, surhommes mythologiques, sont héroïques, même sans arme, comme ce soldat du génie qui capture une mitrailleuse à l’aide d’une simple cisaille (page 114). Ces héros auxquels Dieterlen pense rendre hommage, il ne leur applique pourtant qu’outrance bien peu réaliste dans les conditions de la guerre, ce par des phrases comme « il n’y avait rien qu’il ne surmontât, il n’y avait pas de mitrailleuses qui pût l’empêcher » (page 176). Dans cette avalanche de morts, ne bénéficiant généralement que de très peu de respect, ceux-ci, français comme allemands, sont utilisés comme barrages (page 77), comme banc (page 91) ou comme parapet. Les têtes sont jetées hors de la tranchée (page 202) ou tel soldat s’endort sur le cadavre d’un ennemi (page 231). Par ses outrances sur ce point, Dieterlen méconnait la réalité de la mort au front et de son traitement, ami comme ennemi, surtout pour l’année 1915.
Ces multiples tableaux, le plus souvent mal écrit en termes de dialogues surréalistes qu’aucun poilu n’aurait tenu parce que verbalisant l’inutile à formuler, forment une superposition interminable de héros, les mettant parfois dans des situations stupides comme ce brancardier qui revient avec 10 baïonnettes des morts (page 170). L’allemand est bien entendu soit stupide, soit barbare. La tentative de négociation faite pour récupérer un blessé s’achève par l’achèvement ce celui-ci à la grenade (pages 186 à 189). Ainsi, le « Teuton », le « Fritz » ou le « Boche » ne peut être que mort ou prisonnier, mais Dieterlen avance même « Mais il ne fallait pas qu’il y en eût trop ! » (page 214), d’autant qu’amadoués et renseignés sur la réalité de la guerre ; « Dans la suite, ils devinrent moins naïfs et se rendaient plus facilement » (page 217). D’autres pleutres demandent même aux français d’assassiner leurs officiers (page 228). Quant aux bleus des classes 14 et 15, ils meurent insouciants et naïfs (page 198). Tout l’ouvrage n’est donc une longue suite de verbiage sans précision ni technicité, au-delà du moindre intérêt. À peine Dieterlen s’interroge-t-il sur le « syndrome du survivant » dans la grande boucherie, concluant pour toute analyse seulement que « la mort est lâche » ! (page 203). Dieterlen, qui dédie l’ouvrage « À la gloire de tous les Héros obscurs morts au Bois Le Prêtre. À toux ceux qui leur sont chers », s’essaye ainsi à rendre hommage aux différentes armes ; soldats et officiers, brancardiers, agents de liaison, hommes du génie (chapitre plus surréaliste encore d’inepties, d’insavoir et d’outrances), blessés et prisonniers, etc., mais avec une injustesse qui classe ce Le Bois le Prêtre dans l’un des pires ouvrages de la pourtant intéressante collection bleue des « mémoires et récits de guerre » d’Hachette. Enfin, au relevé des rares dates avancées dans le livre (voir infra), celui-ci n’étale de fait sa narration que sur une période, entre l’arrivée et la relève, au printemps 1915, soit entre la mi-mars et le 10 avril, alors qu’il avance en sous-titre la période Octobre 1914 – avril 1915. Cela correspond manifestement à la courte expérience qu’il a pourtant bien eu lui-même du Bois Le Prêtre.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Eléments de datation relevés dans l’ouvrage
Page 14 : 2 avril 1915 (169ème R.I.)
25 et 27 septembre 1914 (combats de Mamey) (avant l’arrivée de la division)
142 : 10 avril 1915
159 : 31 mars 1915
190 : Une nuit d’hiver 1914
204 : Un matin de la fin mars 1915
218 : Le jour de Pâques 1915 (4 avril 1915)
224 : Un jour de l’hiver 1914-1915
233 : Premiers jours du printemps 1915 (rappel : printemps = 21 mars)
245 : Avril 1915
Relevé des toponymes cités dans l’ouvrage (page)
Mamey (2 à 5) – Fey-en-Haye (5, 14, 28, 80, 101, 225) – Régniéville-en-Haye (13) – Thiaucourt (13) – Vilcey-sur-Trey (14) – Hauts de Meuse (100) – Fontaine du Père Hilarion (133) – Auberge Saint-Pierre (134) – Route de Norroy (134) – Maidières (148) – Montauville (164, 192, 193, 269, 273, 277, 278) – Pont-à-Mousson (193) – Ravin des Cuisines (274, 277) – Poste de secours de Clos-Bois (275) – Croix des Carmes (277)
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 65 : Artisanat de tranchée
90 : Il tire sur un geai
92 : Coup de fusil ayant « le bruit d’un caillou jetée sur de la glace »
Yann Prouillet, 21 août 2025
Loevenbruck, Pierre (1891-1972)
Pierre Lœvenbruck, Ceux de la réserve, Paris, Tallandier, 1931, 223 pages
Résumé de l’ouvrage :
Pierre Lœvenbruck, lorrain de Pont-à-Mousson, est sergent à la 7ème compagnie du 69ème R.I. de Nancy et de Toul depuis deux ans déjà quand il commence son journal le 30 juillet 1914, alors qu’il rentre de manœuvres sur le Mont d’Amance, au nord de Nancy. Il y apprend la mobilisation prochaine de l’armée française et se demande s’il va l’être lui-même dans le régiment d’active (69ème). Affecté finalement à la 1ère section (puis à la 4ème) de la 23ème compagnie du 269ème RI, il décrit dès lors, à 23 heures le jour-même, la mise sur le pied de guerre de son unité, formée des réservistes meurthe-et-mosellans de toutes origines sociales. Il doit alors les habiller et les transformer en soldats avant que l’unité ne quitte les casernes pour les premiers combats. Suit une description, débutant dès la nuit, à la limite du surréalisme, d’une mise en état effective de guerre jusqu’à la marche à la frontière, vers le nord, le samedi 8 août. Rêvant d’entrer rapidement victorieux dans Metz, en Lorraine allemande, Lœvenbruck passe la frontière, le 19 août, à Ajoncourt, dont les poteaux ont été mis à terre et fait une courte incursion en territoire du Reich. La Seille est en effet bien vite repassée sans combats dès le 22, après un baptême du feu qui le met en face de la réalité de la guerre. Son premier mort, les visions d’exode des paysans lorrains, la canonnade, tout cela n’altère pas encore l’ « âme de conquérant » des réservistes. Pourtant, la défaite qui se joue en Moselle ramène la guerre devant Nancy. Débute alors la bataille du Grand Couronné qui va hacher le régiment au nord de la ville pour la protéger de l’invasion. Dès lors, le sergent évoque, dans le détail, les journées épiques autant que mortifères, jusqu’à la victoire, très temporaire, qui s’est jouée sur La Marne, le 17 septembre. Le 29, le régiment doit participer à la phase suivante de la guerre, qui l’amène devant Douai, dans le Nord, où se joue la Course à la mer. Les combats n’y sont pas moins violents, et le 3 octobre, peinant à réaliser la surprise de la situation, il est fait prisonnier à Billy-Montigny par un houzard du 7ème Kavallerie Korps. Son épopée s’arrête alors qu’il découvre l’inscription « Kriegsgefangenen Lager Parchim » sur la porte d’entrée du camp de prisonnier, qu’il franchit le 8 octobre 1914.
Eléments biographiques :
Marie, Joseph, Pierre Lœvenbruck, (parfois orthographié Lœwenbruck) est né le 2 avril 1891 à Pont-à-Mousson, en Meurthe-et-Moselle. Son père, Louis Henri, né à Thionville, est négociant et sa mère, Marie, Joseph, Claudine Noël est sans profession. Il a une sœur et un jeune frère, âgé de 13 ans quand il entre en guerre. Il obtient son baccalauréat général et débute son service militaire dans la foulée, en 1912. Fait rapidement prisonnier, il cumulera 7 années de services militaires et 9 années de services civils, dont trois ans et demi à l’étranger. Il racontera chez le même éditeur, également en 1931, son « expérience » de captivé dans un ouvrage intitulé Bouches inutiles, Quarante mois de captivité en Allemagne. Il épouse à Berne, en Suisse, Marie Antonia Kressig, le 6 février 1920. Outre une petite carrière littéraire, il exercera la fonction de Consul de France (de 2ème classe) en 1934, attaché à l’administration centrale, puis sera promu à la veille de la 2ème Guerre mondiale, en août 1939. Convaincu de « participer en France à une résistance active en dehors de ses tâches professionnelles » (cf. son dossier de Légion d’Honneur, Base Léonore), il est alors mis en sursis par le Gouvernement de Vichy (en mars 1942). La Libération intervenue, il est rétabli dans ses fonctions en mai 1944 et confirmé en décembre suivant puis nommé Consul Général (de 2ème classe) en avril 1945, « en reconnaissance des services rendus ». Il est fait chevalier de la Légion d’Honneur le 9 avril 1930 et officier le 14 août 1946. Il décède le 4 décembre 1972 à son domicile, 116 rue de la Convention, dans le 15ème arrondissement à Paris.
Commentaire sur l’ouvrage :
Désiré Ferry, président de l’Union nationale des Officiers de Réserve de France, introduit l’ouvrage en vantant les mérites d’un journal de guerre, genre loin d’avoir épuisé la curiosité des lecteurs, celui-ci issu de « ceux de la réserve », nous renseignant sur l’origine de ce carnet. Il dit : « Le réserviste prenait des notes selon sa fantaisie, au hasard des cantonnements. C’était tantôt un journal de route, tantôt un recueil d’impression. C’était pour lui-même, « quand il serait vieux », qu’il consignait ses souvenirs » (page IV). En effet, sous l’apparence d’un carnet de route qui couvre, quasi jour par jour, la période du 30 juillet au 8 octobre 1914, Ceux de la réserve est bien un livre de souvenirs. Mais ceux-ci, relatés simplement, et rapportant la vision exacte et bien décrite des grandes phases qui ont marqué sa courte expérience de guerre : La mobilisation et l’entrée en guerre d’un régiment de Réserve, la marche à la frontière (mosellane), la bataille du Grande Couronné, et la Course à la Mer. Pierre Lœvenbruck confirme cette architecture en la précisant : La mobilisation – La victoire en chantant – Le Grand-Couronné – Un secteur de tout repos – La course à la mer et À travers l’Allemagne. A l’échelle d’un régiment (le 69ème et son régiment de réserve, le 269ème), l’ouvrage revêt donc un indéniable intérêt local, montrant la mise en état de guerre des classes d’âge meurthe-et-mosellanes autour de Nancy et de Toul, Lœvenbruck étant né à Pont-à-Mousson et terminant son service militaire puisque depuis deux ans déjà sous l’uniforme. Il est sergent lorsque la guerre le surprend en pleine manœuvre autour de Nancy. Pour ses camarades et certainement pour lui également, le 30 juillet 1914, la guerre, d’abord, n’est pas possible. L’habillement en cours des civils transformés en militaires, le fourrier dit encore, le lendemain : « Je m’en fous. Je suis peinard, ici, où je dois assurer l’habillement des réservoirs pendant vingt-cinq jours. Aussi, la fête sera finie quand je serai en état de rejoindre » (page 18). Plus loin encore, le 4 août, il rapporte même : « … nous ne devons pas combattre mais simplement suivre – et de loin – les troupes de l’active dans leur avance en pays ennemi. D’ailleurs, attaqués par les Français d’un côté, par les Russes et les Serbes de l’autre, les Allemands ne tiendront pas longtemps ; c’est l’évidence même ! et dans six semaines, deux mois, nous reviendront à Nancy en vainqueurs » (pages 42 et 43). Le mythe de la guerre courte est tenace ; il tient encore, le 18 août, quand Lœvenbruck avance, alors qu’il découvre un numéro de l’Est Républicain, daté du 16 : « On y raconte des histoires admirables sur la famine qui menace l’Allemagne, sur le « mordant » de notre cavalerie (2ème édition) et le « cran » de nos chasseurs. Chacun sait que les autres troupes n’existent pas. Tout ce bourrage de crâne qui nous enchante, nous paraît naturel et il n’est pas un de nous qui ne soit persuadé que dans quinze jours, mettons trois semaines pour les plus exigeants, la guerre ne soit terminée » (page 74). Mythe qui existe d’ailleurs également chez les Allemands, qui le déclarent eux-aussi au prisonnier Lœvenbruck début octobre (page 208). Sur la famine allemande, il y reviendra après sa capture et sa « traversée de l’Allemagne » comme prisonnier, en glosant, le 3 octobre : « … quant à la famine qui, d’après nos journaux règne dans leurs rangs… je souhaiterais aux rédacteurs de ces articles de manger aussi bien qu’eux ! » (page 211). Lœvenbruck livre donc une particulière intéressante « vue de l’intérieur » de la réception de la mobilisation, de l’engagement en masse des réserves qu’il faut équiper de pied en cap et mettre en état de guerre, tant psychologique que, 22 jours plus tard, confronté à la violence d’une guerre qui révèle son vrai visage, abattant les fantasmes d’une victoire facile et rapide. Il en dresse un tableau impressionnant : « Près de la caserne A. R. [de Toul], les terrains de manœuvres, qui servaient naguère à l’artillerie, sont littéralement couverts de civils endormis : on y voit toutes les classes de la société, des bourgeois, des jeunes gens, des vieux, des ouvriers, des paysans en blouse, quelques prêtres en soutane, combien sont-ils qui attendent qu’on veuille les recevoir dans les casernes où il doivent être habillés ? Deux mille, trois mille peut-être, arrivés dans la nuit et que les postes de garde ont eu la cruauté de laisser dehors » (pages 34 et 35). L’ouvrage, qui n’est pas teinté de bourrage de crâne, – page 110, il dit à propos de l’espionnite : « je ne crois guère à ces histoire de roman-feuilleton » – rapporte ce qui fut une certaine réalité voulant que certains, affectés dans la réserve, virent dans cette affection un éloignement de la gloire. Il dit, lorsqu’il apprend, manifestement déçu et inquiet, son affectation effective : « Que sera le 269ème de réserve ? Un tas d’inconnus, de nouveau chefs, de nouveaux collègues et, pendant que nous ferons l’exercice dans un fort de Toul, le 69ème entrera dans Metz ou dans Strasbourg » (page 17) ! Dès les premières marches vers la frontière, Lœvenbruck s’épanche sur les difficultés que ses 22 ans éprouvent à se faire obéir d’une telle diversité sociale. Il dit : « Les débuts furent durs, très durs, pénibles pour tous, pour nos officiers comme pour nous, gradés de l’active ; pour ces hommes arrachés à leur famille, à leurs travaux, à leurs douces habitudes, le changement était trop brutal, la discipline depuis trop longtemps oubliée ; partis de chez eux en chantant, ils s’apercevaient soudain que la rigolade était finie ; que le sac était lourd, que la route était longue, que les godillots mal graissés les blessaient, tandis que l’équipement leur sciait les épaules, et, naturellement c’est nous qu’ils en rendaient responsables, et parmi nous ceux qui étaient le plus près d’eux, ces « sous-officiers » abhorrés et détestés… jusqu’au jour où, petit à petit, ils s’aperçurent qu’au lieu d’être des ennemis, des tortionnaires, nous étions leurs amis, que notre souci était toujours de chercher pour eux le meilleur abri contre les rafales d’artillerie ou le cantonnement le plus confortable à l’étape, et alors, peu à peu, mais très vite, leur attitude à tous, et je dis tous sans exception, même et surtout Monier et Grégori, changea radicalement » (page 51). Mais cette « découverte » du feu qui tue n’est pas immédiate. D’abord après une rapide marche à la frontière au nord de Nancy, il franchit sans combat ni résistance la Seille, rivière formant la frontière entre la Moselle et la Meurthe-et-Moselle, à proximité de Delme, et n’entend le son que loin derrière les collines qui lui font face, en direction de Morhange. Il se sait pas encore que depuis plusieurs jours, les français sont déjà morts en masse en Belgique et en Moselle et que cette journée du 22 août sera la plus meurtrière de toute la Grande Guerre. Il découvre petit à petit lui-aussi les « caractéristiques » de la « vraie » guerre. Apprenant par l’épreuve les « vertus » de s’enterrer, il confie, le 10 août : «… nous tous qui allions devenir les remueurs de terre que l’on sait, on ne nous avait fait exécuter qu’une seule fois, pendant mes deux années de service militaire, des travaux de campagne avec les outils de parc, c’est-à-dire de vraies pelles et de vraies pioches » (page 62). Sa « découverte » des premiers morts l’impressionne. Le 12 août, il décrit : « Dans une petite prairie, bien verte, gisent des cadavres de chevaux, ceux que montaient les propriétaires des lances, sans doute. C’est la première image de mort qui se présente à nous depuis notre entrée en campagne et soudain, nos rangs si bruyants tout à l’heure, deviennent totalement silencieux » (page 67). Mais le premier mort qu’il découvre n’intervient que le 20 août ; il ajoute « mais nous ne pouvons pas encore nous figurer que pareil sort nous menace » (page 79). Hélas, devant l’exode des populations les villages qui brûlent et les salves d’artillerie qui s’abattent à ses alentours ; la guerre finit par rejoindre le régiment et le baptême du feu est terrible. Le 23, devant la seille, à Moivrons, il décrit le « tintamarre » et le commandant Wurster qui dit : « Arrêtez ! lâches ! Le premier qui recule, je lui brûle la gueule ! » (…) « sa crânerie arrêt[ant] les fuyards » (page 90). La suite est alors, dans les combats du Grand Couronné ou dans ceux de la Course à la Mer, une longue suite de miracles pour le sergent, bousculé à plusieurs reprises par des obus éclatant à proximité (pages 98, 118 ou 189) ou recevant, à au moins cinq reprises (pages 105, 125, 135, 136 ou 182), balles et éclats d’obus qui dans la capote, qui dans la musette et ce qu’elle contient. Certains jours sont terribles de bombardements, comme le 25 août, heureux d’en être sorti entier. Prisonnier, les circonstances et le traitement que Pierre Lœvenbruck décrit sont intéressants. Exhibé à plusieurs reprises à la vindicte allemande (pages 203 et 218), honnête, il dit n’avoir pourtant pas subi de réels mauvais traitements.
Au final, tout l’ouvrage, par sa simplicité, la sobriété de ses tableaux et surtout leur véracité, est résolument l’un des tout meilleurs témoignages rapportant l’entrée en guerre et les premiers combats des civils, réservistes, devenus du jour au lendemain ceux que l’on appellera quelques semaines plus tard les poilus.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Parcours suivi par l’auteur (date) :
Essey-lès-Nancy (caserne Kléber) : 30 juillet 1914
Nancy : 31 juillet
Toul (caserne A.R.) – Domgermain : 1er août
Velaine-en-Haye : 7 août
Pont de Malzéville – Boudonville : 8 août
Malzéville – Pixerécourt – Bouxières-aux-Dames – Custines – Malleloy : 8 août
Col de Lixières : 10 août
Morey : 11 août
Arraye-et-Han – Ajoncourt – Moivrons – Col de Bratte – Bois de Grémecey : 12-24 août
Villers-les-Moivrons – Faulx – Lay-Saint-Christophe – Agincourt – Lenoncourt – Buissoncourt – Gellenoncourt – Haraucourt – Drouville – Col de la Fenêtre – Réméréville : 25 août – 16 septembre
Valhey – Bathelémont-lès-Beauzémont : 17-27 septembre
Laneuveville-devant-Nancy – Einville – Maixe – Crévic – Dombasle : 28-29 septembre
En train : Nancy (gare de Mon-Désert) – Frouard – Toul – Montereau – Palaiseau – Versailles – Mantes – Vernon – Eu – Montreuil – Berck – Etaples – Saint-Pol-sur-Ternoise – Drocourt : 29 septembre – 1er octobre
Drocourt – Rouvroy – Billy-Montigny : 1er – 3 octobre
Prisonnier : Billy-Montigny – Château de Beaumont – Douai – En train : Valenciennes – Charleroi – Namur – Liège – Verviers – Aix-la-Chapelle – Dusseldorf – Elberfeld – Hanovre – Wittenberge – Parchim : 3-4 octobre.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 18 : Garde-poux, garde magasin
29 : Colonel Granges, commandant du 269ème, « adoré du régiment »
30 : Fusil et drapeau oublié lors d’une marche
35 : Magasin bric-à-brac pour habiller les 250 hommes de la compagnie
38 : Perception des armes
39 : Seulement 3 tailles d’effets
40 : Matriculage personnel des effets
42 : Vue de Toul en état de siège
48 : Couvres képis faits avec des cravates bleues pour masquer la couleur rouge
53 : Gautherot, maire de Pont-à-Mousson
57 : Espionnite (vap 109)
61 : Carapace, « toute la compagnie s’accroupit la tête des uns dans le derrière des autres, de façon à ne plus présenter qu’une croûte de sacs »
68 : Ivrognerie généralisée
70 : Sur la reconnaissance des avions : « La veille [13 août], une note du général a fait savoir à toutes les troupes que lorsque, par erreur, elles tireraient sur un aéroplane français, celui-ci exécuterait en l’air un 8 »
71 : Moustiques
77 : Frontière allemande et poteaux arrachés
: Habitante cachée dans son armoire
78 : Changement de la boîte aux lettres Kaiserliche Briefkaste en fonte d’Ajoncourt par une française
80 : Exode lorrain
81 : Bruit du 75 « semblable à celui d’une cloche de bronze heurtée violemment »
82 : Retraite en pagaïe, impression de débâcle (vap 90, arrêtée par menace par un officier)
88 : Maison pillée dont le propriétaire est soupçonné d’être un espion
94 : Gendarmes serre-file
95 : Mâche de l’herbe pour tromper sa soif
98 : Obus de 77 tombant « comme des gros cailloux »
102 : Vision de charnier, collecte les plaques et les papiers des morts
103 : Allemand blessé
105 : Soldat nommé sergent car il a ramené une mitrailleuse
107 : Obus non éclaté qui « est venu se terrer dans le parapet comme un lapin »
108 : 3 septembre, Sedantag et rituel allemand inutile
120 : Enterrement sur le front, description et croix
121 : Premiers abris (6 septembre)
150 : Annonce au poste de police de Buissoncourt de la Victoire de La Marne
163 : Sacs à grains vides servant de capuchons sous la pluie
169 : Supériorité de la tranchée allemande
170 : Milliers de bouteilles vides dans les abris et les tranchées allemandes abandonnées
171 : Arbre observatoire, doté d’un téléphone
: Première messe (22 septembre)
173 : Vue de tombes, constituées en remplissant les fossés de la route
180 : Vente de souvenirs du front et prix (exorbitants)
188 : Horreur d’un cavalier mort traîné par son cheval
189 : Horreur d’un obus touchant au but sur un homme
193 : Fracture une porte puis une fenêtre d’une maison abandonnée
203 : Intervention d’un officier allemand qui lui empêche d’être maltraité (vap 210)
: Photographié par des soldats allemands avec des kodaks
216 : Inscriptions allemandes sur les trains
220 : Prisonniers servis à la gare de Wittenberge servis par des maîtres d’hôtel en habits !
Yann Prouillet, août 2023
Touchard, Camille (1888-1979)
Touchard, Camille, La guerre de Camille Touchard. Carnets d’un secrétaire d’état-major devenu simple biffin (août 1914 – juillet 1917, Paris, Sutton, collection Histoire intime, 2018, 219 pages
Résumé de l’ouvrage :
Parti de Tours le 3 août 1914, Camille Touchard, né en 1888, est affecté comme secrétaire à l’état-major de la 36ème brigade d’infanterie, de la 18ème D.I. d’Angers du 9ème C.A. de Tours. Il est affecté successivement en Lorraine, fait la batailles des frontières en Belgique et retraite pour participer à la bataille de La Marne dans le secteur de Fère-Champenoise. Après la victoire, il reste en Champagne, à l’est de Reims, puis repart en Belgique, à l’est d’Ypres, jusqu’en mai 1915. Suivent l’Artois, l’Argonne, à nouveau la Champagne, la Picardie, la Somme, avant, tout début 1917, une dissolution de sa brigade qui l’affecte dans une compagnie du 77ème RI. Après une rapide instruction, il arrive au front du Chemin des Dames, où il est blessé de plusieurs éclats d’obus au milieu de juillet 1917, mettant fin au 9ème carnet relatant sa guerre.
Eléments biographiques :
Camille, Auguste, Ferdinand Touchard est né le 26 février 1888 à Moussac, dans la Vienne. Il est l’aîné d’une fratrie composée d’une sœur, Rachel, née en 1893 et d’un petit frère, Abel, né en 1901. Son père, Ernest, qui sera maire de Moussac de 1897 à 1911, est exploitant, propriétaire terrien, et sa mère est mère au foyer. Ce dernier est relativement aisé. Camille obtient le baccalauréat, fait des études de droit, avant d’entrer dans les chemins de fer comme employé à la gare de Nantes, ville où il réside à la déclaration de guerre. Jugé apte au service militaire, il le débute le 8 octobre 1909 et est alors rattaché à la 19ème section de secrétaires d’état-major dépendant du 19ème corps d’armée basé à Alger. Il y fera son service entre le 10 octobre 1909 et le 11 septembre 1911, participant aux opérations de pacification de la zone rebelle algéro-marocaine. Il passe caporal le 19 septembre 1911 et revient à la vie civile le 1er octobre ; c’est donc à ce grade qu’il est mobilisé à la 9ème section de secrétaires d’état-major basé à Tours le 3 août 1914. Il passe sergent le 1er avril 1915. Avec deux autres secrétaires, il est mis à la disposition de la 36ème brigade d’infanterie. Il fait donc toute la guerre dans deux postes dans sa division, secrétaire de brigade et soldat du 77ème R.I., après son versement dû à la dissolution de sa brigade au tout début de janvier 1917. Il tente infructueusement d’entrer dans les chemins de fer militaires et tente plusieurs formations, comme chef de section (« ennuyeux » dit-il), y compris dans les canons de 37, mais finalement, par choix, revient dans le rang, à la 3ème section de la 3ème compagnie du 77ème R.I. Le 8 mars 1918, il intègre le 2ème régiment de tirailleurs indigènes mais ne semble pas être retourné au front. Il est mis en congé illimité le 19 juillet 1919 et reprend alors son travail en qualité de sous-chef de gare à Nantes. Il sera également à la garde Saint-Lazare à Paris en 1927. Il se marie en septembre 1921 avec Marie-Madeleine Dissert et décède en 1979.
Commentaire sur l’ouvrage :
Les 9 carnets de guerre de Camille Touchard présentent l’indéniable avantage d’exemplifier le parcours d’un non-combattant, secrétaire d’état-major de brigade d’infanterie, pendant la période 1914-1916, éclairant rôle et application, riche d’enseignements, dans ce laps de temps. Son rôle consiste, sous la direction de l’officier d’administration, de s’occuper des écritures et de tous les travaux d’importance secondaire d’un état-major de brigade, ce qui forme une charge à l’application finalement très diverse en temps de guerre. Impliquant sérieux et précision, ce caractère se retrouve dans ses écrits, datés et précisément localisés quant au parcours du témoin. Cette précision géographique, scrupuleusement relevée tout au long de son parcours, se révèle à de multiples reprises, par exemple le 29 août 1915, quand il dit « Passons à Canaples (bistrot que je vois pour la troisième fois) » (page 122). Geoffroy Salé, qui introduit et commente le témoignage, fournit dans une longue présentation très précise tous les éléments de nature à contextualiser les carnets de Camille Touchard : Origines familiales et études – parcours militaire avant 1914 – campagne – après-guerre – carnets de guerre et contenu de ce « parcours original », dégageant les nombreux points d’intérêt de ce témoignage. Touchard s’exprime clairement et précisément, quasi journalistiquement, sur ce qu’il parcourt, fait et voit de sa guerre, parfois jusqu’au détail comme le nom du chien de race Dick du château de Neuville. Son premier carnet est d’un style télégraphique se bornant à des phrases courtes et aux toponymes traversés. C’est à partir du second carnet que l’écriture est plus construite et que les descriptions sont plus profondes. À deux reprises, il dit toutefois : « Maintenant, je renonce à écrire ce que je viens de voir » (page 49), et plus loin « Ce que j’ai vu et entendu est indicible » (page 50). Les pages qui concernent les quelques jours consécutifs au retrait des troupes allemandes après La Marne sont spectaculaires. Il connait toutefois une période de lassitude. Le 25 décembre 1914, il dit : « Ne tiens plus mon journal au jour le jour » (page 91). Pis, il l’interrompt de février à avril, complétant cette période en recopiant le JMO, avant finalement de reprendre sa quasi quotidienneté narrative à l’issue. Le 9ème et dernier carnet, correspondant à la période à laquelle il est rentré dans le rang du 77ème, est plus haletant. Il est peu adhérent au bourrage de crâne et s’il le rapporte, c’est en s’en gardant toutefois. Manifestement, Camille Touchard est empathique, y compris à plusieurs reprises envers les soldats allemands prisonniers, parlant leur langue (voir pages 39, 49, 51, 67 ou 75). Il rapporte beaucoup de faits originaux de sa vie quotidienne, qui reviennent parfois au fil des pages. Ainsi, il se plaint de petits vols qu’il subit de la part de soldats, mais il avoue lui-même à plusieurs reprises avoir lui-même « visité » des maisons et « forcé » quelques portes. De même, il apprécie la compagnie des femmes, auxquelles il fait souvent référence, rapportant çà et là quelques « contacts » estimés, évoquant même parfois un « léger badinage ». Il dit même avoir écrit une « lettre à une poule de Rocher », son caporal d’ordinaire (page 82). Il témoigne de temps en temps de sa relation avec les civil(e)s. Le 29 août 1915, il dit, parlant de deux femmes, une mère et une fille, chez qui il loge à Berneville : « J’ai pu les avoir à ma dévotion grâce aux laisser-passer » (page 123). Intéressant pour mesurer le lien entre civils et militaires, il y revient plus loin, disant, alors que son unité quitte Berck, mi-mars 1916 : « Tristes adieux. La population est toute entière dans les rues. Pas une jeune fille ne manque » (page 136). Parfois toutefois, il côtoie des « personnalités » ; le 21 avril 1917, il dit : « Couche chez femme hargneuse » (page 169). Loin d’être un embusqué (il fait d’ailleurs très peu références à ce terme), il se retrouve très souvent très proche des lignes, et en tous cas le plus souvent à portée d’obus (il dit qu’il en a reçu près de 500 le 9 novembre (page 72)), devant déplacer l’état-major au gré des maisons détruites par bombardement. Ainsi, il y échappe parfois de justesse (c’est un obus sous sa fenêtre qui le réveille le 12 novembre 1914 (page 74)), notamment devant Ypres. Il se voit même prisonnier à cette date tellement il est au milieu de la mêlée. Il sera d’ailleurs remercié par ordre du général du 9ème CA en décembre 1915 pour son travail (fac simile page 203). Il a déjà reçu la croix de guerre le 24 juin 1915. Il dit, le 12 juillet suivant : « C’est la première fois que je couche dans un lit depuis onze mois » (page 116). Au final, le témoignage est dense, intéressant, composite et particulièrement éclairant sur un rôle souvent cité par les autres poilus en ligne comme un poste d’embusqué, réalité démystifiée par Camille Touchard qui en fournit une relation remarquable, se posant plus en témoin qu’en narrateur de son propre rôle. Mélange de quotidienneté et vision intérieure d’un état-major, certaines descriptions, comme celle de la préparation d’une attaque, finalement infructueuse, en juin 1915, dans le secteur de Frévin-Capelle (Artois), sont particulièrement intéressantes. En mai 1917, versé dans le régiment dont il tapait les ordres, il devient témoin des mutineries qui s’y allument dans le secteur du Chemin des Dames (pages 175 et suivantes). Geoffroy Salé, à ce sujet, établit quelques notes opportunes, croisant le témoignage avec d’autres du même régiment (comme Allard, Brec, Chamard, Laurentin, Renaud, Retailleau ou Terrier-Santan, cités dans la bibliographie testimoniale (pages 217 et 218)). Camille Touchard porte souvent un regard approprié, jamais gratuitement critique, sur les officiers qu’il côtoie. Toutefois, il distille parfois son avis sur certains, comme le colonel Lefèvre, « dégommé » pour incompétence, ou le capitaine Guillon, qui manifestement n’aime pas son subordonné, sans qu’il sache pourquoi. Il donne même quelques détails techniques d’intérêt au fil du récit. Il pratique également de temps en temps l’artisanat de tranchée, disant faire des bagues (page 125) ou des coupe-papier (page 141). Sur la fin du témoignage de Camille Touchard, et notamment le flou sur les circonstances et la date même de sa blessure, la note n°12 du dernier carnet dit qu’en fonction du document-source, le soldat a été blessé le 17, le 18 ou le 19 juillet 1917.
De rares fautes ou coquilles sont relevées dans cette édition sérieuse et particulièrement bien présentée dans une collection Histoire intime opportune de l’éditeur.
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Parcours global suivi par l’auteur (date) – Etant donnée la précision toponymique de Camille Touchard dans ses innombrables déplacements, rapportant jusqu’aux moindres lieux-dits, lesquels ne peuvent tous être reportés ici, il convient de se reporter à l’index des noms de lieux cités en fin d’ouvrage :
Angers – front de Lorraine : 3-20 août 1914
Ardennes – Belgique – retraite : 24 août – 6 septembre
Bataille de La Marne (secteur de Fère-Champenoise) – début de la guerre de positions (ouest de Reims) : 6 septembre – 21 octobre 1914
Flandre occidentale – secteur d’Ypres : 24 octobre 1914 – 6 mai 1915
Artois : secteur du Mont Saint-Éloi : 10 mai – 5 juin 1915. Secteur de Loos-en-Gohelle : 10 octobre 1915 – 5 janvier 1916. Secteur d’Aix-Noulette : 17 février – 2 mars 1916
Argonne – Verdun : Secteur de Montzéville – Mort-Homme : 29 avril – 11 mai 1916
Champagne : Secteur de Souain-Tahure : 5 juin – 3 septembre 1916
Picardie – Somme : Secteur de Comble : 8 octobre 1916 – 3 janvier 1917
Champagne – instruction au camp de Mailly : 20 janvier – 20 mai 1917
Chemin des Dames – secteur de Craonne : 20 mai – 19 juillet 1917
Composition de l’état-major de la 36ème brigade d’infanterie au 1er décembre 1914
Col. Lestoquoi (ordonnance : Francelle – Poirier)
Cap. de La Taille (ordonnance : Praud) – Audouard (7ème hussards) (ordonnance Lacroix) – du Coulombiers (à partir du 4 avril) (ordonnance : Bouchinet – Pipaud)
Secrétaires : Touchard – Renou – Bernard
Cyclistes : Cerisier – Rouceau
Fourgonnier : Durand
Cuistot des officiers : Caporal Caillaud – de l’ensemble : Guillot
Caporal d’ordinaire : Rocher
Maitre d’hôtel : Plessy
Agents de liaison : du 77ème : Papin – Point – Samson. Du 135ème : Chauveau – Boisard. Du 66ème : Faix. Du 32ème : Allouin. Du 290ème (mi-mars) : non cités
Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 26 : Soldat assassiné
28 : Passage de la frontière belge, salut du drapeau
: Tire une vache : il la trait
29 : Alboche
34 : Vol entre soldats (son quart, vap 66 éléments de son vélo). Vap 71 lui, qui vole dans une maison et parle à plusieurs reprises de portes forcées (vap 154)
35 : Chignole = vieille voiture
40 : Allemands cachés dans le foin, faits prisonniers
41 : Pillage d’épiceries
: Après la victoire de La Marne « Habitants rangés le long de la route nous regardent passer »
50 : Maison à 12 enfants
: Ramasse un culot d’obus, qu’il présente à son colonel (vap 51 et 54, casques)
51 : Conseil de guerre à Sept-Saulx (vap 58 fusillés, nommés Duverger et Desherbois, du 68ème RI)
56 : Utilise le terme embusqué pour « mettre dans une boîte »
: Joue aux boules
57 : Schnik : Alcool de mauvaise qualité
58 : Espionnite : Arrestation à Wez d’un civil et découverte d’une malle remplie d’effets militaires et de documents sur la TSF (vap 81, 83, civil fou ou espion)
62 : Passe la frontière belge et s’étonne : « Aucun poteau ni drapeau »
64 : Hésite entre un vélo belge et un allemand
67 : Entend les cris des allemands qui attaquent
68 : Obus non explosés fichés dans des peupliers
70 : Altercation avec un homme ivre (vap 70, un anglais, 76, 90 (lui-même), (vap 119)
71 : Colonel d’état-major tirant au fusil sur un allemand
: Bouquet offert à un général suite promotion
72 : Chasse au pigeon (vap 79, soldat chassant à courre avec un lévrier, vap 80, est chasseur lui-même, pêcheur et aussi braconnier)
73 : Trou d’obus rempli de soufre
: Voit un phénomène électrique inexpliqué : « En revenant, phénomène électrique. Eclair nous aveugle et dure très longtemps. Eberlué, perds ma route et au premier pas tombe dans un trou d’obus et renverse la moitié de mon vin et de mon eau-de-vie »
74 : Prisonniers allemands volontaires et patriotes
77 : Promotion express : « Un gosse du 92ème, enfant de quinze ans, s’amène avec deux prisonniers allemands. Est fait 1ère classe »
81 : « En fait de repos, tout le monde est d’avis qu’il vaut mieux être en première ligne, mais ne pas avoir de civils sur le dos »
83 : Soldat blessé par un capitaine
86 : Proclamation aux allemands à se rendre
95 : Charge réduite à 8 grammes du Aasen afin de les lancer plus près
100 : Fait faire un fanion
103 : Puni par un colonel de hussards, mais punition jamais appliquée « N’en ai plus jamais entendu parler »
: Expédie ses effets d’hiver
105 : Frappé sans effet par un shrapnel
109 : Décoration du gourbi (avec des devises latines et grecques !)
114 : Déclaré mort selon les dires d’un ami
127 : Train blindé allemand
128 : Emporte un fusil boche et un obus !
132 : Un soldat vend des clichés au Petit Parisien
138 : Antipathie supposée des Meusiens : « On sent la Meuse où la mentalité des gens n’est pas, dit-on, sympathique aux Français »
143 : Etat des pertes des 135ème et 77ème RI en mai 1916
146 : Ne mange pas : lapin trop cher !
147 : Vue et effet d’une attaque aux gaz : « Les fusées rouges et vertes s’élèvent de partout »
148 : Prix d’un rasoir en septembre 1916 : 3,75 f.
154 : Sort deux enterrés vivants par un obus
155 : Général Lefèvre « dégommé » relevé de son commandement : « Il n’a fait que porter la guigne à notre DI » !
164 : Réaffecté au 77ème RI après une formation
175 : Témoin des mutineries (vap 192 la note sur les mutineries au 77ème RI)
178 : Balle traversant sa capote
179 : Projeté en l’air par une explosion qui ne le blesse pas mais le rend sourd, puis finalement blessé
182 : Avion abattu depuis le sol
190 : Chasse au rat, payée un sou par rat
Yann Prouillet, 11 août 2025