Gilbert Badia, Le Spartakisme, Les dernières années de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht

Gilbert Badia, Le Spartakisme, Les dernières années de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, Éditions Otium, 2021, préface de Nicolas Offenstadt, 616 pages.

Le premier contact avec ce livre, c’est celui de la très belle illustration de couverture inspirée d’une photo de janvier 1919. C’est ensuite le souvenir d’autres ouvrages de Gilbert Badia sur Rosa Luxemburg, sur Clara Zetkin, sur les spartakistes dans l’intéressante collection « Archives » des années 1960, dont un article du Monde des Livres (19 mars 2021) sur Pierre Nora nous apprend qu’elle était dénigrée par François Furet. Le livre dont il va être question a été publié par Badia en 1967 et il était devenu introuvable. La réédition actualise l’information qu’il apporte, et une préface de Nicolas Offenstadt facilite l’entrée dans un texte clair (quel plaisir de lire un livre écrit sans jargon !) et bien documenté. Le préfacier s’est d’ailleurs employé à rester sur le même plan. Très fluide, la préface se nourrit cependant à toutes les sources : bibliographie récente en langue allemande, archives de la Stasi comme du Parti communiste français, témoignages oraux de personnes ayant connu Gilbert Badia (1916-2004).

La première partie du livre débute au 4 août 1914 ; l’assassinat de Karl et de Rosa a lieu le 15 janvier 1919. Si les membres du CRID 14-18 ont toujours montré que leur intérêt pour l’histoire dépassait la seule période de la Première Guerre mondiale, on est bien obligé de constater ici que l’histoire du spartakisme en fait intégralement partie. L’acceptation de la guerre par les chefs du parti social-démocrate est considérée par les futurs spartakistes comme une trahison de la cause du prolétariat et des décisions des congrès de l’Internationale. Le SPD vote les crédits de guerre et, par discipline, Liebknecht s’incline. Par la suite, il dira son erreur et son acceptation des reproches qu’on pourrait lui faire.

Bientôt cependant, Karl, Rosa, Franz Mehring, Clara Zetkin affirment leur désaccord avec la direction du SPD. Député, Liebknecht vote contre de nouveaux crédits de guerre en décembre. Les contestataires publient avec beaucoup de difficulté la revue L’Internationale, puis les Lettres de Spartacus à partir de septembre 1916, et ensuite Die rote Fahne (Le Drapeau rouge). Trois tendances se manifestent au sein de l’ancien SPD : la majorité qui soutient l’Union sacrée ; les dissidents qui vont former le SPD indépendant ; les spartakistes. Mais Badia a bien raison de montrer qu’au début de multiples passerelles existent entre les trois groupes, d’autant que « chaque courant principal se subdivise en réalité en une série de petits ruisselets qui, tantôt se regroupent, se fondent, tantôt se séparent de nouveau » (p. 117). Ce passage est typique du nécessaire sens des nuances et des réalités concrètes que doit montrer un historien. En même temps, Badia souligne aussi l’attitude aberrante de certains minoritaires pressés « d’excommunier ».

Les spartakistes sont pourchassés par la police, emprisonnés, les hommes mobilisés dans l’armée impériale. Rosa Luxemburg passe presque toute la période de guerre en prison. Le livre nous fait connaître d’autres militants et militantes jusque là ignorés, comme Käthe Duncker dont les lettres à son mari constitueront un intéressant apport au dictionnaire des témoins du CRID 14-18. Elle décrit son activité inlassable et son extrême fatigue. Ses trois enfants étant casés, elle pense que la prison, après tout, lui fournirait le repos nécessaire (p. 147). Le 1er mai 1916, Potsdamer Platz, au cœur de Berlin, dans une grande manifestation que la police n’a pu empêcher, Liebknecht crie « À bas la guerre ! Vive la Paix ! Vive l’Internationale ! » Il est arrêté et condamné à quelques années de bagne. Adversaire de Liebknecht, Karl Kautsky reconnait en août 1916 : « Les masses mécontentes n’entendent rien au détail de sa politique, mais voient en lui l’homme qui agit pour faire cesser la guerre, et, pour elles, c’est actuellement l’essentiel » (p. 163). [J’ajoute que des combattants français, même, ont associé Liebknecht et Jaurès, deux hommes qui luttaient contre la guerre. Je cite ici une phrase du dernier chapitre de ma biographie de Jaurès parue en 2017 : « Prisonnier à Pforzheim, Léon Bronchart explique au gardien-chef que la guerre n’aurait pas eu lieu si les Allemands avaient suivi Liebknecht et si les Français avaient écouté Jaurès. »]

Les années 1917 et 1918 voient l’accroissement des difficultés de l’Allemagne à cause du blocus. Les grèves se font plus nombreuses. La défaite de l’armée et les négociations avec Wilson et les Alliés provoquent l’affaiblissement du gouvernement impérial. Liebknecht est libéré. En même temps, joue l’influence de la révolution russe, ce qui conduit Badia à une comparaison entre spartakistes et bolcheviks (chapitre XII). Même si des divergences existent entre eux, il est clair que « la révolution russe a montré le chemin » (p. 230). Les spartakistes jouent un rôle important dans la révolution allemande de novembre 1918 et dans la fondation du Parti communiste (KPD Spartakusbund). Mais la révolution est confisquée par les dirigeants du SPD, « ces révolutionnaires malgré eux » (p. 260) dont les mots d’ordre « répondent au besoin de tranquillité, de calme qui habite le cœur de tant d’Allemands – ouvriers et soldats inclus – après quatre ans de guerre, de souffrances, de misère » (p. 273).

On connait le dénouement de janvier 1919. Du SPD à l’extrême droite, c’est un déferlement « d’une violence inouïe » contre les spartakistes. Avec la complicité des SPD Noske, Scheidemann et autres, les corps francs déchainent sur Berlin « la semaine sanglante » qui voit, entre autres, l’assassinat de Rosa et de Karl. Le fossé creusé entre SPD et KPD affaiblira la résistance à opposer aux progrès du nazisme.

La dernière partie du livre est un « essai d’analyse ». Trois chapitres présentent : 1) la force réelle du mouvement spartakiste, minorité très active, mais minorité ; 2) l’origine sociale des militants (ouvriers, classes moyennes, intellectuels) ; 3) les caractères essentiels du spartakisme. Le grand problème était celui de la clarté et de l’unité. En choisissant la clarté des positions théoriques, on reste une minorité et la révolution échoue. Si on choisit l’unité avec les majoritaires du SPD, l’effectif se renforce mais les mous font échouer la révolution. Les spartakistes sont conscients que celle-ci ne peut venir que de l’action de masse d’un prolétariat éduqué. Mais, après les horreurs de la guerre (sur le front et à l’arrière), la majorité du peuple allemand aspire à la tranquillité, à la fin des violences. De cela, les leaders spartakistes sont conscients, tout en étant obligés de dire pour motiver leurs troupes : « On n’arrête pas la marche d’airain de la révolution » (p. 401).

Le livre se termine avec la transcription de 130 pages de documents précieux, des repères biographiques et chronologiques, une bibliographie, un index des noms de personnes, un mot de l’éditeur expliquant sa démarche, un cahier de photos.

Ce n’est pas en quelques lignes que l’on peut révéler toute la richesse d’un livre qui est une réussite à saluer. Il faut le lire. L’histoire de la période 1914-1919 ne se limite pas à des événements strictement militaires ou diplomatiques. L’étude du mouvement spartakiste fournit un éclairage indispensable non seulement sur l’histoire intérieure de l’Allemagne, mais aussi sur la dimension internationale.

Rémy Cazals

Brefs souvenirs 12/12 La Grande Collecte

Dans son livre fondamental, Témoins, publié en 1929, Jean Norton Cru avait analysé 300 livres de témoignages publiés par 250 combattants de 1914-1918 (voir la chronique Brefs souvenirs 2/12). Et il avait signalé l’existence de très nombreux autres textes qui pourraient sortir un jour des greniers. Il le précise à deux reprises : « la masse énorme de documents personnels manuscrits qui dorment dans les tiroirs de presque toutes les maisons de France » (p. 265) et « il y a en France plusieurs millions de liasses de lettres de guerre dans les tiroirs » (p. 492).

La sortie au jour des documents personnels des « gens ordinaires » s’est effectuée lentement, depuis 1929. Notre livre collectif 500 témoins de la Grande Guerre et le dictionnaire des témoins en ligne sur notre site ont bien montré la floraison de publications et de dépôts en Archives publiques à partir du dernier quart du XXe siècle. Les Archives départementales de l’Aude ont, par exemple, numérisé les originaux du tonnelier Barthas conservés pendant longtemps dans une boîte en carton dans un placard et dont les éditions successives ont dépassé le tirage de 150 mille exemplaires. L’abondante correspondance croisée de la famille Papillon, trouvée dans une malle dans le grenier de la maison familiale à Vézelay, a été déposée par Antoine Bosshard à La Contemporaine (ex BDIC, voir le site www.lacontemporaine.fr). Une opération systématique a été lancée en 2013 par les Archives de France et la Bibliothèque nationale, en collaboration avec la Mission du Centenaire, invitant les particuliers à apporter en dépôt public leurs documents familiaux sur la guerre de 1914-1918. Dans le livre dont la couverture illustre ce « bref souvenir », les organisateurs indiquent le chiffre de 325 mille documents numérisés et invitent à consulter le site www.lagrandecollecte.fr.

Reste à digérer cette masse considérable, à contextualiser les témoignages. Identifier les individus : âge, situation familiale, milieu social, études, attitude religieuse, engagement politique… Pour les militaires : arme, grade, durée de l’expérience guerrière, secteurs… Et pour tous, définir les conditions de l’écriture, le moment, la mise au propre par les bons élèves de l’école primaire, en tenant compte, dans les correspondances, de la censure et de l’autocensure. Les témoins rassemblés par la Grande Collecte auront peut-être un jour une notice dans notre dictionnaire en ligne.

Celui-ci s’étoffe régulièrement grâce à un travail collectif. Nos remerciements vont en particulier à Isabelle Jeger et à Vincent Suard, auteurs de nombreuses notices de combattants et de civils français. Francis Grembert nous a envoyé plusieurs textes sur des témoins britanniques. Nous venons de recevoir la contribution de Romain Fathi sur le dessinateur australien Will Dyson. Après la notice sur la reine Marie de Roumanie (photo ci-dessous), Dorin Stanescu en annonce d’autres sur les témoins de son pays qu’il avait déjà évoqués dans sa communication au colloque de la Mission du Centenaire sur les batailles de 1916. Ainsi se confirme le caractère international de notre CRID 14-18.

Rémy Cazals

Récit de l’excursion faite par les élèves de l’École Normale de Laon, au Chemin des Dames le 27 juin 1920

Présentation

Nous avons travaillé sur deux témoignages totalement différents retraçant l’un et l’autre une visite sur le Chemin des Dames en septembre 1919 et juin 1920.

Le premier est celui d’Yvonne Bufaumème, une jeune parisienne de 25 ans qui s’y rend en voyage organisé par le biais de la Compagnie des Chemin de Fer du Nord, le 6 septembre 1919. Cet écrit testimonial est issu d’un journal intime et relate, dans le détail, ce que nous avons nommé « une visite-marathon » d’une durée d’une journée, avec départ et retour en gare de Paris-Nord. Son analyse a fait l’objet d’une publication1.

Le second témoignage que nous présentons ici est à la fois proche temporellement et géographiquement du premier. Toutefois, des rapprochements et des dissemblances s’imposent. Ce « récit » est le compte rendu d’une excursion de jeunes élèves-instituteurs de l’École normale de Laon accomplie à la date du 27 juin 1920. Il est conservé à La Contemporaine sous la cote F/DELTA/1126/72. Il est manuscrit et comporte une dizaine de feuillets accompagnés de trois photographies et d’un plan de l’excursion3. Disons-le d’entrée, il n’a pas la qualité émotionnelle ni d’observation fine de celui d’Yvonne Bufaumène. C’est un compte rendu qui possède donc la sécheresse de ce type d’écrit, même s’il est longuement rédigé par une écriture soignée et assez serrée. Il est l’œuvre d’un des élèves- instituteurs du groupe qui a pris part à cette journée d’excursion et l’une des légendes des photographies nous indique qu’il a été rédigé par « l’élève de première année Lemaître4 ». Ces élèves- instituteurs sont accompagnés du directeur de l’École normale de Laon, « M. Fusy » et l’archiviste du département de l’Aisne, « M. Broche ». La visite était donc encadrée et séquencée par une autorité hiérarchique, avec l’intervention particulière d’un « professeur » (« M. Corriges ») muni d’une carte visant à expliquer dans le détail les combats de 1814 autour de Craonne et Hurtebise.

D’un point de vue strictement géographique, les deux témoignages se complètent car, là où Yvonne Bufaumème part de la gare de Coucy-Le-Château pour aller explorer les contrées dévastées de l’ouest du Chemin des Dames avec un retour prévu en gare de Soissons, le « récit » que nous présentons ici s’attache plus à explorer la partie orientale du même lieu. Le premier évoque une véritable sidération à la vue des dévastations, le second est plus mesuré et beaucoup moins émotionnel. Yvonne Bufaumène est une jeune parisienne qui découvre pour la première fois, cinq ans après le début du conflit, l’ampleur des dégâts dont elle a entendu parler tant par la presse5 que par les blessés qu’elle a soignés durant le conflit. Nos normaliens, dont une bonne partie doit être originaire du département de l’Aisne, ont déjà été forcément confrontés au navrant spectacle des ruines.

Mais ce qui rapproche certainement le plus ces deux témoignages, c’est la mise en scène et la scénographie imposée aux uns comme aux autres. Visiblement, le but de ces premiers pèlerinages dans ce que Rolland Dorgelès nommera en 1923 avec son RéveildesMorts,les « pays aplatis6 », a pour but de sidérer le spectateur face à l’ampleur des ravages causés par la guerre. La visite d’une touriste ou de ce groupe de normaliens est pensée, construite par les différents acteurs qui les emmènent, pour être avant tout édifiante. Le contenu de la fin du témoignage que nous présentons ici montre, à l’évidence, la volonté d’inculquer aux futurs élèves par le biais de ces jeunes enseignants, une forme de justification de l’existence du conflit par la prise en compte de visu de l’ampleur des dégâts causés par l’ennemi d’hier. Rien n’est ici neutre et toute la scénographie que nous évoquions plus haut est pensée pour être « frappante », et ce, afin de marquer les esprits à jamais par un spectacle de désolation totale. Les premiers pèlerins des champs de bataille de la Grande Guerre doivent repartir de leur périple mentalement transformés par ce qu’ils ont vu. Et ils voient beaucoup, mais que ce soit notre jeune parisienne ou nos normaliens, seuls leur regard est sollicité, voire comme c’est le cas dans ce deuxième témoignage, encadré par un discours général (et hiérarchique) sur les guerres et leurs effets7. Ni l’une ni les autres n’échangeront le moindre mot avec les « sinistrés » revenus vivre dans ces contrées absolument dévastées et presque vides de toute vie. En mesurent-ils toute la difficulté ? Rien n’est moins sûr tant le rythme de visite qui leur est imposé par les organisateurs est contraignant.

1 Jean-François Jagielski, « Un pèlerinage dans les « pays aplatis » : l’excursion d’Yvonne Bufaumène sur le Chemin des Dames » in Yves-Marie Evanno et Johan Vincent (dir.), Tourisme et Grande Guerre. Voyage(s) sur un front historique méconnu de la grande Guerre (1914-2019), Codex, 2019, pp. 269-281

2 Nos remerciements à Thierry Hardier qui nous l’a fait connaître. Nous l’avons dactylographié dans son intégralité.

3 Nous ne pouvons les reproduire ici pour des questions de droits. Deux photographies d’assez mauvaise qualité fixées au feuillet 6 représentent pour l’une trois membres du groupe près de l’épave d’un char d’assaut et pour l’autre un sentier qui gravit les pentes du plateau de Californie. Ces deux photographies sont légendées de la manière suivante : « Photo au-dessus : l’un des tanks des environs de la ferme du Temple. L’élève de 1ère année Lemaître, rédacteur du présent récit, s’y trouve par hasard appuyé de la main gauche – Ci-dessous : Craonne au Plateau de Californie ». La troisième, de meilleure qualité, est fixée au feuillet 15, représente deux véhicules et une partie des membres du groupe. Cette dernière est légendée sur ce même feuillet : « à Beaurieux ».

4 Voir note 3.

Télécharger la présentation et l’intégralité du témoignage

J.F. Jagielski

Le Naour (Jean-Yves), La gloire et l’oubli. Maurice Genevoix et Henri Barbusse, témoins de la Grande Guerre,

LE NAOUR (Jean-Yves), La gloire et l’oubli. Maurice Genevoix et Henri Barbusse, témoins de la Grande Guerre, Paris, Michalon éditeur, 2020, 222 pages.

Découvrant que, en serrant de près l’actualité, Jean-Yves Le Naour avait publié ce livre, et en période de fermeture des librairies, je lui ai demandé de m’en faire envoyer un exemplaire par son éditeur, pour compte rendu sur le site du CRID 14-18. Dans sa réponse, l’auteur me disait : « Oui, je fais suivre ta demande à l’éditeur qui te transmettra le livre, tu verras que nous ne sommes pas d’accord sur Norton Cru, tant sur son analyse de Genevoix que sur son analyse de Barbusse, mais aussi sur le rapport entre littérature et témoignage. » Ayant reçu le livre et l’ayant lu attentivement, j’en fais ici la recension, comme convenu, en signalant tout de suite les abréviations utilisées : LN pour ce livre de Le Naour; JNC pour Jean Norton Cru. Témoins pour le livre fondamental de JNC ; son second livre est Du témoignage, Gallimard, 1930.

L’apport central du livre de Le Naour

C’est la compilation de ce que l’on sait des faits et des interprétations dans l’histoire croisée des deux auteurs, de leurs deux livres (Ceux de 14 de Genevoix qui rassemble plusieurs livres dont le premier est Sous Verdun, et Le Feu de Barbusse), de leurs autres ouvrages et de leur carrière, depuis la Grande Guerre jusqu’à la panthéonisation de Maurice Genevoix en 2020. Genevoix et Barbusse étaient partis en emportant des carnets de notes ; Genevoix a mis son texte au propre quasi immédiatement ; la démarche de construction du livre de Barbusse est exposée avec beaucoup de détails dans ses Lettres à sa femme, livre très largement utilisé par Le Naour qui ne mentionne pas le nom de son préfacier, Frédéric Rousseau ; encouragements reçus par les deux auteurs, rapports avec les éditeurs ; combines et trahisons dans les coulisses du prix Goncourt 1916. Des passages de Sous Verdun ont été coupés par la censure, tandis que Le Feu en a été préservé, ce qui reste un mystère quand on connait l’activité infatigable d’Anastasie. JNC a donné de nombreux exemples de censure, sur les livres d’Albert Thierry, de Paul Lintier, et d’autres. On sait comment Marie-Louise Puech-Milhau a dû affronter les censeurs pour faire paraître la revue La Paix par le Droit ; comment son mari a inventé des procédés pour la contourner dans son courrier (voir Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 de Marie-Louise et Jules Puech, Ampelos, 2015 ; Jules Puech était le secrétaire général de la Société française pour l’Arbitrage entre Nations à laquelle appartenait Barbusse ainsi que les autres écrivains Anatole France et Victor Margueritte). Le livre de Le Naour décrit aussi la réception des œuvres de Genevoix et de Barbusse à travers le temps ; il précise les tirages ; il montre les traces de la guerre dans les ouvrages postérieurs de Genevoix et la modification de la perception du Feu quand Barbusse est devenu communiste. Dans le colloque fondateur du CRID 14-18, La Grande Guerre, pratiques et expériences, Olaf Müller avait déjà montré que Barbusse en 1917 était plus proche du président américain Wilson que de Lénine.

De nombreux accords entre Le Naour et le CRID et avec JNC

Ces accords, on les constate dans le cas qui vient d’être exposé et on peut donner d’autres exemples. Ainsi Le Naour admet que l’ambiguïté entre roman et témoignage vient en partie des deux sous-titres du Feu : « Journal d’une escouade » et « Roman ». JNC dit avoir beaucoup hésité avant d’inclure les romans dans son analyse des témoignages. Il les a conservés justement parce que leurs auteurs ont affirmé apporter un témoignage et que le sujet de son livre était le témoignage et non la littérature. Nous sommes bien d’accord aussi que Le Feu fut un pavé dans la mare du bourrage de crâne, y compris chez les Goncourt qui avaient couronné Gaspard de René Benjamin en 1915 : en qualifiant le Goncourt 1915 de « farce grotesque » (LN p. 11), Le Naour rejoint exactement la critique de Gaspard par JNC (Témoins p. 567-570). Accord encore sur le fait que les combattants ont accueilli Le Feu avec faveur car « voilà assez longtemps qu’on bourre le crâne aux gens de l’arrière sur notre vie d’ici et Barbusse dit exactement le contraire », phrase recueillie par JNC lui-même auprès d’un capitaine (Témoins p. 565) et reprise à juste titre par Le Naour (LN p. 161). Ce dernier admet encore que Barbusse en rajoute, qu’il « a sans doute collecté massivement du vocabulaire qu’il a réinjecté plus ou moins adroitement dans son ouvrage pour faire « vrai » » (LN p. 170). Les Lettres à sa femme, préfacées par Frédéric Rousseau (Buchet-Chastel, 2006), le montrent de façon très claire. Quant à l’expression « faire de la littérature », elle peut avoir deux sens : le témoin qui écrit et publie produit un livre donc fait de la littérature mais, si son talent est naturel, il ne s’agit pas d’une construction artificielle, résultat d’une recherche systématique d’effets inventés pour séduire le lecteur. Sur ce point s’amorcent mes divergences avec Le Naour.

Contradictions, désinvolture, lacunes

Une fin de chapitre (LN p. 41) qui a évoqué les horreurs et la banalisation de la mort se termine par la phrase sans nuance : « L’homme est redevenu une brute, un être primitif, pour pouvoir survivre et demeurer un homme. » Bien sûr les circonstances inhumaines obligent les combattants à se protéger pour ne pas devenir fous. Cependant ceux qui ont abordé la question parlent rarement de transformation en brutes, mais plutôt de « tétanisation » ou « curarisation », ce qui n’est pas la même chose. Ici même, deux pages plus loin (LN p. 43), la situation décrite par Genevoix touché et sauvé par ses hommes qu’il ne veut pas abandonner, montre que ni l’un ni les autres n’ont été transformés en brutes : « Oh ! mes amis », s’exclame le lieutenant blessé. Dans l’ensemble des combattants, il ne sera jamais possible de calculer les pourcentages de ceux qui étaient des brutes avant la guerre (voir le témoignage d’Étienne Tanty), de ceux qui le sont peut-être devenus, de ceux qui ont conservé toute leur sensibilité, n’osant pas déranger les nids d’oiseaux, par exemple. Le tailleur de pierres drômois Louis Chirossel écrit même à propos de ses camarades de tranchée : « Il n’y a que la guerre pour rendre amis et doux. » Je ne songerai surtout pas à bâtir une théorie péremptoire sur cette seule phrase, mais la consultation du livre collectif du CRID, 500 témoins de la Grande Guerre, fournirait beaucoup d’exemples de cette sensibilité conservée et du fait que la guerre a fait redécouvrir l’amour conjugal et l’affection.

J’ai oublié plus haut un autre point d’accord. Le Naour condamne dans le débat « les invectives hautaines et les exécutions sommaires » (LN p. 181). C’est parfait. Mais je trouve fort désinvolte et désagréable la formule « Il en pleut comme à Gravelotte ! » à propos de la publication de nombreux témoignages de combattants en 1917 et 1918 (LN p. 121). Passons sur la mention de « l’écrivain Edmond Jaloux, qui porte bien son nom » (LN p. 143), une facilité de langage qui ne grandit pas son auteur.

Le Naour (p. 166) critique JNC pour avoir dit qu’il n’y avait pas de bon témoin au-dessus du grade de capitaine. Les pages de JNC sur ce point (en particulier Témoins p. 10-11) sont argumentées : il dit que son livre analyse le témoignage des combattants, c’est-à-dire de ceux exposés au danger. En publiant deux volumes sur la vie au Grand Quartier Général, Jean de Pierrefeu ne prétendait pas être un combattant. Dans 500 témoins, nous lui avons consacré une notice car notre livre collectif étudie tous les témoins, des militaires quel que soit leur grade, et encore des civils et des civiles, évidemment chacun à sa place d’acteur et de témoin. Ce n’était pas le thème du travail de JNC.

Lorsque Le Naour évoque la question de la camaraderie (p. 38), il aurait pu citer le livre d’Alexandre Lafon, membre du CRID. Celui-ci évoque notamment l’amitié entre Genevoix et Porchon dans un ensemble très documenté (La camaraderie au front 1914-1918, Armand Colin, 2014). Quand il s’agit, à plusieurs reprises, de la place de 14-18 dans l’espace public actuel, il aurait pu citer le livre de Nicolas Offenstadt, membre du CRID, publié avant même la période de commémoration du centenaire (14-18 aujourd’hui, la Grande Guerre dans la France contemporaine, Odile Jacob, 2010). Lorsque Le Naour affirme (p. 29) que, lors de l’annonce de la mobilisation générale par le tocsin, « personne ne sait que ce grand vacarme, c’est le glas de centaines de milliers de Français qui sonne », cela fait penser, mais en sens contraire, aux travaux de Jean-Jacques Becker, celui-ci ayant mis en avant cette phrase d’une vieille Bretonne : « Voilà le glas de nos gars qui sonne » (Becker a choisi cette phrase comme titre de son article dans Le Monde, le 21 juillet 1994). De nombreux documents ont montré que la première réaction dans les campagnes à l’annonce de la mobilisation fut la consternation accompagnée de pleurs. Les Français savaient que ceux qui partiraient n’étaient pas sûrs de revenir. Enfin, lorsqu’il rappelle que les nazis ont brûlé les livres de Barbusse et de Remarque, Le Naour aurait pu citer le passage de la biographie de JNC dans l’édition de Du témoignage par Jean-Jacques Pauvert (1967, p. 189) : Du témoignage « fut traduit en allemand, publié, vendu en Allemagne. Au triomphe de Hitler, les exemplaires restants furent saisis et brûlés. » C’est une information qu’il faudrait vérifier en se rappelant que les actions des nazis contre les livres ne se limitèrent pas à l’autodafé du 10 mai 1933.

Une attaque directe

Dans son livre (p. 69), Le Naour cite une phrase de JNC selon laquelle les mutilations de la censure ayant touché le livre de Genevoix ont peut-être nui à l’impression produite sur le jury du Goncourt. Et Le Naour ajoute : « En 2001, des historiens peu critiques, atteints de psittacisme, écriront à sa suite qu’ « il n’est pas impossible que les mutilations de la censure aient nui à Sous Verdun et lui aient coûté le Goncourt » ». [Ici un appel de note renvoie à Rémy Cazals, Frédéric Rousseau, Le Cri d’une génération, Toulouse, Éditions Privat, 2001, 160 p., p. 63.] Le Naour poursuit : « En 2016, cette affirmation non démontrée, sans autre fondement que sa répétition, devient une vérité pour […]. »

Après avoir rappelé que les deux historiens en question ont fait partie des membres fondateurs du CRID 14-18, on pourrait esquisser une remarque : l’expression « il n’est pas impossible que », est-ce vraiment une affirmation ? Mais n’insistons pas, reconnaissons une faiblesse dans notre petit livre qui présentait cependant l’intérêt d’apporter des arguments contre les thèses excessives à la mode aux environs de l’an 2000. Fallait-il pousser la critique des deux historiens jusqu’à l’insulte ? J’en suis doublement surpris car cela ne figure pas dans les pratiques auxquelles je suis habitué. Et parce que je découvre ce qui se cache derrière l’attitude de Le Naour lors de toutes nos rencontres face à face.

Une série d’erreurs factuelles

À présent, sans insulter Le Naour, je vais signaler les erreurs que son dernier livre contient. Je le fais dans l’ordre des pages.

Il affirme (p. 25) que Le Canard enchaîné a consacré Maurice Barrès comme « roi des bourreurs de crâne ». C’est faux. En 1917, Le Canard a en effet lancé un référendum parmi ses lecteurs pour l’élection du « grand chef de la tribu des bourreurs de crâne ». Il en a publié les résultats le 20 juin 1917 avec un dessin de Gassier que je reproduis dans ce compte rendu. L’élu n’était pas Barrès mais Gustave Hervé.

Peut-on écrire (p. 31) que les poilus à carnet se sont lassés « en général assez vite » de tenir leur journal ? Le Naour ne dit pas sur quelles preuves repose cette affirmation (car il s’agit bien ici d’une affirmation). Tout ce que les auteurs de 500 témoins ont pu constater va en sens inverse. Innombrables sont les carnets que l’on a tenus jusqu’au bout. La Grande collecte des archives privées de 14-18 en a encore fait découvrir. Dans Témoins, JNC avait signalé « la masse énorme de documents personnels manuscrits qui dorment dans les tiroirs de presque toutes les maisons de France » (p. 265), pas seulement les « millions de liasses de lettres de guerre » (p. 492).

Pour dénigrer JNC, Le Naour décrit à sa façon son parcours dans la guerre (LN p. 160) : « Âgé de 35 ans, il est versé dans la territoriale, garde des voies, creuse des boyaux et des tranchées au front sans prendre part aux combats, à l’exception de ceux de Verdun en 1916. Passé interprète auprès de l’armée britannique puis de l’armée américaine en 1917 […] » Or ce parcours est faux. JNC n’est resté que quelques jours dans la territoriale puis, comme Louis Barthas né la même année, il a été envoyé sur le front dans une unité combattante. JNC est arrivé sur le front le 15 octobre 1914 ; Barthas début novembre. Et le Le Naour de la page 160 qui affirme que JNC n’aurait pas participé aux combats avant ceux de Verdun en 1916, aurait été bien inspiré en allant lire le Le Naour de la page 172 qui reprend un récit de la participation de JNC au combat de Malancourt le 2 mars 1915.

Un intertitre (LN p. 164) annonce que, pour JNC, « Genevoix [est] le premier, Barbusse le dernier ». C’est faux. Oui, Genevoix est placé en première position, mais JNC a classé les auteurs en six catégories selon la fiabilité de leur témoignage, et Barbusse est loin d’être le dernier, placé dans la quatrième catégorie. Pour JNC, 44% des auteurs sont plus crédibles que Barbusse ; 26% sont dans la même catégorie que lui (et que Dorgelès) ; 28% sont au-dessous. Il n’est pas question ici d’un classement selon la valeur littéraire. Ce qui intéresse JNC, répétons-le, c’est le témoignage.

D’après Le Naour, JNC aurait prétendu être historien (LN p. 171), se serait improvisé historien (LN p. 206). C’est encore une erreur. Voyant l’aveuglement des historiens des années 1920, qui n’avaient pas fait la guerre et qui utilisaient les auteurs les plus fantaisistes, JNC a décidé de les aider à discerner les témoignages fiables, sortis de la « gangue » de la littérature de guerre (Témoins, p. 13). Frédéric Rousseau et moi, nous l’avons montré dans notre petit livre cité plus haut.

Bilan : cette accumulation d’erreurs n’a pas à déboucher sur des insultes ; il suffit de les signaler et de les corriger.

Finalement, quels conseils de lecture peut-on donner ?

Ceux de 14 de Genevoix et Le Feu de Barbusse, chacun à sa manière, sont deux classiques de la guerre de 14-18, l’un plus proche du témoignage sur la guerre réelle, l’autre comme témoignage sur une construction littéraire.

Les historiens spécialistes de cette période doivent avoir lu attentivement, de A à Z, notes comprises, le Témoins de Jean Norton Cru, un grand livre qui dérange parce qu’il est très fort. Parmi les éditions, on choisira celle de 2006 aux Presses Universitaires de Nancy, enrichie d’une préface éclairante de Frédéric Rousseau et d’un dossier reproduisant les réactions favorables ou défavorables au livre.

Si les éditions originales des ouvrages publiés pendant la guerre et juste après sont difficiles à trouver aujourd’hui, on peut lire les reprises récentes des témoignages jugés les plus fiables par JNC : La Percée de Jean Bernier (Agone, 2000), La Boue des Flandres de Max Deauville (Espace Nord, 2006), Lettres d’un soldat d’Eugène-Emmanuel Lemercier (Giovanangeli, 2005), Nous autres à Vauquois d’André Pézard (Presses Universitaires de Nancy, 1992), Clavel soldat de Léon Werth (Viviane Hamy, 1993), etc. Ces livres ne sont donc pas tombés dans l’oubli. Enfin, parmi les découvertes plus récentes, il faut lire Barthas, Victorin Bès, Marc Delfaud, la correspondance de Marie-Louise et Jules Puech, les lettres d’Étienne Tanty. On trouvera les notices correspondantes dans le livre collectif du CRID 500 témoins de la Grande Guerre (Éditions midi-pyrénéennes et Edhisto, 2013).

Rémy Cazals

Chronique – Brefs souvenirs 11/12 La mission du Centenaire

Pour commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale, une mission interministérielle a été constituée, réunissant la Culture et Communication, les Affaires étrangères, l’Éducation nationale, l’Intérieur, la Défense, l’Enseignement supérieur et la Recherche, l’Artisanat, Commerce et Industrie, dirigée par Joseph Zimet. Dans le comité scientifique présidé par Antoine Prost, se trouvaient cinq membres du CRID 14-18 : Stefanie Prezioso, Nicolas Offenstadt, André Loez, Rémy Cazals et André Bach. Également membre du CRID, Alexandre Lafon était le conseiller historique et pédagogique de la mission. Trois autres membres du CRID, anciens étudiants à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès et professeurs d’histoire et géographie dans l’enseignement secondaire, ont exercé des fonctions d’animation pédagogique liées à la commémoration du centenaire dans l’académie de Toulouse : Cédric Marty au niveau de l’académie, Fabrice Pappola pour le département de la Haute Garonne, Benoist Couliou pour le Tarn. J’ignore si d’autres académies ont procédé de la sorte.

La mission a soutenu de nombreuses manifestations en France et en lien avec des pays étrangers, notamment des centaines de projets pédagogiques. Elle a fourni aux pouvoirs publics et à la presse des notes rédigées collectivement pour attirer l’attention sur les faits marquants de chaque année et les éclairer par des informations historiques sûres. Elle a porté une particulière attention aux colloques d’histoire organisés au cours de la période et en a conçu et préparé un sur « les batailles de 1916 » (livre paru en 2018 à Sorbonne Université Presses). Des bilans nationaux ont été tirés, par exemple à Bordeaux en mars 2019 (Assises pédagogiques nationales) et à la Bibliothèque nationale de France en juin 2019 (Retour sur le cycle de commémoration).

Un de mes amis, militant de la CGT, m’a fait part de ses critiques sur la mission comme soutenant les commémorations nationalistes et militaristes. D’autres ont ironisé sur un « tralala commémoratif ». Certes il ne faut pas ignorer le poids du lobby militaire, mais rappelons la réalisation du monument aux fraternisations inauguré par le président de la République François Hollande (en réponse à l’appel du tonnelier socialiste antimilitariste Louis Barthas) ; rappelons l’exposition montée par le général André Bach à l’Hôtel de Ville en plein cœur de Paris sur les fusillés pour l’exemple ; rappelons le soutien de la mission au livre d’Emmanuel Delandre sur le pacifisme dans les monuments aux morts (De Mémoire et de Paix, Toulouse, 2017). Lors du colloque Enseigner la Grande Guerre en octobre 2017 à Sorèze (Tarn) qui a réuni dix membres du CRID 14-18 et des personnalités de la mission du Centenaire (général Irastorza, Joseph Zimet, Alexandre Lafon) a été développé le thème « commémorer autrement » montrant les nouvelles implications actives des élèves dans les manifestations publiques, au niveau local comme au niveau national (cérémonie du 11 novembre 2018 à Paris).

Le site de la mission reste ouvert : https://www.centenaire.org  Une partie de son contenu, en lien avec notre livre collectif 500 témoins de la Grande Guerre et avec le dictionnaire des témoins en ligne sur le site du CRID est évoquée dans les Brefs souvenirs 9/12 et 10/12. Au total, le site de la mission est d’une très grande richesse et sa consultation est conseillée à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Première Guerre mondiale.

À titre personnel, pendant le cycle du centenaire, j’ai fait de nombreuses conférences à travers la France, programmées par des associations de villages, de quartiers, par les dépôts d’archives publiques, les musées et médiathèques, les lycées. Ces conférences avaient lieu en lien avec des expositions locales ou des activités pédagogiques. Par exemple au lycée français de Madrid où les élèves travaillaient à partir des noms inscrits sur le monument aux morts de 1914-1918 de l’établissement. Sur le campus franco-allemand de Shanghai, avec une introduction historique générale sur la Première Guerre mondiale pour un colloque sur les travailleurs chinois en France (février 2014). En Écosse, à Aberdeen dans le cadre d’une émission de radio préparée par les élèves français et écossais de la partie lycée d’un établissement très original, avec participation d’historiens irlandais et allemand. Peu de temps après le référendum britannique sur le Brexit, j’ai terminé ainsi mon intervention : « Mon grand-père a fait la guerre de 14-18 contre les Allemands. Mon père a fait la guerre de 39-45 contre les Allemands. Moi, je n’ai pas fait la guerre contre les Allemands et je m’en réjouis. Ceci grâce à la construction européenne. Vive la construction européenne ! ».

L’illustration de cette chronique est ce dessin offert par une élève du CM2 de l’établissement franco-écossais d’Aberdeen.

Rémy Cazals

Prochaine chronique : Brefs souvenirs 12/12 La grande collecte

Parution : Les militaires russes en France, en Afrique du Nord et aux Balkans (1917-années 1920) de Maxim Chiniakov

CHINIAKOV (Maxim), Les militaires russes en France, en Afrique du Nord et aux Balkans (1917-années 1920), Moscou, 2020 (en russe).

Nous avons déjà signalé sur notre site les deux premiers livres de Maxim Chiniakov : La crise de La Courtine (1er mai-1er septembre 1917) publié en 2017, et Parcours de combat des troupes russes en France et dans les Balkans (juin 1916-janvier 1918) paru en 2018. Le troisième volume contient lui aussi une table des matières et un résumé en français.

Le livre est consacré au sort des soldats russes après leur retrait de la ligne de front. Il se présente comme « une étude complète et approfondie des relations sociopolitiques et de l’état moral des officiers et des soldats des deux divisions » dans le cadre du « triage » de décembre 1917 en trois catégories : ceux qui ont accepté de continuer la guerre contre les Empires centraux ; ceux qui n’ont pas voulu combattre mais ont accepté de travailler ; ceux qui n’ont voulu ni combattre, ni travailler, envoyés pour la plupart en Afrique du Nord.

Le premier chapitre étudie précisément l’opération de triage. Le dernier décrit les phases du rapatriement et signale ceux qui sont restés en France. Entre les deux, trois chapitres sont consacrés aux trois catégories définies ci-dessus en insistant sur le statut des hommes, leur vie quotidienne, leurs luttes, leurs relations avec la population.

La richesse du contenu des trois livres de Maxim Chiniakov apparaîtra évidemment aux lecteurs de la langue russe.

Rémy Cazals

Soutenance de thèse vendredi 11 décembre 2020

Yohann Chanoir, membre du CRID 14-18, soutiendra sa thèse d’histoire à l’EHESS le vendredi 11 décembre 2020 à partir de 14h.
Elle porte sur le sujet suivant : « Châteaux médiévaux au cinéma : entre imaginaire et historicité. Des lendemains d’Hastings à la Diète de Worms« .

Cette soutenance aura lieu en visioconférence. Si vous souhaitez suivre cette soutenance en direct, faites-en la demande auprès de l’administrateur du site qui vous enverra les codes de connexion.

Une approche binationale de l’enseignement du fait religieux : l’exemple-franco-allemand, le 9 décembre 2020 de 16h à 17h

Dans le cadre de la journée sur la laïcité, l’APHG propose quatre conférences pour apprendre et réfléchir ensemble. Rainer Bendick membre du CRID 14-18 présente à cette occasion une approche binationale franco-allemande.

Journée de la laïcité à l’école – Café virtuel de l’APHG.

Conférence de Rainer Bendick, docteur en histoire, conseiller pédagogique pour l’entretien des sépultures militaires allemandes SESMA, région de Brunswick, ancien proviseur du secondaire, membre du CRID 14-18

Pour vous inscrire, une seule adresse : inscriptionsaphg@gmail.com

Indiquer votre nom, prénom, établissement d’exercice lors de l’inscription.

Chronique – Brefs souvenirs 10/12 Du nouveau sur Jules Puech

Les utilisateurs du livre 500 témoins de la Grande Guerre ou du dictionnaire en ligne sur notre site ont pu lire les notices Puech (Jules) et Puech-Milhau (Marie-Louise). Pacifiste, rédacteur de la revue La Paix par le Droit, Jules Puech est l’auteur d’une thèse de Lettres, La vie et l’œuvre de Flora Tristan. Ses recherches ont commencé vers 1910 et le livre a été publié en 1925, après la longue interruption due à la guerre. Mais, sur les fronts de Verdun et de la Somme, en 1915-1916, Jules Puech continuait à penser au sujet pour lequel il se passionnait. Il lui arrivait même de parler de Flora à ses camarades de tranchées.

L’historienne irlandaise Máire Fedelma Cross, professeur émérite à l’université de Newcastle, vient de publier le livre In the Footsteps of Flora Tristan, A Political Biography, Liverpool University Press, 2020, 260 p. Les textes de Flora et de Jules Puech sont donnés en français et traduits en anglais. Le livre contient un cahier d’illustrations et une riche bibliographie.

L’originalité de cet ouvrage est la combinaison de deux biographies, celle de Flora et celle de son biographe Jules Puech. L’étude de la vie et l’œuvre de Flora Tristan avait été négligée à cause du compartimentage des thèmes, socialisme, féminisme, pacifisme. Les travaux de Jules Puech sur les pionniers du socialisme, et son militantisme féministe et pacifiste lui donnaient une position stratégique pour se lancer sur les traces de Flora. Le livre de Máire Cross est très original : jusqu’ici, aucune recherche de ce type n’avait été effectuée, plongeant dans les réseaux des deux personnages. Il est passionnant de voir comment a été comblé le fossé de temps qui sépare les deux vies : Flora Tristan morte en 1844 ; Jules Puech né en 1879. Ce dernier a réussi à trouver des textes inédits et à rencontrer des hommes et des femmes qui avaient eux-mêmes fréquenté des contemporains de Flora. Par exemple Henry Jagot, un journaliste qui avait connu dans sa jeunesse un vieil ouvrier typographe qui avait été en relation avec les pionniers du socialisme des années 1840 et en particulier Flora.

Jules Puech a toujours travaillé en lien étroit avec son épouse Marie-Louise, qu’il s’agisse des recherches sur Flora Tristan ou de la publication de La Paix par le Droit. Leur correspondance de la Grande Guerre, Jules sur le front, Marie-Louise à Paris, est une des plus riches. Elle a été publiée : Marie-Louise & Jules Puech, Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916, présentée par Rémy Cazals, Éditions Ampelos, 2015, 572 p. D’après ces lettres, j’ai donné deux articles au site de la mission du Centenaire : « Paris 1916 » et « L’information d’une Française sur les batailles de 1916 ». Máire Cross prépare une biographie de Marie-Louise Puech-Milhau aux éditions Ampelos.

D’une part, cela ne nous éloigne pas de 1914-1918 et d’autre part cela témoigne de l’ouverture du CRID à d’autres périodes et à d’autres thèmes. Rien de ce qui est démarche historienne n’est étranger à notre groupe. On reviendra ici sur un témoignage précis sur la Grande Guerre en signalant la parution intégrale par Franck Le Cars du journal de guerre du brasseur d’Étreux (Aisne), surnommé Pabert : voir la notice d’Albert Denisse dans le dictionnaire des témoins en ligne sur notre site.

Rémy Cazals

Prochaine chronique : Brefs souvenirs 11/12 La mission du Centenaire