Michel, Henri (1907-1986)

Henri Michel est bien connu comme historien de la Résistance et de la guerre de 1939-1945 (plusieurs ouvrages, création du Comité et de la Revue de la Deuxième Guerre mondiale). Il est né à Vidauban (Var) dans une famille provençale typique de paysans, artisans et petits commerçants. « À plus de soixante années de distance », il a voulu rédiger ses souvenirs d’enfance sur 1914-18, retrouvant « des images, des odeurs, des émotions, des sensations, d’une extrême netteté », et les enrichissant de toute une culture, les mettant en valeur par le travail de l’historien. La vie du jeune garçon, liée à celle de son village natal, se trouve raccrochée à l’histoire générale de la période, selon le plan : 1) Mon village à la veille de la guerre ; 2) Dix ans en 1914 (en fait : sept ans) ; 3) Du collège à l’armistice ; 4) Un autre village ?
La mobilisation et les débuts de la guerre sont vécus à Vidauban dans l’exaltation patriotique particulièrement visible chez les enfants qui jouent à la guerre, qui prient le Bon Dieu pour la victoire et qui « traquent » les espions. Plus tard, vers la fin de 1915, arrivent les premiers permissionnaires : « Ce qu’ils décrivaient n’avait pas grand-chose à voir avec ce que les journaux racontaient. » Alors, les gens de l’arrière leur expliquaient « la vérité des choses de la guerre » qu’ils connaissaient mieux, et Henri Michel de noter : « À nous revoir leur faire la leçon, je suis étonné aujourd’hui encore qu’aucun permissionnaire ne nous ait jeté au visage son mépris et sa colère. » Avant 1914, le conseil de révision était un rite de passage, et l’ajournement « une injure grave » qui provoquait le dédain des filles et les quolibets des camarades. Vers la fin, quand arrive le tour du frère aîné d’Henri, « ne pas être jugé bon pour le service signifiait qu’on demeurait apte à vivre. Les parents voyaient avec appréhension partir leurs enfants pour l’examen fatal et certains des appelés n’avaient pas hésité à s’affaiblir systématiquement pour garder une chance d’être refusés. » Une fois jugés bons, les conscrits refusent de travailler, se mettent à boire, à provoquer et scandaliser le village. Henri Michel en a parfaitement compris les raisons : « Ils s’étourdissaient, ils s’abrutissaient, pour ne pas penser. » Et le 11 novembre 1918, ces jeunes qui allaient partir ont « l’impression de renaître à la vie ».
Pendant toute la guerre, un grand problème pour les activités du village fut celui de la main-d’œuvre. Les femmes redoublèrent d’efforts, les retraités reprirent du service, on continua à employer des travailleurs italiens, puis des prisonniers allemands. Le retour des hommes remit les choses à leur ancienne place, mais pas tout à fait. Les veuves continuèrent à diriger leur commerce ou leur exploitation agricole. Un début d’émancipation se produisit et le village eut sa garçonne, sa divorcée, sa veuve joyeuse… Une certaine ouverture aussi car le développement de l’automobile raccourcissait les distances, et parce que les combattants avaient vu du pays et côtoyé toutes sortes de peuples. La mort avait laissé son empreinte : le village avait eu 91 tués, 1 pour 33 habitants, mais 1 combattant du front sur 4 ; les trois quarts avaient entre 20 et 30 ans ; sans compter les blessés, les amputés, les gazés. Les survivants n’aimaient pas parler de leur expérience traumatisante, mais ce sont des anciens combattants qui ont créé la section locale du parti communiste. Le 11 novembre 1920, à l’issue de la cérémonie au monument aux morts, un groupe d’anciens combattants se mit à crier : « Plus jamais ça ! Plus jamais ça ! »
Rémy Cazals
*Henri Michel, Une enfance provençale au temps de la Première Guerre mondiale, Vidauban dans la mémoire d’un historien, présenté par Jean-Marie Guillon et Alain Droguet, Forcalquier, C’est-à-dire éditions, 2012, 416 p., nombreuses illustrations.

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Toulouse, Jean (1894-1916) et Louis (1895-1916)

Les deux frères, nés à Cahors, appartiennent à une famille de grande bourgeoisie de province. Jean, né le 8 août 1894, licencié en droit, aspirant au 139e RI, a été tué à Chaulnes (Somme) le 4 septembre1916 ; Louis, né le 22 octobre 1895, élève des Beaux-Arts en architecture, soldat au 59e RI a été tué le 28 avril 1916 au bois d’Avaucourt (Meuse). Manifester ici un moment d’émotion n’est pas manquer de rigueur scientifique ; les souffrances d’une famille font aussi partie de l’histoire de la guerre.
La correspondance des deux frères montre d’abord la surprise du contact de ces intellectuels avec les autres soldats. Dès le mois de septembre 1914, Jean décrit les « épaisses brutes » de la chambrée, « garçons peu intéressants » ; Louis, appartenant à la classe 15, arrivant à la caserne à Mirande, écrit, le 20 décembre : « J’aurais, je crois, bien dormi quand même, sans trois ou quatre imbéciles, comme il s’en trouve toujours, qui n’ont pas cessé de crier jusqu’à minuit. Ils ont recommencé à trois heures, puis à cinq. Et il n’y a rien à faire pour les empêcher, si on essaie, ils n’en crient que plus fort. » En arrivant sur le front en novembre, Jean note qu’il s’est mis à boire avec plaisir de la gnole pour lutter contre le froid. Il ajoute : « Nous connaissons ici ce qu’au départ on ignorait, je veux dire le chapardage. On est forcé d’être chapardeur sous peine d’être continuellement chapardé. Je ne me suis pas encore tout à fait adapté à ces pratiques, ce qui me vaut, en attentant, de coucher sans couverture. »
Jean ne tient pas physiquement ; il est évacué et reste en convalescence en Bretagne jusqu’en janvier 1916. Il entre alors à l’école de Saint-Maixent dont il sort aspirant en avril. Une lettre du 13 février 1916 décrit un colonel dont l’éminence grise est un curé et qui favorise les séminaristes (ceux-ci ont quelque chose de « fuyant et doucereux » et « leur religion semble les gêner aux entournures ») ; mais il y a aussi un commandant qui est « un rouge et ses favoris sont les instituteurs ». Sur le front, Jean cherche la solitude ; Louis est victime de l’aversion pour les intellectuels de son commandant, « une brute galonnée ». « En général, ajoute-t-il, les occupations intellectuelles sont rares pour ne pas dire nulles… »
Louis demande à passer le concours d’élève aspirant, mais le général de Lobit oppose un refus. Il demande à son père s’il peut faire intervenir le député du Lot, Anatole de Monzie. Finalement, c’est le propre frère du général qui, sollicité, promet une lettre ; mais, à cette date, Louis Toulouse a déjà été tué, comme simple soldat au 59e RI. Jean demande alors à entrer dans un état-major et suggère le soutien du député de Monzie. Lui aussi est tué avant de l’obtenir.

RC (d’après les notes de Nicolas Mariot)
*Souvenirs croisés de la Première Guerre mondiale. Correspondance des frères Toulouse (1914-1916) et souvenirs de René Tognard (1914-1918), préface de Jacques Legendre, texte revu et corrigé par Gilbert Eudes, Paris, L’Harmattan, 2008. Photo du monument aux morts de Cahors avec le nom des deux frères dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 426.

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Clergeau, René (1886-1920)

1. Le témoin

René-Louis-Paul Clergeau, né le 20 octobre 1886 à Sainte-Lheurine en Charente Inférieure, aujourd’hui Charente Maritime. Il est issu d’une famille d’instituteurs. Son père, Adolphe, et sa mère, Louise berthe Lebrun exerçant tous deux cette profession, comme lui-même. La guerre déclarée, il est affecté au 206e RI de Saintes, régiment dans lequel il est chargé du ravitaillement. Le 8 août 1911, il épouse à Saintes Augusta Lacan, elle même institutrice (puis professeure d’anglais, de français et de mathématique, et qui s’éteindra le 2 avril 1977), avec laquelle il a un fils né le 6 avril 1918. René Clergeau décède le 9 mars 1920 des suites des gazages reçus en 1918.

2. Le témoignage 

Clergeau, René, Les cahiers de René Clergeau, 1914-1919. La Grande Guerre au jour le jour… Villebois, La Plume du Temps, collection Histoire, 2002, 337 p.

René Clergeau, instituteur charentais affecté au 206e RI et chargé du ravitaillement, a reproduit dans 6 carnets de guerre, écrits au crayon de papier, parfois en style télégraphique, de format 110×170 mm, qu’il appelle affectueusement ses « chers petits compagnons », sa campagne contre l’Allemagne, du 12 août 1914 au 24 février 1919. Il dit dans l’introduction de ceux-ci : « Ce carnet est pour ma femme, pour mon fils, pour moi si je reviens » et nous renseigne sur sa volonté de transmettre : « J’ai donc écrit au jour le jour, tout simplement les évènements survenus durant la campagne, soit dans mon régiment, soit à moi personnellement. Je ne cherche pas à faire le plus petit étalage sensationnel de faits plus ou moins authentiques n’ayant qu’un but, celui de donner un semblant de valeur à leur acteur. (…) D’ailleurs, je ne fais point un roman mais un simple recueil qui devra aider pour ma mémoire dans l’avenir » (page 8).

Principalement affecté en Lorraine, il subit de plein fouet la bataille de Verdun dans le secteur d’Avocourt et renforce parfois d’autres secteurs en ébullition, notamment au cours de la deuxième bataille de la Marne. Caporal puis caporal-fourrier, il traverse toute la guerre sans aucune blessure – sauf une égratignure de ronce et une grippe espagnole peu active – mais il décède toutefois des suites des gazages de 1918.

3. Résumé et analyse

Formidable document d’une continuité et d’un intérêt descriptif remarquables. Instituteur, son esprit est vif et clair et sa plume, parfois sans concession. René Clergeau nous donne à lire un carnet de guerre référentiel dans la littérature testimoniale. De nombreux éléments peuvent être dégagés de son étude et sa longue affectation en Lorraine, ainsi que la vision du choc de Verdun sont autant de tableaux d’intérêt. Tout y est ; description du front, organisation du régiment, noms de lieux et de personnes, le texte ne manque pas d’informations utiles à l’Historien même si les notes s’espacent pour l’année 1918, étant regroupées mensuellement par le scripteur. Certes, René Clergeau se fait promoteur d’un certain bourrage de crâne dans les premières pages mais il ajuste ses tableaux au fil du temps et livre parfois ses sentiments, vindicatifs contre la presse ou l’arrière. Sa vision, même sommaire, des mutineries est également d’intérêt mais il est singulier de constater le laconisme du 11 novembre 1918 où René Clergeau ne semble faire montre d’aucun sentiment particulier à cette date pourtant mémorable. Cette note révèle l’attrait d’une étude psychologique pouvant être effectuée sur ce témoignage. Est-il un héros du front ? Le témoin se décrit comme un « poilu de derrière la tranchée » type de combattant auquel il rend hommage (page 160). Mais non combattant, il n’est pas un « non souffrant » et, à Culmont, le 16 février 1916, il déclare : « Mes yeux sont encore malades mais cette fois ce sont seulement les paupières, intérieurement. Si je dis cela à ma chère femme, elle va s’inquiéter et je sais d’avance quelle fâcheuse répercussion cela produirait sur sa santé, la sachant impressionnable et prête à s’alarmer. Me faire voir au major, c’est me faire évacuer, ma femme l’apprendra et se frappera encore bien plus. Evacué, je peux suivre un traitement court et rester dans la zone des armées, je pourrais revenir à mon régiment mais si le traitement est long et qu’on me fasse filer dans un hôpital de l’intérieur, c’est ensuite le dépôt et le départ pour un régiment quelconque où je ne connaîtrais personne. Tout cela m’ennuie bien et cependant je ne peux écrire cela à ma chère femme, je préfère lui mentir un peu plutôt que de l’inquiéter » (page 128). Ainsi sont résumés plusieurs raisons répondant aux questions de l’autocensure et du pourquoi ils ont tenus.

Certes il rapporte au début de la campagne qu’ « on a vu dans leurs tranchées, des hommes debout morts, se soutenant mutuellement tellement ils sont nombreux » (page 12), il souscrit à une espionnite qu’il voit durable (pages 14, 30, 96, 123 et 244), constate l’inexplosion des obus allemands, n’explosant pas dans une proportion de 20/50 (pages 12, 49 et 67) ou rapporte les ruses allemandes (pages 23 et 69), comme les puits volontairement empoisonnés par les Allemands avec leurs propres cadavres (page 40). Il dit rencontrer d’ailleurs deux agents secrets et recueillir leurs confidences (page 42). Il rapporte la lecture de l’ordre Stenger d’assassiner les prisonniers français le 20 décembre 1914, à Champenoux (page 43) ou les martyrologes, tel celui de l’instituteur d’Hoéville, revenu de captivité le 22 février 1915 (page 53). Il rapporte également des combats au corps à corps épiques et sanglants mais surréalistes, venant d’un non-combattant, et bien entendu, « les Allemands ont employé dit-on » des balles explosives et dum-dum (page 70).

Il n’est pas tendre dans son appréciation de la population locale Meurthe-et-Mosellane, qu’il trouve grossière et sale, en un tableau peu reluisant (pages 22 et 23) et décrira de même plus loin les Auvergnats ! (page 57). Son tableau d’après bataille de la récupération du matériel abandonné, souillé est intéressante (page 24) et il confirme l’utilisation du vin en remplacement d’une eau insalubre (page 26). Il renseigne à plusieurs reprises sur les pratiques mortuaires (pages 26 et 32). Il décrit l’engagement d’un enfant de troupe (page 34 mais aussi pages 78 et 99 pour savoir ce qu’il est devenu). Le 10 mars 1915, il voit des condors qu’il prend pour des Taube (page 57) ! Il rencontre également des soldats devenus fous (pages 69 ou 188) et évoque un tir ami sur un homme perdu et tué (page 100). Il évoque également des déserteurs (page 127) mais fait aussi un éloge des soldats sobres (les Martiniquais) (page 187) ! A Verdun, le 8 septembre 1916, il rapporte horrifié une attaque de Sénégalais décapiteurs « sans s’occuper d’autre chose que leur zigouillage » (page 197) qui lui fait hiérarchiser l’horreur : « la guerre du fusil est terrible, le pilonnage de l’artillerie est épouvantable mais ce massacre au couteau, ce travail de boucher est monstrueux. Quelle affreuse chose que ce corps à corps au couteau ! Non, ce n’est plus la guerre, c’est… je ne peux pas le dire » (page 198).

Côtoyant plus souvent que le poilu la gent féminine, il voit à Velaine-sous-Amance quelques jeunes filles « malades », terme militaire pour syphilitiques, et qui « trouvent quand même quelques imbéciles pour s’occuper d’elles » (page 75). Comme pour la population, la vue de ces adolescentes enceintes, ces filles malpropres, aux sales mœurs (pages 82 et 84) voire dépravées et malades (page 165) apparaît récurrente. Il évoque aussi les « légitimes » telle cette veuve deux fois ayant épousé deux frères morts successivement (page 238) ou ces femmes (dont la sienne) rejoignant presque simultanément leur mari en cantonnement parisien de repos (page 242). Il parle aussi des occupées, évoquant les relations consenties de femmes avec l’occupant allemand à Berlencourt (page 255) et a même un mot sur les femmes belges (page 264) pour lesquelles il a plus de dilection.

Comme beaucoup, il se prononce parfois sur la durée prévue de la guerre ; ainsi Clergeau pense au 22 novembre 1915 que la guerre ne peut matériellement durer plus de 2 ans (page 112).

Soldat de l’arrière, il avoue avoir acheté « pour 20 sous, une belle fusée de 130 en cuivre et une bague de 105 » pour faire faire un coupe-papier en artisanat de tranchée (page 114) dont il évoque les dangers (pages 180 et 181). Il parle de la guerre psychologique, arguant que des cadavres allemands sont laissés sciemment sur le terrain pour démoraliser l’ennemi (page 136). De sa durée aussi, criant son amertume quant au sentiment du peuple envers le soldat le 1er avril 1917 (page 176), contre les journalistes quand ils évoquent le moral du poilu à cette période (page 194 ) ou contre ceux de l’arrière « que la guerre ne touche pas » (page 222). Les mutineries sont proches, et les mouvements collectifs qu’il décrit au théâtre aux armées du camp de Bois l’Evêque, près de Toul, où la Marseillaise est sifflée en présence des officiers supérieurs, ne sont pas équivoques (page 230). Dans ce camp, il précise que la mutinerie du 17 juin 1917 est partie d’un non-paiement du prêt par les officiers de peur s’enivrement des hommes (page 231). Il n’y prend pas part et précise que « tout cela est noté sans commentaire » (page 231) mais il constate les cas, y compris des trains aux portes arrachées par les permissionnaires (page 235).

A Hoéville, le 22 février il relate l’affaire de l’évasion et de la re-capture au front d’un prisonnier de guerre allemand en bleu horizon (page 212). Devant un « essai de vaccin », il suppute le poilu cobaye médical (page 217). Il peste contre les Américains et les Anglais, plus au café qu’au front (pages 244 et 257), évoque les effets physiologiques de l’ypérite (page 262) ou l’omniprésence du gaz à Esnes, qui gâte jusqu’aux vivres (page 269). Enfin sa vision de la cote 304 et du Mort-Homme en mars 1918 est impressionnante (page 269).

Il en ressort un ouvrage formidablement intéressant sur le plan du contenu mais souffrant d’une présentation médiocre, à l’instar de la reproduction iconographique, qui font leur cette observation d’Egger, historien de la littérature : « … car des milliers d’écrits nouveaux qui se publient chaque année, il n’y a jamais qu’un petit nombre d’œuvres qui méritent d’être distinguées par leur valeur scientifique ou littéraire, et celles-là ne trouvent pas toujours des éditeurs dignes d’elles » (in Egger, Emile, Histoire du livres depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, Hetzel, ca. 1880, page 236).

Yann Prouillet, CRID14-18, décembre 2011

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Ferroul, Edouard (1889-1976)

Né à Saint-Sulpice (Tarn), le 15 septembre 1889, dans une famille d’ouvriers agricoles. De sa scolarité primaire il retire sinon une bonne orthographe, du moins une ouverture d’esprit et un goût de l’écriture qui lui fait acheter, avant le départ en 1914, un crayon et un carnet pour noter ses impressions. Il a fait le service militaire au 122e RI de Rodez d’octobre 1910 à septembre 1912 et en est sorti caporal. En août 1914, jeune marié, il a 25 ans. Sur sa fiche matricule, il est noté comme plâtrier. Il part le 3 août ; il est blessé au combat de Loudrefing en Lorraine le 18 août et évacué vers le sud. En convalescence, il recopie ses notes au propre sur deux cahiers : 181 pages pour décrire moins d’un mois, c’est dire que le témoin nous donne bien des détails. Il repart en janvier 1915 au 80e RI ; blessé le 19 mars en Champagne, à Beauséjour, il rédige un troisième cahier, de 56 pages. Il a ensuite combattu de décembre 1915 à septembre 1917 au 116e RI, puis du 10 août au 11 novembre 1918, l’interruption étant due à une maladie non précisée sur sa fiche matricule (à remarquer que celle-ci ne mentionne pas sa première blessure ; les documents officiels ont parfois leurs limites). Démobilisé, et devenu père d’une fillette, il entre comme homme d’équipe à la compagnie ferroviaire du Paris-Orléans en 1920. Ses petits-enfants ont conservé les trois cahiers mentionnés ci-dessus. On ne sait pas s’il a écrit la suite, mais, sur le début de la guerre, le témoignage est remarquable.

Nous avons d’abord une fine description de l’atmosphère lors de l’annonce de la mobilisation : l’incertitude, les rumeurs, le manque subit de numéraire, la consternation, les pleurs, le souci de faire bonne figure (après avoir avoué que lui-même a pleuré). Puis c’est l’effet de groupe lors du départ et du passage du train de gare en gare. On retrouve les camarades et les gradés du temps du service ; on accepte sans rechigner de vivre à la dure ; on part vers l’est, la fleur au fusil. Là, du côté de Lunéville, on entre rapidement en contact avec les réalités de la guerre. Les premiers morts, des uhlans, qui ont sans doute le même âge que lui, inspirent de la compassion, de même que les habitants du village de Xousse incendié par l’artillerie allemande. La frontière est franchie. Certains habitants se comportent en vrais Allemands ; d’autres leur annoncent le piège vers lequel se précipitent les régiments français. C’est là, au débouché du bois de Loudrefing, que les Allemands les attendent dans des tranchées cimentées préparées à l’avance et protégées par des rideaux de barbelés et le tir des mitrailleuses et des canons. Le 122e et le 142e sont fauchés. Édouard Ferroul est blessé par ce qu’il croit être une balle de fusil ou de mitrailleuse, qu’il sent dans son pied, et il doit battre en retraite en rampant sous les balles et les obus, au milieu des morts et des blessés. Il a la chance d’atteindre le bois, puis d’être soigné par les Français et évacué vers Lunéville où un étudiant en médecine le charcute « comme un boucher » pour extraire la balle qui se révèle un schrapnel. Il lui faudra subir encore 80 heures de cahots dans un wagon à bestiaux pour arriver dans un centre de soins à Pau.

En janvier 1915, il note que le retour de blessés guéris vers le front manque d’entrain. En Flandre, il découvre la guerre des tranchées et les incessants travaux de consolidation. Son régiment est ensuite envoyé en Champagne, du côté de Mesnil-les-Hurlus, où les combats ont été acharnés : « Nous marchons dans ce boyau pendant demi-heure et des soldats, qui dorment dans des trous creusés dans la terre et sont éveillés par nous, nous disent que ce boyau conduit au fortin que l’on a pris aux Boches il y a une quinzaine de jours. En effet, nous arrivons à un endroit où nous commençons à voir des tranchées abandonnées et, devant, des fils de fer tout embrouillés, des sacs, des képis, des fusils, du linge, tout dénote qu’il y a eu lutte acharnée. Nous commençons à trouver des morts, mais il y a longtemps qu’ils y sont. On les a poussés au bord du boyau. Tout le monde trouve étonnant que l’on ne les ait pas fait enlever. Un peu plus loin, ils sont au milieu de la tranchée, et la tranchée est tellement étroite que l’on est obligé d’y marcher dessus. Tout cela n’est pas fait pour nous donner du courage. Mais nous n’avons rien vu. Ceux que nous trouvons maintenant, il n’y a pas longtemps qu’ils ont été tués. À un endroit, un obus était tombé sur le bord de la tranchée. Il y a un malheureux qui a été enterré, et il traverse la tranchée à hauteur de ceinture, les jambes enterrées, le corps traverse la tranchée, et il n’y a que la moitié de la tête. C’est horrible à voir. Plus loin, la tranchée est plus basse et il faut marcher plié en deux. Là les morts sont plus nombreux et comme ils encombraient trop la tranchée, on les a balancés par dessus. Il y a des zouaves, des chasseurs alpins, des fantassins, des tirailleurs algériens, des Marocains. Et de tous en grand nombre. Au milieu de la tranchée il y a une jambe, et le corps à qui elle appartient, tout pantelant encore, est sur le bord de la tranchée. » (Encore une fois, au risque de se répéter, il faut demander que s’expliquent ceux qui ont lancé le thème de l’aseptisation de la guerre dans les récits des témoins.) Les horreurs continuent : un obus énorme, tombé en plein dans une tranchée, tue 36 hommes ; les Marocains pillent « tous les cadavres, autant français qu’allemands ; s’il y avait des Allemands blessés, ils leur coupaient la tête. »

Blessé une fois de plus, le 19 mars 1915, Édouard va être évacué : « Au moins, je pourrai aller voir ma famille. Et ma petite fille dont on m’avait annoncé il y avait 8 jours la naissance. »

RC

*Les deux premiers cahiers seront publiés dans la Revue du Tarn en 2012.

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Collé, Alphonse (1867-1943)

1. Le témoin

L’abbé Collé avec Maurice Barrès sur une carte postale de sa collection

Alphonse Collé est né le 23 janvier 1867 à Gugney-aux-Aulx dans les Vosges. Il est ordonné prêtre le 8 juin 1895 et fera toute sa carrière dans les Vosges. Il est d’abord affecté comme Vicaire à Moyenmoutier, où il y reste 5 années avant de rejoindre la cure de La Vacheresse-et-la-Rouillie, le 10 décembre 1900. C’est le 5 novembre 1908 qu’il devient curé à Ménil-sur-Belvitte ; c’est là que la guerre le trouve à son ministère, le 25 août 1914 (état-civil reconstitué par Jacques Didier, qu’il en soit remercié). D’une personnalité manifestement hors norme, il est le modèle type du curé omnipotent, figure tutélaire de la paroisse et doué d’un entregent particulièrement efficace dans les milieux politiques comme littéraires. Il est ami de Maurice Barrès et du député des Vosges Louis Madelin, qui le décrit ainsi : « Quiconque a vu – ne fut-ce qu’une fois – ce prêtre vigoureux, à la figure pleine et énergique, aux yeux de flamme sous les forts sourcils noirs, à la bouche ferme, parfois légèrement ironique, à l’attitude résolue et à la parole prompte, se rend compte du caractère qu’il dut apporter dans des circonstances si critiques, en des heures tragiques. » (page 9), l’abbé Collé sera tout autant loué que décrié pour son action en faveur des soldats morts dans les combats du massif de la Chipotte. En effet, accusé de trahison il est arrêté par les troupes allemandes le 1er septembre 1914. Le massif de la Chipotte libéré après le recul allemand du 12 septembre, il et cette fois-ci accusé à plusieurs reprises (« sept fois » dit-il page 143) par les autorités françaises de dépouiller les cadavres après les avoir exhumés. En fait, il ne fait que pallier à l’incurie d’un pouvoir militaire au dessous de sa tâche de mémoire voire de dignité dans le traitement de ses morts et en prend à témoin militaires et politiques de tous grades. Le 20 décembre 1916, il lui est toutefois intimé « l’ordre d’interdire de la façon la plus complète toute exhumation et identification des corps des militaires inhumés sur le terrain des communes de la région » (page 144). Alphonse Collé poursuit alors une œuvre de commémoration qui ne s’achèvera qu’à sa mort le 20 mars 1943 à Ménil-sur-Belvitte.

2. Le témoignage

Alphonse Collé, (abbé), La bataille de la Mortagne. La Chipotte, l’occupation, Ménil et ses environs. Paris, Librairie Emmanuel Vitte, collection La guerre de 1914. – Les récits des témoins, 1925, 287 pages.

L’abbé Alphonse Collé, curé de Ménil-sur-Belvitte, retrace l’histoire de son village et de ses alentours dans les heures douloureuses de la bataille d’arrêt sur les derniers contreforts vosgiens, connue sous le vocable générique des combats de la Chipotte, du 27 août au 14 septembre 1914, avec le statut de témoin au centre de la narration. Constamment demeuré auprès de ses ouailles, multipliant les interventions et les secours et déployant une activité ininterrompue en tous domaines, il fut un témoin omniprésent et un acteur avéré des jours fébriles et sanglants des batailles et de la courte occupation allemande. Le flux des armées s’étant éloigné, il se déploie tout autant, et ce sera son œuvre, pour que jamais ne se perde le souvenir de cette hécatombe et des héros morts, dont il va tenter d’en identifier le plus grand nombre, palliant ainsi à l’incurie d’un pouvoir militaire impuissant devant l’ampleur de la mort de masse de ses soldats.

Après une préface de Louis Madelin, historien et député des Vosges, rendant honneur à l’infatigable « ouvrier de l’immortalité des héros », l’auteur introduit l’historique de la guerre dans les Vosges puis les forces, françaises comme allemandes, en présence à la veille de la tragédie. Le 25 août, les Français refluent sur les dernières montagnes avant la place forte d’Epinal, et l’auteur, se basant sur quelques témoignages d’officiers des régiments en ligne (tel le capitaine Jacquel du 159e RI ou le commandant Mazoyer du 54e BCA), retrace les jours intenses de massacres sous les sapins.

Il fustige bien sûr les exactions allemandes, telle l’ordre du général Stenger, appliqué dès les combats de Thiaville-sur-Meurthe, sur le flanc nord-est du massif, mais sait reconnaître l’humanité des ambulances allemandes. Il évoque également de grands chefs (commandant Baille, capitaine Vilarem, lieutenant Abeille parmi d’autres) et reproduit quelques extraits de carnets de combattants. Vient ensuite son propre témoignage. Collé se dédouble pour ses blessés, n’hésitant pas à presser les autorités allemandes, tant et si bien qu’il est accusé de trahir les positions ennemies. Accusation absurde dont il est vite libéré, il reprend son ministère sous les bombardements des journées fiévreuses de septembre, où l’ennemi n’avance plus et bute sans fin contre une défense acharnée. Le 11 septembre, Ménil est délivrée. Commence alors pour l’abbé Collé un autre sacerdoce.

Après avoir tenté de sauvegarder au mieux la vie des habitants de Ménil de la fureur ennemie, ce sont les corps des morts et leur souvenir qui occupent maintenant l’infatigable prélat. Parvenant à obtenir de l’armée des territoriaux (92e RIT) et quelques prisonniers allemands, il s’active à inhumer dignement des milliers de corps laissés sur la glèbe des champs de bataille de Ménil, Bazien, Brû, Sainte-Barbe, Saint-Benoît, la Chipotte, et tant d’autres lieux où la mort est restée après la bataille. Il œuvrera toute la guerre durant, regroupant les corps sur les lieux mêmes des plus durs combats, préfigurant la nécropole nationale de la Chipotte encore visible aujourd’hui. Mais la tâche ne fut pas simple et, comme il avait subi le soupçon allemand, il devra se défendre aussi contre le même, français, accusé d’exhumations voire de pillage ! Pourtant son œuvre fut reconnue.

Il érige également un musée de reliques, qu’il considère sacrées, puis cristallise les souvenirs et les honneurs des soldats comme des villes mêmes pour reconstruire et commémorer. Commune par commune, il fait état du martyrologe, des morts, des destructions et des travaux, de ses actes de foi, de toutes les tragédies des endroits où s’est arrêtée la vague de la guerre et y abandonnant ses débris.

Après la guerre, c’est par la commémoration qu’il prolonge son œuvre mémorielle des héros de la Chipotte et se pressent à ses messes de souvenir Barrès, les politiques et les généraux pour honorer les milliers de soldats morts pour la France. Il en donne enfin une impressionnante liste, issue de ses identifications.

L’ouvrage se clôture sur quelques poèmes et annexes, d’origines allemandes.

2. Analyse

Ouvrage incontournable dans l’étude des combats de la Chipotte et sans équivalent pour l’histoire intime des villages et des champs de bataille de ce secteur, « la bataille de la Mortagne » de l’abbé Collé est une mine de renseignements utiles à l’Historien. Passée l’impression d’un prêtre omnipotent, incontournable sauveur de son village, si ce n’est de sa région, le témoignage de cette figure de la Grande Guerre vosgienne, ami de Barrès et d’une personnalité aussi forte – écrivant en 1925, Collé garde sa haine à l’encontre de l’ennemi dans un plaidoyer sans concession (page 104) – que controversée, le témoignage est de premier ordre sur une certaine intimité des combats méconnus de la Chipotte, vus par un civil. Certes, l’abbé Collé est partout, voit les officiers allemands, sauve l’église, les blessés, les habitants, toutefois, dans les affres de la guerre et de l’occupation, sa vision est primordiale pour comprendre ce que furent la vie et les transes des villageois des Marches de l’Est où le soldat français, 15 jours avant la Marne, arrêta la vague allemande.

Bien que de construction hachée, voire brouillonne, l’ouvrage fourmille de documents, anecdotes, données, tableaux de guerre souvent martyrologes, noms et unités engagées dans cette bataille mais également s’avère référentiel dans l’étude du paradigme de la mort dans la guerre de mouvement et de son traitement après les combats. La vision et l’expérience de l’abbé Collé est démonstratrice de l’incurie militaire, même la cristallisation survenue et le déplacement du front de plusieurs dizaines de kilomètres, à traiter efficacement les dépouilles abandonnées à la terre sans souci de conserver le souvenir de leur identité. A ce sujet, il est évident que le travail de l’abbé Collé fut essentiel à éviter que jusqu’au nom même des soldats tués dans cette boucherie de 19 jours disparaisse dans l’anonymat des ossuaires.

L’ouvrage est à prendre toutefois avec toutes les précautions d’usage, qui peuvent être révélées par la terminologie employée (cf. « les crapouillauds allemands » le 7 septembre 1914 (page 94) ou « écoutez ce fait véridique rapporté par un capitaine… » préliminaire à un invraisemblable récit (page 56). Il rapporte aussi, tentant de répondre à cette question : « Que firent les Allemands de leurs morts ? On a raconté qu’ils les brûlaient ; rien ne le prouve. Ce qui est indéniable, c’est qu’ils les relevaient au plus vite au moyen de chariots, aux roues capitonnées de paille, enlevés aux habitants. Ils opéraient de nuit. A Baccarat, l’un des nôtres en vit tout un train. On s’expliquera, de ce fait, la raison pour laquelle le lendemain d’un, sanglant combat quelques-uns des leurs seulement restaient sur le terrain : c’était habile de leur part » (page 138).

Le livre, ponctué de trop nombreuses coquilles, est iconographié de quelques vues des destructions et agrémenté de quelques cartes, dont une, singulière, en frontispice des « incursions de dirigeables allemands en territoire français du 25 juillet au 2 août 1914 ». Il est toutefois aujourd’hui encore référentiel tant pour le secteur géographique concerné que pour l’étude du paradigme de la gestion de la mort militaire pendant et après le conflit. Il décrit en effet les différentes composantes de la gestion de la mort de masse et de la présence par milliers des cadavres des combats en terrain boisé, de montagne de surcroît. Il rapporte ainsi les impressions d’un capitaine Humbert de ses « immenses forêts dont les sous-bois toujours déserts, ont été peuplés de petites croix blanches et où les sangliers ont dispersé dans les feuilles flétries les ossements de nos morts ; immenses forêt dont l’humus, jonché des milliers de boîtes de « singe », conservera l’empreinte de nos pauvres petites tranchées, couvertes de branchages ; immenses forêts, dont le passant ne traversera plus sans inquiétude le silence religieux » (page 30). L’abbé Collé nous éclaire également sur les pratiques inhumatoires allemandes, la question du traitement post mortem des « Alsaciens francophiles tombés sous l’uniforme allemand » (page 82) en rapportant la note du Ministère des Pensions du 25 septembre 1920, précisant que « les corps des Alsaciens-Lorrains morts sous l’uniforme allemand, peuvent être, à l’occasion du groupement des tombes, placés dans les parties des cimetières militaires réservées aux soldats français » (page 107). Il dénonce violemment l’incurie, « par bêtise ou jalousie » (page 113), de la perte des identités des soldats du fait des croix nominatives non entretenues par un service des sépultures dépassé par la tâche. Malgré ses efforts de 1914-1915, l’abbé Collé déplore qu’« en 1919, quantité de noms étaient effacés, principalement dans la forêt » (page 113), alors que les exhumations et les regroupements ne feront à cette date que commencer. Il n’est pas étonnant à la lecture de cet ouvrage que parfois, on trouve encore aujourd’hui des soldats oubliés [sur le traitement archéologique contemporain de cette question, lire, Adam, Frédéric et Prouillet, Yann, Les sources archéologiques de la Grande Guerre dans les Vosges. L’archéologie appliquée aux vestiges de la Grande Guerre in La Grande Guerre dans le département des Vosges. Actes du colloque d’EPINAL des 4, 5 et 6 septembre 2008, Epinal, Conseil Général des Vosges, Archives départementales des Vosges, 2009, 348 pages]. Pour ces exhumations dans ce secteur, jusqu’à 300 prisonniers allemands « furent employés, dès avril 1919, aux travaux de regroupement des tombes. (…) Ils ne pourront pas dire qu’il y furent maltraités » (page 125).

Yann Prouillet, CRID 14-18, septembre 2011

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Belmont, Ferdinand (1890-1915)

1. Le témoin

Ferdinand Belmont est né le 13 août 1890 à Lyon de Régis et de Joséphine Marguerite Raillon. Issu d’une famille implantée à Grenoble depuis 1893, il a six frères et une sœur ; Jean, Joseph, Maxime, Paul, Émile, Jacques et Victorine, tous élevés dans la foi catholique. Son père est le neveu de monseigneur Belmont, évêque de Clermont et sa mère est l’arrière petite nièce de monseigneur Raillon (évêque de Dijon et archevêque d’Aix). Quand la guerre survient, Joseph se destine à être prêtre, Jean est en classe préparatoire à l’institut polytechnique de Grenoble alors que Ferdinand fait des études de médecine. Maxime deviendra un brillant architecte et le conservateur des antiquités et objets d’art des Hautes-Alpes. Ferdinand Belmont fait son temps militaire au 14ème BCA de 1908 à 1910, qu’il quitte comme sous-lieutenant, grade avec lequel il entre en guerre avec le 51e BCA avant d’être nommé lieutenant le 2 septembre 1914 et capitaine le 23 octobre suivant. Gravement blessé par éclat d’obus dans les environs du Hirztein, il meurt le 28 décembre 1915 à Moosch (Haut-Rhin).

2. Lé témoignage

Belmont, Ferdinand, Lettres d’un officier de chasseurs alpins. (2 août 1914 – 28 décembre 1915), Paris, Plon, 1916, 309 pages. Le texte paraît d’abord sous la forme d’extraits commentés par Henry Bordeaux dans le numéro 1216 du Correspondant du 25 septembre 1916.

Le 7 août 1914, le sous-lieutenant Belmont, du 51e BCA est en garnison à Annecy pour une période de garde à la frontière Italienne, à Macot (près de Bourg-Saint-Maurice), afin de se préserver d’un éventuel basculement de ce pays vers l’entente. Cette latence, qui ronge le patriotisme du fougueux officier s’achève enfin le 22 août avant qu’un trajet de trois jours de train dépose le 51e à Saint-Dié (Vosges). Dès lors, les choses s’accélèrent pour celui qui veut combattre à tout prix et montrer sa valeur car le baptême du feu, au hameau de Dijon (2 km à l’est de Saint-Dié) sera terrible ce 26 août 1914 et les jours suivants. Epuisé, affamé, sale et au moral atteint, Belmont a livré ses premiers combats, cerné par la mort de camarades et de ses supérieurs, à l’héroïsme inutile et sacrificiel et occasionnant au 51e des pertes sans nombres. « Du 51e, il ne reste que des débris. Je ne sais pas combien d’hommes sont tués ou blessés. Il n’y a plus de capitaines ; la moitié des lieutenants ou sous-lieutenants sont tués ou blessés ; il y a des hommes égarés qui ne nous ont pas retrouvés » (page 35). « Ainsi s’égrène le 51ème Chasseurs ! » (page 38) tant et si bien que ce bataillon est dissous et les lambeaux de compagnies restantes, exsangues, se fondent dans les effectifs du 11ème B.C.A., tout aussi terriblement éprouvé. Nous sommes le mercredi 2 septembre, date qui coïncide avec la nomination de Belmont au grade de lieutenant.

Les combats sont maintenant moins violents, ponctués par les canonnades d’artillerie avant que les défenseurs de la Haute Meurthe ne s’aperçoivent, le 11, de la retraite de l’ennemi. Saint-Dié est immédiatement réoccupé et le bataillon n’est désormais plus utile dans ce secteur. Le 15, il est transporté à Magnières (au nord de Rambervillers) puis Clermont, Fournival-l’Argillière avant Péronne où le 11e est éprouvé dans cette « Course à la mer » qui l’a amené sur la Somme. Rapidement l’enlisement s’installe et c’est désormais sous la surface du sol que vont se poursuivre les engagements durant le mois d’octobre qui verra tout de même, le 18, la reformation et le rééquipement du 51e BCA. Le 11e est aussi réorganisé et notre officier garde le commandement de la 6e compagnie avec le grade de capitaine qui suivra très vite (le 23).

Le 12 novembre, nouveau déplacement du bataillon qui va connaître les Flandres de manière tragique, puisque le train qui les emmène en gare d’Hazebrouck percute un autre convoi, occasionnant la mort de deux soldats. Là, Belmont côtoie le flegme et l’organisation britanniques mais aussi la grisaille et le malheur belges dans le village de Dickebusch (ou Dikkebus).

Les attaques et les périodes de repos se succèdent sous le froid et la boue du Nord tout le reste de l’année 1914, où le front s’est définitivement cristallisé et enterré. Le 5 janvier 1915, le bataillon est au cantonnement et au repos à Gérardmer. La ville est paisible et n’a l’aspect d’une ville en guerre que par suite de l’affluence militaire et Belmont va jouir de cette relative quiétude jusqu’au 4 février où il est commandé pour une reconnaissance en Alsace par le Rudlin et le Lac Blanc. Mais en fait, c’est une globale inactivité qui ponctue la vie de Belmont qui ne s’accommode que très mal de l’ordinaire.

Le 20 février, les combats reprennent pour l’officier dans les bois du Sattel (près de Munster) mais ils vont dès lors dépasser en horreur ce que Belmont avait juqu’alors connu. Le 11e va encore souffrir tant de l’ennemi que du froid et de la neige. Des attaques successives, inutiles, vont se suivre et se ressembler dans la violence et le sacrifice pendant toute l’année 1915 sur les hauteurs de Metzeral, au Linge, au Schratzmannele, au Reichackerkopf ou Braunkopf. Un cours répit au début de juillet, pendant lequel Ferdinand Belmont pourra embrasser une dernière fois sa famille avant de remonter vers le « tombeau des Chasseurs ».

Le 30 juillet, il attaque « sur ces fronts bardés de fer et hérissés de citadelles, défendus par des engins de plus en plus écrasants… ». Il y sera d’ailleurs légèrement blessé d’un éclat. Mais le Linge est un sommet inexpugnable et le 20 août est une hécatombe. Une attaque un temps victorieuse est contre-attaquée et reprise si vivement que Belmont refuse de proroger le massacre qui laisse le 11e en ruine, avec 70 hommes en ligne. « Je ne sais pas quand on nous relèvera ; nos poilus sont en loques, les godillots bâillent, les pantalons sont encore bien plus inquiétants. De se laver, il n’est pas question. Les hommes n’ont pas pu changer de linge depuis un mois, et quand il ne fait pas trop froid, ils se distraient en faisant la chasse à leurs poux ! »

Le 4 septembre 1915, Ferdinand Belmont bénéficie d’une nouvelle permission de quelques jours. Un court repos à Corcieux avant un autre sommet sanglant, le Schratzmannele surnommé le Schratz où également règnent le froid, la boue et le brouillard.

Le 28 décembre, à 4 heures du matin, sur les pentes inférieures de l’Hartmannsvillerkopf, au seuil de l’Alsace, Belmont, pris sous un violent bombardement, est frappé d’un éclat d’obus au bras qui se révélera mortel et c’est le lieutenant Verdant qui apprend la nouvelle à sa famille, que l’officier avait pris soin, tout au long des mois et des lettres, de préparer à cette issue qu’il acceptait en toute piété.

3. Analyse

Dans une très grande préface (54 pages) Henry Bordeaux, savoyard, ami de la famille Belmont, magnifie la valeur testimoniale exceptionnelle de qualité de l’officier de chasseurs et reprend en panégyrique la biographie de l’officier. Cette amitié avec Henry Bordeaux est également due au fait que le 11e BCA commandé par le lieutenant-colonel Bordeaux, frère de l’écrivain. Toutefois, ses envolées, par trop littéraires et mystiques, n’atteignent pas la qualité d’expression de leur sujet.

Cet ouvrage offre au lecteur un témoignage d’une grande philosophie, d’une humanité teinté au fil des pages de la plus grande piété et de la conscience du sacrifice ultime. Ferdinand Belmont rédige avec un style simple et particulièrement bien écrit, décrivant souvent avec beaucoup d’à propos les lieux, les faits et les personnes qu’il côtoie. Ce sont surtout ses sentiments qu’il dépeint en toute circonstance, conscient du rôle qui lui est dévolu et de son infinie petitesse « perdu dans cet océan d’hommes« .

Doué d’une grande clairvoyance mais aussi d’un souci très profond de l’Homme, il a semblé un chef très humain, allant jusqu’à refuser l’attaque (page 239) sans le regret de l’insubordination militaire. Belmont a conscience de son rôle d’officier, qu’il analyse opportunément (page 284). Ces lignes sont finalement admirables de style et de clairvoyance et l’on peut y trouver le rapport assez fidèle non seulement de ses faits d’arme mais aussi de son état d’esprit du moment. On peut également trouver une multitude de détails techniques dépeints par Belmont avec précision mais aussi avec franchise, souvent censurée par ailleurs. Il faut se souvenir que les lettres reproduites ont été envoyées par l’épistolier sans aucun souci de parution ultérieure et que sa plume n’est guidée que par les sentiments du moment et une très grande dévotion parentale. Ainsi, sauf le sentiment de souffrance qui est volontairement éludé pour préserver sa famille des angoisses, Belmont ne cache rien de ses sentiments et des ses perceptions et c’est intact que nous sont livrés ces éléments indispensables à l’historien. Ainsi, il a conscience de ne pas s’appartenir dans la guerre : « Je ne puis vous dire à quel point, depuis le début de cette guerre, la sensation de n’être rien par moi-même ; je ne me rends nullement compte de la part que je prends effectivement à ce que je fais, et il me semble être comme une feuille saisie dans un ouragan » (page 118).

Belmont nous décrit assez superficiellement les lieux traversés, les combats auxquels il prend part, les personnes qu’il côtoie, sans que les noms ne soient occultés. Il reste médecin, notamment quand il perçoit les effets de l’alcool sur la santé de la population savoyarde (page 12) et s’interroge sur la présence d’alcools divers mais aussi d’éther sur les soldats allemands faits prisonniers (page 154). Il décrit également une opération d’exhumation, accompagnée d’honneurs et du culte des morts (page 274). Il fait œuvre de peu de bourrage de crâne et l’espionnite (page 156) n’est que rapportée, non constatée. Faisant esprit d’analyse, il digresse parfois sur des considérations comparatives entres les esprits allemand et français (page 160) ou alsacien (page 169) et loue l’organisation allemande (page 192). Multipliant les descriptions, panoramas et anecdotes, son témoignage fourmille de détails, y compris dans les rapprochements entre belligérants (tel ces contacts entre ennemis par des échanges de boîtes à messages et de journaux lestés de pierres page 268). Il est possible ainsi de suivre l’officier chronologiquement et géographiquement de manière très précise, ce qui permet de vérifier et de confronter cette richesse d’enseignements avec les autres textes existants sur le même front. Sans conteste, les lettres de Belmont sont une référence qualitative sur les opérations des Vosges et des Hautes Vosges. Les Lettres d’un officier de chasseurs alpins sont donc à classer dans le panel très restreint des ouvrages dont l’utilisation pour l’étude est indispensable tant les enseignements sont à retirer dans l’ensemble de ce témoignage de tout premier ordre sur les opérations des Vosges.

Bibliographie complémentaire

Dussert A., Ferdinand Belmont d’après les lettres d’un officier de chasseurs alpins (2 août 1914 – 28 décembre 1915). Grenoble, Allier Frères, 1917, 41 pages.

Crenner Pierre (Col),   Les belles lettres du capitaine Belmont. Colmar, association du Mémorial du Linge, 1998, 14 pages.

Huguet (Abbé), Ferdinand, Jean, Joseph Belmont (1914-1915). Lettres de Mgr Caillot, évêque de Grenoble. Mgr Girayr, évêque de Cahors. Notices de Mr le chanoine Martel, Supérieur. Insérées dans le Livre d’Or du Rondeau-Montfleury. Slnd.

Bulletin de l’Académie Delphinale, Abbé A. Dussert,  Grenoble 1917.

Bulletin de la Société d’Histoire du Canton de Lapoutroie – Val d’Orbey, Jecker L. 1995.

Huguet G., Livre d’or du Rondeau. Anciens maîtres et élèves tombés au champ d’honneur pendant la guerre 1914-1919. Imprimerie Guirimand (Grenoble), 1921, 520 pages. La notice sur Ferdinand Belmont figure en page 62.

Lien Internet utiles

http://hwk68.free.fr/belmont_177.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Ferdinand_Belmont

Autres témoignages rattachables à de cette unité :

COUDRAY, Honoré, Mémoires d’un troupier. Un cavalier du 9ème Hussards chez les chasseurs alpins du 11ème B.C.A. Bordeaux, Coudray A., 1986, 228 pages.

ALLIER, Roger, Roger Allier. 13 juillet – 30 août 1914. Cahors, Imprimerie Coueslant, 1916, 319 pages.

BOBIER Louis, Il avait 20 ans en 1913. Louis Bobier un Poilu de Bourbon dans la Grande Tourmente. Bourbon, L’Echoppe, 2003,  447 pages.

JOLINON, Joseph, Les revenants dans la boutique. Paris, Rieder F., 1930, 286 pages (roman).

Yann Prouillet – 10 janvier 2011

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Allard, Jules (1872-1918)

1. Le témoin

Jules Joseph Allard est né le 25 juillet 1872 dans le Loiret, dans une famille de cultivateurs. Marié, il a deux enfants, nés en 1906 et 1912. Militaire de carrière, fantassin (on manque de précisions sur ce point), il passe dans la gendarmerie en mars 1918, et se trouve basé à Angers. Il est donc mobilisé en août 1914 à 42 ans en tant que capitaine de gendarmerie à la prévôté de la 18e division d’infanterie. Il y est présent jusqu’en août 1918, et commande ensuite la gendarmerie d’Angers. Très affaibli, il meurt, sans doute en lien avec l’épidémie de grippe, le 17 décembre 1918. Très estimé par ses pairs et par les notables locaux, ses obsèques rassemblent une vaste assistance.

2. Le témoignage

Capitaine Jules Allard, Journal d’un gendarme 1914-1916, Montrouge, Bayard, 2010, 259 p., 19,50€.

La publication de ce témoignage vient de sa transmission, avec d’autres documents, par des proches à l’historienne Arlette Farge. Celle-ci, prolongeant l’intérêt pour la Grande Guerre lisible dans sa contribution au volume Le Chemin des Dames en 2004, rédige une longue présentation (p. 9-67) qui évoque de manière sensible le parcours de guerre du témoin.

Jules Allard a tenu deux carnets d’une écriture fine sur de petits cahiers (14×8 cm), le premier consacré à la période 1914-1915 (« Campagne contre l’Allemagne du 4 août 1914 au … ») et le second à l’année 1916. La dernière entrée date d’octobre 1916, sans explication pour l’interruption qui suit.

À la suite des carnets de guerre proprement dits, qui racontent les expériences du capitaine Allard et ses impressions, un troisième cahier rassemble des « Renseignements d’ordre judiciaire 1914-1915 », faisant de façon plus impersonnelle le récit des enquêtes, des arrestations et des tâches judiciaires accomplies dans l’arrière-front (p. 217-234).

L’ensemble a été transcrit par Émilie Giaime, doctorante à l’EHESS, qui donne une courte postface (p. 255-259).

S’y ajoutent une série d’annexes issues des archives du témoin et de sa famille, comprenant des reproductions photographiques :

-Listes nominatives des gendarmes et militaires sous les ordres du capitaine, ainsi que des départs (évacuations sanitaires) et des arrivées ;

-Tableaux récapitulatifs des peines prononcées par le conseil de guerre, des procès-verbaux établis et des militaires détenus ;

-Carte de circulation ferroviaire ;

-Proposition de légion d’honneur ;

-Coupures de presse faisant état des obsèques du capitaine Allard ;

-Lettres de condoléances reçues par la famille.

3. Analyse

Comme le relève Arlette Farge dans sa présentation, les témoignages de gendarmes sont rares, et leur guerre a été longtemps peu étudiée, car elle apparaissait fort peu glorieuse, et même quelque peu honteuse, au vu des souffrances des « poilus » que les gendarmes devaient surveiller et arrêter en étant eux-mêmes à l’abri du feu.

Mais leur étude est pourtant indispensable à une compréhension complète de la société combattante, de ses différents espaces, et des interactions entre ses acteurs. Le témoignage de Jules Allard est donc une pièce intéressante permettant de compléter nos connaissances sur l’univers de l’arrière-front.

Le contenu des carnets évoque les déplacements, les lieux où cantonne J. Allard, les civils qui l’hébergent, ses repas et ses impressions. Il assiste à la messe, et mentionne de nombreux personnages mais toujours avec leur initiale (« le général B… »). Il fait le récit de ses très nombreuses tâches, et de ses fatigues, liées à l’asthme qui le paralyse parfois, ce qu’il ressent durement : « S’il fallait marcher, j’en serais incapable » (p. 78)

S’il ne s’agit pas d’un carnet tenu au jour le jour (plusieurs entrées montrent une rédaction postérieure aux faits décrits), l’ensemble se distingue par la précision et la sobriété des notations.

À signaler, dans la seconde moitié du texte, de très nombreuses et inutiles notes qui viennent gêner la lecture, alternant entre les banalités superflues (« le capitaine est un homme de paysage », 177) et les véritables contresens : l’utilisation par J. Allard de l’expression courante « Juif errant » est vue comme une remise en cause de son catholicisme, par exemple (181).

Les débuts de la guerre

Ce sont les passages les plus riches des carnets. Période marquée par le chaos. Les gendarmes arrêtent des insoumis, des « fuyards des corps du Midi » (82) ; beaucoup d’étrangers qui vont être internés, et de présumés espions, improbables, comme une « vieille bergère et son petit-fils » en Meurthe-et-Moselle (75). Le tout s’accompagne de rumeurs alarmantes (et pour cause) et de tâches pénibles. Le 24 août, J. Allard voit des soldats pour la première fois qui disent que « l’infanterie a été décimée » (77), et, de fait, doit réquisitionner une semaine plus tard 50 civils (très réticents, qui cherchent à s’échapper)  pour enterrer, sous le feu des Allemands, 500 cadavres de fantassins « bleuis et gonflés, dans toutes les attitudes de la souffrance » (80).

Dans l’Aube, début septembre, J. Allard voit les effets de la Bataille de la Marne (il ne sait la nommer que plus tard) et le « triste spectacle » des nombreux blessés (84) ; relate la panique des troupes vers Fère-Champenoise qu’il tente de juguler, le chaos et les embouteillages en arrière d’une grande bataille, le manque de soins pour les blessés, les civils devant évacuer et abandonner leurs biens, les animaux morts et dépecés, un paysan « garrotté et fusillé. Il a les mains liées dans le dos » (97). Tout cela est épuisant : « deux nuits blanches » (92).

J. Allard voit les combats de loin, ici et là « une colonne » qui avance ou recule (93), et leurs effets (« les fossés de la grande route sont remplis de cadavres », 94).

Les jours qui suivent sont toujours marqués par la confusion, les troupes qui s’égarent, les contrordres. J. Allard conduit des prisonniers ennemis à Châlons (12 sept. 1914), tâche récurrente dans les carnets. Il place ici et là des notations hostiles aux Allemands, comme lorsqu’il doit dormir dans un lit occupé la veille par l’un d’eux : « ça sent mauvais mais qu’importe ! » (102), ou en entrant à Mourmelon que les troupes allemandes ont quitté après l’avoir dévasté, comme souvent en cette période d’invasion propice aux « atrocités » : « les vandales sont passés » (p. 106). J. Allard ajoute aussitôt qu’il doit organiser les gendarmes pour prévenir et punir le pillage par les soldats français, cette fois. Le pillage est un élément récurrent des carnets.

Dans l’arrière-front

L’installation dans la routine est signalée à partir du 21 septembre 1914 : « aucun fait saillant à noter » (108) si ce n’est que l’auteur peut enfin se reposer, se laver et d’abord se déshabiller, pour la première fois depuis le 24 août. Violente altercation avec un général qui réclame la priorité au passage de ses troupes sur un pont (111) ; altercation avec un commandant dont il a pris le lit par erreur (114). Nouvelles enquêtes sur de présumés espions (près de Reims, « région très travaillée par l’espionnage », 113) et nouvelles mentions de fusillés.

Le 23 octobre, départ pour la Belgique, Ypres, et contact avec les troupes anglaises, notations sur l’architecture et le charme de la « jolie cité » d’Ypres. Pas pour longtemps : la région est ensuite violemment bombardée, par obus et avions (121). J. Allard raconte ses efforts pour soutenir les civils, lutter contre les incendies (en vain), etc.

Le 11 novembre 1914, J. Allard cantonne dans un asile d’aliénés, dont s’approche le bombardement : « les malades poussent des hurlements qui se répercutent avec les détonations dans les couloirs très sonores » (127).

Dans les semaines qui suivent, c’est l’accalmie, mais toujours beaucoup de travail pour J. Allard qui doit arrêter les paysans belges refusant de respecter les interdictions de circulation (130). Il subit un exceptionnel bombardement par du calibre 380, dont les obus font d’énormes trous (131).

Le 26 décembre 1914, il relate l’exécution pour abandon de poste d’un soldat du 66e RI : « cérémonie qui m’impressionne douloureusement » (132), suivie d’une plus heureuse pour lui, la remise de la légion d’honneur, en janvier 1915. Il tombe cependant malade en avril 1915, et passe plus d’un mois en convalescence (140).

Le travail des gendarmes : surveiller, enquêter

Dans cette période, J. Allard raconte les enquêtes et les arrestations faites dans l’arrière-front, dont celle de soldats s’étant cachés un mois et demi dans des caves, et d’autres condamnations à mort suivies d’exécutions, au 135e RI et au 32e RI. Selon lui les fusillés sont « dans la vie civile des repris de justice, ou des gens peu recommandables » (138). En février 1915, il signale qu’il procède à de premiers contrôles de la correspondance : c’est plus tôt que les dates habituellement données pour l’établissement du contrôle postal.

Il se charge également de fixer les prix des denrées, faisant baisser ceux des commerçants (147), et d’organiser les cantonnements en répartissant les unités – l’artillerie lourde bien installée refuse de céder de la place (149). Plusieurs mentions des permissions, la première le 21 juillet 1915, les suivantes passées en Bretagne dans la famille de sa femme.

Les notations diminuent d’intérêt et d’intensité après le milieu 1915. J. Allard mentionne au nouvel an 1916 son espoir de victoire pour l’année qui vient, qui le voit passer du nord du front (pays minier, mais aussi promenades à cheval au Touquet (178)) à la région en arrière de Verdun où il décrit des tombes improvisées (190). Les tâches judiciaires et prévôtales reprennent, avec l’utilisation de soldats français emprisonnés pour construire un abri (194).

Pour finir, s’embusquer

Épuisé et attristé par la guerre (« il faut se cuirasser contre les émotions », 96), J. Allard hésite assez peu lorsque son supérieur lui propose un poste plus abrité en juin 1916, à Brienne dans la zone des étapes. Le témoin relate son impression caractéristique mêlée de honte  et de soulagement à l’idée de quitter le danger (195). Affecté à la surveillance d’un parc à munitions, ses tâches deviennent monotones même s’il continue de chercher des espions dont une étrange « baronne autrichienne » fortement soupçonnée (201). Il établit des barrages sur les routes, et enquête également sur des morts de militaires dans l’arrière-front : meurtre ou suicide (203).

La dernière partie du témoignage comprenant les notes « judiciaires » reprennent et développent partiellement des éléments exposés dans les carnets dont des enquêtes (perquisitions, interrogatoires) menées sur des individus « suspects », sur des vols, et sur tous eux soupçonnés de sympathie pour les Allemands. En l’état il s’agit de matériaux pour une histoire de l’espionnage et de ses perceptions qui reste largement à écrire. Le tableau de la p. 242 qui présente les différents types de procès-verbaux est ainsi un élément utile, bien que limité à une division, sur l’illégalité ordinaire de l’arrière-front : délit de chasse, outrage, ivresse, « infractions aux lois sur la circulation », etc.

Evidemment il faut regretter l’absence de notation pour l’année 1917, au moment des mutineries, en particulier pour une division, la 18e, qui connaît l’indiscipline des 32e, 66e et 77e RI à Chevreux et Chaudardes (voir le tableau des mutineries, au format pdf).

4. Autres informations

La thèse soutenue en 2010 par Louis Panel et consacrée à la gendarmerie n’est pas encore publiée ; des éléments sur cette arme durant la période se trouvent dans :

  • L. Panel, Gendarmerie et contre-espionnage (1914-1918), SHGN, Maisons-Alfort, 2004, 250 p.
  • L. Panel, « La gendarmerie dans la bataille de Verdun (février-octobre 1916) » Revue historique des armées, 242, 2006. Mis en ligne le 26 novembre 2008 : http://rha.revues.org//index4182.html

Texte de complément par Yann Prouillet: Gendarmes dans la Grande Guerre, Quand Brothier éclaire Allard

Faisant écho à la recension ci-dessus d’André Loez du journal de Jules Allard, officier de gendarmerie, présenté par Arlette Farge [2], ce témoignage peut également être éclairé par la connaissance de la littérature testimoniale de la Grande, objet des études du CRID14-18 [3]. En effet, Arlette Farge part du présupposé qu’ « il y eut tant et tant de récits sur la guerre de 1914-18 [4] » mais subordonne son analyse des témoignages issus de gendarmes à la conclusion de Louis Panel qui avance « que la Bibliothèque du Service historique possède bien peu de témoignages ou de journaux de gendarmes ; il ne cite que quelques nom de colonels [5] », ce qui est par ailleurs exact tant les journaux de guerre de gendarmes sont rares dans le corpus édité. Toutefois, l’un des très rares journaux de guerre de sous-officiers de gendarmerie publiés [6] concerne justement l’un des gendarmes de Jules Allard.

Célestin Brothier, né le 12 avril 1873 à Jarcy (Vienne), est brigadier [7] de gendarmerie, commandant la brigade de Maulévrier (Maine-et-Loire). Engagé volontaire au 68e R I (Le Blanc et Issoudun dans l’Indre), il quitte ce régiment au grade de sergent en 1897, signe un engagement supplémentaire au 117e RI (Le Mans) et est admis en gendarmerie le 13 mars 1900. Le 10 novembre 1911, à 38 ans, Célestin Brothier devient le brigadier de Maulévrier. Dès la mobilisation, il est affecté au sein d’une formation prévôtale attachée aux armées et intègre comme gendarme à pied l’équipe du capitaine Jules Allard à Angers [8].

Célestin Brothier entame son journal de guerre le 1er août 1914. Après avoir mis en place les instructions de mobilisation de sa circonscription, il répond à son propre ordre de mobilisation qui lui prescrit de rejoindre la caserne Saint-Maurice d’Angers où il est reçu par le capitaine Jules Allard « commandant la force publique de la 18ème division d’infanterie (….) [qui] fait l’appel de son personnel. Il ne manque personne. Cet officier prend contact avec nous, fait quelques recommandations et un petit speech, dans lequel il nous assure de sa bienveillance [9] ». Le lendemain le détachement, qui « se compose de : un capitaine, deux maréchaux-chefs, 2 brigadiers et 18 gendarmes [10] » est embarqué avec l’état-major de la 18e D I du général Lefèvre. A partir de ce point, les expériences des deux gendarmes, l’un à la tête du détachement, l’autre à la tête d’une de ses cellules, sont communes, même si celle de Brothier, dysentérique, s’achève le 7 septembre 1914. Son témoignage est écrit le 20 septembre 1914, à son retour chez lui à Maulévrier, alors qu’il attend « un nouvel ordre pour partir à la guerre [11] ». Célestin Brothier meurt en 1915 sans être jamais retourné au front. Le témoignage de Jules Allard s’achève quant à lui à la fin d’octobre 1916.

Comparaison des témoignages, analogie des expériences, analogie des restitutions ?

Le parcours commun entre les deux témoins correspond donc à la période allant du 5 août au 7 septembre 1914. Le croisement des deux expériences d’une trajectoire géographique et typologique similaire sur cette période révèle leur caractère complétif. De volume différent (59 pages pour Brothier, 14 pages pour Allard), la profondeur descriptive de Brothier éclaire ainsi la pratique d’écriture d’Allard ; il permet aussi d’obvier à la coupure des noms non rétablis chez Allard. De l’étude comparée de ce mois de guerre en Lorraine, la sensibilité du témoin mais également sa fonction influent sur la perception d’un même évènement.

L’unité prévôtale du capitaine Allard arrive en Lorraine (Chaligny, Meurthe-et-Moselle) le 6 août 1914. Si Allard rapporte uniquement quelques informations ténue d’intendance (trajet, cantonnement et repas), Brothier analyse une sorte de montée en charge de la guerre, de ses bruits et du patriotisme, de l’angoisse aussi, de ses habitants à mesure que l’on se rapproche de la frontière allemande. Les 7 et 8, alors que Brothier reste flou sur son arrivée en secteur (une gare, un village), Allard est déjà dans sa fonction : « A Saint-Nicolas-de-Port, (…) arrestation d’un insoumis ». Les jours suivants (9 et 10 août) sont rapidement purgés et Ludes (en fait Ludres) est qualifiée de « village sans importance », là où Brothier voit : « dix ou douze mille hommes de troupe » et où « il est presque impossible de trouver un abri. Quant à trouver des vivres, même du pain, il est inutile d’y penser ». Il est par ailleurs étonnant qu’Allard ne mentionne pas la directive qu’il donne à Brothier : « Nous recevons l’ordre de remettre au capitaine nos correspondances cachetées qui ne devront mentionner ni l’endroit où nous nous trouvons, ni aucun renseignement concernant la guerre. L’infraction à cet ordre entraînerait l’auteur devant le conseil de guerre. »

Les 11 et 12, des problèmes d’intendance préoccupent toujours nos deux témoins ; le logement pour l’officier et la nourriture pour le brigadier que ce dernier résume ainsi : « Avoir du pain, un abri et de la paille, c’est vraiment la fortune ».

Du 13 au 18, la narration devient globale chez Allard. Il rapporte sommairement les premières opérations prévôtales autour de Nomeny. Ainsi Allard évoque le ramassage de 31 sujets allemands « évacués sur Nancy ». C’est Brothier qui s’occupe de ce transfèrement de 15 individus, réalisé dans des circonstances périlleuses devant l’hostilité de la population : « aussi je croyais bien ne pas pouvoir livrer vivants tous mes prisonniers. Il m’a fallu donner le change en disant que c’était des Alsaciens qui réclamaient notre protection ». Brothier évoque donc lui aussi dès le 13 la présence massive d’espions dans ce secteur de Lorraine. Allard purge également en une phrase l’arrestation d’« une vieille bergère et son petit-fils, convaincus d’espionnage et d’intelligence avec les Allemands ». Brothier s’étale quant à lui sur ce qui apparaît comme sa première affaire en la matière et évoque sur deux pages l’épisode de la femme Ottefer, « vieille pleurnicheuse, invoquant Dieu à tort et à travers » et son petit-fils, dont l’atavisme délinquant se révèlerait au faciès : « un gredin aux mœurs d’apache ». Il évoque aussi l’enquête menée par Allard le lendemain, impossible en pays ennemi où « les gendarmes eux-mêmes ne sont plus en sûreté ! ». Allard quant à lui n’évoque qu’un « départ inopiné ».

Le 20 août, l’unité part pour Sedan, destination connue à l’avance pour Allard et non pour Brothier. Allard y voit une « belle ville – belles avenues – jardin public et larges places » là ou Brothier perçoit une « ville (…) triste, et aussi de triste mémoire ». A Sedan, le 23, s’inscrit l’épisode sommairement décrit par Allard comme « des fuyards circulant dans la ville répandent la panique », précisant leur appartenance aux 9e et 11e corps ou au 135e R I Là encore, Brothier est plus précis sur cet évènement qui fait une nouvelle fois référence à l’antienne du comportement au feu des troupes méridionales : « Dans l’après-midi, des ordres arrivent qu’il faut aller arrêter des soldats, qui se sont sauvés du champ de bataille, et qui jettent la panique dans la ville. En effet, nous rencontrons de ces militaires, des méridionaux disant que leur régiment a été anéanti, qu’ils restent seuls, etc. Mais à chaque instant, un nouveau groupe du même régiment tient les mêmes propos. Nous arrêtons tous ces soldats, particulièrement ceux des 17ème et 11ème régiments d’infanterie. Renseignements pris, il résulte que les 17ème et 15ème corps d’armée se sont très mal conduits. (…). Beaucoup de soldats de ces deux corps d’armée se sont sauvés en débandade. Les plus coupables vont être traduits devant un conseil de guerre ; les autres seront reconduits au feu en première ligne et surveillés en arrière par des troupes plus sûres et par des gendarmes ». Etonnemment, la perception des troupes fautives diffère complètement entre les deux témoins.

Du 25 au 29 août, de retour dans le secteur de Nancy, Allard n’évoque plus que des détails d’intendance alors que Brothier reste comme à son habitude plus descriptif sur ces journées. Le 30, l’ordre donné à l’unité prévôtale d’Allard d’« enfouir 500 cadavres » dans les bois d’Hoéville. Cette opération à réaliser sous le feu génère chez les deux témoins une relation complète tant le caractère périlleux de la mission (Brothier parle de « journée mémorable ») a généré ce besoin d’écriture cathartique : l’un en tant que donneur d’ordres, l’autre en tant qu’exécutant. Là encore, parfaitement complétives ces relations exemplifient la vision différente d’un même évènement selon le statut de cadre du militaire. C’est ensuite dans la pratique descriptive de l’écriture : Brothier, exécutant, consacre 10 pages et demie à la relation de sa mission et multiple les détails sur sa réalisation et sa perception. Allard, plus synthétique et bien que participant à sa réalisation, n’y consacre que 3 pages.

Le 31 août, un nouvel épisode commun rapproche les témoignages, globalisés pour Allard sur la période 31 août – 2 septembre, plus délayée jour par jour chez Brothier. Le 2 septembre (date précisée par Brothier) les premiers prisonniers allemands sont confiés à l’unité prévôtale. Pour Allard, « l’un est instituteur, il paraît peiné. L’autre est indifférent » alors que Brothier engage la conversation avec « un élève officier qui parle assez bien notre langue », lui apprend la réalité de la guerre et constate l’effet nerveux causé par 75 sur ces soldats allemands. Leur vision commune et leur description, près d’Arcis-sur-Aube, « des nombreux convois de familles chassées par l’invasion » (Allard), « qui viennent de Belgique, des départements des Ardennes, de la Meuse, des villages voisins même » (Brothier) est le dernier épisode marquant de la campagne commune du brigadier Brothier et de l’officier Allard. Celui note en effet le 6 septembre « le brigadier B. est malade et doit être évacué d’urgence ». Célestin Brothier quitte en effet le capitaine Allard le 7 septembre. A la déconvenue d’une défaillance physique l’obligeant à devoir abandonner son unité, s’ajoute la vision terrible d’un train de blessés en route vers l’intérieur. Brothier décrit les effets déchiquetés, le sang, les mutilations et les soldats mourant sans soins possibles. « Chaque cas est pénible à voir et l’ensemble est affreux. (…). Ne pouvant me rendre utile auprès de ces malheureux, je m’en vais me reposer dehors assez loin pour ne pas entendre leurs cris déchirants ». Là il rencontre une dernière fois le capitaine Allard qui, révélant son humanité termine : « Je retrouve le brigadier B. resté en gare depuis la veille et qui parait péniblement impressionné par le spectacle de souffrance qu’il a sous les yeux, peu fait pour rétablir son moral ». Dès lors, leurs chemins se séparent pour ne plus se recroiser.

Conclusion

Il est bien entendu dommage que la détection de ce témoignage efficacement complétif et éclairant de Célestin Brothier sur l’unité prévôtale et la personnalité même de Jules Allard n’ait pas été opérée par les présentatrices du journal de l’officier, d’autant plus que, la rareté des témoignages de gendarmes ayant été relevée, la recherche sur le corpus existant en aurait été plus efficiente. C’est certainement du fait de ce présupposé que les recherches idoines n’ont pas été menées. La publication du journal de Célestin Brothier, gendarme, démontre en tous cas qu’à tout témoignage, on peut en apposer un autre. Cette mise en perspective des témoignages, sur la base de la détection des rapprochements possibles dans les corpus existants publiés, fait partie de l’expertise du CRID 14-18.


[2] Allard, Jules (cpt), Journal d’un gendarme. 1914-1916, Montrouge, Bayard, 2010, 263 pages.

[3] Dictionnaire des témoignages in http://www.crid1418.org/temoins/.

[4] Allard, op. cit., p. 19.

[5] Allard, op. cit., pp. 15-16.

[6] Azaïs Raymond et Kocher-Marbœuf Eric, Le choc de 1914. Journal de guerre. La Crèche, Geste, 2008, 143 pages.

[7] C’est-à-dire sous-officier d’active commandant une brigade de gendarmerie ; celle de Maulévrier (Maine-et-Loire) dans ce cas.

[8] Il est cité par Jules Allard dans les effectifs de son unité prévôtale (Allard, op. cit., p. 237).

[9] Azaïs et Kocher-Marbœuf, op. cit., p. 44.

[10] Effectif correspondant à celui cité par le capitaine Allard qui fait aussi état de 23 personnels (Allard, op. cit., p. 237).

[11] Azaïs et Kocher-Marbœuf, op. cit., p. 120.

André Loez, septembre 2010.

Complément de Yann Prouillet, janvier 2011.

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Liénart, Achille (1884-1973)

1. Le témoin

Né le 7 février 1884. Issu d’une famille bourgeoise lilloise. Entre à 17 ans au séminaire d’Issy-Les-Moulineaux. Fait son service militaire en 1903-1904 au 43e RI en devançant l’appel. Bénéficie de la loi militaire de 1889 qui ne prévoit qu’un an d’obligation militaire pour les séminaristes. Simple soldat car cette loi ne leur permettait pas de suivre les pelotons. Poursuit ses études de théologie à Saint-Sulpice dans le contexte de la Loi de Séparation. Membre de l’ACJF (catholicisme social). Ordonné prêtre en 1907 mais poursuit ses études pour échapper à une année de service militaire supplémentaire. Obtient durant cette même année une réforme pour raison médicale. Licence de philosophie puis doctorat en théologie. Nommé professeur d’écritures saintes au séminaire diocésain de Cambrai. Engagé volontaire à la déclaration de guerre. Aumônier à l’ambulance 3 de la 51e DR (prévu par le décret du 5 mai 1913 qui attache 2 aumôniers catholiques au niveau du CA et un au niveau de la DI). Devient aumônier volontaire à partir du 11 janvier 1915, rattaché au groupe de brancardiers d’une division supplémentaire et provisoire du 3e CA. En juin il rejoint les rangs du 201e RI, apte à suivre cette unité vu son âge. Blessé une première fois en avril 1916 sur le Chemin des Dames (Paissy). Blessé une seconde fois sur la Somme en août. (Maurepas). Citations et décorations. Reçoit en 1917 la croix de la Légion d’honneur remise par Pétain. Démobilisé le 12 mars 1919.

Redevient professeur au séminaire de Lille. Nommé curé-doyen à Tourcoing en 1926. Evêque de Lille en 1928. Cardinal en 1930. Conserve des liens avec les anciens du 201e. Soutien le régime de Vichy. Œuvre à l’œcuménisme et au dialogue interreligieux en participant aux travaux de Vatican II. Meurt en 1973.

2. Le témoignage

Journal de guerre 1914-1918, Presses universitaires du Septentrion, 2008, 131 p. Cartes, extraits de canevas de tir (légendés par l’auteur), croquis (de l’auteur), photographies et documents divers ont été compilés par l’auteur dans ces souvenirs.

Préface et annotations de Catherine Masson. Avertissement de l’éditeur. Edition dotée d’un appareil critique fourni et d’une riche iconographie.

L’édition papier est accompagnée d’un DVD comprenant :

  • – une transcription dactylographiée d’un journal quotidien (carnets) tenu du 2 août 1914 au 12 mars 1919 (fichiers Word et PDF). La version présentée ici est celle détenue par les archives diocésaines de Lille.
  • – le scan complet des souvenirs objets de la présente publication (et comprenant la totalité des documents qui l’accompagnent). L’auteur les intitule «La guerre de 1914-1918 vue par un Aumônier Militaire. Achille Liénart»
  • – le scan de 2 carnets de sépultures.
  • – diverses éphémérides (produites par l’auteur).

Ces souvenirs (publication papier) ont été établis à partir de cahiers (reproduits dans le DVD). Ils ont été écrits après la guerre, sans que l’on puisse déterminer avec certitude la date de rédaction (sans doute avant 1928). Ces cahiers sont eux-mêmes issus d’ « agendas de poche », rédigés sur le front, qui n’ont pu être retrouvés. Quelques pages des cahiers ont été retranscrites par la mère de l’auteur et par un scripteur inconnu (dans la version présentée ici, détenue par les archives diocésaines). Il existe une autre version manuscrite de ces cahiers (au nombre de 6), détenus quant à eux par la famille.

Les souvenirs présentés ici sont découpés en 13 chapitres respectant une chronologie précise.

Une carte, placée au début, synthétise tous les mouvements de l’auteur durant la guerre et les éphémérides offrent une vue panoramique des événements de guerre. L’ensemble – cahiers, souvenirs, éphémérides et documents – soulignent à l’évidence combien l’expérience de guerre a marqué son auteur.

3. Analyse

Nous n’évoquerons ici que les souvenirs publiés dans la version papier de cette publication. Ils se révèlent utiles pour qui veut comprendre le retour et l’implantation du clergé catholique durant la Grande Guerre auprès des combattants, neuf ans après la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ils soulignent combien ce retour n’était pas acquis au début du conflit et combien sa réalisation se fit dans une réelle et parfaite improvisation. Une forme d’improvisation durable qui aura tendance à se maintenir durant tout le conflit.

Bien que l’auteur soit prêtre, il s’agit bien de souvenirs calquant le style d’un journal de guerre de combattant et qui en adoptent souvent la sécheresse formelle. L’auteur sera d’ailleurs convié par sa hiérarchie à participer à la rédaction de l’historique régimentaire du 201e juste avant sa dissolution. Priorité est ici donnée aux lieux et aux événements. Assez peu de place accordée à l’analyse et au ressenti de la guerre. La mission pastorale elle-même est plus souvent notée que décrite dans le détail.

Chapitre 1 : 2 août 1914-25 mars 1915 Aumônier bénévole, à l’ambulance 3/51. Départ en campagne – Bataille et retraite de Belgique – Combat de Guise – Bataille de la Marne – Secteur sud-est de Reims

Nomination dans l’improvisation

Aumônier volontaire aux armées dès le 3 août. Les 4 places officielles d’aumôniers au 1er CA étant prises, obtient de l’autorité militaire une affectation officieuse : « Mon cas n’étant pas prévu par les règlements, c’était à moi de me débrouiller pour trouver un emploi. » (p 15) Obtient une affectation à l’ambulance 3 de la 51e DR. : « Il était entendu par ailleurs, entre le médecin-chef et moi, que je ne demandais ni solde, ni nourriture, ni prestation d’aucune sorte (…) » (p 16) Accueil favorable « car un grand souffle d’union sacrée était passé sur le pays » (p 16). L’aumônier est pris en charge par une escouade d’unité inconnue pour la nourriture. Reçoit le 8 décembre une note du commandement qui « fit disparaître une menace qui pesait sur moi (…) » (p 20) La visite d’un médecin-inspecteur à l’ambulance régularise la situation de l’auteur qui obtient le statut d’« aumônier volontaire agréé » par lettre ministérielle du 11 janvier 1915. Il bénéficie désormais d’une assimilation de grade à celui de capitaine

Retraite de Belgique

Franchet d’Esperey (commandant le 1er CA) intervient directement auprès des troupes en retraite afin que celle-ci se fasse en bon ordre (p 17).

Chapitre 2 : 25 mars – 10 juin 1915 Aumônier volontaire agréé à la DI provisoire du 3e CA. Secteur nord-est de Reims

Brancardier divisionnaire ; affectation au 201e

Quitte l’ambulance 51/3, nommé brancardier divisionnaire le 23 mars (DI provisoire). Désire rapidement se retrouver au contact de la troupe pour officier (messes, confessions, visites de secteur). Prise de contact avec la troupe rendu difficile du fait de leur incessante mobilité. Demande une affectation auprès du 201e RI (unité de nordistes dont est issu l’auteur), la rejoint le 3 juin. S’efforce d’obtenir un poste qui lui permette d’être proche de la troupe (groupe des infirmiers régimentaires). Devient aumônier de cette unité : « J’avais maintenant comme « paroisse militaire » une unité d’infanterie combattante dont j’allais partager les risques, les souffrances et les gloires, et où j’allais exercer, près des vivants et des mourants, un ministère sacerdotal tel qu’il marquerait sur toute ma vie son empreinte et me laisserait les plus émouvants souvenirs. » (p 27)

Chapitre 3 : 10 juin 1915 – 21 février 1916. Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – 1er corps d’armée – Secteur de combat de Sapigneul

Un secteur actif : Sapigneul – cote 108

Installation d’une chapelle souterraine entre l’écluse nord et Sapigneul, à 30 mètres des lignes allemandes. L’auteur, au cours de ses tournées, apporte la communion aux guetteurs des postes d’écoute, l’entretien de la foi et la (re)conquête des âmes se faisant dans la proximité de la troupe.

Creusement de sapes souterraines jusqu’au canal en vue d’une attaque (p 30). Attaques répétées et infructueuses : « A quoi bon tant de sacrifices pour un si maigre résultat ? » (p 30)

L’échec de l’offensive de Champagne rend le secteur encore moins confortable qu’il ne l’était. Les maigres conquêtes de terrain au nord du canal sont aménagées mais l’espace demeure insuffisant pour une installation solide. Recherche et inhumation des soldats tombés entre les lignes : « Il y a là des cadavres français de 1914 encore en pantalon rouge et nous réussissons à en identifier plusieurs, à les recouvrir de terre et à planter des croix sur leur tombe. Il y en a aussi du 201e que nous ramenons derrière le canal et que nous inhumons sur place. Il en reste hélas quelques-uns qui sont tombés dans les réseaux de fil de fer allemands et que nous ne pouvons aller chercher jusque là. » (p 32. Noter la différence de traitement des corps entre les hommes appartenant à l’unité de l’auteur et les autres.)

Chapitre 4 : 22 février 1916 – 23 juillet 1916 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Bataille de Verdun – Secteur du plateau de Paissy (Aisne)

Verdun

Arrivée à Verdun le 26 février. Montée en secteur (calme) le 2 mars (fort Saint Michel). 6 mars, installation d’un poste de secours dans la redoute de Thiaumont. Le 201e est engagé devant Douaumont à l’un des moments les plus critique de la bataille. L’auteur fait office d’agent de liaison. Relève des morts lorsque cette tâche est possible (rapatriement du corps du lieutenant Brancourt qui sera inhumé vers la redoute de Thiaumont sous un bombardement intense après repérage par une batterie de 77). Relève dans la nuit du 12 au 13, les restes du régiment rejoignent Verdun. L’auteur repart sur le champ de bataille pour inhumer les corps dont il a noté les emplacements avec deux volontaires « chargés d’un grand nombre de croix (…) » (p 39). Les tombes des hommes du 201e ont été retournées par les obus : « Sans doute ne restera-t-il rien de ces pauvres corps, ni de la croix que nous plantons à la hâte au-dessus d’eux. » (p 39) L’auteur nomme, avec une pointe d’humour rétrospectif, cette équipée macabre « notre chemin de croix ». 22 mars, remontée vers la Côte du Poivre. L’abbé reçoit sa première citation. Installation d’un poste de secours à Bras. Retrait de la zone dans la nuit du 7 au 8 avril. Etape à Trélou. Remise de la Croix de guerre avec citation à l’ordre de la brigade.

Plateau de Paissy (Chemin des Dames)

Arrivée 22 avril (relève du 18e CA). Secteur particulièrement calme : « (…) nous trouvions que c’était bien notre tour de garder des tranchées commodes et bien aménagées, tandis que le 18e corps nous remplacerait à Verdun. Ce n’était pas très charitable, mais c’était si humain ! » (p 41) La tâche du prêtre n’est pourtant pas simplifiée dans ce nouveau secteur : l’éloignement des hommes et la faible occupation des tranchées l’oblige à parcourir de longues distances pour officier. Le calme du secteur autorise les déplacements à cheval. Blessure bénigne par obus au cours de l’un de ces déplacements. Rare critique du commandement au sujet des coups de main : « (…) nos chefs se  trompaient en croyant que par ces coups de main entretenir chez nos soldats l’esprit d’offensive. En réalité ces petites opérations de détail coûtaient cher et rapportaient peu, elles déprimaient le moral de nos soldats. » (pp 42-43)

Relation en fin de chapitre, à la manière d’un aparté hagiographique, d’« un souvenir qui m’est resté particulièrement cher » : un agent de liaison connu du prêtre ne peut poursuivre sa mission à Verdun. Ce dernier l’encourage en lui donnant la communion et le soldat repart terminer sa mission.

Chapitre 5 : 24 juillet – 1er octobre 1916 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Camp de Crèvecoeur (Oise) – bataille de la Somme

Crèvecoeur et Gressaire

Déplacement du 201e à partir du 25 juillet vers le front de la Somme. Séjour au camp de Crèvecoeur pour une manœuvre visant à anticiper le futur engagement. 13 août : embarquement pour Villers-Bretonneux puis pour le camp de Gressaire où le 201e est doté d’une musique régimentaire : « Désormais nous n’avions plus rien à envier au 1er d’infanterie avec qui nous faisions brigade. » (p 45)

Bataille de la Somme

Arrivée en secteur à partir de la nuit du 19 au 20 août, relève du 20e CA. Un regard rétrospectif mi-admiratif et mi-critique sur l’allié britannique : « L’armée anglaise est bien différente de ce qu’elle était au début de la guerre. Elle a mis deux ans à se former mais elle est devenue nombreuse, puissante, admirablement équipée et très bien pourvue d’artillerie (…) La bataille de la Somme est leur première grande offensive, ils y sont entrés avec une ardeur magnifique, mais avec une inexpérience et une témérité qui nous rappellerons plus d’une fois nos erreurs du début de la guerre, et qui leur coûteront beaucoup de pertes inutiles. » (pp 15-46) Engagement du 201e à l’ouest de Maurepas. Installation d’un poste de secours de première ligne dans un ancien abri bétonné allemand dont la porte est tournée du côté de l’ennemi et qui reçoit le choc d’un obus allemand : l’auteur est blessé mais ne quitte pas son poste. « De fait je passe la matinée dans le chemin creux à confesser tous ceux qui le veulent et à donner des communions. Quand j’ai fini, mes soldats me confient leur lettres, pour beaucoup, peut-être le dernière. Ils l’ont écrite comme ils ont pu, au crayon, sur leurs genoux, avant le combat, ils y ont mis toutes leurs affections et ils tiennent à ce qu’elle parte. J’en apporte bien 300 au poste de secours d’Hardecourt » (pp 46-47) L’attaque du 201e réussit partiellement, les britanniques et le 1er RI n’ayant pu progresser au même rythme.

Multiples attaques mais progression limitée qui permet à l’aumônier d’aller à la recherche des morts et des disparus de l’attaque du 24. Court repos. 13 septembre, le 201e attaque à nouveau aux côtés des « joyeux » (bataillons disciplinaires africains) dans le secteur de Rancourt. Prise de Rancourt et de Combles. Citation du 201e à l’ordre de l’armée pour ces combats. 24 septembre, remise de la croix de guerre au drapeau du régiment et 2e citation de l’auteur, à l’ordre de l’armée.

Chapitre 6 : 2 octobre 1916 – 25 mars 1917 1er octobre 1916 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Secteur de Champagne – Affaire de Maisons de Champagne – En Brie

Champagne

Arrivée secteur Dampierre – Saint-Etienne-au-Temple – La Cheppe : « J’en profite pour aller visiter les bataillons et prendre contact avec les renforts qui sont venus combler les vides creusés dans nos rangs. Nous avons reçu des hommes de tous âges, des territoriaux grisonnants et des jeunes de la classe 16, de toutes régions aussi, car il en est venu de tous les recrutements et il y a même des Sénégalais du plus beau noir ! Heureusement, si j’ai désormais quelques païens et quelques musulmans parmi mes ouailles, la majorité reste catholique. » (p 55) Exploration du champ de bataille de Souain afin d’y retrouver des restes de corps de soldats du 201e abandonnés lors de l’offensive de mars 1915. Constitution d’un ossuaire surmonté d’une croix sur laquelle figurent les noms des soldats tombés dans ce secteur. Promotion du lieutenant-colonel Hebmann au grade de colonel. Il quitte le 201e pour prendre le commandement de l’ID : « Je le regrettais personnellement plus que les hommes qui l’appréciaient mal, car il n’avait pas la manière de leur parler. » (p 57) Remplacement par le lieutenant-colonel Mougin « qui, tout de suite, sut attirer l’estime et la confiance de tous. Notre premier entretien fut très cordial, il préludait à l’amitié sincère et profonde qui n’allait pas tarder à s’établir entre nous. » (p 57)

Maisons-de-Champagne

Le 201e est chargé d’aller porter secours au 208e dont deux bataillons ont été capturés par un coup de main allemand (c’est au cours de ce coup de main que des documents importants concernant l’offensive du printemps 1917 vont être pris par les Allemands ; Liénart semble ignorer ce fait.)

Les hommes du 201e sont pressentis pour reconquérir ce qui a été perdu par le 208e : « Pourtant le 23 [janvier 1917], le bruit court que c’est pour demain (…) Les hommes sont mornes et je ne sais que leur dire, car le bon sens me paraît être de leur côté. » (p 59) Cette attaque est finalement ajournée et le 201e quitte le secteur. Il part au repos pour Condé-en-Brie.

Maizy (Chemin des Dames)

Anecdote relatant la capture d’un soldat français du 233e accusé d’être un espion par un soldat du 201e.

Chapitre 7 : 26 mars 1917 – 26 juin 1917 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Assaut du Chemin des Dames – Vauchamps -Mailly – Gonaix

Du 16-23 avril au plateau de Craonne

« Le séjour à Maizy est assez agité. L’ennemi se rend compte de la concentration de troupes qui s’opère et bombarde tous les villages. » (p 63) Préparation difficile des festivités de Pâques (confessions, messes) dans un contexte de préparation d’offensive. « Le capitaine Battet m’explique le plan de notre offensive, qui nous paraît à tous deux effarant. » (p 63) Critique lucide de ce plan par l’auteur au regard de ce qui s’est passé dans la Somme (attaques successives de positions après préparations méthodiques d’artillerie) : « Cela faisait une pénétration prévue de sept kilomètres en profondeur qui devait s’opérer d’après horaire fixé d’avance, en sept heures. En regardant la carte d’état-major, nous constations combien la topographie de notre secteur était propice à la défense (…) S’il n’y avait pas eu d’Allemands, l’effort physique d’un tel assaut avec l’armement complet et la surcharge de quatre jours de vivres que les hommes devaient emporter, eut été déjà été très considérable. Aussi malgré la puissance de notre artillerie et la densité de l’armée de rupture dont nous faisions partie, ne pouvions-nous nous défendre d’un sentiment d’effarement devant un plan aussi audacieux. La position à enlever était formidable, et tout de même l’ennemi qui la tenait était de ceux dont il n’était pas si aisé de faire abstraction (…) Jamais pourtant la confiance et le moral de l’armée n’avaient été plus élevés. » (p 63)

Le 16 avril, le brancardier Liénart suit la progression du 5e bataillon du 201e décimé par les tirs allemands de la tranchée du Balcon. Il est contraint de se replier sur la « maison sans nom », au pied de la falaise, transformée en poste de secours avancé. Le capitaine Battet, commandant le 4e bataillon, parvient à s’infiltrer au sud du Tourillon de Vauclerc et à prendre pied dans la tranchée du Balcon qui est progressivement conquise par ses extrémités et conservée. Malgré la conquête du Balcon, l’évacuation des blessés de la « maison sans nom » demeure particulièrement périlleuse. La recherche des blessés ne peut se faire qu’à la nuit tombée. Le 17, après une dure journée passée à soigner les blessés, Liénart quitte le poste de secours avancé et se dirige, épuisé, vers le poste de secours de Craonnelle. Il ne reprend son service que le 20. Le 21, il part à le recherche des corps de soldats disparus : l’identification est possible mais non l’inhumation. Le 22, regroupement sommaire de 125 corps : « Les corps sont réunis dans de grands trous d’obus, et les objets sont recueillis, les noms sont inscrits dur des billets et placés dans des bouteilles laissées dans des trous d’obus, au milieu des corps. » (p 68) L’inhumation des corps ne peut être accomplie du fait d’une relève.

Chapitre 8 : 26 juin 1917 – 18 janvier 1918 Aumônier au 201e RI – 1ère division d’infanterie – Bataille des Flandres – Retour en Seine-et-Marne – Crouy-sur-Ourcq

Les Flandres

Acheminement du 201e vers le nord : « Allions-nous enfin, nous qui appartenions au 1er corps d’armée, nous battre directement pour arracher notre régions envahie à l’oppression de l’ennemi ? » Entrée en Belgique, observation « de l’armée belge, que nous avions vu en 1914 si peu préparée à soutenir le terrible choc de l’armée allemande, et que nous retrouvions à présent fortement équipée et très bien encadrée. » Relève d’une unité belge sur le rive ouest du canal de l’Yser : «  Dans ce pays plat, saturé d’eau, où les tranchées, au lieu d’être creusées dans la terre étaient établies en superstructure, point commode pour loger les compagnies de réserve. » Mise au repos : « Le commandement soucieux d’avoir des troupes d’attaque en parfait état physique et moral, nous avait fait voir le champ de bataille, et nous mettait au vert jusqu’à l’offensive. » (p 73) Le 201e attaque le 31 juillet mais son avance est stoppée par la pluie. A son habitude, comme après chaque offensive, Liénart inhume les morts du régiment. Au repos, il reçoit la croix de la Légion d’honneur des mains de Pétain : « Il me félicita d’un mot, mais ce qui me fut plus sensible encore, ce furent les félicitations vraiment cordiales et émouvantes qui me vinrent de tous mes soldats et des officiers du 201e.» (p 76) Le régiment est engagé à plusieurs reprises dans le même secteur, jusqu’à la fin octobre.

Paris

4 novembre : départ en permission. Messe à Montmartre (probablement au Sacré-Cœur). Visite à la famille. Retraite spirituelle de 3 jours au séminaire de Saint-Sulpice.

Secteur d’Oost-Cappel et changement d’affectation

Visite aux bataillons en secteur au nord d’Ypres : « Heureusement, il y a un prêtre-soldat à chaque bataillon (…) pour assurer le service religieux. » (p 80) 7 décembre : préparatif de départ du 1er CA. Liénart est convoqué par le médecin-divisionnaire « qui m’apprend qu’une circulaire ministérielle rappelle les aumôniers dans les groupes de brancardiers. Je suis pour ma part l’un des deux aumôniers du groupe de brancardiers de la 1ère DI (GBD). Le prétexte invoqué pour nous éloigner de nos régiments, est que par suite du départ des aumôniers dans les régiments d’infanterie, certains éléments de la division (artillerie, génie, cavalerie), se plaignent de ne jamais avoir d’aumôniers. En réalité, ils ont les prêtres-soldats qui font très bien l’affaire, et on veut surtout, au nom des règlements, nous éloigner de notre champ d’apostolat. Heureusement nos chefs immédiats sont plus compréhensifs, et le médecin-divisionnaire se contente de m’affecter pour ordre au GBD, en me laissant toute liberté de résider où je m’estime être le plus utile. En principe, je ne suis plus aumônier du 201e, en fait je le reste. » (p 81) Long déplacement à pied de la DI jusqu’à Crouy-sur-Ourcq.

Chapitre 9 : 18 janvier – 9 mai 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – Secteur de Beaumarais – Bataille de Noyon – Secteur d’Ourscamp

Chemin des Dames

De retour dans ce secteur, au début de l’année 1918, Liénart note « On n’y apercevait pas encore les signes avant-coureurs de l’orage. » (p 85) Il y poursuit l’entretien des cimetières provisoires, constatant leur bon état ou les ravages causés par l’artillerie (cimetière du Blanc-Sablon). Le secteur conquis en 1917 est toujours l’objet d’aménagements défensifs : « Notre séjour dans cette zone assez calme n’est rendu pénible que par l’exécution d’importants travaux de défense. Il s’agit d’établir des réseaux de barbelés puissants et des centres de résistance solide en vue de contenir l’ennemi, s’il s’avisait d’utiliser la plaine pour tourner notre position du Chemin des Dames et du plateau de Craonne, si chèrement conquis. » (pp 85-86) Liénart entreprend avec une équipe de musiciens la réfection du cimetière du Blanc-Sablon et poursuit la recherche des corps de soldats du 201e tombés en 1917 dans le Ravin sans Nom, abandonnée quelques mois plus tôt du fait d’un départ précipité. Il constate que le travail d’identification et d’inhumation est resté en l’état, soulignant ici combien le devenir des corps des soldats dépend étroitement de l’unité à laquelle ils appartiennent.

L’Oise

La 1ère DI est jetée dans la brèche qu’ont ouvert les Allemands entre l’armée française et britannique le 21 mars. Le 201e résiste dans le secteur de Crisolles, sans le soutien de l’artillerie qui n’a pu suivre. L’unité se replie sur Noyon et est relevée par le 57e RI qui se fixe sur le Mont Renaud. Le 201e occupe une position en retrait dans le secteur de la forêt d’Ourscamp.

Chapitre 10 : 9 mai – 11 juillet 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – En réserve à Plassis-Bion – Bataille de l’Aisne – Forêt de Villers-Cotterêts

Au retour d’une permission, le 201e est envoyé dès le 28 mai pour soutenir une division qui tient le secteur entre Crouy et Chivres au nord de l’Aisne (suite à l’enfoncement du Chemin des Dames par les Allemands le 27 mai). Utilisation d’un bac pour passer au sud de l’Aisne. Repli sur Soissons alors que les ponts sur l’Aisne ont été détruits. Nouveau repli sur Noyant. Liénart rejoint la division à Septmonts qui est finalement pris : repli sur Vierzy puis Villers-Hélon et la forêt de Villers-Cotterêts. « Le 201e est anéanti. A l’appel qui se fit ce jour-là à Mongobert, nous étions en tout 170, et l’on nous envoyait à la division marocaine à Vivières, dès le soir, en attendant que l’on décide si le régiment serait dissous ou reconstitué. » (p 94) Le 4 juin, la première DI est reconstituée avec les restes de ses régiments et des renforts à venir. Participation du 201e à des combats locaux face à Longpont.

Chapitre 11 : 12 juillet – 13 octobre 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – Brève relève – Reprise de l’offensive – Prise du Plessier-Huleu – Oise et Alsace

Mention d’un combat au corps à corps  dans le secteur de Plessis-Huleu (pp 98-99). Obtention le 28 mai de 2 nouvelles citations, à l’ordre de l’armée et du régiment (p 99). Le 28 août, le 201e est envoyé en Alsace : « Je n’ai passé que trois jours à St Amarin mais quelle impression profonde j’en ai gardée. Ici toute la population parle de français, et elle est restée française de cœur. » (p 100) Les succès remportés par les armées alliées renforcent « les sympathies de la population alsacienne pour la France. » (p 102) A Bitchwiller, le nom de la place et de certaines rues est modifié (place Jeanne d’Arc et rues du président Wilson et du maréchal Joffre, p 102).

Chapitre 12 : 14 octobre – 11 novembre 1918 Aumônier du GBD détaché au 201e – Le dénouement – Granville – Lille – Vers Metz – Armistice

Difficulté à obtenir un laisser-passer pour Lille occupée par l’armée anglaise. Rencontre avec Thellier de Poncheville et obtention de permissions pour se rendre à Hazebrouck afin de se « débrouiller » pour entrer dans Lille. L’auteur parvient à se rendre chez son oncle. Surprise des lillois de voir un aumônier français arborant ses décorations. Départ pour les Vosges afin d’y rejoindre le 201e qui doit être engagé vers Saint Avold. L’auteur apprend la signature de l’armistice à Diarville : « A 11 heures, la joie éclate. Les cloches des églises sonnent à toute volée. C’est fini. Notre bonheur est si grand que nous avons peine à y croire, et que nous sommes obligés de réfléchir pour en prendre pleinement conscience. » (p 108)

Chapitre 13 : 12 novembre – 12 mars 1919 Aumônier du GBD détaché au 201e – Accueil triomphale en Lorraine – Occupation de la tête de pont de Myence – Dissolution du régiment – Congé de démobilisation

A partir du 15 novembre, le 201e se déplace vers la Lorraine : « A présent nous n’entrerons plus en Lorraine en combattants mais en triomphateurs. » (p 111) « Tous les villages sont pavoisés. Les habitants nous font un accueil enthousiaste. Tout le monde parle ici français, et nous sentons bien que la Lorraine est vraiment un lambeau de France qui nous a été arraché. » (p 112) Manifestations de joie dans les villages traversés. « Parmi les spectateurs de notre défilé, nous aperçûmes des soldats allemands en uniforme avec armes et bagages. Ils portaient la cocarde rouge, signe que la révolution qui avait éclaté dans l’armée vaincue. C’étaient des Lorrains qui s’étaient eux-mêmes démobilisés et qui étaient en train de regagner leur foyer. » (p 112)

1er décembre, mise en route pour la région de Mayence. Découverte des villes et villages intacts : « Les enfants pullulent littéralement, ce qui n’est pas sans faire réfléchir nos soldats sur l’avenir… Ils se pressent en foule sur notre passage et les hommes et femmes aussi, avec une curiosité qui nous étonne, et qui nous semble un manque complet de dignité. » (p 114) L’auteur loge chez l’habitant : « L’accueil est bon, mais visiblement les gens ont peur de nous. Et cela vaut mieux, car dès qu’ils ne nous craignent plus, ils deviennent aussitôt trop familiers. Force nous est de demeurer sur la réserve et un peu distants sous peine d’être traités presque en camarades. » (p 114) L’auteur est logé chez un curé qui fut aumônier militaire durant l’occupation de Lille. « Je lui dis que je suis de Lille, il baisse la tête et se tait. Il était chez moi, et voici que je suis chez lui. » (p 114) Fin décembre, l’auteur est atteint par la grippe espagnole. Participation à la rédaction de l’historique du 201e : « Je me hâte tant que je puis, d’achever l’historique du 201e avant que nous soyons dispersés. » (p 117). Le 13 février 1919, le régiment est dissous. Evocation de la cérémonie. Parti en permission, Liénart apprend sa future démobilisation qui sera effective le 12 mars.

4. Autres informations

Témoignages :

Grandmaison (de) Léonce, Impressions de guerre de prêtres soldats, Plon, 1917, 406 p.

Etudes :

Boniface Xavier, L’aumônerie militaire française 1914-1962, Le Cerf, 2001, 596 p.

Chaline Nadine-Josette, « Les aumôniers catholiques dans l’armée française » in Marie-Josette Chaline (dir.), Chrétiens dans la première guerre mondiale, Cerf, 1993, pp 95-120

Cru Jean-Norton, Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Les Etincelles, 1929, 729 p. (notices consacrées à Bessières, Dubrulle, Lelièvre, Lissorgues, Payen, Thellier de Poncheville)

Masson  Catherine, Le cardinal Liénart, évêque de Lille, 1928-1968, Le Cerf, 2001, 769 p.

J.F. Jagielski, juillet 2009

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Faget, Maurice (1877-1942)

1. Le témoin

Maurice Faget avait 37 ans en 1914. Il est né à Cassaigne (Gers) le 5 juillet 1877 dans une famille de propriétaires ruraux aisés. Ses études l’ont porté jusqu’au « niveau bac », après quoi il a géré les propriétés familiales. Il ne s’est marié qu’après la guerre, en 1920. Son fils est né en 1921. Maurice Faget est mort pendant la Deuxième Guerre mondiale, à Cassaigne, le 20 août 1942.

2. Le témoignage

Du 7 août 1914, au lendemain de sa mobilisation à Agen au 129e régiment territorial d’infanterie, jusqu’au 22 janvier 1919, peu avant sa démobilisation, il a écrit à sa famille, principalement à ses parents et à sa sœur aînée, Gabrielle, veuve, ainsi qu’à son neveu, également mobilisé. Il est toujours resté 2e classe, au 129e RIT jusqu’à la dissolution du régiment en août 1917, puis au Groupement de Brancardiers du Corps d’Armée. Son fils Henri a retrouvé 535 lettres et les a publiées à petit tirage : Henri Faget, Lettres de mon père, 1914-1918, chez l’auteur, château de Cassaigne, 32100 Cassaigne (henri.faget459@orange.fr). Le livre est illustré de deux cahiers de photos (Maurice Faget, ses camarades, les tranchées, ruines de Souain…).

3. Analyse

Il arrive en Champagne fin octobre 1914. Le 10 janvier, il y décrit le rôle des Territoriaux : « Quoique nous allions à notre tour en première ligne, nous n’occupons pas, nous territoriaux, les postes très dangereux et lorsqu’il s’agit d’attaquer nous sommes toujours remplacés par l’active, d’ailleurs la meilleure preuve, c’est que depuis le début de la guerre, notre régiment n’a pas de mort, ni blessé dans le service des tranchées. » En période de « repos », ils sont « occupés du matin au soir à différentes corvées toujours pour améliorer ou refaire les tranchées. Quand donc pourrons-nous lâcher les pioches et les pelles du gouvernement ? » (29 mai 1915). Ou bien (3 juin) : « Demain soir, nous rentrons au camp pour cinq jours, mais on ne désire guère plus ce séjour car du matin au soir il faut faire l’exercice comme des bleus. »

Pendant toute la guerre, Maurice Faget reçoit d’assez gros mandats et beaucoup de colis de nourriture, dont il fait le commentaire en retour. Au dire même de son fils, éditeur des lettres, le livre est « un véritable inventaire de la gastronomie gasconne, foies gras, confits, civets, ris et cervelles, volailles en accommodements les plus variés, gâteaux pastis, crêpes, merveilles, etc. » Le soldat y puise réconfort, de même que dans les lettres reçues, qui « chassent les idées noires » (7 mai 1915).

Car, les idées noires, oui, elles sont exprimées : « sale guerre » (15 janvier 1915) ; « les plus las sont les officiers qui se font évacuer en masse » (29 janvier) ; lui et ses camarades sont « rassasiés de la guerre, mais que faire ! » (7 mai). Comment la guerre pourrait-elle finir ? « Enlever une par une toutes les tranchées est, à mon avis, impossible ou bien c’est l’anéantissement complet de tous les Français valides » (18 mars 1915). « A moins d’événements extraordinaires, mon opinion, malgré tout ce que racontent les journaux, est que nous sommes encore pour longtemps sous les armes. Ça coûte trop cher de prendre des tranchées. Je crois que c’est par la famine qu’on aura les Boches et personne ne connaît leurs approvisionnements » (27 avril).

Passant à Châlons-sur-Marne, le 25 juin 1915, il note : « Je vous assure que ce mouvement de grande ville m’étonnait un peu depuis plusieurs mois que nous vivons en dehors de la vie ordinaire. » Par contre Suippes (12 juillet), Souain (13 juillet) sont en ruines. Ce sont des visions qui dépriment, de même que les faveurs accordées aux « embusqués, ordonnances, flatteurs, etc. » pour le tour de permission.

Le 26 septembre, lors de l’attaque de Champagne : « Ça chauffe ferme pas très loin de nous, mais nous ne risquons rien, ma Compagnie est affectée à amener à l’arrière les prisonniers. » Le 2 octobre : « Nous sommes occupés toute la journée à nettoyer les tranchées boches et françaises. Nous entassons le matériel abandonné et enterrons cadavres d’hommes et de chevaux. C’est plutôt navrant mais petit à petit on s’habitue à ces tristes choses et, l’égoïsme poussant, on aime mieux être croque-mort que monter à l’assaut. Il me tarde d’être plus vieux de quelques jours pour connaître le résultat de cette poussée malheureusement très dure. » Déception, le 10 octobre : « On s’attendait à un plus grand résultat de cette attaque qui nous a coûté très cher en hommes. » « Et ce sera une campagne d’hiver à recommencer, et ce printemps prochain nouvelle attaque ! C’est désespérant. » Cette hantise d’une nouvelle campagne d’hiver revient fréquemment dans les témoignages des combattants, des fantassins en particulier.

Maurice Faget obtient sa première permission en décembre 1915. En 1916, il est dans la Somme, puis dans l’Oise. Planton auprès du commandant, c’est une « gâche » qui lui permet de se chauffer « auprès d’un bon poêle » et de plaindre « les pauvres poilus qui sont dans la tranchée », mais ne l’empêche pas de soupirer après « la paix !!! », le 1er avril 1916, comme le 15 juillet après la fête nationale : « Nos quarts auraient été levés avec plus de gaieté si ce mousseux avait apporté la paix. »

Il ne participe pas aux combats de Verdun et de la Somme en 1916, mais, au 16 avril 1917, il est au Chemin des Dames, pour la seule semaine de guerre véritable qu’il a connue (d’après ses propres dires recueillis par son fils, voir p. 210). Le 20 avril, il écrit : « Nous voilà hors de la fournaise depuis hier soir et Dieu sait si on respire d’aise après les huit jours passés sur les lignes. Par miracle le 129e a eu très peu de casse à déplorer, mais hélas tous les régiments ne peuvent en dire autant. Le 2e Corps colonial dont nous faisons partie a été décimé et pour quel résultat : une avance à peu près de 1500 mètres. Je ne veux pas me souvenir de l’horreur du champ de bataille, avec tous ses morts couverts de boue. […] Nous ne savons rien de l’ensemble des opérations, depuis huit jours nous sommes sans journaux, il me tarde que le cycliste les porte, mais quelle confiance accorder à leurs dires ? D’ici une dizaine de jours on verra le résultat de l’offensive, mais déjà, pour moi, je crois bien qu’elle n’a pas donné les résultats qu’on escomptait. »

En mai 1917, il est près de Lunéville et remplit des fonctions de secrétariat : « La paperasse continue toujours à affluer, c’est effrayant. Je n’avais jamais tant usé de plumes de ma vie. Il vaut mieux bien faire ça que de monter la faction » (4 juin). En août, il est transféré au GBC. « Je fais fonction de secrétaire de l’office d’état civil du champ de bataille, chargé d’identifier les morts, recueillir leur succession et les inhumer (4 octobre). « Quand donc finiront ces massacres ? »

Rémy Cazals, juillet 2009

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Bertier de Sauvigny, Albert (1861-1948)

1. Le témoin

Issu d’une grande famille de l’ancienne noblesse d’origine bourguignonne. Entretient des relations sociales avec ce milieu. Semble partager des idées politiques plus ou moins conservatrices. Membre du C.I.O. avant la guerre. Propriétaire du château de Coeuvres. Maire de cette commune durant toute la guerre (ne quitte sa commune qu’entre le 31 mai et le 20 juillet 1918). Malgré son engagement durant la guerre, n’est réélu ni 1919 ni en 1925.

2. Le témoignage

Pages d’histoire locale 1914-1919. Notes journalières et souvenirs, Imprimerie de Compiègne, 1934, 525 p. Edition illustrée (dessins de l’auteur ?) Carte. Préface. 17 annexes.

Réédition Soissonnais 14-18, 1994, 523 p. Fac-similé de l’édition originale. Photographies et documents divers (c’est cette réédition que nous utiliserons ici).

Une dédicace : « A mes fils, en mémoire de leur aîné mort pour la France. »

Les souvenirs d’Albert Bertier de Sauvigny constituent une source de premier ordre pour mieux connaître la vie d’un village de l’immédiat arrière front, Coeuvres dans l’Aisne, durant toute la guerre et l’immédiat après guerre. Ils laissent apparaître deux types de narration, mêlant d’ailleurs deux typographies distinctes.

L’une est constituée à partir de notes journalières qui semblent ici retranscrites mais ont été à l’évidence complétées voire complètement réécrites par la suite, sans que l’on puisse vraiment savoir si le contenu de ce journal a été ici utilisé dans sa totalité. Ces notes sont parfois introduites par une phrase du type : « Je relève dans mon journal : (…) » (p 23).

L’autre est une mise en récit de ces notes, faisant entrer ce type de témoignage dans la catégorie des souvenirs de guerre. Ce second type de narration s’appuie alors sur d’autres sources que celles dont l’auteur a pu être le témoin direct (cf. ci-dessous, fin du chapitre I).

Le récit est alerte, vivant, avec une chronologie très précise. Il fourmille de détails dont l’intérêt est variable si l’on sort d’une perspective purement locale. La position sociale de Bertier facilite ses relations tant avec les autorités militaires (allemandes ou françaises) qu’avec un certain nombre de notables locaux ou nationaux. Ces souvenirs abordent également la période de l’immédiat après guerre avec l’évocation de l’année 1919 (recherche et identification des corps, gestion des cimetières provisoires, reconstruction du village).

3. Analyse

Vu la longueur du témoignage, nous adoptons ici une approche volontairement synthétique qui variera en fonction de l’intérêt des chapitres. Le contenu des annexes (souvent riche) est mentionné mais ne sera analysé que très brièvement.

Avant-propos

P I à IX : implication de l’auteur dans le comité international d’organisation des J.O. à la veille de la déclaration de guerre.

Première partie : du 22 juillet au 31 décembre 1914

Chapitre I (p 1 à 10)

Visite privée en Allemagne du 22 au 26 juillet 1914 puis départ précipité pour l’Angleterre où l’auteur apprend l’existence de l’attentat de Sarajevo et ses conséquences.Retour en France début août : mobilisation. Arrivée à Coeuvres le 2 août : première réquisitions militaires.« Des notes prises journellement par moi pendant mon séjour auprès de mes administrés, puis – après mon départ volontaire pour l’armée jusqu’à mon retour au pays – un journal tenu par mon ami Maurice Desboves et une fréquente correspondance échangée soit avec lui, soit avec le secrétaire de mairie, soit avec mon garde-régisseur Leblanc, m’ont permis de reconstituer l’existence quotidienne de mon village pendant ces années inoubliables. » (pp 9-10)

Chapitre II (p 11 à 22)

2 juillet et jours suivants : départ des premiers mobilisables de Coeuvres : « (…) personne à ce moment ne se rend compte de la terrible réalité. » (p 11) L’auteur reçoit l’aide des habitants du village pour faire face à cette situation. Destruction des plaques du bouillon Kub (rumeur apparue dès le début du conflit). Réquisitions militaires et création d’une Commission de ravitaillement. Union sacrée au niveau de la presse régionale. Protection d’une ressortissante autrichienne suspecte conduite à Paris. Arrivée des réfugiés de Verdun (dans le cadre du plan d’évacuation de la région fortifiée). Début de la vague d’espionnite. Avalanche de circulaires et télégrammes due à la proclamation de l’état de siège (directives absurdes). Mise en place de dispositions en faveur des familles nécessiteuses (abus). Etablissement de barrages et de contrôles dans la traversée des villages (espionnite aigue ; l’auteur mentionne un retour accru de cette tendance après la bataille de la Marne).

Chapitre III (p 23 à 32)

24 au 30 août : désertion de certains fonctionnaires et notables face aux menaces d’invasion.

L’auteur pressent que cette région de l’Aisne sera envahie et occupée. Arrivée des populations du Nord. Départ conseillé des familles de « quelques notabilités » malgré un télégramme du général commandant la 2e Région (rassurant…) Trains pour Paris bondés. Premières rumeurs concernant les atrocités commises par les Allemands. Absence de directives émanant des autorités civiles. Présence des troupes anglaises.

Chapitre IV (p 33 à 38)

31 août : repli en ordre de l’armée anglaise (mais pillages). Patrouilles de Uhlans signalées (accrochages avec des gendarmes). Départ de certains habitants, d’autres entendent rester : « De-ci de-là des conciliabules ont lieu dans la soirée, de maison à maison. Le pitoyable défilé des fuyards ne produit pas le même effet sur tous. Il affole les uns et les entraîne à l’exode ; au contraire il détermine d’autres à rester, qui déclarent : « Si je dois mourir, j’aime mieux que ce soit chez moi que par les chemins ! » » (p 36)

Chapitre V (p 39 à 60)

1er septembre : poursuite du retrait des troupes anglaises, talonnées par les Allemands (cette retraite semble s’accomplir cette fois dans un certain désordre). Un officier britannique quelque peu paniqué conseille à l’auteur de partir. Des habitants du village qui se sont mis en route sont refoulés, probablement par les autorités militaires. Un sous-officier anglais, réfugié chez un habitant et ivre, accuse le maire d’être un espion. Même comportement avec d’autres habitants. Bertier est obligé d’intervenir pour le calmer et s’en débarrasser.

Irruption d’un dragon allemand à la recherche de soldats anglais. Il braque son arme sur le maire mais dialogue calmement en français. A l’arrivée des patrouilles allemandes, Bertier fait connaître sa qualité de maire et demande à être l’interlocuteur privilégié (les échanges se font toujours en français avec les officiers). Le maire donne des consignes afin que chacun reste chez soi. Des traînards de l’armée anglaise déambulent toujours dans une certaine confusion qui ne peut qu’affoler la population civile et entraîner des répressions (les atrocités allemandes semblent connues de l’auteur dès cette période). Un jeune civil est tué par les patrouilles de Uhlans (corps abandonné puis récupéré par ses camarades). Installation des Allemands (Bavarois) dans le château de Coeuvres (propriété du maire). Passage du duc de Slesvig-Holstein (beau-frère de Guillaume II), il s’installe temporairement au château et félicite le maire d’être resté à son poste. Un cantonnier et sa famille, prisonniers des Allemands, bénéficient de l’intervention du maire pour être libérés. Les Allemands, selon les propos du journal du maire, emploie un stratagème leur permettant de justifier une éventuelle répression : ils affirment avoir subi des pertes, fussent-elles imaginaires… Le duc reçoit un télégramme de Guillaume II lui annonçant la défaite des Russes. Bertier demeure sceptique mais considère que la guerre est véritablement perdue, au vu de l’avancée allemande et de leur proximité par rapport à Paris. Le duc invite Bertier à souper, ce dernier décline catégoriquement l’ « invitation »… Evocation du comportement du même duc au château de Bellignies (Nord) qui appartenait à la famille de Croÿ. Ce dernier obligea les châtelains à dîner en sa compagnie, les menaçant d’abandonner une ambulance en cas de refus (cet épisode a été raconté par Marie de Croÿ à l’auteur en 1931 ; il est également relaté dans les mémoires de Marie de Croÿ dont on trouvera la référence dans la 4e partie).

Bertier s’enquière de ses administrés : il a surtout des craintes pour les fermes isolées de sa commune. La boulangerie est particulièrement sollicitée par la troupe d’occupation.

Poursuite du passage des troupes allemandes qui donne l’impression d’une totale défaite. Les habitants sont contraints à mettre des seaux d’eau devant le seuil de leurs maisons pour que les soldats puissent se désaltérer. Hymnes de victoire : dans 3 jours, ils seront à Paris…

Le soir, Bertier est à nouveau obligé d’intervenir auprès d’un haut gradé allemand (le prince de Saxe-Meiningen) pour sauver de l’exécution son adjoint Debuire. Cette rumeur s’avère finalement fausse sans que Bertier parvienne à élucider son origine. Harassé par cette journée mouvementée, Bertier doit néanmoins continuer à administrer sa commune occupée, notamment avec l’arrivée des services postaux militaires allemands. L’état-major qui occupait le château le quitte à 3 heures du matin.

Chapitre VI (p 61 à 78)

2 au 7 septembre : flot ininterrompu de troupes allemandes. Pillages sans ordres de réquisition mais un officier allemand accorde 250 kg de farine pour la population civile. Un officier qui porte un nom polonais semble très affecté par la tâche qui lui a été confiée : enterrer les morts.

Un médecin allemand soigne un dragon grièvement blessé. Ce dernier confie au maire un certificat de bons soins.

Certains officiers du Slesvig « pacifiques et corrects » (p 66) ont peu de sympathie pour les Prussiens. Le cadavre d’un civil est à nouveau découvert. Evocation du canon vers Château-Thierry (bataille de la Marne). A partir du 7 septembre, les troupes allemandes refluent vers le nord.

Chapitre VII (p 79 à 98)

9 et 10 septembre : reflux de la cavalerie (non engagée) puis de l’infanterie allemande. Arrivée au château de l’état-major de la 1ère armée (Von Klück, qui fait bonne impression à l’auteur). Installation des lignes téléphoniques.

Chapitre VIII (p 99 à 106)

11 septembre : départ de Von Klück et de son état-major. Reflux d’isolés allemands. Arrivée de la cavalerie française puis de l’infanterie. Combats sporadiques d’arrière garde. Les Français ne sont pas sûr de pouvoir tenir le village (risque de bombardement allemand).

Chapitre IX (p 107 à 122)

12 au 14 septembre : arrivée des avant-gardes françaises du 7e CA. Enterrement de soldats allemands et français. Evocation rétrospective des exploits de l’escadron Gironde (cf. également annexe I). Canonnades vers le nord (passage de l’Aisne). Installation de troupes françaises dans le village. Les combats pour passer l’Aisne s’avèrent particulièrement difficiles car les Allemands se sont retranchés sur les plateaux qui la jouxtent (bataille de Fontenoy et du plateau de Nouvron). Arrivée des premiers blessés français (63e DI). L’armée fournit des vivres à la population du village.

Chapitre X (p 123 à 130)

15 au 20 septembre : combats pour la prise des plateaux du nord de l’Aisne (pluie). Retour de certains habitants qui avaient fui. Remise de plaques d’identité à un major chargé de l’assainissement du champ de bataille. Fixation des lignes et entrée dans la guerre de position.

Chapitre XI (p 131 à 160)

21 septembre au 17 octobre : installation de l’état-major de la VIe armée (Maunoury) dans la château de Coeuvres. Près de 5 000 hommes vivent dans le village (premières tensions entre les autorités civiles et militaires au sujet des réquisitions et de l’installation des troupes). Interdiction des débits de boisson pour la troupe. Visite de Gabriel Hanotaux (distribution d’argent). Pénurie de charbon et de vivres. Mesures de police à l’égard des civils considérées comme vexatoires. Espionnite. Départ de l’état-major de la VIe armée.

Chapitre XII (p 161 à 172)

18 octobre au 18 novembre : visite de l’épouse du maire de Fontenoy (situation très difficile dans ce village de première ligne).

Visite de Melles B. et C. fiancée et sœur du maréchal des logis C. mort à l’ambulance le 20 septembre et inhumé au cimetière de Coeuvres. Elles sont accompagnées d’un ami, ancien commissaire à Besançon. La fiancée insiste pour qu’on exhume le corps du soldat. Refus motivé de Bertier dans la mesure où le corps est enterré en fosse commune, ce qui oblige à exhumer les autres corps. La fiancée s’incline devant cette raison.

Ouverture d’une fosse commune  où reposent des Anglais au Rond de la Reine [parmi ces corps, celui du neveu de Lord Cecil ; un monument le commémore aujourd’hui ; Doumer évoquera le devenir de ce corps lors dans le procès-verbal de la séance du 31 mai 1919 de la Commission Nationale des Sépultures militaires, cf. AN F2 2125]. Voyeurisme d’une passante lors de ces exhumations.

Chapitre XIII (p 173 à 182)

21 novembre au 24 décembre  : établissement à Coeuvres de l’état-major du 7e CA (nouvellement commandé par le général De Villaret). Visite du sous-préfet. Arrivée de wagons de charbon (suite à l’intervention d’Hanotaux ; évocation de la création du Comité des Réfugiés de l’Aisne). Enterrement d’un soldat allemand. Sur la croix figure l’inscription : Hic jacet ignotus Teutonicus miles. Création de compagnies agricoles. Conseils de révision (Villers-Cotterêts, Vic-sur-Aisne). Visite de deux femmes au général De Villaret (dont une actrice) malgré l’interdiction de la zone aux civils.

Deuxième partie : du 1er janvier 1915 au 31 décembre 1917

Chapitres XIV à XXIV (p 185 à 286)

1915 : le village est devenu un lieu de cantonnement des troupes (va-et-vient incessant de diverses unités). Afflux de troupes en vue de l’attaque de la cote 132 (affaire de Crouy). Blessure des généraux Maunoury (VIe armée) et De Villaret (7e CA) lors d’une visite aux tranchées. Bombardement du village. Mandats pour occupation du village par l’armée (indemnités de cantonnement lucratives pour certains habitants). Déjeuner avec l’abbé Payen qui a accompagné jusqu’au peloton d’exécution 2 soldats (exécution dans un hameau de Saint-Cristophe-a-Berry). Visite d’une ambulance : 2 soldats blessés ont commis des violences sur leur sergent et ont fait une tentative de suicide commune. Un capitaine du Génie réquisitionne du matériel pour inventer et fabriquer un lance-grenade sous forme d’arbalète. « La mission d’annoncer ces tristes nouvelles aux parents des pauvres soldats tombés au Champ d’Honneur, revient bien souvent et constitue l’un des côtés douloureux du rôle des maires. » (p 223). 4 août 1915 : l’état-major du 7e CA quitte le village pour s’installer à Longpont. 1er octobre : réouverture de l’école du village.

1916 : nombreux décès dans l’ambulance entraîne la création d’un nouveau cimetière (ambulance importante, les blessés viennent de loin). Arrivée de la main d’œuvre travaillant pour la défense du Gouvernement militaire de Paris (mauvaise réputation, cégétistes…). Lutte des autorités militaires contre la vente de vin par les civils.

1917 : le village se vide de militaires suite au recul allemand. Cantonnement de troupes participant à l’offensive du Chemin des Dames (repos). Mutinerie du 370 RI. Arrivée de 5 escadrilles de chasse à la ferme de Vaubéron (installation de hangars). Nomination d’un délégué et d’un suppléant de la commune à la Commission cantonale des dommages de guerre.

Troisième partie : du 1er janvier au 23 octobre 1918.

Chapitres XXV et XXVI  (p 289 à 312)

1918 : les cultivateurs se plaignent qu’un grand nombre d’ouvriers quittent les fermes pour aller travailler à l’avant (meilleures rémunérations). Propagande allemande envoyée par ballonnets (Gazette des Ardennes). Les habitants ne touchent plus depuis 6 mois leurs indemnités de cantonnement. Visite de Guy de Lubersac stationné au camp d’aviation de Vaubéron (cf. également annexe XV).

Chapitre XXVII (p 313 à 328)

Mai : installation du CI de la 1ère DI. Départ de certains habitants après l’attaque allemande du 27 mai sur le Chemin des Dames. Défilé incessant de troupes. Installation de l’état-major du 1er CA (général Lacapelle). Mise en sécurité des archives communales. 31 mai : arrivée massive de troupes. Evacuation des civils par camions militaires et sur ordre de l’autorité militaire (quelques « obstinés irréductibles prétendant qu’on n’a pas le droit de les obliger à partir », pp 323-324). Bertier quitte le village pour Paris sous les premiers bombardements.

Chapitres XXVIII et XXIX (p 329 à 332)

Juin : évacuation et dispersions des habitants du village évacué vers la Normandie et la Bretagne. Récit de l’« odyssée de ceux de mes administrés qui étaient restés dans Coeuvres après l’évacuation » (témoignages indirects).

Chapitre XXX (p 357 à 368)

20 juillet : retour de Bertier à Coeuvres : le village a beaucoup souffert des offensives et contre-offensives. La propriété du maire est en partie détruite. Présence de trous individuels et de cadavres allemands dans les parages du village (effets des gaz). Bertier est invité à aller déjeuner à l’état-major du XXe CA (château de Montgobert). Autorisation pour une deuxième visite à Coeuvres occupé par les Britanniques dont l’état-major est installé dans les creutes environnantes (aménagées grâce à la récupération des biens des habitants évacués).

Chapitre XXXI (p 369 à 376)

Août-septembre : nouvelle visite à Coeuvres. Retour de 4 habitants (retours tolérés par l’autorité militaire qui pourtant ne les autorise pas officiellement). Des équipes militaires sont réquisitionnées pour moissonner. Nomination à l’Officiel de Bertier comme chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Multiplication des retours clandestins de civils. Visite de Bertier à Paris : intervention auprès du Comité Central des Réfugiés de l’Aisne.

Chapitre XXXII (p 377 à 386)

14 septembre : réinstallation définitive de Bertier dans sa commune (chez l’habitant). Cantonnement de troupes et intervention du Génie pour réparer les habitations (futur STPU à l’efficacité douteuse…). Utilisation des prisonniers pour le déblaiement du village (collecte d’obus non explosés ; un supplément de nourriture pour ceux qui aident de leur mieux). Manque de baraques (n’arriveront qu’en novembre). Action appréciée du CARD (Comité américain des Régions dévastées d’Ann Morgan, cf. annexe VII) et de l’Association de l’Aisne dévastée (fondée en juin 1916).

Chapitre XXXIII (p 387 à 390)

Octobre : récupération de carton bitumé dans un magasin du STPU. Début de la longue correspondance du maire aux familles qui ont perdu un proche dans le secteur : « Je me suis fait un devoir de répondre moi-même très exactement aux parents qui recherchent des militaires disparus dans notre région. » (p 389) Le retour des sinistrés est ralenti par la pénurie de maisons habitables (et secteurs non déminés). Réclamation du maire pour obtenir plus de prisonniers allemands (sentiment d’injustice).

Quatrième partie : du 24 octobre 1918 au 3 mai 1925

Chapitre XXXIV (p 393 à 398)

12 novembre : le retour du silence : pas d’avion, pas d’artillerie. Cérémonie à Paris pour la réception de la Légion d’Honneur. Début des exhumations et réinhumations. Visite du sous-préfet accompagné d’un architecte canadien. Projet de coopérative de reconstruction.

Chapitre XXXV (p 399 à 412)

Janvier 1919 : recherche de cadavres non inhumés. Mise en chantier de la coopérative de reconstruction (apparition des architectes démobilisés). Arrivée des familles à la recherche des disparus, de morts ou de blessés. Une mère voulant soigner son fils gazé est à son tour victime du gaz. 9 mars : violente diatribe de l’auteur à l’égard des politiciens qui bradent la victoire (vise Clemenceau que Bertier ne semble pas porter en son coeur…). On compte les victimes du conflit… Difficultés face au ravitaillement. Correspondance avec les familles à le recherche de leurs morts : certaines familles entendent que leurs morts reposent là où ils sont tombés, près de leurs camarades. Projet de création d’une voie de 0,60 pour aider à la reconstruction (ne sera finalement pas utilisée…).

Chapitre XXXVI (p 413 à 422)

Mai : la remise en état des terres et du village permet d’exhumer de nombreux cadavres. Loi du 17 avril 1919 sur les dommages de guerre (charte dite des sinistrés). 15 juin : création de la coopérative de reconstruction (27 adhérents). Procession et visite dans les cimetières militaires provisoires. Localisation des tombes isolées. Visite des familles. Intervention de Bertier à l’Assemblée des Etats-généraux des Régions libérées de Laon en faveur de la question des tombes isolées (Bertier dénonce à plusieurs reprise l’absence puis l’incompétence des services de l’Etat-civil du champ de bataille, cf. annexe V). 3 septembre : départ de Bertier pour Douaumont afin d’y rechercher son fils (ce qui explique sa sollicitude à l’égard des familles de disparus…). Recherche qui demeure sans résultat. Second voyage sans résultat. 12 octobre : « Assemblée générale de la Coopérative. Les architectes et les entrepreneurs nous promettent monts et merveilles. » (p 420)

Chapitre XXXVII (p 423 à 430)

Déplacement du cimetière du village vers l’extérieur, à côté du cimetière militaire. 30 novembre : élections municipales, Bertier n’est pas réélu, victime d’une kabale locale… Il continue à travailler au sein de la coopérative de reconstruction (où la favoritisme s’installe… mais à mettre en relation avec sa non réélection…). Erection du monument aux morts en 1926 (cf. annexe XII). La commune reçoit la croix de guerre.

Annexes

Annexe I : le raid de la 5e DC [épisode le l’escadron Gironde]

Annexe II : Ambulances ayant fonctionné à Coeuvres [simple liste]

Annexe III : Aide de l’armée à l’agriculture

Annexe IV : Evacuation et exil

Annexe V : Tombes isolées et cimetières [particulièrement riche]

Annexe VI : Récupération

Annexe VII : Le Comité américain des Régions dévastées

Annexe VIII : La reconstitution

Annexe IX : Les familles décimées

Annexe X : Dans les régions envahies

Annexe XI : De Douaumont à Coeuvres [quête du fils disparu]

Annexe XII : Le monument aux morts [inauguration non exempte de règlements de compte politiques, comme ce fut souvent le cas…]

Annexe XIII : Les morts de la commune de Coeuvres-et-Valsery

Annexe XIV : Les instituteurs de l’Aisne [exécution par les Allemands d’instituteurs après la guerre de 1870]

Annexe XV : Le Marquis de Lubersac [pilote durant la guerre ; s’investit beaucoup ensuite dans la reconstruction]

Annexe XVI : Elections et nouvelle municipalité du 3 mai 1925 [dans un contexte de querelles politiques locales]

Annexe XVII : Entre bons Français

4. Autres informations

CLERMONT Emile, Le passage de l’Aisne, Grasset, 1921, 128 p. [rééd. Soissonnais 14-18, 2002, 158 p.]

DE CROY Marie, Souvenirs de la princesse Marie de Croÿ, Plon, 1933, 281 p.

HARDIER Thierry, JAGIELSKI Jean-François, Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925), Imago, 2001, 375 p.

ROLLAND Denis, La grève des tranchées, Imago, 2005, 448 p. [sur la mutinerie de Coeuvres, pp 197-203]

J.F. Jagielski, mars 2009

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