Christophe, Victor (1891- ?)

1.   Le témoin

Né en 1891 ; jeune paysan, mobilisé le 31 juillet 1914 au 150e R.I. en tant que musicien ; d’après ces carnets, Victor Christophe vécut l’essentiel de la guerre à proximité du front, c’est-à-dire suffisamment près pour subir la chute plus ou moins aléatoire d’obus ; un certain nombre de ses camarades sont d’ailleurs blessés ou tués près de lui ; mais son regard et ses commentaires sont ceux d’un soldat qui ne connut pas l’expérience directe des tranchées de premières lignes ; ses activités consistent à transporter des blessés, du matériel ; à participer aux défilés et diverses cérémonies qui à l’arrière du front (à plusieurs kilomètres) s’agrémentent de musique militaire. Chose étrange, nous ignorons même de quel instrument joue ce musicien…

Pendant toute la guerre, il ne rejoint son village de Bas-Lieu (canton d’Avesnes, Nord) alors en zone occupée, que pour une permission obtenue en janvier 1919 ; pendant l’occupation, il passe ses autres permissions à Paris (une visite au Havre et à Rouen) où se trouvent certains membres de sa famille ; il n’est démobilisé qu’en juillet 1919.

2.   Le témoignage :

Le texte des carnets de guerre de Victor Christophe a été établi par Paul Christophe, son fils, pour leur édition dans l’ouvrage : Journaux de combattants et de civils de la France du Nord, introduction et notes d’Annette Becker, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998, p. 17-105.

Le carnet couvre irrégulièrement les années de guerre : l’année 1914 n’est renseignée que du 30 juillet au 20 septembre ; l’année 1915 du 1er janvier au 25 mai (24 dates seulement sont renseignées); l’année 1916 est en revanche beaucoup mieux nourrie (142 dates renseignées); l’année 1917 (121 dates renseignées) ; l’année 1918 (54 dates renseignées) ;

Notons qu’un certain nombre de […] laissent à penser que certains passages n’ont pas été retenus pour la publication. Mais nous ne disposons d’aucune information plus précise à ce sujet.

3.   L’analyse

L’année 1914 se caractérise par une longue marche commencée avec l’offensive de Lorraine qui tourne court : 22-23 août 1914, bientôt suivie par la retraite sous une chaleur torride. Puis, à partir du 6 septembre, Christophe suit le nouveau mouvement vers l’avant. Il parvient le 20 septembre à Verdun, cantonné à la caserne Miribel. Pour l’année 1914, les carnets recèlent une longue liste des communes traversées et retraversées.

En tant que musicien, ce soldat est affecté à ce que l’on appelle une C.H.R., compagnie hors rang. Pendant que les soldats « dans le rang » de son régiment, le 150e R.I. participent à la douloureuse et mortelle guerre de tranchées, Victor Christophe connaît la vie de l’arrière-front qui, sans être exempte de tout danger (il y a parfois des pluies d’obus meurtriers Cf. 13 avril ; 30 septembre, 13 octobre 1916) est fort supportable, de l’aveu même de l’auteur des carnets, bien conscient de ses privilèges (13 avril 1916 : « […] ma foi, nous sommes mieux là encore qu’en première ligne » ; 3 octobre 1916 : « Par ce mauvais temps, nous sommes encore des heureux à côté de nos camarades qui sont en lignes). L’ennemi le plus redoutable est souvent le rat qui avec le bruit de la canonnade ou des avions bombardiers empêche les musiciens de dormir (15 février 1916) : « […] toute la nuit on pouvait entendre din, din, din, les rats venant mordre le bout de viande et faisant tinter la clochette Et voilà comment la guerre se passe le plus agréablement qu’il est possible de la rendre, bien que ce ne soit pas toujours possible »…

Moral

On sait que V. Christophe fréquente les églises, assiste aux messes lorsque son service lui en offre le loisir (par ex. 9 avril 1916) et peut-être a-t-il été marqué par un type de discours catholique fort présent à l’arrière-front et à l’arrière ; toujours est-il que le 1er mars 1916, il reprend à son compte l’idée que la guerre et ses souffrances sont une punition : « […] la privation aura aboli ces désirs luxueux qui nous faisaient nous plaindre dans l’abondance. Trop gâtés nous étions, pauvres Français ! »… Mais comme on va le voir, cette tournure d’esprit va considérablement évoluer. Et très rapidement.

En effet, le moral du jeune homme, paysan sensible au temps qu’il fait, aux changements de saison est très fluctuant ; la longueur de la guerre lui pèse ; le 14 mars 1916,  dans le secteur de Verdun, mais toujours à bonne distance de la ligne de feu, Christophe écrit : « […] Le canon donne un peu moins en ce moment : et dire qu’en ces journées de printemps on se sent si bien vivre et qu’à quelques kilomètres la mort se sème à flots ! » ; idem, le 16 mars 1916 ; à nouveau le 2 avril 1916 : « Encore du beau temps ! C’est malheureux de s’entretuer par du temps semblable… » ; et le 9 avril 1916 : « Dimanche de la Passion aujourd’hui. Profitant d’un court répit, je vais entendre la messe. Depuis le matin, retentit un formidable bombardement sur notre ancien secteur, le Mort-Homme. Allons, voilà que je ne sais plus quoi ! On devient un peu dingot dans ce métier, il n’y a pas à douter ! L’ancienne existence reviendra-t-elle ? On se le demande souvent, surtout en ces jours où l’on peut constater et apprécier les délices de la vie civile. Enfin, espérons toujours et ne perdons pas courage. » ; les carnets de Victor Christophe témoignent de ce que les soldats de l’arrière-front s’adaptent et s’accomodent relativement bien de la guerre qui fait rage à quelques kilomètres ; ils aménagent leurs nouvelles vies, comme ils aménagent leurs logements successifs : le 23 avril 1916 : « […] Après la soupe, en allant voir quelques musiciens cantonnés un peu plus loin, je rencontre Dindin qui m’invite à boire un quart de vin avec ses camarades. On boit un quart, deux quarts, trois quarts, une gnole, deux gnoles, trois gnoles si bien que je regagne le tas de couvertures qui me sert de « plume », un peu ému ! Enfin, c’est la guerre. »

La chute du moral des défenseurs de Verdun :

La distance vis-à-vis de la ligne de front proprement dite n’empêche pas Victor Christophe de prendre conscience de la chute du moral des troupes combattantes du secteur de Verdun descendues au repos (ici celles attachées à la 40e D.I.) et de livrer un certain nombre d’indices et de commentaires intéressants ; à nouveau il se montre conscient de l’écart séparant la ligne de feu de la zone arrière : 2 juillet 1916 ; 8 juillet 1916 : « Sommes toujours au ravin de Boncourt. Les correspondances sont terriblement retardées : 60% sont ouvertes […]. Pour ma part, ceci ne m’étonne qu’à demi : des troupes arrivant d’un pareil carnage ont forcément le moral un peu atteint. Je comprends très bien que des hommes occupant depuis 20 mois un secteur tranquille, cultivant des jardins, pouvant se ravitailler aux villes voisines conservent cette haute pensée de la victoire proche et facile. […] Mais quand ces mêmes hommes sont soumis pendant 3 périodes de 23, 21 et 16 jours à un bombardement infernal comme celui de Verdun, eh bien ! ceci bouleverse la cervelle (nombreuses désertions), explique un peu la conduite de ces hommes abandonnant leur poste. Il est certain que ces soldats soumis par la pensée à cette idée fixe de se retrouver au milieu d’un semblable enfer, auraient traversé un peloton d’exécution plutôt que de rejoindre avec leurs camarades. L’esprit reposé, les nerfs calmes, ces malheureux revenaient se rendre comme des écoliers en faute. Quelles terribles crises le cerveau de ces pauvres aura-t-il traversées ! Enfin ! nous nous devons toujours tout entiers à la patrie en danger. » ; 18 août 1916 : « […] A midi un sergent du 154 amène un homme déserteur de Verdun. Tous ces malheureux regrettent leur acte en pensant à leurs « vieux » comme ils disent. Pour la plupart au front depuis le début, une minute d’égarement et de non-réflexion sous Verdun leur vaut plusieurs années de travaux publics, quand ce n’est pas la mort. Celui-ci s’en tire avec 10 ans après les 21 jours de prévôté, touchant la demi-ration : 21 haricots ! dit-il d’un air mélancolique cuisinés par un maçon ou un terrassier. Et ni tabac, ni « pinard » ! Tous veulent racheter leur faute : 3 patrouilles, disent-ils, amenant une citation, plus 3 mois de conduite exemplaire donnent droit à la feuille de réhabilitation ».

Dans la Somme, le 26 septembre 1916, il est témoin d’une punition infligée à un soldat anglais : « […] il est attaché à la roue d’un caisson »

L’ennemi :

Victor Christophe plaint régulièrement ses camarades en ligne ; le 3 octobre 1916, il plaint aussi ceux d’en face : «  Les tranchées boches conquises sont entièrement bouleversées et nos troupes s’installent dans les trous d’obus. Quoi de plus terrible que la position de ces malheureux sous la pluie et la mitraille et sans aucun abri ! Quant aux boches, ils sont au moins aussi malheureux, avec ce que nous leur balançons. Des camarades du 73e nous disent : « Ces malheureux présentent un tel aspect d’effroi quand ils crient  « Kamarades » que le plus endurci d’entre nous, bien qu’exalté par la chaleur de l’action, est dans l’impossibilité de leur tirer dessus »…» ; de telles réflexions alternent avec d’autres plus hostiles (5 août 1917, 6 novembre 1918 ).

Emotion patriotique :

21 janvier 1917, lors d’un concert offert aux troupes au repos à Maffrécourt, la Marseillaise produit un grand effet sur l’assistance : « […] tous, officiers et soldats furent littéralement subjugués, hypnotisés ! rien ne pouvait arrêter ces paroles accompagnées de gestes émouvants ; pas même la baguette de notre chef dirigeant la musique. Et bissé et applaudi de tous, Goavec dut nous chanter le troisième couplet […]. En vérité, scène patriotique ne m’avait jamais produit semblable émotion. […] Vraiment dommage que le général soit parti si tôt. Voici deux bonnes journées passées qui font un peu oublier les misères de la guerre… ». A-t-on affaire à l’expression d’un patriotisme « exalté » ? Ou à une manifestation d’explosion nerveuse d’hommes ayant été soumis à une forte et longue tension ? difficile de trancher. Néanmoins, V. Christophe observe à quel point la guerre pèse sur les corps et sur les esprits : 22 septembre 1918 : « […] à la longue, après ces quatre années, l’abrutissement nous gagne. On sent cette fatigue nerveuse en remarquant les camarades s’énerver , s’emporter pour un rien : en s’étudiant bien, on constate que l’on fait exactement la même chose. Ô guerre ! » ; à l’inverse, le 12 novembre 1918 : « Aujourd’hui, premier jour de la paix, hier était le 1561e de la guerre ! On n’y croit pas encore ! Comme la vie de misères, celle de bien-être reviendra peu à peu. Mais la physionomie de tous se déride : on s’aborde le sourire aux lèvres »…

L’offensive Nivelle : Victor Christophe n’y prend pas part en première ligne mais un certain nombre de ses camarades musiciens participent à l’assaut ; ces carnets nous renseignent sur la rapidité avec laquelle les troupes stationnées à l’arrière-front ont perçu la catastrophe, notamment au travers de l’afflux des blessés (Cf. Antoine Prost, « Le désastre sanitaire du Chemin des Dames », in Nicolas Offenstadt (dir.),  Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 137-151.): entrées du 16 avril, 17 avril ; 18 avril : « Dès le matin, nous apprenons que le régiment est relevé. Gurat, Albert et Achille arrivent vers 8 heures, nous confirmant malheureusement les pertes terribles de notre régiment et son échec en face des positions ennemies redoutables du Mont Sapigneul, non détruites par l’artillerie. Le 114e nous relève. Et la pluie tombe toujours ! Par-dessus tout, le canon tonne, terrible » ; 19 avril : « […] A partir de 15 heures un roulement de canonnade donne, terrible, sur l’ensemble du secteur. Quel carnage effroyable ce doit être. A 15 h 30 passe un important peloton de prisonniers : 500, dit-on. Les nouvelles concernant le 150e ne sont guère encourageantes malgré l’entrain des officiers et des hommes. Après être sortis et avancés un peu, les malheureux furent hachés par un terrible feu de mitrailleuses. […] La C.H.R., le fusil en mains, se préparait à repousser les boches : quelle mêlée et quel carnage ! »… 22 avril : « […] Et dire que cette hécatombe eut lieu en 2 heures et demie ! »

Russes et Russie sont évoqués à trois occasions : tout d’abord,  V. Christophe essaye d’entrer en contact avec des soldats russes présents au Chemin des Dames (20 avril 1917) mais : « Pas facile de se comprendre sinon au moyen d’un dictionnaire que l’un d’entre eux sort aussitôt ». Cf. Rémy Cazals, « Soldats russes en France. Entre guerre et révolution », in Nicolas Offenstadt (dir.),  Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 217-225. Ensuite, comme de nombreux soldats, Christophe s’inquiète des événements révolutionnaires qui éclatent en Russie : 12 septembre 1917 : « La guerre civile éclate en Russie. Le généralissime marche contre le gouvernement : pauvre Russie ! ». Le 3 novembre 1917, l’échec italien de Caporetto est mis sur le compte de la « crise russe » ; le 18 décembre 1917, l’armistice signé par les Russes est ainsi commenté : « Que va-t-il donc sortir de tout ceci ? Un gros effort des Allemands va sûrement être donné sur notre front. J’espère que nos hauts dirigeants prévoient le fait de même qu’ils obvient pour pouvoir répondre à la formidable invasion aérienne ennemie qui aura lieu sans nul doute l’an prochain. Eux construisent, nous… jusque-là, avons causé ! » ; à nouveau, une critique à peine voilée à l’endroit des dirigeants français. Enfin, le 8 juillet 1919, Christophe s’installe au camp de Mailly. Le lendemain il évoque une dernière fois les troupes russes : (9 juillet) : « Aménagement du cantonnement. 8 000 Russes sont ici encore, prisonniers des allemands, libérés à l’armistice. Ils refusent de travailler et même de préparer leur nourriture. Une petite révolte de leur part a eu lieu ces jours derniers : quelques tanks chargèrent, paraît-il, des 75 prirent le réglage : au bilan 6 ou 7 tués ! C’est toujours la guerre ! »…

Après l’échec du Chemin des Dames, il est notable que le ton de V. Christophe devient volontiers sarcastique, ce qui peut témoigner de la baisse de son propre moral ; dès lors, il émet de plus en plus de doutes sur le degré de préparation des autorités françaises ; le 30 mai 1917, il assiste au mitraillage d’une saucisse par un avion allemand : « […] L’observateur du ballon, sans attendre une seconde, saute avec son parachute et quelques minutes après (délai que je n’arrive pas à expliquer) une flamme jaillit à l’un des bouts du « captif » qui, rapidement consumé, s’abat sur le sol. Encore quelque billets de mille volatilisés ! Heureusement que nous avons la maîtrise de l’air. Que serait-ce si nous ne l’avions pas ! Pendant ce temps, nos « as » se reposent sans doute ! » Comme s’il s’en voulait de cette remarque, il conclut par une forme d’auto-dénonciation : « (Esprit infâme !) » ; mais dès le lendemain, il récidive : (31 mai) « […] Ce soir, nos avions montent la garde autour des observateurs : ce n’est pas trop tôt ! » ; le 23 juillet (1917), le ton devient franchement acerbe pour ne pas dire subversif : (Verdun) « 22 juillet 1917. Plusieurs cimetières rappellent ici les hécatombes de l’année dernière. Que de deuils hélas ! accrus tous les jours pour satisfaire l’orgueil de quelques déséquilibrés ! ». Quelques semaines plus tard, la visite de cimetières militaires retrempe sa « haine » de l’ennemi : (5 août 1917): « […] Que de cocardes tricolores représentant hélas ! autant de morts. Et quand l’on voit ces malheureux étendus par milliers, ces ruines sur lesquelles ces barbares s’acharnèrent, la raison de l’homme le plus paisible commande de faire payer ces misérables » ; mais peu à peu, la lassitude de la guerre semble l’emporter sur toute autre considération : 1er décembre 1917 : « 40 mois de guerre ! Quand donc la fin de cette tuerie ?» ; 12 février 1918 : « […] De nouveau, voici la voix qui revient au canon. […] Que de barbarie en cette Europe civilisée !.. » ; 20 août 1918 : « Liberté, égalité, fraternité sont-ils un idéal atteint ou à atteindre… »

Mutineries : s’il a connaissance des « troubles », V. Christophe demeure fort discret dans ses considérations : « 7 juin (1917) : ce matin, les ordres sont changés et nous allons à Romigny. […] A l’arrivée, je comprends pourquoi nous ne sommes pas allés cantonner à Sarcy : tout simplement à cause de troubles de troupes cantonnées à Villers-en-Tardenois. Ces dernière ont, paraît-il, mitraillé ces jours derniers celles cantonnées à Romigny. Ça marche, la guerre ! Grève des midinettes à Paris : tout s’enchaîne à merveille ! » ; pour autant, même si ce soldat reste à distance de ces troubles, son esprit porte néanmoins la marque du « mauvais » état d’esprit ambiant au lendemain de l’échec du Chemin des Dames.

Cas de grippe espagnole (24 septembre 1918).

Enfants de l’ennemi : 12 novembre 1918 : « […] M. le médecin Marceau, de notre régiment, a hier, à Wadelincourt, accouché une jeune fille de 16 ans ½ , d’un petit allemand ! Nombreux sont les cas semblables ». Cf. Stéphane Audoin-Rouzeau, L’Enfant de l’ennemi, 1914-1918, Paris, Aubier, 1995.

Délitement de l’armée allemande : 16 décembre 1918 : « Séjour à Faulquemont. On trouve ici beaucoup de choses encore ; les magasins sont approvisionnés. Les prix varient avec ceux de la France suivant l’objet ou la marchandise sont plus ou moins rares. Une habitante nous raconte qu’à leur départ les soldats allemands malmenaient leurs officiers, les dégradant, etc. tous n’avaient qu’un but, rentrer chez eux. »

Au total, ce témoignage d’un soldat de l’arrière-front, malgré sa distance des tranchées, malgré son style discret et sans effet, s’avère utile en ce qu’il complète notre connaissance de l’expérience spécifique des soldats non combattants qui à leur place, fort différentes de celle des combattants véritables, ont également fait marcher la machine de guerre.

Frédéric Rousseau, avril 2008.

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Granger, Ladislas (1885-1972)

1. Le témoin

Né le 28 janvier 1885 au village de Lancôme près de Blois, dans une famille de petits cultivateurs. Après des études primaires, obtint le certificat d’études. Devient horticulteur, travaille chez des maraîchers et chez des châtelains à l’entretien de parcs.

Service militaire du 1er octobre 1906 au 30 septembre 1908 au 113e R.I. à la caserne Maurice Saxe de Blois ; nommé caporal au bout d’un an.

À la sortie de son service militaire, s’installe dans l’Eure, comme jardinier. Il y épouse Lucie Rochard, cuisinière de château ; le 18 avril 1914 naît leur premier et seul enfant, Bernard.

Ladislas Granger est mobilisé à Blois au 313e R.I. le 4 août 1914. Il a 29 ans.

Il sert à la 18e compagnie du 5e bataillon du 313e R.I. d’août 1914 à décembre 1917. Il est alors versé au 4e Mixte de zouaves et de tirailleurs ; blessé, gazé en juin 1918 ; hôpital du Puy, puis convalescence jusqu’à fin octobre.

Au retour, après sa démobilisation le 20 mars 1919, il devient métayer, jardinier et régisseur du château de Fonthaute, à Cazoulès en Dordogne. Il meurt en 1972.

Note extraite de l’introduction : « Malgré le service de trois ans instauré en 1913 les régiments d’active n’étaient pas à effectif plein mais à la mobilisation les deux ou trois plus jeunes classes de réservistes suffisaient à les mettre sur pied de guerre et ils partaient aussitôt vers la frontière. Ensuite on « dérivait » de chaque régiment d’active un régiment « bis » dont le numéro était égal au sien augmenté de 200, d’où le 313e. Ces régiments incorporaient les réservistes plus anciens, jusqu’à la classe 1900 (et même 1899 en octobre 1914). […] on constate jusqu’à la fin que la majorité des soldats du 313e approchent de la trentaine ou souvent de la quarantaine, qu’ils sont pour la plupart mariés et pères de famille. Il faudra s’en souvenir pour comprendre l’ambiance du régiment. (p. 20-21)»

Les 2 245 soldats du 313e R.I. embarquent à la gare de Blois dans la nuit du 8 au 9 août 1914. Granger arrive à Saint-Mihiel dans la Meuse le 10 août. Concentration à Génicourt sur les bords de la Meuse entre Saint-Mihiel et Verdun. 21 août, Longuyon ; baptême du feu le 22, à Saint-Pancré près du Luxembourg belge.

Dès le 29 août, la retraite a conduit le 313e à Montfaucon ; le 2 septembre à Varennes. Après l’évacuation de l’Argonne, le régiment est à Villotte-devant-Louppy, au sud du massif. Une semaine plus tard, c’est au tour des Allemands d’évacuer l’Argonne ; le 313e reprend Clermont-en-Argonne, Vauquois et Varennes ; puis s’installe pour deux longues années dans cette région forestière (jusqu’en septembre 1916). L’Argonne fut, avec celui des Eparges, l’un des secteurs du front le plus touché par la guerre des mines et celle des gaz.

Sergent le 8 mars 1915, au retour de la bataille de Vauquois.

Secteur de Verdun : d’octobre à décembre 1916.

Chemin des Dames janvier-novembre 1917.

En novembre, les camarades de Granger sont envoyés en Italie pendant que celui-ci est en permission. Croix de guerre le 23 novembre 1917 (p. 194). Le 10 décembre 1917, le 313e R.I. est dissous ; Granger est versé au 4e Mixte de zouaves et de tirailleurs.

2. Le témoignage

Ces carnets ont été confiés par l’arrière petit-fils de Ladislas Granger à un enseignant en écho à une leçon consacrée à la Grande Guerre. Il s’agit de trois agendas 1915, 1916, 1917, remplis au jour le jour ; sont malheureusement portés manquants les agendas 1914 et 1918 ; à noter que ces carnets n’ont jamais été retouchés et probablement rarement, voire jamais, relus, ni par Granger, ni par ses proches.

Ces carnets ont fait l’objet d’une publication intégrale sous le titre : Carnets de guerre du sergent Granger 1915-1917, La Grande Guerre vécue et racontée au jour le jour par un paysan de France, présentés par Roger Girard, préface de Jules Maurin, Montpellier, E.S.I.D., U.M.R. 5609 du C.N.R.S., Université Paul Valéry, 1997.

Les lacunes peuvent être en partie comblées par les journaux de marche et d’opérations du 313e R.I. et du 4e Régiment mixte de zouaves et de tirailleurs.

En convalescence de juillet à octobre 1918. N’a pas participé aux offensives de la victoire.

3. Analyse

Combats :

À partir du 2 mars 1915, près de Vauquois (Argonne) : « 3 mars. Toute la nuit debout à veiller aux créneaux, nous sommes attaqués, mais soutenus par notre artillerie nous repoussons l’attaque, toute la journée, fusillade intense, pétard à main, grenade et crapouillots, c’est un vacarme épouvantable qui vous rend nerveux. Nous sommes bien approvisionnés, mais rien de chaud. Gniole en quantité. 4 mars. Toute la nuit en éveil et dans la journée nous attaquons après un terrible bombardement de notre artillerie ; un corps est projeté à 30 mètres de hauteur par un obus. Nous nous engageons dans un terrible corps à corps, mais nous revenons à nos positions, le terrain est couvert de cadavres. Quel terrifiant spectacle (page 35)» ; il s’agit du jour le plus meurtrier avec le 16 avril 1917.

Secteur de Verdun, octobre-décembre 1916. Janvier 1917, Champagne ; Hermonville près de Reims (3 janvier 1917) : ce séjour se distingue par sa tranquillité ; une note précise que le 313e bien qu’en ligne, n’a aucun tué du 1er janvier au 7 avril 1917 (p. 143). Voir le paragraphe sur l’offensive Nivelle.

À aucun moment, Granger n’exprime de haine pour l’ennemi ; bien que lisant régulièrement les journaux, ce paysan ne cède pas à l’hystérie vengeresse ; au contraire il plaint souvent ses vis-à-vis : « 5 avril 1915 : […] Nouvelle canonnade aussi intense qu’hier et les Boches ne doivent pas rire des 75 qui leur sifflent près des oreilles… (p. 41) » ; « 5 mai 1915. En première ligne, nous sommes assez tranquilles toute la journée, car les crapouillots ne voyagent pas, il est arrivé sans doute un accident chez les Boches, car il se produit une explosion et on entend des cris… (p. 45) » ; id. le 21 novembre 1915 (p. 75), le 22 décembre 1915 (p. 134) et le 9 février 1916 (p. 87) ; « 26 octobre 1916. […] Quel triste défilé de blessés que les brancardiers ont tant de mal à transporter à travers ce bourbier et ce terrain bouleversé par nos obus, les brancardiers boches volontaires aident les nôtres et se serrent la main après l’échauffourée passée ; quelle contradiction, c’est ainsi que la guerre dure puisque les prisonniers font la guerre encore (p. 130) » ; 29 octobre 1916 ;

Pas de grands mots non plus dans les notes quotidiennes : la patrie, la nation, la France, sont absents des carnets ; mais pas la famille pour laquelle l’attachement est si fort (p. 61, 85).

Homme de la terre, Granger est particulièrement sensible à la vie de la nature, aux ravages de la guerre portés aux arbres, aux paysages (p. 43) ; « 11 mai 1915. […] ces arbres si beaux ont péri silencieusement, le cœur traversé par la mitraille, sont restés insensibles au réveil du printemps (p. 48) ».

Comme beaucoup d’autres poilus, il vit la guerre comme un métier ; mais cela ne l’empêche pas d’être profondément traumatisé par les spectacles d’horreur auxquels il est exposé : « 2 mai 1915 : […] j’ai vu des travaux de terrassement formidables qui dépassent l’imagination, puis un Boche accroché dans un chêne, projeté et déchiqueté par l’explosion d’une mine, quel spectacle effrayant. (p. 44) » ; « 16 octobre 1916. [secteur de Verdun] […] Quel travail nous avons aujourd’hui ; il faut creuser un boyau au milieu des cadavres, c’est une infection. Quel charnier épouvantable, ce sont des morts couvert la terre, enterrés et déterrés successivement par les obus, l’air en est empoisonné. (p.129) »

Moral :

Une première notation négative à l’égard des chefs apparaît début 1916, indice d’une baisse du moral : « 3 janvier 1916. Aujourd’hui nous allons dans le ravin de 263 pour faire un réseau de fil de fer le long du ruisseau ; nous sommes près des Boches et ils nous envoient quelques coups de fusils ; il serait plus prudent d’y venir le matin ; mais nos chefs ne se rendent pas compte du danger car ils n’y viennent pas (p. 81-82) ». Plus largement, les notes quotidiennes permettent de suivre les ondulations du moral. Ainsi, avec les offensives de Champagne, grand est l’espoir d’en finir : « 22 septembre 1915. […] Nous sommes constamment en tenue d’alerte prêt à partir car la Grande Offensive est déclenchée et nous espérons être de la poursuite d’ici peu et nous irons de bon coeur ; quel soulagement de quitter l’Argonne. (p. 66-67) » ; mais très vite, le moral retombe : « 17 décembre 1915. […] toujours les mêmes occupations, les canonnades de jour et de nuit, et je me demande si ça finira un jour (p. 133) ; « 3 mars 1916. […] Journée sale et triste comme les conséquences de cette affreuse guerre… (p. 91) » ; « 29 avril 1916. […] le temps est beau et chaud et de nombreux aéros circulent en tous sens. Quel malheur de faire la guerre et de se tuer de ce beau temps, il ferait pourtant si bon vivre au pays près de ceux à qui nous pensons si souvent (p. 102) » ; « 11 juin 1916. […] Les musiques de tous les régiments viennent jouer près des lignes pour fêter la Victoire russe [en Galicie, Pologne autrichienne], quelle scène réconfortante, quel hourah dans la forêt (p. 109) » ; « 26 juin 1916. Le calme est revenu du côté de Verdun, mais hier toute la journée et surtout cette nuit, quelle canonnade, je ne me souviens pas avoir entendu pareil roulement ; quel acharnement, quelle boucherie se continue dans un acharnement sans nom… (p. 111) » ; « 7 décembre 1916. […] Les prisonniers boches de Douaumont travaillent avec nous à la réfection des routes, et nous songeons aux nôtres qui sont dans les mêmes conditions sous nos obus. Quelle cruelle et abominable guerre ; que d’atrocités (p. 136) » ; « 8 décembre 1916. […] Un obus tombe sur les Boches cantonnés dans les environs ; tués par leurs frères ; quelle guerre pleine d’horreurs (p. 137) » ; « 11 décembre 1916. […] Nous travaillons parmi les Boches à la réfection des routes, ils sont plus heureux que nous, mais c’est malheureux quand même d’être obligé de faire la guerre même étant prisonnier, il en est de même de l’autre côté (p 137) » ; « 14 décembre 1916. Nous sommes toujours terrés dans notre tranchée, les obus tombent et nous sommes enterrés plusieurs fois. C’est effrayant, et nous aspirons plus que jamais à la fin de cette guerre, de cette calamité sans nom. (p. 137) » ; « 18 décembre 1916. C’est toujours la même vie, nous faisons comme chaque nuit la corvée de ravitaillement des 1ères lignes et nous sommes bombardés chaque fois, des victimes à chaque instant. Quand finira cette terrible guerre qui dure depuis si longtemps, les 1ères atteintes de l’hiver nous font frémir en songeant à celles qui suivront. (p. 138) » ; « 13 mai 1917. Après avoir attendu avec une grande impatience une partie de la nuit, nous sommes enfin relevés et venons jusqu’à Roucy où nous passons 24 heures, nous sommes exténués de fatigues et nous dormons une partie du temps après avoir contemplé l’oeuvre de la nature, du printemps qui nous réjouit, nous égaye de sa verdure et de ses fleurs printanières ; quel dommage de faire la guerre, nous serions si heureux près des nôtres ; (p. 163-164) ». OBÉIR N’EST PAS CONSENTIR.

La mauvaise humeur à l’égard des artilleurs s’exprime à plusieurs reprises : « 28 mars 1916. […] les artilleurs ont trouvé un nouveau tir par rafales qu’ils appellent « tir de surprise » lesquels de ces tirs qui sont les meilleurs, en tous cas ils commencent à nous énerver avec leurs tirs, on est à moitié abruti, on va le devenir tout à fait.. (p. 97-98) » ; « 18 juillet 1916. […] Le soir un nouveau bombardement démolit nos tranchées à nouveau ; nous travaillons toute la nuit, nos artilleurs emm… les Boches sans relâches aussi ils se mettent en colère et nous envoient des gros calibres (p. 114.) »

Alcool : pour tenir dans les tranchées ; pour les oublier quand on est au repos ; « 4 avril 1916. […] Bonne santé, bon appétit ; nous avons du pinard acheté dans un pays à côté à 1.20 ; il y a quelques loustics ayant bu un quart de vin qui font le chahut (p 99) » ; 13 janvier 1917 : la gniole est supprimée aux armées ; approvisionnement par les permissionnaires. Cela n’empêche pas les soûleries ; voir ci-dessous le paragraphe consacré aux mutineries au lendemain de l’offensive Nivelle.

L’offensive Nivelle :

Un secret bien gardé ( !): plus de dix jours avant le 16, l’offensive fait l’objet de toutes les conversations ; « 12 avril 1916. Alerte à 4 heures, la Cie prend position dans les parallèles pour entreprendre en même temps que les autres compagnies une reconnaissance dans les lignes ennemies ; le régiment fait 40 prisonniers, mais les Boches nous en ramassent plus de 100. L’avantage est bien petit car ces prisonniers vont donner des renseignements sur nos projets d’attaque (p. 155) » ;

Le moral avant la bataille n’est pas aussi bon qu’on le lit souvent : « 7 avril 1917. […] quelques-uns ont des idées noires, d’autres se résignent à leur sort (p. 154) » ; « 11 avril 1917. Nous restons là jusqu’au soir puis à la nuit nous changeons d’emplacement et appuyons sur la droite ; la section est en réserve dans des sapes au fond desquels il y a 30 cm d’eau, il y fait un froid terrible ; c’est bien malheureux de vivre ainsi sous terre pendant qu’il fait un beau soleil dehors ; que d’idées noires nous passent dans la tête ; et nous maudissons la guerre de tout notre coeur, quelle affreuse et cruelle chose (p. 155) » ;

L’attaque du 16 avril se déroule entre Craonne et Berry-au-Bac ; 17 avril, reprise de l’attaque au Bois des boches, forêt de Ville-aux-Bois ; attitude typique des prisonniers qui ont le sentiment d’avoir terminé leur guerre : « 17 avril 1917. […] les prisonniers étaient heureux de se débiner ; ils disaient : guerre finie pour nous et ils nous donnaient des poignées de main en disant « Kamarad » Françauss bon soldat ; ils donnaient ce qu’ils avaient sur eux, tabac, couteaux, etc. (p. 159) » ;

Lendemains d’offensive : relève le 19 avril ; repos ( ?) au camp de Bourgogne : nourriture insuffisante ; exercices ridicules ; dégradation rapide du moral (p. 159-160) ; et expression de propos défaitistes : « 28 avril 1917. Pour une fois nous avons un jour de vrai repos ; seulement une revue en armes et rapport quotidien à 13 :30. Toilette ; correspondance ; lecture du journal qui n’est guère intéressant ; cette grande offensive est ratée, pourtant que d’espoirs elle avait fait naître. Aussi la confiance s’en va avec cette crainte qu’il en sera toujours ainsi et que nous ne les aurons pas par les armes (p. 160-161) » ;

1er mai, retour en ligne, dans la plaine en face de Juvincourt ; relève le 13 mai ; repos à Roucy puis à Brouillet ; citation du 313e à l’ordre de la Division (25 mai 1917, p. 165). Mutinerie : quelques lignes seulement sur ces événements dans lesquels le 313e a été fortement impliqué : « 26 mai 1917. A la suite de la revue repos pour le Régt et toutes les punitions sont levées. C’est toujours la vie de cantonnement de repos, bonne table, forts coups de pinard, c’est la liberté illusoire et bienfaisante ; […] 27 mai. Grasse matinée, déjeuner, toilette, messe. C’est la bonne vie ici, qui à notre regret touche à sa fin bonne santé ; chaleur tropicale. 28 mai. Le matin exercice de cadre pour le Régt ; puis brusquement on nous apprend notre départ pour demain matin ; tout le reste de la journée, préparatifs de départ, distributions de vivres et de cartouches, revues ; il faut se coucher de bonne heure car demain matin réveil à 3 heures. Manifestations par quelques poilus agissant sous l’influence du pinard ; nuit mouvementée, tout se calme avec un maigre résultat pour les auteurs de ce désordre ; ils s’en repentiront à bref délai. 29 mai. Départ de Brouillet à 4 heures, arrivés à la ferme de l’Orme près de Montigny à 11 heures, nous avons eu la chance d’avoir un temps couvert et favorable pour la marche, nous sommes pourtant contents d’être arrivés et de rattraper le sommeil perdu la nuit dernière ; nous sommes dans des baraquements. Des mesures sont prises pour que le désordre d’hier ne se reproduise pas, et les auteurs sont traduits immédiatement devant le conseil de guerre ; tout est calme, service de quart la nuit (p. 168)» [Le soldat Henri Valembras est condamné à mort et exécuté le 13 juin, à Roucy ; de la classe 8, cultivateur, célibataire, il a frappé un capitaine à coups de pieds et de poings] ; retour en ligne au Bois-des-Boches. Voir Denis Rolland, La Grève des tranchées. Les mutineries de 1917, postface de Nicolas Offenstadt, Paris, Imago, 2005, p. 100-101.

Surveillance des trains de permissionnaires (p. 173)

Filons :

Quitter la tranchée le temps d’un stage d’instruction est ressenti comme une aubaine : « 25 novembre 1915. Je suis désigné pour une quinzaine comme instructeur aux bombardiers de Lochères ce qui me fait bien plaisir. […] c’est un filon et quinze jours à être tranquille et à l’abri…. (p. 75) ».

Cours de signalisation à Nogent-l’Hartault du 17 septembre au 10 octobre 1917 : « 17 septembre 1917. […] après avoir rempli les formalités, je reconnais le logement et me couche content d’une 1ère journée de filon (p. 185) » ; « 19 septembre 1917. Toute la durée du cours nous faisons de la signalisation et des signaux à tour de bras. […] C’est l’école des Spécialités de la Xe Armée. La guerre ici n’est pas dure, il y a tout ce qu’il faut pour la continuer et pour tenir. (p. 185)» ; « 22 septembre 1917. […] Comme il fait bon la guerre dans ces conditions… (p. 187) » ; retour en ligne le 12 octobre dans les sapes occupées à la veille du 16 avril : « 13 octobre 1917. […] Quel dur métier ; quelle abominable chose que la guerre ; et je me couche en maudissant ceux qui l’ont déchaînée (p. 189)»

Autres notations utiles :

Première mention des gaz et des moyens rudimentaires pour s’en protéger, le 14 mai 1915 (p. 48) ; évasion d’un homme conduit au Conseil de guerre de Damery (mars 1917, p. 150-151). Bordel militaire : 28 décembre 1917 à Mourmelon (p. 199)

Pour l’Argonne, ce témoignage est à croiser avec celui d’André Pézard, Nous autres à Vauquois, Paris, La Renaissance du livre, 1918 ; réédition, Nancy, P.U.N. ; Pézard arrive dans le secteur de Granger en janvier 1915.

Frédéric Rousseau, mars 2008.

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Garrigue, Marcel (1883-1915)

1. Le témoin.

Né à Tonneins le 11 septembre 1883, issu d’une famille modeste (agriculteur et cigarier), il pratique le métier de serrurier au moment de la mobilisation d’août 1914. Marié depuis 1906 et père de famille, il est incorporé à 31 ans au 280e RI de Narbonne (régiment de réserve), le même régiment alors que celui du tonnelier Louis Barthas, comme lui soldat ordinaire.

Il est tué à l’ennemi le 12 décembre 1915 à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais, sans avoir revu sa famille, qui l’attendait pourtant pour sa première permission (voir la notice Garrigue, Victoria).

2. Le témoignage.

Marcel Garrigue a tenu une correspondance nourrie avec sa femme et sa famille pendant toute la durée de sa présence au feu.

Une de ces lettres, marquante puisqu’il y décrit l’exécution d’un soldat pour l’exemple (31 juillet 1915) a été publiée dans Paroles de Poilus. Lettres et carnets du front 1914-1918, Paris, Librio-Radio France, 1998. « C’était pour fusiller un pauvre malheureux qui dans un moment de folie, tant que nous étions à Lorette, a quitté la tranchée et a refusé d’y revenir ». Cérémonial réglé, « le crime était accompli ». Alain Glayroux a pu récupérer une grande partie des lettres de Marcel Garrigue et les réponses envoyées par sa femme, ainsi que le carnet de guerre qu’il tint du 29 août au 9 novembre 1914, et les présenter au public dans un recueil Portaits de Poilus tonneinquais, publiées aux éditions La mémoire du Fleuve en 2006. Grâce à son intervention, les Archives départementales de Lot et Garonne possèdent désormais ce fond en version numérisé, ce qui permet de pouvoir suivre l’itinéraire de ce soldat lambda plongé dans un conflit dont très rapidement il ne comprend pas le sens.

3. Analyse

A maints égards, cette correspondance de ce soldat du Sud Ouest peut être rapproché des cahiers du caporal Barthas. Mobilisé dans le même régiment au début de la guerre, Garrigue n’hésite pas à se plaindre du froid ou des combats, de la guerre qui dure, « je pense bien que bientôt finira il le faudra bien pour tout le monde » (18 octobre 1914). L’univers des tranchées déstructure le temps (à plusieurs reprises, il se plaint de ne pas pouvoir suivre le mouvement des jours) et oblige les hommes au confinement (lettre du 20 décembre 1914). Il reçoit très régulièrement des nouvelles de sa femme et de ceux du pays mobilisés comme lui, mais aussi des « boîtes de pâté » et des « prunes » afin d’améliorer l’ordinaire. Il évoque un réveillon de Noël pendant lequel Français et Allemands communiquent, certains de ces derniers profitent de l’événement pour se rendre, ils sont alsaciens ou connaissent la France. Le régiment de Garrigue, en Artois fin 1914, se trouve à proximité des troupes anglaises et rentre en contact avec les Ecossais dont les « conserves » semblent meilleures que celles des Français. Il écrit d’ailleurs à sa femme qu’il s’est fait des « camarades anglais ». On retrouve dans ses propos quelques thématiques communes aux témoins versés dans l’épistolaire : trouver les bonnes cartes postales, commentaires sur les colis envoyés et la vie du village, attente de la permission. Les lettres de Marcel montrent, au-delà de ces quelques remarques, un besoin de dénoncer la guerre, et de croire en une fin prochaine, continuellement phantasmée (lettre du 17 janvier 1915, la guerre doit finir à Pâques), jusqu’à la disparition de Marcel en décembre 1915. Il reproche à sa femme de croire ce que disent les journaux.

Son carnet est beaucoup plus centré sur le quotidien militaire : départ, changement de cantonnements (Vosges, puis Artois), bombardement, tranchées, attaques (dont celle de Vermelles qu’évoque Louis Barthas au début d’octobre 1914, et à la même période), celle d’Annequin où les ordres d’attaque ne peuvent pas être suivis par le commandement.

Alexandre Lafon, février 2008.

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Clerfeuille, Paul (1885-1983)

1. Le témoin.

Né le 13 décembre 1885 à Gençay (Vienne), Paul Clerfeuille a 34 ans lorsque la guerre est déclarée. Marié, père d’un enfant et dans l’attente d’une deuxième naissance, il exerce le métier de roulier à Civray. Classe 1905, il a effectué son service militaire et était rappelé à plusieurs reprises pour des périodes d’exercices (1911 et 1912 notamment au 107e RI d’Angoulême et au 325e RI de Poitiers). Il fait donc partie, à l’instar de Louis Barthas de ces « simples soldats d’origine populaire », installés dans la vie civile et précipités dans la guerre. Témoins précieux qui viennent contrebalancer les récits de soldats plus jeunes, et plus lettrés.

2. Le témoignage.

Il est constitué d’un manuscrit épais de plusieurs dizaines de pages, lui-même dactylographié. Son « livre », composé à partir des carnets originaux abîmés, transportés pendant la guerre dans les poches ou la musette et conservés par la famille, est conçu comme un témoignage pour la jeunesse, il s’adresse d’ailleurs à plusieurs reprises au lecteur dans le corps du texte. Ecrit au présent, le récit est très bien daté : on y suit presque jour pour jour les quatre ans et demi de campagne du soldat Clerfeuille, conducteur, ravitailleur ou combattant en première ligne. En effet, mobilisé du 5 août 1914 au 11 mars 1919, il est d’abord affecté au 325e RI. Malade pendant presque toute l’année 1915, il part pour Salonique en janvier 1916. Evacué en juillet, il est en Champagne en novembre avec le 273e RI puis participe à l’offensive du 16 avril 1917. Il tient ensuite un secteur près de la frontière belge pour revenir dans l’Aisne. En mai 1918, il participe à la défense de Chézy entre Villers-Cotterêts et Château-Thierry, et tient les lignes en Alsace d’août à octobre 1918, puis vers la frontière belge où il se trouve le 11 novembre 1918.

Plusieurs parties du texte ont été publiées. Dans Journal de guerre d’un poilu civraisien, présenté par Gérard Dauxerre, Civray, Les Amis du pays civraisien, 1994, 118 p., l’auteur cite largement le récit de Clerfeuille mais dans une approche thématique. Alors que Rémy Cazals, tout en présentant le profil et le parcours du combattant Paul Clerfeuille, publie des extraits couvrant la période de février à mai 1917 : « Un simple soldat sur le Chemin des Dames : Paul Clerfeuille », dans OFFENSTADT Nicolas (dir.) Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 152-175.

3. Analyse

Pour Paul Clerfeuille, la guerre apparaît comme un « fléau » (p. 214 exemplaire dactylographié), et ce dès la première épreuve du feu où le soldat découvre le mortel champ de bataille (essentiellement du fait des balles de mitrailleuses) : « Quel désolation ! ». Son récit est surtout descriptif : les lieux, les noms des protagonistes, les faits militaires bruts. Il évoque les rumeurs (filles violées, civils exécutés), relève les anecdotes, s’intéresse aux conditions météo. Il décrit les paysages rencontrés (à la fois vers la ligne de front, mais lorsqu’il traverse la France – passage par Toulouse, Bordeaux, Agen (p. 69)), notamment lorsqu’il débarque à Salonique (visites touristiques, découverte des coutumes locales). Mais parfois pointe çà et la des réflexions sur les chefs : ainsi, en évoquant un capitaine « célibataire de 42 ans, officiers de réserve, châtelain ruiné (…) », « encore un qui par plaisir a fait souffrir des hommes, (…). » (p. 72). Son témoignage sur l’offensive du 16 avril 1917 montre en amont les préparatifs, l’intense activité des secteurs devant le Chemin des Dames et les nombreuses victimes de l’offensive perçue rapidement comme un échec. En aval, il est frappant de lire une sorte de retour au calme après que le régiment ait été changé de secteur, et de voir augmenter de façon significative le nombre de permissions accordées pour la fin de l’année 1917.

Dans son récit, le « je » s’éclipse pour laisser la place au « nous », un « nous » générique qui englobe les soldats de son régiment et de sa compagnie. Quelques termes comme « camarades » ou « copains » émergent parfois. Les personnes nommées sont essentiellement les officiers. Au-delà de thèmes comme la vie au front, les déplacements continus, les patrouilles, coups de mains, il note les effectifs réduits des compagnies en 1918 (p. 151) et s’intéresse beaucoup à l’activité de l’aviation, raconte en détails le jour de la signature de l’armistice et la manière dont il fut vécu sur le terrain (p. 213), puis évoque la fin de l’année 1918 et début de l’année 1919 (Marne, Lorraine, Alsace, Allemagne – beaucoup de visites et de descriptions des régions occupées).

Alexandre Lafon, février 2008.

Photo de deux pages du carnet de Paul Clerfeuille dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 137.

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Gabard, Ernest (1879-1957)

Aquarelle n°12 des Carnets d’Ernest Gabard, 27 décembre 1915

1. Le témoin

Né le 19 mai 1879 à Pau (Basses-Pyrénées, aujourd’hui Pyrénées Atlantiques). Ecole des Beaux-Arts à Paris. Revenu à Pau comme sculpteur. Après la guerre, de retour dans le Sud-Ouest, il réalisa une quinzaine de monuments aux morts qui, d’après les éditeurs du livre cité ci-dessous, participent « de la réprobation silencieuse de cet artiste patriote face à la guerre ».

2. Le témoignage

Ernest Gabard, Carnet de guerre, Aquarelles, novembre 1915 – avril 1916, Pau, CDDP des Pyrénées Atlantiques, 1995, 60 p.

Sergent au 270e RI, il avait sur lui un petit carnet (format 18×14), support de 42 aquarelles. L’édition est due au travail de professeurs d’histoire et de géographie et d’arts plastiques, avec le concours du CDDP de Pau.

3. Analyse

Ces aquarelles donnent à voir les tranchées, les sapes et les abris, les bombardements, la protection contre les gaz, le cantonnement et les loisirs, les blessés et les postes de secours, l’appel après une attaque. En Argonne, entre Sainte-Ménehould et Verdun (carte de localisation, p. 51) entre novembre 1915 et avril 1916.

Aquarelle n°14 des Carnets d’Ernest Gabard, 29 décembre 1915.

Rémy Cazals, 11/2007

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Gueugnier, Charles (1878- )

1. Le témoin

Charles Gueugnier est né le 5 novembre 1878 à Sétif (Algérie) de François Gueugnier et Carmen Calleya. A 20 ans, il part en Angleterre où il est cuisinier. La guerre le surprend chef de cuisine de l’amiral anglais Berkeley-Milne commandant en chef de l’escadre britannique en Méditerranée. Ce dernier lui propose d’être incorporé dans les forces britanniques mais il décline la proposition et rejoint son régiment, le 4e Zouaves, le 3 août 1914. Charles Gueugnier, fait prisonnier le 12 octobre 1914 au Chemin des Dames, est interné au camp de Merseburg (Saxe). En mai 1918, bénéficiant des accords de Berne, il est libéré du camp et transféré en Suisse, en semi-liberté. Il rentre en Algérie à la fin de 1918, mais sa trace est perdue après la guerre.

2. Le témoignage

A partir du 12 octobre 1914, Charles Gueugnier écrit tous les jours sur des feuillets qu’il cache. Il les recopie sur des cahiers pendant son séjour en Suisse à partir du 4 juin 1918 et continue à écrire régulièrement en Suisse, plus épisodiquement après son retour en Algérie jusqu’à sa démobilisation le 3 mars 1919. Ces neuf cahiers ont été conservés par la famille. De larges extraits des cahiers ont été publiés sous le titre Les carnets de captivité de Charles Gueugnier 1914-1918, présentés par Nicole Dabernat-Poitevin, Toulouse, Accord édition, 1998, 239 p., illustrations.

3. Analyse

La durée du séjour, 4 ans, dans le même camp est tout à fait exceptionnelle et apporte un intérêt accru à son témoignage. Le souci continuel de l’auteur de préserver ses notes souligne sa volonté de ne rien oublier de ses années d’enfermement. De son poste d’observation, de sa situation particulière d’interprète (puisqu’il parlait anglais), il donne une photographie du camp dans le temps, en montrant les liens ou l’animosité entre les prisonniers de différentes nationalités, selon l’importance des groupes, mais aussi l’évolution des rapports entre les prisonniers et les Allemands. A travers ses notes, on repère les différents mouvements de prisonniers vers d’autres camps ou détachements de travail. Le moral des troupes françaises affleure avec l’arrivée de nouveaux prisonniers qui sont, pour ceux du camp, une source d’information sur l’évolution de la guerre. Il note scrupuleusement la météo quotidienne et les menus. Très affecté par une faim permanente, il dresse un panorama de toutes les aides destinées aux prisonniers à travers ses attentes de colis, des envois de pain et des avatars de l’acheminement. On retrouve, comme souvent dans la littérature des prisonniers, les distractions du camp, le commerce interne voire un marché aux puces. Pendant son séjour en Suisse, il décrit les ravages de la grippe parmi les prisonniers qui avaient bénéficié d’un internement ou d’une hospitalisation dans ce pays.

Ce témoignage fourmille de détails au quotidien qui donnent un bon aperçu de la vie d’un camp de prisonniers de guerre.

Nicole Dabernat-Poitevin, 12/2007

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Vandrand, Élie (1893-1916)

1. Le témoin

Né le 30 septembre 1893 à Antoingt (Puy-de-Dôme) dans une famille de cultivateurs bientôt installés comme fermiers à Vodable près d’Issoire. Certificat d’études primaires. Il est en train d’effectuer le service militaire au 105e RI lors de la mobilisation.

2. Le témoignage

« Il fait trop beau pour faire la guerre », Correspondance de guerre d’Élie Vandrand, paysan auvergnat (août 1914 – octobre 1916), réunie et présentée par Marie-Joëlle Ghouati-Vandrand, Vertaizon, La Galipote, 2000, 335 p., illustrations. Les 288 lettres écrites à ses parents constituent un de ces témoignages longtemps restés dans les armoires des familles paysannes et qui sortent enfin pour nous donner leur vision de la guerre.

3. Analyse

Elie Vandrand ne part qu’avec le régiment de réserve, le 305e. Sergent en mai 1915. Dans l’Aisne de septembre 14 à février 16 ; en Champagne de février à mai 1915 ; à Verdun en juin ; dans les Vosges de juillet à septembre ; à nouveau à Verdun où il est tué le 26 octobre 1916 au nord-ouest du fort de Vaux.

Comme Louis Barthas, Élie Vandrand décrit les brimades et les exercices stupides, le gaspillage de vies humaines, les trêves tacites, les stratégies d’évitement et le patriotisme des embusqués, les mensonges des journaux, la précoce démoralisation, le grand désir de paix. La patrie, c’est « le pays », c’est-à-dire Vodable, la famille, les amis, le ferme et le travail des champs : « Je m’intéresse davantage à ce que vous faites au pays qu’à veiller le boche. »

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Chaïla, Xavier (1886-1961)

1. Le témoin

Né le 7 mai 1886 à Brousses (Aude), fils d’Auguste Chaïla et de Marie Sagnes. Sorti de l’école primaire avec un bon niveau, mais sans le certificat d’études. Travaille au moulin à carton de son père. Célibataire en 1914. Son frère cadet Louis est tué le 25 juin 1917 à Hurtebise sur le Chemin des Dames. Xavier Chaïla a obtenu une citation à l’ordre de la Division, portée sur sa fiche matricule : « Brancardier très courageux et dévoué, s’est distingué dans la période du 16 au 28 avril 1917 en soignant et en transportant un grand nombre de blessés sous un violent feu d’artillerie. Croix de guerre et droit au port de la fourragère. » Après la guerre, il se marie et reprend le moulin à carton jusqu’à sa retraite en 1948. Il meurt à Brousses le 8 octobre 1961. Son petit-fils a relancé au moulin la fabrication de papier à l’ancienne.

 

2. Le témoignage

C’est à Craonne, sur le plateau… Journal de route 1914-15-16-17-18-19 de Xavier Chaïla, présenté par Sandrine Laspalles, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1997, 112 p., illustrations.

Simple soldat, non professionnel de l’écriture, Xavier Chaïla eut un grand souci de préserver ses notes, puis de les recopier au propre pour en faire un récit continu. Sa famille a conservé trois versions successives du texte : sans qu’il y ait de différence fondamentale entre elles, on peut cependant en étudier les variantes et les inflexions.

 

3. Analyse

Xavier Chaïla part dans le 1er Hussards, puis passe au 8e Cuirassiers (mai 1916), régiments qui doivent abandonner les chevaux pour combattre dans les tranchées dans les Vosges et en Lorraine. L’expérience la plus largement décrite est l’offensive du 16 avril 1917, sa préparation, les effets de « la bataille de Craonne ». Xavier Chaïla se trouve précisément à l’est du plateau ; il cite abondamment Berry-au-Bac (en décrivant les tanks incendiés), la ferme du Choléra, la montagne de Reims, puis le mont Cornillet. Il est alors brancardier. En 1918, le voici en Champagne et dans la Somme. Evacué en avril pour maladie, il revient en mai (bataille de Villers-Cotterêts) ; en juillet il est à Verdun puis participe à la poursuite. Le 11 novembre, à Mézières, il décrit des « exécutions » : « La population faisait justice de ceux qui avaient fraternisé avec les Boches pendant l’occupation ou qui avaient servi d’espions. » Les dernières pages concernent l’installation sur la rive droite du Rhin. L’auteur livre un récit très simple, contenant peu de prises de position, qui contribue à la connaissance de la guerre vécue par les simples soldats. Il se termine ainsi (21 mars 1919) : « Le cauchemar est fini. Une vie nouvelle qui va recommencer, et le plus beau pour les survivants de l’hécatombe : La Liberté. »

 

4. Autres informations

– Registre matricule, Archives de l’Aude, RW520.

– Sandrine Laspalles, Un cartonnier sur le plateau de Craonne. Journal de Xavier Chaïla (1914-1918), mémoire de maîtrise, Université de Toulouse II, 1997.

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Bousquet, Joseph (1889-1917)

 

1. Le témoin

Né en 1889 à Villelongue-lès-Béziers (Hérault) dans une famille de viticulteurs aisés. Catholique pratiquant et même dévot. Marié en 1912, deux enfants. Joseph Bousquet est tué le 20 août 1917 lors d’une attaque à Samogneux (Meuse). Sa tombe n’a pas été retrouvée.

 

2. Le témoignage

Joseph Bousquet, Journal de route 1914-1917, Bordeaux, Éditions des Saints Calus, 2000, 115 p., illustrations. Postface de C. Malécot.

 

3. Analyse

Joseph Bousquet arrive dans la zone du front en Lorraine le 10 août 1914 avec le 55e RI qui va ensuite dans les parages de Verdun, puis en Argonne au printemps 1915, en Champagne en septembre. Comme Barthas, il est à la cote 304 à Verdun en mai 1916. Il a été successivement brancardier, ordonnance d’un lieutenant, mineur, simple soldat au petit poste (« on les entend tousser »), caporal en novembre 1915.

Sur ses carnets, il note sa compassion pour les habitants chassés de leurs villages détruits, pour les morts français et allemands. Il décrit l’exécution d’un déserteur. Il rapporte les mêmes brimades que Barthas et dénonce les pressions exercées sur les combattants pour qu’ils souscrivent à l’emprunt de Défense nationale, et le gouvernement français (« bandits ») qui refuse les négociations de paix en décembre 1916. Dès la fin d’août 1914, il dit son horreur de la vie qu’il est obligé de mener ; il le répète à plusieurs reprises et signale la démoralisation précoce des soldats qui marchent quand même : « Tout le monde demande la paix à grands cris, moi le premier » (8 janvier 1915).

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Caubet, Georges (1887-1964)

1. Le témoin

Né à Toulouse le 12 octobre 1887. Fils de Baptiste Caubet, cheminot, et de Marie Ponsole, qui tient un petit café-restaurant. Ecole normale de Toulouse, de 1904 à 1908. Instituteur à Lagraulet en 1908. Marié, il a une fille unique. Sergent au 214e RI, 67e Division, celle du docteur Paul Voivenel. Après la guerre, instituteur à l’école de garçons de Fenouillet (Haute-Garonne), de 1919 à 1926, puis à Toulouse. Georges Caubet est mort à Toulouse le 9 mars 1964.

2. Le témoignage

Georges Caubet, Instituteur et sergent, Mémoires de guerre et de captivité, présentés par Claude Rivals, Carcassonne, FAOL, collection « La Mémoire de 14-18 en Languedoc », 1991, 135 p., illustrations.

De ses notes prises pendant la guerre, Georges Caubet a tiré trois récits rédigés : « Mes souvenirs sur Verdun – Cumières, Chattancourt, le Mort Homme » (février-mars 1916) ; « Comment je fus fait prisonnier » (8 juin 1918) ; « Six mois de captivité » (juin-décembre 1918). On sait par ailleurs qu’il fut blessé par éclat d’obus le 13 septembre 1916.

Important appareil critique par Claude Rivals, professeur de sociologie à l’université de Toulouse II.

3. Analyse

Le récit de Georges Caubet contient une description « classique » de l’enfer de Verdun, puis du poids de la faim en Allemagne, sur les civils, les soldats, les prisonniers. Il se caractérise par les jugements les plus variés sur les Allemands (combattants et gardiens, soldats et officiers, civils et civiles…) en fonction des multiples situations vécues sur le front, en marche vers la captivité, au travail près des lignes de tranchées en contravention avec les conventions de La Haye, enfin dans les camps de Dülmen et de Cottbus.

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