Martin, Albert (1866-1948)

1. Le témoin

Albert Martin, qui avait des grands-parents originaires de Beaurieux (Aisne), était chirurgien à Rouen lors de la déclaration de guerre. A 48 ans, il fut d’abord mobilisé à l’Hôtel Dieu de cette ville, avant de devenir le médecin chef de l’ambulance 9/3, détachée auprès du 1er CA. Il eut comme adjoint Georges Duhamel qui, dans ses livres, fit passer les choses vues à l’ambulance « au miroir de l’art ». Albert Martin quitta l’Avant en avril 1917. Il fut ensuite, en Normandie, un chirurgien actif, créateur de la clinique Saint-Hilaire à Rouen, et un agriculteur moderne, président de diverses institutions.

2. Le témoignage

Pendant la guerre, il écrivait régulièrement à sa femme. Cette correspondance constitue la base du livre Un énergique et enthousiaste ‘Homme de cœur’ rouennais : Albert Martin (1866-1948). Souvenirs d’un chirurgien de la Grande Guerre, présentés par le Docteur Pierre-Albert Martin [son petit-fils], avec une préface de Mme le Professeur Arlette Lafay, et une postface de M. Le Professeur Bernard Tardif, Luneray, Editions Bertout, « La mémoire normande », 1996, 239 p., illustrations. La correspondance originale y occupe les p. 19 à 168, suivie d’un « Rapport d’Albert Martin sur le fonctionnement intensif de l’ambulance 9/3 sous Verdun », p. 201-230. Quelques documents, parmi lesquels des lettres de ou à Georges Duhamel, complètent l’ouvrage.

3. Analyse

– S’il y eut des médecins culpabilisés de ne pas participer aux combats, et d’autres « accrochés à l’arrière », beaucoup, comme Albert Martin [et Prosper Viguier, voir cette notice] étaient fiers de servir comme médecins, malgré le sentiment d’impuissance devant les problèmes insolubles. Albert Martin savait qu’il devait effectuer une « chirurgie de guerre brutale », « ingrate, décevante et pénible » (p. 92). Au début de la guerre, il en rendait responsable « l’ignoble Kaiser », pour qui il se sentait pris d’une « haine féroce », ainsi que pour « la majorité de la race allemande qui le suit, qui s’imagine être d’essence supérieure, faite pour dominer et domestiquer le reste du monde » (p. 53). Quoi qu’il en soit, les Allemands seront soignés comme les Français. L’un d’eux, Théodore, s’est fait des amis français à l’ambulance, anciens ennemis qu’il appelle « Camarades » et qui le considèrent comme tel (p. 146). Il rend tellement de services que, quoique guéri, le médecin chef tient à le garder.

– Les rythmes du travail sont très irréguliers. « Ou bien c’est le désœuvrement ou bien c’est le surmenage ! Il n’y a pas de milieu ; il est de fait qu’il ne peut guère en être différemment. C’est la même chose pour le combattant » (p. 109). Dans les phases de surmenage : « Ce qui est terriblement pénible c’est l’esprit de décision qu’il faut toujours tenir en éveil ; sacrifier un membre, souvent deux, quelquefois trois pour sauver une existence, c’est une situation qui rend soucieux ceux à qui en incombe le devoir » (p. 167).

– La phase la plus difficile fut celle de Verdun, du 28 février au 8 avril 1916. En trois semaines, l’ambulance pratiqua plus de mille opérations graves. Le rapport sur Verdun donne des précisions sur les armes ayant causé les blessures (sur 1045 blessés, 1004 par éclats d’obus et 41 par balles), sur les types d’opérations, la mortalité, l’importance du travail en équipe et de la qualité des installations [comme Prosper Viguier, Albert Martin a un sens poussé de l’organisation]. Il montre comment le casque limite les dégâts, comment il faudrait réduire le temps de transfert des blessés vers les ambulances. Il critique les modes et la recherche du sensationnel en installant des postes chirurgicaux dans les lignes ou en cherchant la guérison extraordinaire. Il indique aussi le temps nécessaire pour creuser les tombes et confectionner les cercueils (p. 225).

– Diverses remarques :

. Une accalmie sur le front : « On croirait vraiment que, par une sorte de convention tacite, les artilleurs se taisent. Ils semblent dire : si tu ne tires pas, je ne tirerai pas non plus » (p. 62).

. Un suspect de mutilation volontaire passant en conseil de guerre (p. 70). On n’a pas de certitude ; il ne faut pas risquer de faire condamner un innocent.

. Un blessé français survivant après avoir été attaqué par surprise, au couteau, par trois Allemands. Lardé sur tout le corps, il n’est pas mort (p. 74).

. L’ordre de mettre à l’abri à l’ambulance les pères de famille nombreuse (p. 120). Mais il reste beaucoup de curés : 8, le 1er septembre 1916 ; 11, le 27 novembre. « Je trouve, écrit Albert Martin, que onze curés sur trente-huit hommes, c’est tout de même exagéré » (p. 138).

. Sur la fin, le chirurgien se montre sensible à l’existence du bourrage de crâne, côté allemand par La Gazette des Ardennes (p. 144), côté français par Le Petit Parisien, par exemple (p. 143).

. En janvier 1917, sept à huit blessés sur dix sont cultivateurs (p. 147).

. Quelques jours plus tard (p. 149), il note que dire qu’il faut se battre jusqu’au bout pour que la génération suivante ne connaisse pas la guerre, « c’est le raisonnement qu’on fait pour se donner du cœur et pour tenir ».

Rémy Cazals, juillet 2008

Share

Lamothe, Louis (1887-1962) et Dalis

1. Le témoin

Né le 10 février 1887 à Mayrinhac-Lentour (Lot) dans une famille d’agriculteurs. Titulaire du certificat d’études. Catholique pratiquant par habitude, il épouse une femme pieuse, Dalis, le 21 novembre 1911. Le couple exploite avec les parents de Louis la ferme familiale de 25 ha au hameau de Sarrouil, commune de Loubressac, dans la partie Nord du département du Lot. Un enfant, né en 1912, mort en 1920. Deux autres enfants après la guerre.

Mobilisé le 2 août au 339e RI. A Gap, du 9 au 19 août ; en Lorraine, d’août 1914 à septembre 1915 ; en Champagne d’octobre 1915 à avril 1916 ; secteur de Verdun d’avril à août 1916 ; en Lorraine, de septembre 1916 à octobre 1917 ; en Italie, d’octobre 1917 à avril 1918 ; puis dans la Somme.

2. Le témoignage

Le corpus comprend 159 lettres de Louis à Dalis, 11 lettres de Dalis à Louis, et un petit carnet de 82 pages intitulé « Mes mémoires sur la guerre de 1914-1919 », écrit visiblement d’après des notes quotidiennes souvent reproduites telles quelles, mais qui s’arrête brusquement au 1er juillet 1915. Une arrière-petite-fille du couple, Edith Montil, a retrouvé les documents et les a utilisés pour un mémoire de maîtrise soutenu à l’université de Toulouse Le Mirail en septembre 2003 : De la ferme du Causse aux tranchées de la Grande Guerre : itinéraires d’un couple de paysans quercynois, Dalis et Louis Lamothe, 233 p. + Annexes. Un deuxième tome de 110 pages contient la retranscription intégrale des lettres et du carnet. Le premier tome contient des index correspondant aux lettres et au carnet : index thématique (p. 225-230) ; index des noms de lieux (p. 231-233). Egalement les photos de Louis et de Dalis.

3. Analyse

Quelques thèmes relevés dans la correspondance :

– Dès le départ, c’est le paysan qui parle (19 septembre 1914) : « Enfin, vous devez être bien gênés de mon absence, mais faites ce que vous pourrez et le reste attendra. Vous n’êtes pas les seuls car il doit manquer beaucoup d’hommes au pays. »

– Très vite, il est marqué par les pertes énormes. 19 septembre 1914 : « la plus grande partie des classes rentrées après nous [sont] allées remplacer les morts et les blessés de l’active ». 30 juin 1915 : « Tu me dis que le fils de Vernay et le fils de la couturière se sont engagés à partir de suite dans l’artillerie. Ils ont peut-être eu raison, quelqu’un leur a bien conseillé, l’artillerie est bien moins au danger que l’infanterie. » 1er septembre 1915 : « C’est bien malheureux, je pense que si ça dure tout le monde y restera. […] J’ai vu beaucoup de morts à mon régiment et presque tous étaient mariés et pères de famille. C’est terrible de voir des choses pareilles et que rien ne puisse arrêter cette boucherie. » 22 septembre : « Tu me demandes ce que je pense de cette guerre, je te dirai que je n’y connais pas grand-chose. Les Russes reculent toujours, et nous, nous sommes toujours à la même place depuis un an. Ce n’est pas sans doute par les armes qu’elle se terminera. Il s’agirait de savoir quel est celui qui tiendra le plus longtemps question d’argent, de vivres et de munitions. On ne peut guère se reporter sur les journaux car ils ne disent guère que des mensonges. »

– Dès le 25 septembre 1915, on trouve dans une lettre de Louis ce thème présent dans quelques autres témoignages : « Je comprends bien que vous n’avez pas beaucoup de grains, mais pourvu que vous en ayez presque pour vous suffire c’est le principal. Je voudrais bien que personne n’en ait que pour eux, la guerre finirait peut-être plus tôt. » Il y revient le 6 février 1916 : « Je vois bien que vous n’avez pas de goût au travail et vous avez bien un peu raison. Je voudrais que personne ne travaille que pour vivre que pour eux, et comme ça la misère viendrait peut-être dans les villes, ce qui contribuerait à accentuer la fin de la guerre. » Et le 18 septembre 1916, comme une obsession : « Je vois que les oies se vendent un bon prix. Mais ce n’est pas encore assez : il faudrait que ce soit hors de prix, que personne ne puisse rien acheter. La guerre finirait peut-être plus tôt. »

– La guerre a ses rythmes. Bombardements et attaques font de nombreuses victimes. Mais, écrit Louis le 27 août 1915 alors qu’il est au repos, « nous avons des moments qu’on ne se dirait pas à la guerre ». En ligne aussi, parfois : « Les Boches nous laissent tranquilles, et nous aussi » (17 mars 1916).

– La nourriture envoyée du « pays » est toujours la bienvenue. « Ici, écrit Louis le 19 octobre 1916, on peut bien se procurer de quoi manger mais à des prix exorbitants. Je préfère que tu m’envoies des colis de temps en temps, surtout du jambon. Si tu trouvais du saucisson, je le recevrais avec plaisir, c’est les deux choses que j’aime le plus. Pour le vin, nous le payons ici vingt sous le litre, mais aujourd’hui il est venu une coopérative militaire qui nous donne le vin à seize sous. J’en ai profité pour en prendre cinq litres pour moi. » 8 novembre 1916 : « Je t’avais annoncé que hier nous passions une revue de Président de la République. La revue n’a pas eu lieu, le Président n’est pas passé chez nous et nous avons bien fait sans lui. Tu me dis que dans le pays on ne voit pas de figures fraîches, que tout le monde est dans la tristesse, je le crois bien. Pour le front, ici, ce n’est pas tout à fait pareil, les gens sont assez joyeux. Il y en a beaucoup qui gagnent de l’argent en faisant du commerce, les femmes lavent le linge pour les soldats, tout cela leur fait de l’argent. » 23 mars 1917 : « Les riches doivent la trouver mauvaise de manger le pain national car il paraît que dans les villes il n’est pas beau, enfin ça leur apprendrait à vivre puisqu’ils sont si patriotes. Tu me parlais aussi hier que tu avais appris que la révolution était en Russie, c’est bien vrai, le tsar a été obligé d’abandonner le trône mais le nouveau gouvernement est aussi pour la guerre à outrance, ce n’est pas ce qui va lui faire finir. »

Les mémoires en disent davantage sur le plan des descriptions et on peut mieux suivre la chronologie de la guerre, jusqu’en juillet 1915 :

– Serrement de cœur à l’annonce de la mobilisation, heure angoissante du départ, mais « je pars tout de même sans verser trop de larmes, car ce n’est pas le moment de pleurer ce qui n’aurait fait qu’augmenter la douleur de ceux avec qui vous devez vous séparer ».

– Creusement des premières tranchées pour se mettre à l’abri de la mitraille dès le 23 août 1914.

– Les horreurs du champ de bataille, un officier allemand décapité par les éclats d’obus, les plaintes des blessés que l’on ne peut aller ramasser, l’enterrement de toutes les victimes de l’imbécillité humaine (11 septembre 1914).

– Vie de rapine, pillage, pour se venger d’une région infestée de traîtres et d’espions.

– L’attaque du 13 décembre 1914. Les survivants de la compagnie arrivent à la tranchée ennemie, mais le champ reste couvert de morts et de blessés. « Scènes poignantes que je n’oserai décrire ici ». L’ennemi préparant une contre-attaque, il faut abandonner le terrain gagné. La pluie s’en mêle, « aussi c’était presque difficile de reconnaître si nous étions des hommes ou de la boue qui marchait ».

4. Autres informations

MONTIL Edith, « Lettres et mémoires d’un couple de paysans quercynois sur la Grande Guerre », dans Quercy Recherche, la revue du patrimoine du Lot, n° 116, avril-juin 2004, p. 49-56.

Rémy Cazals, juillet 2008

Share

Piquemal, Marius (1894-1915)

1. Le témoin

Marius Clément Piquemal est né le 11 mars 1894 à Serres, canton de Foix (Ariège) dans une famille d’agriculteurs. Entré à l’Ecole normale d’instituteurs de Foix, il en sort pour faire ses classes au 14e RI, puis il passe au 106e bataillon de chasseurs à pied, section de mitrailleuses. Il est caporal, chef de pièce. Il arrive sur le front en mai 1915. Il est tué le 29 juillet dans les Vosges, à Linekopf. Il avait obtenu depuis peu le grade de sergent.

2. Le témoignage

Il s’agit d’abord de deux petits carnets de format 14×8,5 et 12×8,5 portant en sous-titre : « Ce que je voudrais redire et raconter ». Les dernières lignes sont du 28 juillet 1915, veille de sa mort. La famille a également récupéré et conservé quelques lettres de lui-même, ou à lui adressées par sa fiancée Marie et par quelques amis. Louis Claeys en a donné de larges extraits, placés dans l’ordre chronologique, dans le Bulletin de la Société ariégeoise des Sciences, Lettres et Arts, 1996, p. 21-65, avec un portrait de Marius Piquemal (quelques rares problèmes de transcription).

3. Analyse

– Le corpus s’ouvre sur une intéressante lettre du 5 janvier 1915 de son ami Jean Maury, déjà sur le front au 14e RI : « Il faut que j’abandonne papier et crayon pour former la carapace car les Boches nous arrosent d’une pluie de bombes et d’obus qui nous éclatent tout autour… La grande rafale passée, je me remets à l’écriture. Quelques obus tombent encore à droite et à gauche mais maintenant l’on est habitués et l’on ne se dérange pas pour si peu. […] Figure-toi ma position dans un coin de tranchée, au-dessus de ma tête les créneaux dans lesquels sont placés les fusils. Ma tenue, je ne puis te la décrire, pleine de boue jusque sur la tête, un passe-montagne me couvre la tête et le cou, ta lettre que je suis en train d’écrire tenue de la main gauche et appuyée sur le genou droit, le crayon à la main, et tout un tas de fourbi à droite et à gauche, c’est rigolo à voir. » A ce moment, Marius Piquemal est encore en train de faire ses classes dans la région toulousaine.

– En avril, il passe quelques jours au camp d’Avord (Cher) où « tout est boue ». Il semble avoir déjà compris que prendre du galon comporterait des risques, et que tout séjour loin du front est bon à prendre : « Mon amour-propre sait se taire devant une gâche indiscutable. »

– Il décrit les paysages traversés pour aller vers le front, les campagnes, les usines de la région du Creusot ; il signale les rivières qu’il ne connaissait jusque là que par ses croquis de géographie. Il envoie des cartes postales à ses professeurs afin qu’ils les utilisent dans leur enseignement. Il lit des ouvrages sérieux, la plume à la main pour prendre des notes. Mais parfois il s’abrutit de bière et de parties de manille. Une grande part du témoignage évoque des marches, souvent sous la pluie, la vie au cantonnement, les concerts militaires. Il voit des coins merveilleux et souhaite pouvoir y revenir après la guerre avec sa fiancée.

– En Lorraine, le 20 avril 1915 (p. 30), le curé de Sion dans son sermon « fait naître le courage dans les cœurs en criant la haine des Boches ». Le lendemain, même thème dans la causerie d’un lieutenant : « Il nous a aussi inculqué la haine du Boche et l’idée d’une lutte terrible et cruelle d’extermination des Barbares. » Et quelques jours plus tard : « Je lis de temps en temps les journaux et je réfléchis. La confiance en notre force me gagne de plus en plus. » Autre argument : « Puisque l’on nous retient ainsi durant des semaines loin du front, c’est que l’on n’a pas besoin de nous. » Ce qui lui convient parfaitement. Il remarque que, s’il s’était porté volontaire pour les Dardanelles comme il en avait eu l’intention, il serait à présent (30 avril) sous les canons turcs : « J’ai été infiniment bien servi par les circonstances en venant à ce bataillon de chasseurs, retardant ainsi l’heure de la lutte. »

– Pourtant les chasseurs ont un esprit particulier. Un lieutenant qui n’aime pas les fantassins lui cause quelques ennuis (p. 34). Il y a aussi une différence avec les Alpins. Ceux-ci, dit-on, ne font jamais de prisonniers, ils tuent tous les Boches. Résultat, ces derniers résistent jusqu’au bout. Tandis que l’infanterie fait quantité de prisonniers. Alors on envoie des régiments d’infanterie remplacer les Alpins (p. 50)…

– Première relève aux tranchées le 19 mai 1915. Nuit tumultueuse dont il essaie de rendre les bruits (p. 39).

– Le 25 mai, son sac a disparu, avec tout ce qu’il contenait des envois de ses parents, « ce sac minutieusement rempli, ce sac enfin qui m’apportait un peu de confortable en campagne ».

– Le 11 juin, un de ses amis, Léonard Mandrou, du 14e RI, lui écrit qu’il est heureux de voir que Marius n’a pas été trop émotionné par les premières visites au front, et il ajoute : « les gens de la Barguillère, ça tremblote pas aux premiers coups de canon. On est du granit ou on ne l’est pas ! » Mais le 5 juillet, Marius avoue sur son carnet : « Toute la matinée a été remplie de réflexions au sujet de ma frousse. Pour la première fois j’ai eu la frousse et j’ai été en colère contre moi et je le suis encore. J’ai eu la frousse pour une bombe d’aéro qui a éclaté à plus de 400 m. » Peur provoquée par la surprise ? « C’est plus effrayant que l’obus car au bruit d’ébranlement de l’air s’ajoute le frou-frou d’une sorte de flamme qui descendrait des nues. »

– Le 19 juillet, préparatifs d’attaque, secteur du Linge dans les Vosges. Elle a lieu le 22. Ce sont des visions épouvantables : « Des corps coupés en deux, des viandes sanguinolentes, un foie hors d’un corps, des cadavres. Horreur ! Horreur ! Le blessé avec la mâchoire emportée se fraie un passage et laisse l’empreinte de sa main teinte de sang sur tous les chasseurs qu’il dépasse… » Marius est complètement démoralisé. Une bonne nuit de sommeil et deux journées calmes rétablissent le moral, mais il faut y revenir. Le souhait de la fine blessure, qui était déjà apparu dans diverses lettres de sa fiancée et de ses copains, est cette fois clairement affiché : « Ah ! je voudrais que bientôt on nous relève, que bientôt on soit en route pour des pays plus hospitaliers. Je voudrais, oh ! je voudrais une blessure heureuse qui me ferait quitter ce sol… » Le jour précédant sa mort, il compare les combattants à des « mannequins vivants, moins heureux que les jouets enfantins qui eux n’ont pas le malheur de souffrir ». Il faut marcher cependant, sous la pluie, s’enfonçant dans la boue, marchant sur des cadavres. « Guerre bête, guerre stupide, guerre de fous, finiras-tu ? finiras-tu ? »

4. Autres informations

Site Mémoire des Hommes.

Rémy Cazals, juillet 2008

Share

Roullet, Pierre (1887-1979)

1. Le témoin

Pierre Roullet est né le 17 mai 1887 à Mozé-sur-Louet, au sud d’Angers (Maine-et-Loire) dans une famille d’agriculteurs de tradition républicaine (Bleus de l’Anjou). Il obtient le certificat d’études primaires en 1898 et reçoit un enseignement de plus haut niveau de la part de son instituteur. Il devient meunier au moulin de la Bigotière, commune de Mozé, mais il doit abandonner le métier pour effectuer le service militaire au 25e Dragons d’Angers (il dit lui-même qu’il est un passionné des chevaux). Il devient brigadier en 1909. Au retour, il exploite le peu de vignes qu’il possède et en loue d’autres. Il se marie le 17 février 1914 (sa fille Lucette va naître en novembre). Lors de l’entrée en guerre, il est détaché comme éclaireur monté au 277e RI de Cholet ; il servira comme agent de liaison du colonel, ayant ainsi l’occasion d’entendre les propos d’officiers supérieurs et de généraux (voir ci-dessous). Démobilisé le 5 mars 1919, il reprend le travail de la vigne, puis une petite entreprise de battage. Il meurt le 11 mars 1979.

2. Le témoignage

Pierre Roullet avait écrit un premier cahier de souvenirs de 63 pages entre 1968 et 1973, date à laquelle il rencontra l’ethnologue toulousain Claude Rivals, spécialiste de l’étude des moulins. A la demande de celui-ci, il rédigea trois autres cahiers sur les moulins, la vie du meunier, des pages pour contribuer à une sociologie de la campagne angevine. Il répondit également par lettres à des questions posées par l’universitaire, lui confiant : « Je vous remercie, M. Rivals, par vos questions vous donnez un sens à ma vieillesse. » Le témoignage repose exclusivement sur la mémoire. Il est forcément incomplet, les épisodes marquants revenant dans le souvenir. Cela peut donner à réfléchir sur ce qui est resté très clair malgré le passage du temps et ce qui a été obscurci (par exemple le bilan exagéré de la répression des mutineries de 1917). Il a l’avantage de faire connaître la vie du témoin avant et après la période de guerre.

Claude Rivals a utilisé cette documentation pour composer le livre Pierre Roullet, la vie d’un meunier, paru aux Editions Jeanne Laffitte (Marseille) en 1983, 234 pages, illustrations. Les deux chapitres sur la Grande Guerre (p. 89-146) occupent la partie centrale de l’ouvrage qui en comporte six. Le témoignage de Pierre Roullet y tient la plus grande place ; des commentaires de Claude Rivals viennent en complément.

3. Analyse

– Nouveau témoignage sur la consternation au moment de l’annonce de la mobilisation, et sur la volonté de chacun de ne pas démoraliser l’autre (p. 104). A Angers, un jeune homme ayant crié « A bas l’armée » au passage du 25e Dragons est « presque écharpé » par la foule.

– L’épreuve du feu en septembre 1914 dans les parages de Nomény, en Lorraine, à la frontière de 1871. Les avant-postes français sont « aux villages de Arraye et Ajoncourt, le premier en France, le second en Lorraine annexée » (p. 108-109). « Les habitants d’Ajoncourt allemand et d’Arraye français étaient restés, nous faisions bon ménage ensemble, c’étaient de braves gens dont les enfants ou les maris étaient eux aussi mobilisés qui en Allemagne, qui en France… Une petite rivière, la Seille, les séparait mais un pont les reliait. » [Sur les combats de part et d’autre de la Seille, près du château de Clémery, dans le même secteur, voir le témoignage de Charlotte Moulis et la notice qui lui est consacrée ici-même.]

– La boue de Verdun (p. 121).

– Le travail de sa femme pendant son absence (p. 125).

– Un bref récit de la mutinerie d’un bataillon du 277e RI au pied de la montagne de Reims (p. 131) et d’incidents au 115e RI dans le même secteur en 1917, date non précisée.

– L’affaire Claire Ferchaud et le refus de marcher si l’emblème du Sacré-Cœur est cousu sur le drapeau (p. 128-129). L’épisode rejoint cette anecdote (p. 115) : « Au début de la guerre 1914, un capitaine bien pensant m’a posé la question suivante : « D’après vous qu’y a-t-il de plus grand que la grandeur de Dieu ? » Je lui réponds : « La bêtise humaine. Si les peuples n’étaient pas si bêtes, nous ne serions pas là à nous entretuer sans nous connaître. » Il haussa les épaules et s’en alla. » Roullet épingle aussi une série de citations de généraux, évêques, académiciens affirmant la beauté de la guerre (p. 133).

– Le propos d’un colonel en mai 1918 lorsque Roullet s’étonne que l’artillerie lourde ne tire pas sur des trains de minerais visibles en territoire allemand aux environs d’Hagondange : « Vous, vos camarades, votre colonel lui-même, nous nous battons pour des intérêts capitalistes internationaux : un de ces deux trains va nous revenir par le truchement de la Hollande ou du Danemark, pays neutres, pour fabriquer canons et munitions, et nous récupérerons l’autre en le recevant sur la gueule sous forme d’obus ou de grenades » (p. 139). « Et pourtant je n’ai pas cessé de croire à la patrie puisque à la deuxième guerre j’ai choisi la Résistance », conclut Pierre Roullet.

Rémy Cazals, juillet 2008

Share

Jolly, Pierre

1. Le témoin

Pierre Jolly est historien, biographe et poète, auteur de plusieurs ouvrages d’histoire contemporaine (Turgot, Necker, Calonne, Du Pont de Nemours entre autres). « Bleu » en 1916, il arrive au front comme téléphoniste au 152e R.I. Sa biographie et son parcours militaire n’ont pu être pour l’heure reconstitués.

2. Le témoignage

jolly.JPG

Jolly, Pierre, Le 13 octobre. Paris, Berger-Levrault, 1964, 193 pages. Préliminairement publié dans la même librairie sous le titre, Les survivants vont mourir. Bataille de la Somme. (1954, 172 pages).

Dans ce livre de souvenirs mâtinés de paraboles écrit entre 1960 et 1964, l’ancien soldat téléphoniste du 15-2 mêle 1916 à 196… dans de permanentes imbrications entre histoire et pèlerinage. Réalités et souvenirs, paraboles et réflexions se mêlent et se confondent lors de la relation de ces quelques jours d’octobre 1916, prétexte au souvenir des lieux mais surtout des hommes, truculents ou énigmatiques, survivants ou à jamais faisant corps avec la boue de la Somme. L’ouvrage n’est pas illustré.

3. Analyse

Après de rapides préliminaires introspectifs sur le sens du sacrifice des soldats de 1916, Pierre Jolly quitte les granges d’Haussez le matin du 10 octobre 1916. Les tuyaux de cuisine parlant de Sailly-Saillisel, il sait qu’il part pour l’attaque dans ce secteur. Sa lente montée en ligne est pour lui le prétexte au souvenir de chacun des membres de son escouade. Alors qu’il parcourt à nouveau cette terre en 196… il revoit Fliette, Grandjean, Demange le Vosgien, Pétrole, Chauvert et tous les autres dont combien ne redescendront pas ? L’attaque du 13 se fera le 14, à 17 heures 10. Le château et les premières maisons de Sailly seront pris aux Allemands, dont Karl Renz, qui reçoit le choc et que Jolly retrouvera longtemps après la guerre, avant l’autre qui lui enlèvera la vie. Quelques kilomètres de lignes téléphoniques posés et un singulier prisonnier allemand plus tard, s’achèvent les souvenirs de Pierre Jolly, du 10 au 15 octobre 1916. Quelques longueurs et une écriture, certes talentueuse, mais par trop alambiquée, minorent cet essai de souvenirs, mâtinés de très – trop ? – nombreuses digressions qui allongent un récit duquel peu d’éléments sont à dégager. D’écriture irréprochable, ces souvenirs apportent peu à la littérature testimoniale et à l’historique du 152e régiment d’infanterie (premier régiment de France), sur lequel pourtant la littérature de guerre n’est pas pléthorique. Un ouvrage anecdotique valant donc pour sa singularité bibliographique. On note une parabole dans une montée au front : « Notre cordée, la cordée des bleus, progresse sur la voie d’une nouvelle accoutumance » (page 63). Il décrit sommairement « la corvée du ramassage des morts (…) en instance de sépulture » (page 98) et dépeint le cimetière de Maurepas au début des années 60, parabole sur l’oubli : « la plupart des noms sont fatigués de ne plus être lus » (page 90). Il évoque le vol entre soldats (page 87) – marquant par là même l’attachement au sac, lien avec le civil – et nous montre un fait semble-t-il réel de « deux soldats, du 15-2 et du 64e bavarois qui s’étant embrochés se regardèrent mourir l’un sur l’autre » (page 159). Son évocation d’un ancien combattant allemand duquel il s’est rapproché illustre la communauté des poilus de l’après-guerre.

Dans les quelques toponymes cités dans l’ouvrage, on retient Haussez (Seine-maritime) (p. 17), Amiens (p. 26), cote 131, Hardecourt-aux-Bois (p. 39), Péronne, Combles, ferme de Monacu, bois de Hem, bois des Ouvrages, Curlu, bois Vieux, bois Neuf, bois Sabot, ravin de Maurepas, bois du Quesne, bois Savernake, bois Louage (p. 49), Rancourt (p. 59) et Sailly-Saillisel (p. 154).

4. Autres informations

Les survivants vont mourir ont été traduits en allemand sous le titre « Und die überlebenden werden sterben. Erzählungen », Kiepenheuer & Witch, 1956, 187 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

Share

Bernardin, Joseph-Auguste (1882-1949)

1. Le témoin

bernardinportrait.JPG

Joseph-Auguste Bernardin est né le 4 juin 1882 dans une famille de cultivateurs du hameau des Granges à Plombières-les-Bains (Vosges). Son père, Amé-Auguste, s’est remarié avec Marie-Joséphine Jeanvoine ; aussi, le couple a eu, en plusieurs lits, 11 enfants. Joseph épouse dans sa commune le 14 avril 1909 Marie-Joséphine Bernardin, avec laquelle il aura des enfants. A. Raffner, présentateur des carnets en avril 1978 ne nous éclaire pas sur la vie de ce combattant mais précise que sa famille, domiciliée a Herblay (Seine) à légué ses carnets au Mémorial du Linge. L’allégation par les présentateurs du fait qu’il soit devenu lieutenant après la guerre semble être inexacte et pourrait provenir d’une homonymie d’un soldat né un an auparavant à Onans dans le Doubs. Joseph-Auguste décède le 8 avril 1949 à Argenteuil (Val-d’Oise).

2. Le témoignage

bernardin.JPG

Bernardin, Joseph-Auguste (Sgt), Dans la fournaise du Linge avec le 5e B.C.P. (Juillet – août 1915). Colmar, Mémorial du Linge, 1978, 77 pages. Portrait en frontispice, 17 photographies, 2 cartes et 3 croquis.

Sergent à la 4e section de la compagnie Bernin du 5e BCP, parti en renfort de Bussang (Vosges) le 24 juin 1915, Bernardin témoigne de cette date jusqu’à son admission à l’hôpital le 6 août suivant. Après la guerre, il recopie ses notes en y apportant de rares ajouts (mention page 33) et reprend son texte en 1943 puis une nouvelle fois en 1944 (mentions page 25). Il conserve toutefois la datation de son récit jour par jour. Très sommairement présenté, le carnet du sergent Bernardin couvre avec densité une courte période, l’une des plus dures passées sur le « tombeau des chasseurs ». Ce ne sont que deux mois de guerre, mais quelle intensité narrative dans ce témoignage particulièrement édifiant et horrifiant, maître pour l’étude de cette partie des Vosges. Témoignage brut, transcrit sèchement, sans introduction ni rappel d’antériorité – le carnet commence-t-il à cette date ? -, à la biographie éthique et aux notes parfois incompréhensibles (cas de la note 3 page 9, peu clarifiée page 24), il n’en est pas moins l’un des plus haletants connus sur la guerre dans les Hautes-Vosges. Sa lecture, vertigineuse, fait toucher du doigt « la Fournaise du Linge » et c’est bien la récurrence de l’horreur qui transpire de ces pages et renseigne l’Historien. Bernardin est un témoin efficace et précieux, alliant à la qualité de la description une intensité dramatique narrative qui perce le lecteur.

Une courte relation (3 pages) de souvenirs de Marcel Lagneau, du 63e B.C.A, complète ce récit : il a été témoin des attaques du Linge depuis la Tête des Faux et a subi les terribles bombardements de ces sommets, principaux ennemis individuels du soldat.

3. Analyse

Joseph-Auguste Bernardin arrive sur le front des Vosges le 24 juin 1915. Les jours qui suivent sont un avant-goût de l’enfer sur le Hilsenfirst mais c’est au Linge, le 28 juillet, que va se révéler pour lui toute l’horreur et la terreur de la guerre de montagne. Il n’y tiendra lui-même que quelques jours, blessé dès le 4 août par un minen. Après une rapide préface qui rend hommage aux descendants du héros pour la communication de ses mémoires et introduit les lieux et les hommes, le carnet de guerre du sergent prend naissance le 24 juin 1915, à la gare de Bussang. Il monte à l’Hilsenfirst subir le bombardement incessant, qui écrase hommes et pierres. Il n’y reste que quelques jours, relevé le 4 juillet et envoyé au repos à Kruth pendant deux semaines, le temps d’une revue passée par Joffre lui-même. Le 17, « procession de corps chargés, suants, haletants » en direction cette fois-ci du Linge par Mittlach, le Nislissmatt et le Reichackerkopf, en empruntant « le fameux boyau n°6 ». La montée est déjà un enfer et la mort ou la blessure décime la cohorte, par l’obus ou la balle des tireurs d’élite. Le 29 juillet, c’est l’attaque manquée, que l’on doit reprendre le 1er août et les jours suivants. Il parvient à prendre pied – ou plutôt dégringole – dans la tranchée ennemie et multiplie les prisonniers avant de creuser de passables tranchées. Le 5 août, une contre-attaque allemande le plonge dans le néant. Il se réveille à la nuit, bercé par le brancard qui l’éloigne de l’enfer. Miraculé deux fois, il est gravement blessé à la tête mais sort vivant de l’enfer. De l’H.O.E. de Bruyères, il arrive à l’hôpital 104 de Dôle : « Je vais pouvoir dormir ! Je suis sauvé ! ».

Plusieurs citations sont frappées au coin de son expérience de guerre. N’ayant pas le droit de déplacer sa section sous le tir d’artillerie, il résume : « la guerre de position n’est pas la guerre de mouvement ; il faut se faire pilonner sur place » ! (page 16), ou « A la guerre, on ne fuit pas la mort ; c’est souvent en voulant l’éviter qu’on la rencontre » (page 20). En effet, échappant à la mort en exécutant « simplement les ordres reçus », il en nourrit une certaine superstition (page 25), qui se transforme en conviction d’être divinement protégé (p. 51). Il dépeint également la vie quotidienne des villages « unisexuels » (p. 30) ou l’alcool, pourtant contrôlé entraîne des « Chasseurs ivres enchaînés à une cagna d’officier » (page 29). Il s’étonne aussi quand « les Boches (…) n’ont pas la blessure silencieuse » (page 47).

Yann Prouillet, juillet 2008

Share

Courtin-Schmidt, Charles (1871-1963)

1. Le témoin

courtin-schmitportrait.JPG

ADV JPL1031/3

Charles Courtin-Schmidt (Nord, 1871 – Remiremont, août 1963). Journaliste à Nancy de confession protestante, il publie un ouvrage de tableaux de guerre malgré l’annonce de deux autres livres dont « La Grande Guerre racontée par un paysan » et « De la Moselle à l’Oise. 2e série de reportages de guerre » jamais parus semble-t-il. Il participe à la réalisation d’un livre martyrologe sur Gerbéviller et écrit en 1941 un ouvrage sur la commune vosgienne de Remiremont. Directeur de l’Union républicaine de la Meuse à Verdun en 1902, il sera directeur de l’Industriel Vosgien de 1906 à son sabordage en 1940. Il est à sa mort le doyen des journalistes vosgiens et de la presse de l’Est.

2. Le témoignage

courtin-schmidt.JPG

Charles Courtin-Schmidt, De Nancy aux Vosges. Reportages de guerre. Dupuis (Nancy), 1918, 265 pages, illustré de croquis de Prouvé, Ramel, Gassier et Bils.

Moins un témoignage qu’un recueil de tableaux de guerre, la datation des « Reportages de guerre » s’étale toutefois du 7 août 1914 au 30 mai 1915.

3. Analyse

L’auteur se voit confier par le maire de Nancy, monsieur Laurent, la mission de trouver du lait dans les campagnes environnantes. Cette tâche va être pour lui le prétexte à visiter la zone des armées et à tenter de se rapprocher le plus possible du front afin de réaliser des reportages de guerre. C’est l’objet de son premier trajet qui l’emmène à Neufchâteau le 7 août 1914. Un peu loin du front, Courtin-Schmidt nous montre des G.V.C. et les campagnes environnantes, qui ont vu tant de conflits. Un petit incident émaille le fastidieux trajet en terre Lorraine mais l’auteur s’en confie ; « nous n’avons pas éprouvé la sensation que nous étions en guerre » (page 23). Alors on discute et l’on se souvient des guerres passées et des exactions allemandes qui se seraient produites depuis le début du conflit. Puis il faut rentrer sur Nancy, la mission accomplie. Le second voyage, le 26 septembre, le rapproche de ce front inconnu alors qu’il se rend à Remiremont en passant par Lunéville occupée du 28 août au 12 septembre et encore sous le choc d’un joug terrible. Il visite aussi Saint-Dié, elle aussi Allemande pendant 16 jours. On y parle de l’héroïque prise du drapeau de Saint-Blaise, en Alsace, pour poursuivre par Corcieux puis par un peu de tourisme à Gérardmer avant un retour par Rambervillers et les lieux de combats de la Mortagne, où tout n’est que « ruine et famine !« . Nouveau voyage le 30 octobre dans le Toulois et le pays de Haye qui ont vu l’Allemand et où on peut parler de la guerre que l’on a subie de plus ou moins près. Là, il est difficile à l’auteur de faire la part de la fiction et de la réalité dans les témoignages entendus mais cette visite rapprochée lui permet de côtoyer le vrai front ! Sous escorte, il peut voir de près un campement et des soldats endormis qui partent bientôt en patrouille. Mais il faut revenir, malheureusement trop vite, au village calme de l’arrière. Le lendemain, nouveau voyage, très court, vers Moncel-sur-Seille, sur les traces des combats de Champenoux. Autre périple, le 8 novembre à Gerbéviller, pour constater et rapporter l’horreur sans nom : « Mes yeux n’en croient rien ! Est-ce là Gerbéviller ? » (page 151) et de redire les actes de barbarie des tueurs d’enfants et de vieillards qui se sont déroulés ici dans les derniers jours d’août 1914. Là, moult témoins bavards et encore horrifiés de ce qu’ils racontent… « Mais voici que sonne l’heure du départ. Notre pèlerinage est terminé. En route ! » (page 175). « Des amis d’Epinal m’ont informé qu’ils avaient à remplir une mission administrative, dans la région de Raon-l’Étape et de Saint-Dié. Le voyage sera très intéressant au point de vue documentaire » (page 177). Alors, le 8 décembre, nouvelles péripéties en perspective entre Epinal et Raon-l’Étape où l’on peut recueillir des anecdotes à rapporter. Passage trop rapide derrière le front vers Senones où l’on entend (tout de même) le son du canon et l’équipée arrive à Saint-Dié où se sont produites les pires horreurs qu’il faut vite dire pour que le monde connaisse. 1er janvier 1915. La guerre va-t-elle finir cette année ? 10 janvier, un journaliste anglais veut voir Baccarat. Courtin-Schmidt rapporte son épopée et se souvient lui aussi qu’il a vu les ruines de cette ville elle aussi martyre. Une nouvelle petite visite à Raon-l’Étape où l’auteur, « bien que maintenant habitué à la vision des ruines… parcours une nouvelle fois les quartiers dévastés » (page 222). « Il est avéré que… » et de rapporter les ignominies ennemies des vols organisés et autres anecdotes révélatrices avant de repartir. 10 mars, visite en plaine de la Woëvre où l’on voit de la boue ! 18 avril, la « Comédie Lorraine » vient de donner l’Ami Fritz et il faut parler de cette excellente reprise de la pièce d’Erckmann et Chatrian (1864). 30 avril, il faut aussi parler des colis gratuits envoyés aux poilus du front et du spectacle des mères aussi héroïques que leurs enfants, « qui confectionnent presque chaque jour le petit paquet qui doit porter à la tranchée le souvenirs toujours présent du foyer familial » (page 248). Le 30 mai 1915 enfin, Courtin-Schmidt décrit un poilu rencontré dans une carriole cahotante et qui parle du front en héros victorieux, comme on s’y attend. A l’instar de Gómez Carillo, cet ouvrage étend quelque peu la notion de littérature testimoniale. A noter quelques illustrations, des reproductions de proclamations allemandes et les descriptions, certes légères, des cités traversées dans ses « voyages« .

4. Autres informations

Rapprochement bibliographique

Cet ouvrage est à rapprocher de celui de Enrique Gómez Carrillo Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Paris, Berger-Levrault, 1915, 381 pages.

Bibliographie de l’auteur

Collège d’auteurs Gerbéviller-la-Martyre. Documentaire. Historique. Anecdotique. Nancy, L’imprimerie Lorraine, 1918, 64 pages.

Informations archivistiques : voir trois notices bibliographiques (ADV JPL 1106/63, 1031/3 et 1103/89).

Yann Prouillet, juillet 2008

Share

Gómez Carrillo, Enrique (1873-1927)

1. Le témoin

Enrique Gómez Carrillo est né à Guatemala le 27 février 1873. Critique littéraire, chroniqueur, journaliste diplomatique, il est le fils de l’historien Agustín Gómez Carrillo, recteur de l’université de San Carlos et de Joséphine Tible Machado, d’origine belge, de laquelle il tient sa connaissance de la langue française. Il travaille en 1890 au Courrier du Soir du Guatemala et rejoint Paris où il est nommé consul de ce pays (1898) et d’Argentine (1899). C’est au double titre de diplomate et de correspondant de guerre qu’il parvient à effectuer plusieurs visites à l’arrière du front de France en 1914-1915, desquelles il va tirer un ouvrage testimonial paru en 1915. Il effectuera d’autres voyages, suivis d’ouvrages tout au long du conflit. Après une grande carrière littéraire, il décède à Paris le 29 novembre 1927 où il est enterré au cimetière du Père Lachaise.

2. Le témoignage

gomez-carillo.JPG

Enrique Gómez Carrillo, Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Paris, Berger-Levrault, 1915, 381 p., non illustré.

Le texte est traduit de l’espagnol par J.-N. Champeaux, journaliste à L’Information qui nous renseigne dès l’envoi sur le ton de l’ouvrage, suite de « pages justicières » issues de voyages au front du 15 novembre 1914 au 10 mars 1915.

3. Analyse

Gómez Carrillo, diplomate et correspondant de guerre espagnol, parcourt le front et ses arrières du 15 novembre 1914 au mois de mars 1915. Il consigne et décrit ses visions et ses impressions du conflit bien qu’il ne le côtoie que postérieurement ou ne s’en approche que de manière très relative. Dès lors, de la banlieue parisienne à Pont-à-Mousson, nous suivons ce très francophile témoin dans son parcours qui nous amène sur les ruines de la Marne, la forêt d’Argonne, Verdun, le Grand Couronné et les abords de Metz. Pendant son périple, Gomez Carrillo retrace en forme de journal d’impressions datées les évènements, petits ou grands et reporte les légendes et les anecdotes de l’invasion. Il fait également de nombreuses références et rétrospectives historiques sur les sites traversés, fustigeant l’Allemand et magnifiant l’esprit français et ses valeurs. Quelques réflexions opportunes de cet éminent lettré imagent ce récit à la fois personnel et emprunté à l’Histoire.

Nous sommes donc avec cet ouvrage aux limites de la littérature testimoniale, bien qu’il s’ouvre sur cette phrase : « 15 novembre 1914. Nos visions de guerre commencent aux portes de Paris… », ce « témoin civil » est à la marge de ce genre littéraire. Les envolées lyriques, les nombreuses rétrospectives historiques ou les aspects touristiques des sites que l’auteur dit traverser ne font toutefois pas oublier – et rehaussent plutôt – la pauvreté documentaire de ce périple et de l’ouvrage. Fort bien écrit et très érudit, ce livre n’est en fait qu’une image très démonstrative des intoxications patriotiques du moment de sa rédaction. En effet, outre des erreurs géographiques grossières (Gómez-Carrillo semble placer la commune vosgienne de Raon-l’Étape entre Commercy et Sermaize-les-Bains, sur la route de l’Argonne, page 138), l’auteur se fait surtout le rapporteur des clichés populaires et ineptes de la propagande du début du conflit. Prisonniers ennemis qui se rendent pour de la nourriture, fraternisations multiformes (pages 94, 124, 207) et accords tacites répétés entre les belligérants, espionnite exacerbée (pages 103), prisonniers volontaires en nombre (pages 94, 184, 205) exactions allemandes sans nom, etc., se multiplient à chaque chapitre et révèlent qu’en fait de correspondance ou de témoignage de guerre, Gomez Carrillo n’a vu du front et des sites de l’invasion que ce que l’autorité militaire a bien voulu lui laisser voir et que ce que la propagande a bien voulu lui laisser dire. Un livre finalement bien pauvre d’enseignements mais riche d’un bourrage de crâne qui représente en soi un modèle du genre et une des meilleures illustrations de ce type de littérature de guerre. On note toutefois une réflexion sur le Miracle de la Marne : « Pour la première fois dans l’histoire, la France avait appris dans le cours d’un désastre à organiser le triomphe » (page 354).

4. Autres informations

Rapprochement bibliographique

Cet ouvrage est à comparer à celui de Courtin-Schmidt, De Nancy aux Vosges. Reportages de guerre, Nancy, Dupuis, 1918, 265 pages.

Bibliographie de l’auteur

Gomez Carrillo Enrique Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Nancy, Berger-Levrault, 1915, 381 pages.

Gomez Carrillo Enrique Au cœur de la tragédie. Sur le front anglais. Nancy, Berger-Levrault, 1917.

Gomez Carrillo Enrique Le sourire sous la mitraille. De la Picardie aux Vosges. Nancy, Berger-Levrault, 1916, 348 pages.

Gomez Carrillo Enrique Le mystère de la vie et de la mort de Mata Hari. Paris, Charpentier-Fasquelle, 1925, 227 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

Share

Alain (Emile-Auguste Chartier) (1868-1951)

1. Le témoin

alainportrait.JPG

Emile-Auguste Chartier dit Alain est né à Mortagne-au-Perche le 3 mars 1868. Philosophe, journaliste et professeur de français, il publie dès 1903 plusieurs milliers de chroniques sous le nom d’Alain et est connu comme pacifiste avant guerre. A la déclaration des hostilités, bien que non mobilisable, il s’engage dans l’artillerie et est affecté au 3e régiment d’artillerie lourde. Gravement blessé au pied à Verdun le 23 mai 1916, il fait un court séjour aux services météorologiques de l’armée, sera démobilisé en 1917, restera estropié et reprendra sa carrière de professeur. Son nom reste attaché au pacifisme et à l’antifascisme. Il décède au Vésinet le 2 juin 1951 et est enterré au cimetière du Père Lachaise.

2. Le témoignage

alain.JPG

Emile-Auguste Chartier dit Alain, Souvenirs de guerre. Paris, Hartmann, 1937, 246 pages, non illustré, portrait en frontispice.

Alain écrit ses souvenirs en 1931 et précise en faire « quelques ajustements, mais sans rien changer à cette couleur des opinions » (page 243) en mai 1933. Ces souvenirs présentés d’une manière vaguement chronologique comportent peu de dates et quelques lieux seulement pourront aider à suivre le narrateur dans ses trois années de périple. On trouve néanmoins dans l’ouvrage quelques tableaux assez bien descriptifs de ces lieux occupés par Alain et de nombreux détails techniques, restant superficiels toutefois. La période couverte s’étale d’octobre 1914 à octobre 1917.

3. Analyse

Alain a 46 ans lorsqu’il s’engage comme volontaire au 3e RAL en octobre 1914 et rejoint avec sa batterie le village de Beaumont, entre Toul et Saint-Mihiel. Dès lors, l’écrivain-philosophe-soldat relate les épisodes marquants qui lui reviennent à l’esprit et qui vont lui donner le prétexte à une réflexion profonde et débridée sur la guerre et les impressions qu’elle lui inspire. Employé dans plusieurs postes, rarement très loin des combats, Alain, simple brigadier malgré ses lettres et son cursus, va parcourir la guerre jusqu’en octobre 1917 et observer, parfois commander mais surtout réfléchir à sa condition et à celle des hommes qu’il côtoie. Il donne libre court à son esprit critique et juge tant le détail que la nature humaine avec un soupçon de révolutionnarisme. Il parle aussi objectivement de la technique, de ses métiers et des lieux qu’il parcourt, ceci sans soucis de continuité ou de lien, laissant courir sa plume au gré de ses souvenirs. On sent toutefois présente dans la fin du récit une certaine lassitude de la guerre et c’est sans regret que l’auteur quitte le front en octobre 1917.

L’attrait de ces souvenirs réside tant par la richesse des impressions qu’ils contiennent que par l’origine de leur auteur. Alain, philosophe-soldat nous fait plonger dans le minuscule univers de son champ de vision et fait surgir quelques réflexions sur le monde qu’il nous présente de manière débridée. Ainsi, par delà le simple récit d’un combattant de l’immédiat arrière front se trouvent illustrés un état d’esprit et une vision fort justes de personnages divers, décrits au gré des rencontres. Philosophe soldat, la guerre semble un laboratoire de l’âme humaine qu’Alain analyse en temps réel. Un ouvrage donc riche de sentiments (lire ses impressions en montant à Verdun, page 198 ou ses sentiments de permissionnaire après 17 mois de front, page 154), de réflexions logiques ou philosophiques d’une portée très abordable  – parfois même naïve (Alain se demande (à Souain) si la viande d’un cheval blanc est comestible, comme le dit la rumeur, page 115) – avec également de nombreux détails techniques utiles sur l’artillerie ou des tableaux simplement décrits (tels les jeunes conscrits qu’il dépeint comme : « Cette jeunesse avait quelque chose de vieux » page 168). Quelques thèmes récurrents sont abordés tels l’espionnite (pages 62 et 64). Il évoque également Norton Cru (page 21), parle de la gnôle, « l’eau des braves » (page 147) (voir aussi sur l’alcool, remède de troupe pour le vaccin contre la typhoïde : « boire à mort et dormir 24 heures » page 179), et l’on retient sa citation « Le front commence au dernier gendarme » (page 43).

4. Autres informations

Rapprochements bibliographiques – bibliographie de et sur l’auteur

Alain (Chartier Emile) Souvenirs de guerre. Paris, Hartmann, 1937, 246 pages.

Alain (Chartier Emile) Mars ou la guerre jugée. Paris, Gallimard, 1921, 258 pages.

Alain (Chartier Emile) Correspondance avec Elie et Florence Halevy. Paris, Gallimard, 1958.

Alain (Chartier Emile) Suite à Mars. Convulsions de la force. Paris, Gallimard.

Alain (Chartier Emile) Propos d’un Normand. Tome V : 1906-1914. Paris, N.R.F., 1960, 312 pages.

Alain (Chartier Emile) Méditation pour les non-combattants. 21 propos d’Alain (1907-1914). Paris, 1914, 32 pages.

Alain (Chartier Emile) Le Citoyen contre les Pouvoirs. Paris, Simon Kra, 1926.

Alain (Chartier Emile) De quelques-unes des causes réelles de la guerre entre nations civilisées. Paris, Foulatier et Bourgne, 1988.

Gontier Georges Alain à la guerre. Paris, Mercure de France, 1963, 179 pages

Vollerin Alain Alain et Tresch. 1914-1918. Un philosophe, un peintre dans les tranchées. Une rencontre improbable. Paris, Mémoire des Arts, 2005, 95 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

Complément : Alain, Lettres aux deux amies, Paris, Les Belles Lettres, 2014, 681 p. Les deux amies sont Marie-Monique Morre-Lambelin et Marie Salomon, largement citées par ailleurs dans Marie-Louise et Jules Puech, Saleté de guerre ! correspondance 1915-1916 présentée par Rémy Cazals, Ampelos, 2015.

Share

Roux, Franck (1893-1964)

1. Le témoin

rouxportrait.JPG

Franck Roux est né à Brignon (Gard) le 25 septembre 1893. Il y exerce la profession d’agriculteur (son livret militaire précise « propriétaire »). Mobilisé à la 11e compagnie du 52e R.I. de Montélimar (14e corps d’armée, 27e division, 54e brigade), il fait une courte campagne et est fait prisonnier dans les Vosges en septembre 1914. Il passera quatre années de captivité en Allemagne dans deux fermes de la région de Stuttgart. Il se marie en décembre 1919 et naîtront de cette union quatre enfants. Il décède le 10 avril 1964.

2. Le témoignage

rouxlivre.JPG

Franck Roux, Ma campagne d’Alsace-Lorraine. 1914. (Les sapins rouges). Nîmes, Lacour-Redividia, 1997, 47 pages, non illustré, portrait en frontispice.

Sous le nom d’auteur de l’ouvrage est ajouté « Agriculteur Gardois ». Le texte a été mis en forme et présenté en octobre 1993 par Robert Roux, son fils qui signe un épilogue en octobre 1996 sur la base d’un texte « recopié » en captivité. L’ensemble du texte, très sommaire (38 pages), s’étale du 1er août au 8 septembre 1914. Robert Roux indique le 11 octobre 1997 avoir souhaité rééditer le carnet de guerre de son père, un petit calepin noir de format 14×9 cm, par « devoir de mémoire« .

3. Analyse

Franck Roux est soldat au 52e R.I. de Montélimar quand la guerre le transporte vers Rambervillers où il arrive le 7 août 1914. Le 13, il franchit la frontière où il est placé en réserve des combats qui se déroulent en avant du col du Bonhomme, là où l’auteur va connaître son baptême du feu, le 15. C’est alors l’avance et les combats en Alsace, à Steige ou au col de Saales, avant l’ordre de repli sur le col de Prayé le 21 août à 23 heures. Le bataillon de Roux garde le col dans des retranchements les deux jours suivants avant de se replier une nouvelle fois par Senones et Moyenmoutier au cours de la nuit du 23 au 24. Ce dernier jour, le 52e combat pour reprendre Saint-Blaise « après une vive résistance » et avant l’attaque des bois de la forêt du Grand Fays pendant deux journées terribles où quatre assauts à la baïonnette rendent exsangues les compagnies qui y ont pris part, laissant à celle de Roux, la 11e, 80 survivants sur 250. Après un ultime assaut manqué pour la reprise de Saint-Blaise le 27, c’est à nouveau le reflux vers l’ouest, par Etival, Saint-Michel-sur-Meurthe, La Salle puis La Bourgonce. Entre le 29 août et le 3 septembre, les 52e, 75e, 140e R.I. et le 11e B.C.A. multiplient les attaques sur Saint-Remy qui restera finalement aux mains des Allemands pendant que les Français refluent vers La Salle. Le 4, les engagements reprennent dans ce village avec plus d’acharnement encore quand vers 18 heures, 120 défenseurs, dont le narrateur, sont faits prisonniers après une défense acharnée du village. Dès lors, c’est la lente évacuation vers l’Allemagne par Etival, Raon-l’Étape, avant Strasbourg et le camps de Stuttgart où il arrive le 7 septembre 1914. C’est là qu’ont été recopiées les pages du carnet du soldat Roux.

D’une typographie souvent médiocre, il manque à ce carnet édité à minima par les soins du fils de l’auteur, les précisions utiles à l’Historien. En effet, même si aucune date n’est omise entre le 1er août et le 8 septembre 1914, on regrette la brièveté des évènements retracés, trop souvent représentés par des descriptions imprécises d’avances et de reculs successifs et dont le flou est accru par l’absence regrettable d’une topographie détaillée, non corrigée par le présentateur, comme Albertvillers pour Rambervillers (page 10) ou par une imprécision géographique du style « un bois » et « une ferme à côté d’un bois » (page 22). Même si l’on peut suivre l’auteur dans les grandes lignes de son déplacement, la description des combats est superficielle. C’est lors des combats de Saint-Blaise que le flou tend à perdre le lecteur qui, pour peu qu’il connaisse la topographie, ne se retrouve pas dans les phrases : « On progresse en avant du village, traversant une grande prairie. (…) On arrive aux premières maisons du village !  » (pages 22-23). « Une pluie d’obus » s’abat dans le cimetière de Saint-Blaise (page 24). La prairie de Saint-Blaise est « labourée par les obus » (page 26). L’attaque du massif du Fays (supposée plus que révélée uniquement par « la crête du bois » (page 24) est réalisée avec le 252e de réserve (localisée le lendemain à Taintrux par ailleurs) (page 25) et dont on n’entend plus parler le 29 août où les unités réelles sont mentionnées (page 29), etc. On ne trouve pas toutefois les clichés habituels de la littérature de bourrage de crâne. En cela, même s’il reflète une certaine fidélité dans la réalité des évènements vécus, simplement décrits par leur auteur, le carnet de Roux est un témoignage étique. On notera une préface et un épilogue un peu simplistes, n’apprenant rien de plus au lecteur sur le parcours ou le vécu de l’auteur.

4. Autres informations

L’ouvrage est à rapprocher de Delabeye, B. (Lt) Avant la Ligne Maginot. Admirable résistance de la 1ère armée à la frontière des Vosges. Héroïque sacrifice de l’infanterie française. Causse, Graille & Castelnau (Montpellier), 1939, 278 pages, qui fournit les déplacements et des caractéristiques similaires dans la description du 140e R.I., régiment frère du 52e en août et septembre 1914.

Yann Prouillet, juillet 2008

Share