Clavel, Marcel (1894-1976)

1. Le témoin

Marcel Clavel vient d’une famille assez aisée et très instruite et cultivée. Son père est percepteur à Toulouse. En juillet 1914, Marcel est admis à l’Ecole Normale Supérieure. Il est mobilisé le 5 septembre et rejoint le 15e RI à Albi. Puis il part près de Pézenas pour suivre une formation d’officier réservée aux élèves des grandes écoles. Le 5 décembre, il est promu sous-lieutenant et affecté au 164e régiment d’infanterie. Sorti premier du peloton d’instruction, il part pour le front le 10 janvier 1915, à Ypres, pour une période de deux ans et demi, dans une unité de première ligne, le 81e RI de Montpellier. Le 8 juin 1915, il est nommé lieutenant. Le 10 octobre 1915, il est promu au grade de capitaine.

Il a reçu trois citations, la première pour les attaques de mars 1915 à Beauséjour, la seconde pour l’offensive de septembre 1915 dans les secteurs de Souain et de Tahure, et la dernière pour les attaques de Thiaumont en août 1916, où il a été blessé à l’épaule gauche. En 1917, il part, en tant qu’officier détaché du 81e RI, s’occuper de l’instruction de divisions américaines. Le 25 février 1919, il est démobilisé.

Il part à Oxford pour préparer un diplôme sur l’armée anglaise vue par Kipling. En 1920, il retourne à l’Ecole Normale pour passer l’agrégation d’anglais, qu’il obtient brillamment, et il est nommé chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire pour faits de guerre. Il débute sa carrière à l’université de Michigan aux États-Unis en tant qu’agrégé d’anglais détaché. Pendant quatre ans il rédige sa thèse sur Fenimore Cooper. En 1925, il revient en France, il est d’abord nommé au Grand Lycée de Marseille, puis il devient professeur de langue et de littérature anglaise à la faculté des Lettres de l’université d’Aix-Marseille. Il est proposé pour le grade d’officier comme chef de bataillon d’infanterie attaché à la mission de Liaison auprès de l’Armée britannique en 1940. Plus tard, il quitte l’armée comme lieutenant-colonel de réserve.

2. Le témoignage

– Lettres et cartes originales : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 181 (710 pièces).

– Deux versions dactylographiées de la correspondance, intitulées Ultime témoignage sur la première guerre mondiale par un conscrit de la classe 14, normalien de la promo 14 à l’Ecole normale supérieure, agrémentées de documents divers : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 182 ; Bibliothèque municipale de Toulouse (598 p.).

– RIONDET Aurore, « Ultime témoignage sur la Première Guerre mondiale par un conscrit de la classe 14 » : La correspondance de Marcel Clavel (1914-1917), mémoire de Master 1 sous la direction de Rémy Cazals, Toulouse II Le Mirail, 2006, 276 p (144 p. de lettres retranscrites).

3. Analyse

(Référence aux pages du mémoire d’Aurore Riondet)

Expérience combattante :

– découverte de nouvelles régions et des populations locales : p. 199-200,

– sur l’ingéniosité des Belges et leurs coutumes, voir la lettre du 21 janvier 1915, p. 75.

– descriptions précises des secteurs occupés : p. 200,

– pour une description d’une tranchée et des informations sur son organisation, voir la lettre du 23 janvier 1915, p. 76

– vie quotidienne dans les tranchées (conditions de vie, temps de détente et repos) : p. 201-203,

– sur le travail incessant dans les tranchées, voir la lettre du 30 octobre 1916, p. 179.

– rôle du chef (moral combattant, privilèges, courage et protection) : p.204-207.

Sentiments d’un jeune combattant :

– relations familiales (lien affectif, demandes d’informations, sentiment national) : p. 209-211,

– sur son enthousiasme à partir sur le front, voir la lettre du 7 septembre 1914, p.49.

– perceptions de la violence (perte de camarades, force morale, soutien spirituel) : p.212-215,

– sur la douleur de la perte d’un camarade proche, voir la lettre du 17 août 1916, p.172.

– perception des « autres » (rapports avec le Commandement, avec l’ennemi, avec les civils), p.216-219,

– sur l’attribution des récompenses militaires, voir la lettre du 17 août 1916, p. 173.

4. Autres informations

– Registre matricule : Archives départementales de la Haute-Garonne, série 5416W6.

Historique du 81e Régiment d’Infanterie (campagne 1914-1917), par le caporal Gabriel Boissy, 1918, aux Impressions Mistral Cavaillon, numérisé par Lucie Alle, consultable sur www.1914-18.org, rubrique Historiques-Régiment d’infanterie.

– Documents relatifs à la vie de Marcel Clavel (articles, brochures…) : Archives départementales de la Haute-Garonne, sous-série 1J 183.

Aurore Riondet, 12/2007

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Castan, Jérôme (1893-1980)

1. Le témoin

Jérôme Castan est né le 13 décembre 1893 au Passage d’Agen, au bord de Garonne. Issu d’une famille modeste, il a suivi une scolarité un peu plus avancée que le commun des enfants de l’avant-guerre : reçu au certificat d’études, il poursuit encore deux ans à l’école pratique de commerce et d’industrie, rue Lacanal à Agen, avant d’intégrer en 1908 la Société Générale. Employé de banque, il passe devant le conseil de révision une première fois en 1913. Ajourné, il repasse devant le conseil en avril 1914 sans succès pour être finalement récupéré par l’armée en octobre 1914. Mobilisé en décembre de la même année au 78e RI de Guéret (Creuse) comme simple fantassin.

2. Le témoignage

Publié dans la Revue de l’Agenais (n°1, 2008), son « journal de route » commence le 18 décembre 1914, jour de son départ pour Guéret et le 78e régiment d’infanterie. Ses carnets ont suivi secteur après secteur l’itinéraire du combattant Castan, entre poche et musette. Un autre carnet, rouge celui-là, propre, d’une taille plus importante, aucunement abîmé, porte une autre écriture. Jérôme dans le calme a « reclassé par ordre les différentes phases de [son existence] pendant la guerre ». Les quelques paragraphes de « présentation » de ces notes sont datés du 25 juillet 1916 : Jérôme est alors au front, dans un secteur « d’une tranquillité absolue » comme on peut le lire dans ses petits carnets de route. Une rupture dans l’écriture entre février et juin 1917. Puis continuité jusqu’au terme de la guerre. L’écriture de ce carnet rouge ne correspond pas exactement à l’écriture du temps de guerre : lorsqu’il arrive à Verdun et monte pour la première fois aux tranchées, il écrit : « Dans la nuit du 6 au 7 avril [1916] émotionnés nous aussi de prendre part à la partie gigantesque qui se joue, nous allons prendre position ». Aucun passage de ses petits carnets ne mentionne cette réflexion. Jérôme a donc transcrit un sentiment peut-être ressenti sur le moment mais qu’il n’avait pas noté : sa double écriture se complète alors, plus qu’elle ne s’oppose.

Son parcours démarre au front en avril 1915 dans une compagnie de son régiment sur la ligne de feu. Puis, comme des millions de soldats devenus combattants, il parcourt les différentes parties du front, de secteur calme en secteur actif : la Meuse, l’Artois, Verdun, l’Aisne, la Somme, la Champagne. En novembre 1917, il part pour l’Italie soutenir les troupes transalpines et y reste jusqu’à la fin du conflit.

3. Analyse

Son témoigne apporte le regard d’un « col blanc » sur la guerre, témoignage assez rare dans la masse de ceux qui ont été publiés. Si beaucoup de thèmes bien connus sont évoqués ou absents (la violence donnée par exemple), la camaraderie revient très souvent au fil de son journal. Au front, les soldats n’hésitent pas à faire plusieurs kilomètres pour se rendre dans l’unité où se trouve un compatriote, connu d’avant guerre. Joie des retrouvailles d’autant plus grande que les hommes peuvent alors évoquer la vie au pays. Importance aussi des camarades de la classe : « J’ai la joie de retrouver bon nombre de camarades qui nous avaient précédés ». Entre autre l’ami Candelon. Et c’est une déception lorsque les amis ne sont pas versés dans la même compagnie. Jérôme ne manque pas d’écrire en arrivant dans sa nouvelle escouade en avril 1915 : « Bonne impression des nouvelles connaissances ». Il s’agit d’un aspect important de la vie des soldats au front : se savoir bien entouré, pouvoir s’inclure dans le groupe, notamment quand on arrive après la mobilisation d’août 1914 et la première constitution des unités, et que l’on fait partie des « bleus » (ici de la classe 1915).

Des notes intéressantes sur le traitement des tombes des camarades et sur la vie des soldats français en Italie.

Alexandre Lafon, 12/2007

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Basset, Abel (1875-1915)

1. Le témoin

Né le 26 mai 1875 à Sérignac dans le Lot (prénoms d’état-civil : Jean Emile). Il est cultivateur chez son beau-père à Courbiac, canton de Tournon d’Agenais (Lot-et-Garonne) lorsque la guerre éclate. Mobilisé dans l’armée territoriale, il est marié et père de deux enfants, propriétaire de quelques terres. Il n’est engagé dans aucun syndicat, association ou autre mouvement d’opinion. Il sait lire et écrire, sans avoir fait d’études importantes. D’abord incorporé dans l’armée territoriale, il part au front au début de l’année 1915 dans la réserve du régiment d’infanterie d’Agen, le 209e RI. Il est décédé le 23 septembre 1915 près de Roclincourt dans le Pas-de-Calais dans une sape. Médaillé militaire posthume.

2. Le témoignage

Il se compose de 150 cartes postales (aucune lettre) envoyées depuis l’arrière puis du front à sa femme et essentiellement à sa fille cadette, Elodie, âgée de 4 ans en 1914. Les textes sont très courts, parfois lapidaires. Hormis les quelques informations que l’on peut dégager des propos tenus par Abel Basset, les 150 cartes envoyées permettent de travailler sur un échantillon iconographique intéressant. Bibliographie : Lafon Alexandre : « Une correspondance de guerre », dans Revue de l’Agenais, n°2 – avril-juin 2005, p. 783-804.

3. Analyse du témoignage

Le corpus de cartes postales et plusieurs indications données par Abel Basset permettent de mieux comprendre comment les combattants ont pu choisir tel ou tel support iconographique pour leur correspondance. Dans le cas de Basset, il apparaît que son choix est lié non pas à une quelconque démarche pré-établie (sauf pour les vues panoramiques permettant de faire découvrir à sa fille les paysages de France), mue par un patriotisme chevillé au corps, mais bien par la possibilité de se procurer les dites cartes : il prenait simplement à l’arrière front ce qu’il trouvait. Sa correspondance dévoile essentiellement ses activités : terrassier, artisan de tranchées (notamment les bagues) et ses liens avec les camarades du « pays ». La guerre est surtout subie (ni haine, ni violence, mais le poids de l’autocensure est ici important) sans être maîtrisée.

Alexandre Lafon, 12/2007

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Despeyrières, Henri (1893-1915)

1. Le témoin

Né le 1er février 1893 dans la commune du Laussou, canton de Monflanquin (Lot-et-Garonne). Issu d’une famille de propriétaires terriens, études au-delà du certificat d’études sans être bachelier, célibataire. Part pour le front en août 1914 avec le 14e RI (Toulouse). Caporal fourrier (23 septembre 1914) puis sergent fourrier (mai 1915). Porté disparu le 8 septembre 1915, secteur de La Harazée en Argonne (55).

2. Le témoignage

L’ensemble de la correspondance adressée par Henri à sa famille, essentiellement à ses parents, a été retranscrite après sa mort alors que la guerre n’était pas terminée sur deux cahiers. Cent cinquante lettres et cartes postales en tout. Une partie est publiée une première fois dans la revue Sous les arcades, de la MJC de Monflanquin (juillet-septembre 2002) par les soins de Claude Bertrand qui jugeait ce document « passionnant et admirable ». La totalité est publiée en 2007 aux éditions Privat (Toulouse) sous le titre : « C’est si triste de mourir à vingt ans ». Lettres du soldat Henri Despeyrières 1914-1915 (préface d’André Bach, présentées par Alexandre Lafon), 294 p.

Le témoignage est également intéressant par sa forme : en premier lieu, il ne souffre d’aucune réécriture. D’autre part, Henri transmet à ses parents à la fin de l’année 1914 dans sa correspondance même le Journal de guerre qu’il a tenu semble-t-il jusqu’au 26 septembre de la même année, ce qui permet une comparaison du texte avec les lettres qu’il a pu écrire à la même période et ainsi percevoir l’autocensure qu’il a pu déployer.

3. Analyse

Henri Despeyrières dévoile des éléments sur des thèmes bien connus du quotidien des combattants : arrivée aux tranchées et leur description (21 septembre, p. 45), abris, secteurs calmes et actifs, importance des liens avec le « pays », la famille et ce que peuvent attendre les parents des lettres de leur fils combattant. Il confirme que la guerre vécue est rapidement condamnée (p. 42), que l’horizon d’attente des combattants est la fin « prochaine » de la guerre (vœu du 1er janvier 1915), sentiment qui s’accentue dans les premiers mois de l’année. La guerre des fantassins est souvent une succession d’actions dont le sens leur échappe, maintenus qu’ils sont dans l’ignorance des secteurs où on les transporte (par exemple fin août-septembre 1914).

Henri Despeyrières trouve étrange de ne participer dans les premiers combats que comme spectateur (« Je n’ai pas encore tiré un coup de fusil », p. 41), comme il trouve étrange que les Allemands communiquent avec les lignes françaises. Son témoignage permet également, dans cette perspective de mieux comprendre les stratégies relationnelles à plusieurs échelles, de voir à l’œuvre les liens tissés entre les soldats : entre les simples soldats et les officiers (suivant leurs caractères et leurs situations militaires, cadres de l’active ou de la réserve), rapport aux camarades avec qui on est parti qui n’ont pas le même statut que ceux qui arrivent ensuite (p. 118). D’autres remarques et réflexions dévoilent des pratiques de guerre à la fois très violentes (dépouiller les cadavres ennemis, p. 96), mais aussi les soins apportés aux blessés faits prisonniers. C’est surtout l’évolution du moral que l’on peut suivre, à la fois constitué de hauts et de bas, mais sur une tendance plutôt négative : une cérémonie d’exécution de soldats français (avril 1915, p. 204), la mort de son beau-frère, la guerre de siège installée et pour laquelle aucune issue n’est plus lisible ou l’inégalité ressentie entre les militaires (sur les régiments plus ou moins exposés par exemple, p. 179) ont tôt fait de faire d’Henri un combattant résigné qui cherche à limiter individuellement son exposition au feu ou à témoigner d’actes collectifs de limitation de la violence reçue ou donnée.

Quelques observations intéressantes, spécifiques ou bien connues :

– Autocensure, les obus allemand inoffensifs, p. 41.

– L’arrivée des « bleus », p. 72.

– La retraite avant la Marne, p. 87-92.

– Un « canard », p. 93.

– L’ami, p. 103, p. 132, p.142.

– Son regard sur son « témoignage », p. 120.

– Rapport de camaraderie avec son lieutenant, p. 158.

– Prisonniers qui se rendent, p. 167.

– Garder sa bonne place, p. 188.

– Refus collectif de monter à l’attaque, p. 192, p. 222.

Alexandre Lafon, 12/2007

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Capot, Valéry (1891-1970)

1. Le témoin

Valéry Capot est né le 6 mai 1891 à Feugarolles (Lot-et-Garonne). Classe 1911, incorporé normalement à l’automne 1912. Célibataire, titulaire d’un brevet simple et ayant suivi une préparation militaire, il est nommé caporal dès son incorporation au 9e RI d’Agen. Sergent, puis adjudant à partir de la fin 1917. Au dépôt en 1918 pour la formation de la classe 1919 puis retour au front en juillet. Démobilisé en août 1919, il retourne à Buzet-sur-Baïse et s’installe comme pépiniériste.

2. Le témoignage

Les carnets de Valéry Capot sont conservés sous deux formes : la première, ce sont ses carnets tenus pendant la guerre, écrits au crayon, au nombre de 14, versés par sa femme aux Archives départementales de Lot-et-Garonne (cote 90 J 814). La deuxième, constituée du « Carnet de Route », en fait trois carnets dont deux portent au propre la retranscription allégée des carnets de guerre entreprise au moment où V. Capot est à Agen pour superviser l’instruction de la classe 1919 entre février et août 1918, et l’un indique son parcours par secteurs et par mois de guerre. Le tout étant destiné à ses parents. Un passage de l’introduction du « Carnet de route » évoque les originaux : « Ils sont là devant moi ces pauvres compagnons de misère écrits au hasard de la mêlée, sales, écornés, tordus, mais cependant si chers ! Un à un je vais les prendre, et ce sont eux maintenant qui vont vous retracer ma triste vie passée. » La comparaison des deux supports permet d’approcher le travail de réécriture : ce qui a été gardé, ce qui a été éliminé (notamment tout ce qui touche au vocabulaire employé « sur le moment », puis gommé). Deux études se sont appuyées sur ce témoignage : Solès Bertand, Lafon Alexandre, Agen et les Agenais dans la Grande Guerre, Ed. Alan Sutton, Saint Cyr sur Loire, 2004 ; Lafon Alexandre, « Genèse et conséquence d’un échec : l’offensive Nivelle vécue par un lot-et-garonnais », dans Bulletin des Amis du Vieux Nérac, n°42 – 2007, p. 7-29.

3. Analyse

Conservateur, voire réactionnaire, V. Capot entre en guerre avec le sentiment de participer à un événement historique de grande ampleur, demandant son sacrifice, appelant un devoir sans réserve. La guerre vécue le surprend et l’oblige à modifier son point de vue. Présent à toutes les grandes offensives (Marne 1914, Champagne et Artois 1915, Verdun 1916 lors de laquelle il est évacué pour maladie, Moronvilliers le 17 avril 1917), il ne participe pas aux principales phases militaires du printemps et de l’été 1918. On suit à travers ses pérégrinations à la fois le parcours géographique des soldats, mais également les différentes affectations auxquelles ils pouvaient être soumis (stages, perfectionnement dans certaines armes, tenir la coopérative du régiment…). Son témoignage porte la marque d’un regard curieux (découverte des territoires parcourus, découverte des hommes). On retrouve des thèmes bien connus : la camaraderie avec les « pays », les conditions de vie, les combats, la colère envers les généraux que l’on ne croise pas dans les tranchées. D’autres un peu moins : la place du sport, les rapports aux gradés et notamment le regard d’un sous-officier de réserve, promu au feu. Le fil de la lecture est aisé à suivre puisque l’auteur a le souci de faire entrer le lecteur (ses parents) dans ses pensées, ses réflexions. Il est aisé ainsi de suivre l’évolution de son moral, le choc qu’a été la découverte de la guerre vécue, les « remobilisations » avant les grandes offensives, le rôle des sanctions positives (médailles). Les notes qu’il peut prendre pendant la préparation de l’offensive Nivelle en 1917 sont particulièrement instructives, comme celles qui concernent l’après armistice et le rôle donné aux régiments d’infanterie dans le maintien de l’ordre (mai 1919).

Alexandre Lafon, 12/2007

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Thierry, Albert (1893-1915)

Voir la notice dans Témoins… de Jean Norton Cru, p. 469-472. Cette notice concerne le livre posthume Les conditions de la paix, publié en 1918 chez Ollendorff. Les notes quotidiennes d’Albert Thierry ont paru dans La Grande Revue, 1917-1918. Voir Rémy Cazals, « Méditations sur la paix d’un combattant de 1914-1915 », dans Sylvie Caucanas, Rémy Cazals et Nicolas Offenstadt, dir., Paroles de paix en temps de guerre, Toulouse, Privat, 2006, p. 121-132.

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Pottecher, Jean (1896-1918)

Voir la notice dans Témoins… de Jean Norton Cru, p. 539-542. Réédition récente du texte paru en 1926 : Jean Pottecher, 1914-1918. Lettres d’un fils. Un infirmier de Chasseurs à pied à Verdun et dans l’Aisne, Louviers, Ysec éditions, 2003, 208 p., illustrations. Ce livre reprend la préface d’André Suarès, le texte de Jean Pottecher et, en postface, la notice de Témoins…

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Viguier, Prosper (1872-1942)

1. Le témoin

Né le 19 février 1872 à Verfeil-sur-Seye (Tarn-et-Garonne) dans une famille de cultivateurs aisés. Etudes secondaires à Montauban, école du Service de santé militaire à Lyon. Docteur en médecine en 1894. Médecin major de 2e classe en 1900, de première classe en 1911. Médecin militaire en Algérie de 1909 à 1914. Médecin major au 18e RI de Pau au début de la guerre, il est nommé médecin chef de l’ambulance 8/18 en mai 1915. Il reste à ce poste jusqu’à la fin de la guerre. Il devient ensuite médecin-chef de l’hôpital Larrey à Toulouse. Il prend sa retraite en 1931. Il meurt à Verfeil le 8 mai 1942.

2. Le témoignage

Prosper Viguier, Un chirurgien de la Grande Guerre, présentation de Rémy Cazals, Toulouse, Privat, collection « Témoignages pour l’histoire », 2007, 158 pages, illustrations.

Entre 1914 et 1918, il a pris des notes sur plusieurs cahiers : statistiques et bilans en vue d’établir les rapports officiels ; comptes rendus d’opérations chirurgicales, de lectures, d’échanges d’expériences ; remarques personnelles parfois critiques.

3. Analyse

L’ensemble du témoignage fournit un éclairage précieux sur la vie d’une ambulance de l’avant pendant toute la durée de la guerre, avec ses semaines d’activité chirurgicale intensive (l’Aisne, Verdun, la Somme, le Chemin des Dames…). Pendant les moments d’accalmie relative, le médecin-chef s’informe, réfléchit sur les complications à redouter après les opérations et les moyens d’en préserver les blessés, sur les améliorations à apporter au service de santé. Une vision réaliste et précise (par exemple les types de blessures et leurs origines, principalement les tirs d’artillerie), loin de toute fiction littéraire comme de toute surinterprétation hâtive. Non, le major Viguier n’a pas considéré comme un déshonneur de soigner des blessés et de sauver des vies au lieu de tuer des Allemands.

4. Autres informations

– Archives familiales.

– JMO de l’ambulance 8/18, archives du Service de santé militaire au Val de Grâce, cote 893.

Rémy Cazals, 12/2007

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Sittler, Bertrand (1891-1983)

1. Le témoin

Né à Montbéliard le 22 avril 1891. Parents négociants en vins et liqueurs. Il effectue son service militaire au 21e BCP, il est nommé sergent en 1913. Il est sous-lieutenant en septembre 1918. Survivant, Bertrand Sittler reprend le commerce de ses parents. Il est mort en 1983.

2. Le témoignage

Il a été rédigé au propre après la guerre. La précision des dates, lieux, descriptions, montre que l’auteur avait des notes très élaborées. Rien ne permet de dire qu’il en ait modifié l’esprit. Je pense qu’elles ont été, dans l’ensemble, recopiées. Deux indices de cela :

– la description des premiers tanks en octobre 1916, p. 67 : « Ce sont paraît-il des autos blindées rampant comme des vers de terre, armées de mitrailleuses et de canon, pouvant franchir des tranchées de trois mètres » ;

– fin août 18 : « L’ennemi recule de plus en plus. On entrevoit comme une mince lueur d’espoir la fin de la guerre. »

Dans son Bulletin n° 128 (2005, paru en 2006), p. 8-124, la Société d’Emulation de Montbéliard publie le texte intégral de « Mon journal de guerre avec les Chasseurs (1914-1918) », de Bertrand Sittler, précédé d’une brève présentation par Michel Turlotte.

3. Analyse

Chronologie :

Il part avec le 15e groupe de chasseurs cyclistes, 8e DC ; Alsace, Lorraine, Artois.

1915 : Champagne. Attaque de septembre (passages intéressants sur la préparation, p. 44 ; sur la prise du Trou Bricot, p. 48)

Fin 15 et plus grande partie de 16 en Lorraine.

Octobre 16 à Verdun au 107e BCP (reprise de Douaumont p. 69-75 ; attaque de décembre p. 79-85).

Avril 17 au Chemin des Dames, récit assez bref (17 avril : l’attaque se présente mal ; 28 avril : attaque de la sucrerie de Cerny ; mauvais ravitaillement, murmures ; infanterie victime de l’artillerie française, menaces contre artilleurs ; 1er-2 mai : tomber sur les cadavres des attaques précédentes).

Mai à novembre 17 en Flandres.

1918 au 116e BCA, chef de section, promu sous-lieutenant en septembre.

Des descriptions confirmant ce que l’on sait déjà, mais toujours intéressantes :

Tranchées, no man’s land, bombardements, montée en ligne, corvées, convois de bourricots algériens, attaques, attaque ennemie brisée par les mitrailleuses, la boue (le poids de la boue sur les capotes, p. 69 ; se nettoyer, p. 75), le sauvetage d’un camarade enseveli, un poste de secours très encombré…

Le repos, jeux des soldats, corbeau apprivoisé, braconnage pour améliorer l’ordinaire, à quoi sert la calotte métallique distribuée en avril 15, à quoi sert la graisse distribuée comme anti-gel pour les pieds…

Le « pays », les gars du pays, on parle du pays, chansons du pays, mesure à l’aune des réalités du pays…

Une fraternisation (p. 24, Artois, dès octobre 14) ; une exécution (p. 25, octobre 14, le chasseur Richter) ; une condamnation légère (p. 96, mai 17).

Plus original :

p. 54, Lorraine, novembre 15, une batterie de fusils : « pointés sur des objectifs boches, ponts, chemins, etc. Tous ceux qui passent par là doivent tirer sur le manche actionnant cette batterie, puis les recharger pour que les suivants fassent de même. »

p. 70, Verdun, octobre 16, un avertisseur sonore : « un drôle d’engin porté par deux hommes : il s’agit d’une espèce de pompe qui émet deux sons dans le genre de la trompe des autos de pompiers. C’est, disent-ils, pour signaler en morse par le son. Dans le vacarme ambiant, cela paraît hallucinant ! »

p. 98, Flandres, août 17, le chien sentinelle : « Son gardien m’appelle un jour pour aller le voir. Lorsque nous arrivâmes,le chien était couché en rond et ronflait on ne peut mieux. J’en rendis compte au capitaine qui le fit renvoyer à l’arrière. »

Des remarques intéressantes révélant des situations concrètes :

p. 12, Alsace, août 14 : des Français prennent d’autres Français pour des ennemis

p. 21, Artois, octobre 14 : des dragons, sabre au clair, font repartir en avant des territoriaux en retraite

p. 45, Champagne, août 15 : chasseurs accusés de venir « embêter » les Boches, puis de partir en laissant l’infanterie subir les représailles

p. 49, Champagne, septembre 15 : un chef refuse de lancer l’attaque car les barbelés ne sont pas détruits

p. 70, Verdun, octobre 16 : « Nous restons ainsi toute la journée du 23, ainsi que la nuit suivante, tout en souhaitant recevoir l’ordre d’attaquer pour soulager nos misères. »

p. 95, après le Chemin des Dames, période de repos près de Dunkerque, mai 17 : « On tiendrait bien ainsi jusqu’à la fin de la guerre. »

p. 116, septembre 18 : malgré les injonctions du lieutenant, les hommes refusent de chanter la Madelon.

p. 119, septembre 18 : officier sort son revolver et menace les chasseurs qui ne veulent pas attaquer.

Des éléments pour discuter sur l’ensauvagement :

voir ci-dessus : le « pays »

p. 45, popote chez une brave femme, comme en famille ; p. 63, amende à ceux qui prononcent des jurons

p. 51 : « attention, ne marchez pas sur le corps de nos camarades »

Situations concrètes quand on a pris une tranchée : tuer ceux qui résistent, lancer des grenades dans les abris d’où pourraient sortir des ennemis pour tirer dans le dos, envoyer ceux qui se rendent à l’arrière.

Un passage, p. 113 : « Dans la tranchée boche, nous avons trouvé un blessé allemand auprès de son chien attaché ; le blessé a été emmené alors qu’il jetait un regard de pitié vers ce chien qui nous montrait les dents et que nous avons été obligés d’abattre hors de la vue de son maître. » [note : rien ne les obligeait à abattre l’animal hors de la vue de son maître].

Au total, un récit intéressant, que chacun pourra utiliser en fonction de ses centres d’intérêt. L’auteur n’expose pas de position patriotique ou pacifiste. Il porte des jugements critiques sur la conduite de la guerre. Il aime le fanion de son unité ; son moral est remonté par la musique militaire ; il apprécie que l’on bombarde les Allemands avec leurs propres obus. Il ne dit jamais s’il est pour ou contre la guerre. Fin décembre, en 14 et en 15, ses vœux sont que la nouvelle année apporte la fin de l’épreuve ; de même lorsqu’on parle des tanks : Bertrand Sittler fait part de son espoir, ils vont peut-être hâter la fin de la guerre…

Rémy Cazals, 11/2007

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Rodewald, Hans (1891-1929)

1. Le témoin

Né le 17 avril 1891 à Celle (Basse Saxe), fils de Karl Rodewald, chef de gare, et de Wilhelmine Busch, dans un milieu de petite bourgeoisie. Etudes au Collège professionnel supérieur, commis dans un magasin de porcelaine et verrerie. Fiançailles avec Erna Rahls, fille de la maison, en 1912. Il ne peut l’épouser qu’en 1920 après son retour de captivité en France ; il devient l’associé de son beau-père. Il a trois enfants. Il meurt le 10 septembre 1929.

2. Le témoignage

Le premier agenda sur lequel Hans Rodewald notait au jour le jour ses impressions lui a été enlevé, après sa capture, par un officier français qui l’a considéré comme un « souvenir ». A partir de décembre 1914, sur des cahiers d’écolier français, il a repris son récit en remontant au 1er août 1914. La rédaction s’arrête en mai 1915.

Les originaux sont conservés dans la famille Birnstiel. Une traduction française, dans un ouvrage comparatif franco-allemand, est donnée dans Eckart Birnstiel et Rémy Cazals éd., Ennemis fraternels 1914-1915, Hans Rodewald, Antoine Bieisse, Fernand Tailhades, Carnets de guerre et de captivité, Toulouse, PUM, 2002, 191 p., illustrations.

3. Analyse

Trois périodes dans le récit : la grande offensive à travers la Belgique ; la bataille de la Marne où Hans est grièvement blessé, abandonné dans la retraite allemande, capturé et soigné par les Français ; la captivité à l’île d’Oléron. En 1918-1919, on sait qu’il a travaillé sur des exploitations forestières dans le département de l’Aude, mais il n’a pas fait le récit de cette expérience.

4. Autres informations

– Archives familiales.

– Archives de l’Aude, 15M 81.

Rémy Cazals, 11/2007

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