Charpin, André (1880-1960)

1. Les témoins
André Charpin est né en 1880 à Yèvre-la-Ville (Loiret). Ses parents, Flavien Charpin et Léocadie Poirier, sont de petits cultivateurs. Sa formation intellectuelle s’arrête à l’école du village mais est entretenue par les groupes de réflexion animés par le curé. Il épouse Céleste Chassinat (voir ce nom) en 1905 et leur exploitation s’accroît peu à peu. Lors de la mobilisation, André Charpin a trois enfants, bientôt quatre. Il est incorporé au 369e Régiment d’Infanterie, en garnison à Montargis. Nommé caporal contre son gré en septembre 1914, il rentre dans le rang, à sa demande, en novembre suivant. En janvier 1915, il est envoyé sur le front de l’Argonne avec le 4e Régiment d’Infanterie. Il est capturé lors de la grande offensive allemande du 13 juillet 1915, dans les bois de la Haute Chevauchée, au lieudit « Le Réduit ». Acheminé jusqu’au « camp mixte » de Königsbrück, en Saxe, qui restera son camp de rattachement, il travaille quelques mois dans différentes usines avant d’être envoyé en avril 1916 dans une exploitation agricole entre Leipzig et Dresde. Il y restera jusqu’au 31 décembre 1918.
De retour à Yèvre-la-Ville en janvier 1919, il reprend sa place dans l’exploitation que sa femme a maintenue à flot pendant le conflit. Sa famille s’agrandit mais Céleste meurt en octobre 1922. Il se remarie, est veuf à nouveau. Il est resté toute sa vie cultivateur à Yèvre-la-Ville où il meurt en 1960.
2. Le témoignage
Dès le premier jour de sa captivité, conscient de vivre des événements exceptionnels, André Charpin rédige au jour le jour, sur cinq petits carnets, les « Faits et impressions de [s]a captivité en Allemagne ». L’ensemble est très dense, d’une écriture fine, tantôt au crayon, tantôt à l’encre, dans un style aisé et une bonne orthographe, avec quelques rares expressions de parler local.
Pendant les loisirs forcés du camp, il a aussi rédigé un Carnet de prières dans lequel il a recopié les prières qu’il disait le plus souvent, notamment un « acte d’acceptation volontaire de la mort que je disais chaque jour dans les tranchées », précise-t-il. Il y a ajouté le croquis du monument aux prisonniers français morts au camp de Königsbrück, ainsi que le discours d’inauguration de ce monument en 1915.
Avec les Carnets ont été conservés une autorisation allemande de se rendre à la messe, deux lettres reçues de la famille allemande en 1920 et 1921 et un courrier du Ministère de la Guerre, daté de 1920 et relatif au remboursement de l’argent rapporté d’Allemagne.
André Charpin a aussi envoyé plus de 400 lettres à sa famille. Ces missives, presque quotidiennes pendant la garnison à Montargis et autant que possible sur le front, sont très contingentées dès qu’il est prisonnier mais elles couvrent tout le conflit d’août 1914 à janvier 1919.
Une partie des lettres de Céleste Chassinat, sa femme, a été conservée, d’août 1914 à janvier 1915.
Ces témoignages ont été intégralement transcrits par sa petite-fille, Françoise Moyen, en trois volumes. Dans chacun (lettres de l’un et de l’autre, Carnets), le texte intégral, éclairé par des notes, est suivi d’une lecture thématique qui à partir des mots mêmes de Céleste et d’André, classe et concentre tous les aspects de la guerre vécue par cette famille de paysans.
3. Analyse
Les Carnets de captivité consacrent beaucoup de place aux échanges avec le « pays », lettres reçues et envoyées, colis pleins des saveurs du village. Mais ils racontent aussi tout ce qui est différent, la nourriture, les mœurs, tous les petits tracas du prisonnier, la sentinelle, les mesquineries de l’administration, la réglementation tatillonne du courrier, la révolte à l’usine où il a passé quelques mois avant d’être envoyé en « kommando » dans une exploitation agricole. On le voit prendre sa place dans la famille allemande, ayant sa chambre à lui, « nourri comme les patrons », recevant un sapin décoré à Noël, fraternel avec la servante, la « petite Agnès » qui porte le même prénom que l’enfant née en son absence et qui lui manque tant. Catholique fervent mais déraciné André Charpin lutte pour ne rien céder dans ce milieu protestant, pour trouver quelques offices, pour chômer les jours de fêtes catholiques en bravant le règlement. Paysan parmi des paysans, il pourrait oublier qu’il est en position d’infériorité grâce à la petite société française reconstituée : il n’y a pas moins de vingt-quatre prisonniers français dans les exploitations environnantes, on se rencontre dans la journée, on lit les journaux français et allemands, on suit avec angoisse, puis avec scepticisme, le projet toujours renouvelé de l’échange de prisonniers entre les belligérants. On fête le 14 juillet par un festin bien français … mais tout de même tenu à l’écart, en plein champ. À l’automne 1918 il voit la société allemande se déliter autour de lui, la grippe espagnole faire des ravages alors qu’il la surmonte aisément grâce aux trop nombreux colis que Céleste lui envoie presque malgré lui.
André Charpin avoue « qu’il n’est pas à plaindre », au moins sur le plan matériel. C’est sans doute ce que pensaient les milliers de prisonniers-paysans dont les témoignages ne nous sont pas parvenus. C’est la séparation qui lui est insupportable, penser à sa femme qui travaille comme un forçat sur leurs terres, aux enfants qui grandissent sans lui, à celle qu’il ne connaîtra qu’à l’âge de quatre ans, à son « cher pays de Yèvre-la-Ville ». S’il tient bon, c’est qu’il est convaincu d’être à la place que la Providence lui a assignée et que la soumission à son sort aura sa récompense.
Les Lettres d’André Charpin reflètent trois périodes différentes :
• D’août 1914 à janvier 1915, André Charpin est en garnison à Montargis. Toutes ses lettres sont traversées par l’espérance que son âge et la naissance prochaine de son quatrième enfant lui éviteront d’être envoyé sur le front. De jour en jour il voit la garnison se restreindre, les médecins militaires devenir de plus en plus sévères. Il est mal à l’aise, à la fois loin du village où les travaux agricoles pressent tant mais loin du front où les morts s’accumulent. Les visites de sa femme et les rares permissions sont attendues impatiemment.
• C’est presque avec soulagement qu’il part vers l’Argonne en janvier 1915. Les lettres du front racontent la vie harassante des tranchées, corvées de barbelés, corvée de mines, déplacements nocturnes, manque de sommeil, manque de nourriture, manque d’hygiène. Les gradés, même sous-officiers, sont totalement absents de ces récits, la politique, la stratégie aussi : c’est une vie vécue au ras du sol. Une fois de plus la religion est son refuge et la pensée de la famille son soutien. André Charpin a subi quatre grandes attaques mais semble n’avoir jamais fait partie d’une vague d’assaut. Il passe un mois à l’hôpital de Chaumont pour une dysenterie : là, il revit, s’intéresse à nouveau aux travaux agricoles qui se font sans lui. Peu après son retour au front il est capturé le 13 juillet 1915, dès la première heure de la violente attaque sur la Haute Chevauchée. Sur le coup, c’est un soulagement : « Après la guerre, vous me reverrez ».
• Durant la captivité, les lettres, plus rares de sa part, mal acheminées dans les deux sens, vont devenir l’essentiel de la vie du prisonnier. Par comparaison avec les Carnets tenus durant la même période, on voit qu’il raconte peu l’Allemagne mais questionne beaucoup sur la famille et le village, cherche à gommer l’absence.
Les Lettres de Céleste Chassinat. Celle qui raconte bien sa vie, c’est son épouse. Seules 72 lettres ont été conservées, d’août 1914 à janvier 1915, plus quelques-unes à l’automne 1918. Dans un style vif et intimiste, elle dit les travaux harassants des champs, les difficultés d’assurer la relève au plus fort de la moisson alors que toutes les solidarités villageoises sont désorganisées par le départ des hommes. Comment trouver assez de monde pour la batterie, assez de main d’œuvre pour arracher les betteraves et les pommes de terre ? On partage son découragement à l’annonce de la réquisition des chevaux par l’armée, sa joie lorsque le sien lui est rendu. On voit les Anciens, les femmes, les enfants, se mettre à la tâche, chacun faisant « plus qu’il n’en peut ». Elle dit l’angoisse quotidienne pour les soldats, le désespoir de sa maman dont le fils n’écrit plus. Joseph Chassinat, le petit frère bien-aimé, a disparu définitivement en septembre 1914, Céleste décrit toutes les démarches entreprises pour le retrouver, officielles ou non, tout en soutenant le moral de sa maman au-delà du raisonnable. Dans les lettres sauvegardées de 1918, on voit la grippe espagnole frapper une population épuisée. Pourtant elle est fière d’avoir mené la tâche à bon terme : lorsqu’il rentrera, André « ne trouvera pas la cave et le grenier vides. »

Françoise Moyen

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Bayle, Eugène (1887-1915)

Clément Eugène Bayle est né à Alès (Gard) le 20 mars 1887 dans une famille protestante. Caporal à l’issue du service militaire, il est en 1914 employé à la succursale de la Banque de France dans sa ville natale, et célibataire. Mobilisé au 255e RI à Pont-Saint-Esprit, il décrit la pagaille qui règne, ainsi que les défilés avec chants patriotiques. Il commence à déchanter lors des marches exténuantes à accomplir pour un entraînement accéléré et lors du transport vers le front dans des wagons de marchandises. Il écrit régulièrement chez lui et tient un carnet personnel, tous documents conservés par la famille, qui rendent possible une intéressante lecture croisée. Beaucoup plus que pour informer, la correspondance est là pour rassurer, entretenir le lien, maintenir le moral de tous : l’autocensure élimine les réflexions pouvant susciter l’angoisse. Mais il fallait bien un exutoire : le carnet joue ce rôle.
Sans surprise, on constate que ses lettres se préoccupent des nouvelles du « pays », c’est-à-dire d’Alès. Répondant aux attentes de l’arrière, elles contiennent des références religieuses (qui ne sont pas dans les carnets). Un très beau passage (15 mars 1915) évoque la soirée au cantonnement : « Après la soupe du soir je ferai la lecture du journal dans ce repaire comme au temps des camisards, et mes fidèles soldats aiment beaucoup que je leur lise et explique les nouvelles à haute voix. » La dénonciation des journaux n’est pas absente de la correspondance : « C’est un vrai régal de voir toutes ces caricatures et de lire les articles si beaux que suggère la guerre à nos grands écrivains. À nous qui vivons la réalité des choses, il ne semble pas que l’on puisse en tirer de si nobles sujets. » De même la critique du luxe des officiers (21 mars 1915) : « Sur le morceau de journal que j’ai reçu hier, vous avez pu lire que les officiers allemands étaient logés dans les tranchées dans des abris où ne manquait pas le confortable ; je vous dirai que chez nous, les officiers ne sont pas installés moins luxueusement, parquets en briques, draps tendus en guise de tapisserie et de plafonds, tapis, tables, chaises rembourrées, vases, glaces, poêles en porcelaine, etc., etc., et entre parenthèse les soldats qui, pendant le jour, travaillent à ces somptueux aménagements, couchent le soir dans des gourbis inondés et sur du fumier. Aujourd’hui encore, nos abris ont été un peu améliorés, mais dans bon nombre on ne peut y remuer, entrer ou sortir que sur les genoux ou les mains, autrement dit à quatre pattes. Dans le mien, par exemple, une fois assis sur la paille, mon képi touche le toit. » Mais seul le carnet contient le récit du baptême du feu, la révolte contre les horreurs de la guerre, ces « crimes épouvantables » (8 septembre 1914), l’impuissance de l’infanterie sous le bombardement, les balles qui sifflent tout près. « Est-ce possible de voir de telles atrocités ? Qui donc est le criminel responsable ? », se demande-t-il à lui-même le 24 avril 1915. Il est tué le lendemain dans le secteur de Rouvrois (Meuse). Son carnet est alors envoyé à ses parents.
RC
*Frédéric Rousseau, « Réflexions sur le moral d’un homme mort de la guerre monotone, le caporal Eugène Bayle (août 1914-avril 1915) », dans Supplément d’âme, mars 1998, p. 5-24.

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Bonneton, Armand (1885-1969)

Armand Antonin Bonneton est né à Sète (Hérault) le 22 mars 1885 d’un père employé du chemin de fer et d’une mère sans profession. Lorsqu’il s’est présenté devant le conseil de révision, il était employé de commerce. Ajourné en 1906, il a été exempté pour faiblesse générale en 1907. Il s’est marié à Sète en juin 1913. En novembre 1914, il s’est engagé pour la durée de la guerre « dans le service automobile exclusivement » et il est resté à Lyon pour une période d’exercices jusqu’en mars 1915. Il monte alors dans le Nord (Ypres, puis Artois) au 14e Train, où les camions transportent des hommes, des vivres ou des munitions. Chauffeur, il est parfois désigné comme cycliste ou comme cuisinier, cette dernière fonction étant beaucoup moins pénible et beaucoup plus appréciée. Tous les soldats de la Grande Guerre n’ont pas connu le feu. Le 7 avril 1915, Armand Bonneton et quelques camarades font une « excursion » aux tranchées. Le 25 juillet 1916, quelques marmites ayant coupé la route devant le convoi de camions, il note qu’il a vécu son « baptême du feu ». Par contre, les conditions de vie des chauffeurs sont souvent très dures. Ils subissent la pluie, le froid, les ordres stupides qui provoquent des fatigues inutiles, l’absence de ravitaillement. Faute de cantonnement, ils dorment parfois dans des hamacs suspendus dans le camion. Voici le récit du 22 octobre 1915 : « Durant toute la nuit, la pluie n’a cessé de tomber avec force et, dans notre camion, l’on aurait dit des cailloux qui tombaient du ciel sur notre bâche. À notre réveil une belle lune se montrait et qui a favorisé notre marche jusqu’à l’aurore. La route est grasse, nombreux dérapages. Les camions marchent comme des crabes et font la valse. J’ai mal aux poignets de tenir le volant et avec mon compagnon nous nous remplaçons souvent. Près de Barlin un camion, le n° 1, a glissé dans un fossé, à nous de l’en tirer car nous sommes les derniers de notre convoi. Nous y arrivons après l’avoir remorqué sur un parcours de 100 mètres, ce n’est pas malheureux. Nous reprenons la route et à une descente le derrière menace de passer devant ; ça y est, c’est la danse. Enfin nous arrivons à Nœux-les-Mines et le soleil qui ressemble ici à la lune s’est enfin montré. Où est le soleil du Midi doré et brillant ? Une heure d’attente au four à chaux de Nœux et la relève des tranchées de Loos arrive ; c’est du 77e d’infanterie de Cholet. Tout le monde est embarqué et en route. Toujours des dérapages et la valse continue. […] Je ne suis plus maître de ma direction et les roues arrière commencent le patinage et finalement glissent dans le rebord de la route. Les poilus rouspètent et se cognent les uns contre les autres. Pour ma part je tempête plus qu’eux. Pas moyen de me dégager et je continue la descente par côté. En bas je finis par m’arrêter et tout le monde descend ; ça y est, je vais être engueulé. Non, pas du tout, tous rient. Un Poilu me dit à l’oreille : « Dis, vieux, tu n’aurais pas pu nous blesser ? » »
Ce catholique fervent ne rate aucune occasion d’exercer ses talents d’organiste dans les églises du pays, d’assister à la messe y compris celle « dite par un aumônier militaire dans une voiture chapelle » le 13 juin 1915. Quelques jours plus tard, ému par la proximité de l’anniversaire de son mariage, il écrit : « Ce n’est point par pure dévotion que je me dirige avec mes compagnons vers ce clocher qui tous les jours dans ses sons d’airain annonce pour moi une victoire prochaine, mais, comme à Sète, j’y retrouve les mêmes chants, les mêmes airs et les mêmes idées, le tout orné et fait au même moule. L’on y voit également la même main qui y est passée, et pour Qui cela a été fait. Tout cet ensemble, dans son architecture simple et quoique pourtant bien loin de ceux qui me sont chers, me fait un peu oublier mon éloignement et semble me rapprocher de mon pays natal. » À cette même date (20 juin 1915), il souhaite « que cette maudite guerre d’extermination soit terminée le plus promptement possible avec notre succès final ». Plus tard (1er janvier 1916), lui et ses camarades souhaitent « que 1916 nous apporte la victoire et la paix surtout ».
Le Cercle occitan de Sète conserve le « carnet de route » d’Armand Bonneton qui se termine curieusement : « Le 25 sept. 1916. Départ pour Amiens à 5 h 20 le soir. Fini permission. Adieu le bonheur, etc., etc., jusqu’à la démobilisation le 7 avril 1919. » On comprend qu’il a survécu. On comprend aussi qu’il a recopié ses notes (en les illustrant de quelques photos). On ne sait pas pourquoi il s’est arrêté à cette date : avait-il cessé de prendre des notes pendant la fin de la guerre ? a-t-il renoncé à en poursuivre la transcription ? Sa fiche matricule (Archives de l’Hérault 1R 1186) nous apprend qu’il a quitté le front en octobre 1916 et qu’il a été classé « service auxiliaire » en décembre 1917 pour des problèmes de santé non liés à une blessure de guerre.
RC

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Vonet, Bertrand (1895-1976)

Ce jeune homme qui arrive sur le front à 20 ans en 1915, au 412e RI, est né à Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire) le 5 juillet 1895 dans une famille de vignerons. On a retrouvé les lettres qu’il adressait à sa sœur et à son beau-frère, horticulteurs à Montrichard (Loir-et-Cher). Elles contiennent les aspects qui reviennent habituellement dans les correspondances des fantassins non-gradés : la boue et les marches épuisantes ; les rats et les poux ; les exercices stupides à faire au « repos » ; la nourriture qui laisse parfois à désirer (« je suis bien sûr que les cochons chez nous mangent des meilleures pommes de terre »). Il déteste les embusqués, et les discours patriotiques lui donnent le cafard : « Vous pouvez dire au voisin Masset qui est si patriote qu’il y a de la place pour lui, car depuis deux jours, il a dû en tomber quelques-uns. » Il évoque « la bonne blessure » et la « tranquillité » de ceux qui sont morts : « On s’aperçoit que ceux morts sont bien tranquilles, puisqu’il faut y passer tous les uns après les autres, il vaut mieux de suite que plus tard ; moi je n’ai espoir qu’à une bonne blessure pour pouvoir tirer quelques mois à l’intérieur. » Le rapport au « pays » reste fort : « il faudra que vous me disiez si les vignes sont belles » (6 juillet 1915) ; et cette évocation même fait grincer des dents : « Et au pays, que se passe-t-il ? Les vignes doivent commencer à pousser ; tâchez de nous faire du pinard un peu meilleur que celui qu’ils nous donnent en ce moment, je ne sais pas où ils le fabriquent mais il est presque imbuvable » (28 avril 1917).
On les aura !
Dans ce registre de la révolte, Bertrand Vonet a des expressions originales. Dès octobre 1915, il pense que le manque de pain va peut-être entraîner la fin de la guerre et il s’en réjouit. Le 15 février 1916, il félicite ses correspondants de la naissance d’une nouvelle petite nièce : « Heureusement que c’est une fille, au moins comme ça on ne pourra pas l’envoyer à la Boucherie quand elle aura 20 ans. » En juin 1917, il signale qu’il lit de « petits bouquins néo-malthusiens » que son lieutenant lui conseille de cacher : « comme il vient souvent des officiers supérieurs, c’est pas la peine qu’ils nous jugent mal. » Il emploie systématiquement le pronom « ils » pour désigner ceux qui commandent : « De la façon que ça va, ils veulent faire tuer tout le monde. Car, vous savez, à présent pour gagner 2 à 3 km de terrain c’est la perte de plusieurs milliers d’hommes ; il y a que celui qui le voit tous les jours qui peut s’en rendre compte. » Ce comportement est une véritable trahison : « Depuis le début, il n’a pas été un seul jour où nous avons pas été trahis. On nous a fait massacrer comme des mouches pour l’avancement de nos grands officiers supérieurs, et encore en ce moment [26 novembre 1917] plus un général fait zigouiller de Poilus, plus il a de succès. Si tous les sacrifices que nous avons faits depuis le début avaient été bien exploités, les Boches ne seraient plus chez nous, mais tout au contraire quand l’on voyait qu’ils voulaient fléchir, on s’empressait bien vite de ne pas leur faire trop de mal car on a beau dire, les Boches sont des hommes comme d’autres et il a été un certain moment qu’on aurait bien pu les trouer d’un côté ou de l’autre. » Il joue à plusieurs reprises sur l’expression « On les aura ». Le classique « On les aura… les pieds gelés » (20 février 1916) est suivi de « On les aura… les poux dans la chemise » (25 février), « On les aura… les jambes coupées » (4 juillet), « On les aura ? mais si c’est quand tout le monde aura la gueule cassée, ce n’est pas la peine » (16 juillet), etc. En mars 1917, Bertrand envoie le texte de la « chanson du 412e d’infanterie », qui a pour titre « On en a marre » et qui réclame « vivement la paix » après avoir critiqué « les embusqués de l’arrière » qui « n’ont pas peur de faire la guerre » : « Ils n’ramènent pas leur sale gueule au créneau / Ils n’font pas les corvées dans tous ces sales boyaux. »
Si la révolte est l’aspect dominant de ce témoignage, il est également riche de notations diverses. On peut dire ce que l’on veut de la frugalité et de l’endurance du monde paysan d’avant 1914, mais c’est à la guerre que plusieurs ont découvert la faim : « On est souvent obligé de se mettre une belle ceinture. Je ne croyais jamais venir à 20 ans et être obligé bien souvent d’aller me coucher avec la faim » (13 octobre 1915). L’information sur les divers secteurs circule d’un régiment à l’autre. Au moment de partir pour la cote 304, le 22 mai 1916 [voir aussi Louis Barthas], les poilus du 412 savaient « qu’il n’y avait plus de tranchées, tout était démoli par le bombardement et que l’on était obligé de se fourrer dans les trous d’obus ». Et les survivants allaient pouvoir, à leur tour, transmettre le renseignement : « C’est avec un grand soulagement que je vous fais ces deux mots aujourd’hui [16 juin 1916] car vraiment je viens d’une fournaise où je ne croyais pas en sortir. […] Nous sommes revenus morts de fatigue. Nous avons fait 7 jours de 1ère ligne sous la pluie, et comme tout est retourné par les obus il fallait être du matin au soir allongés dans la boue. » Mais il peut y avoir aussi quelques « filons », ainsi fin 1916, lorsqu’il devient « tampon » d’un lieutenant, et surtout lorsque celui-ci, désigné pour suivre un stage, l’emmène avec lui : « Où je suis, j’y tiendrais jusqu’à la fin de la guerre » (28 avril 1917). Au repos, en août 1917, il rencontre des Américains « qui arrivent avec les poches pleines de pognon [et] sont bien vus partout ».
Il reste que l’expérience de la guerre fut terrible pour Bertrand Vonet, et que sa réflexion le conduisit à s’intéresser au journal L’Humanité et aux réunions syndicales, l’année de sa démobilisation (lettres des 29 juin et 18 juillet 1919). Marié en avril 1920 avec une couturière, fille de cultivateurs, il eut deux filles qui ne participèrent donc pas aux combats de 1940. Il est mort dans son village natal le 3 mai 1976.
RC
*Lettres conservées par Jacques Moriceau.

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Petit, Louis (1892-1971)

Voici un fonds très hétéroclite et qui pourrait paraître au premier abord sans grand intérêt : quelques feuillets d’un carnet de guerre (quelques mois de 1915), de quelques lettres et de photographies, que complètent deux ou trois documents officielles. Nombre de familles conservent ces sortes de « traces » réduites de l’expérience de guerre de leurs aïeux. Ici, celle de Louis Joseph Paul Petit. Elles viennent pourtant apporter, toujours ou presque, un éclairage nouveau ou complémentaire sur la pluralité des expériences de guerre.

Originaire de Tunisie et titulaire du baccalauréat, Louis Petit effectue son service militaire dans le Génie en 1913 avant de connaître le front français à partir d’avril 1915, date à laquelle il commence la rédaction de son carnet destiné à sa fiancée et dans lequel il souhaite « au jour le jour » relever « les incidents qui marqueront [sa] campagne » : « J’espère que je n’aurai pas besoin des nombreux feuillets qui composent ce carnet et que bientôt je viendrai moi-même te l’apporter. » Il tient donc un carnet  à la faveur de son temps libre et de son inspiration jusqu’au 28 septembre 1915, date à laquelle il est gravement touché par des éclats d’obus lors des combats dans la Marne. Evacué sur un hôpital d’Angoulême, il est définitivement réformé le 30 décembre 1916.

Mobilisé au 8e Génie, Louis Petit est employé au front comme télégraphiste, chargé essentiellement de construire des lignes reliant les PC des divisions et brigades. Il se rapproche en cela de l’expérience du Gaston Lavy, mais qui se trouvait lui intégré dans les compagnies d’infanterie au feu. Louis Petit ne connaît la ligne de front que lorsqu’il choisit de venir l’observer ou lorsqu’il choisit d’apporter le courrier « aux camarades en 1ère ligne ». Comme soldat et moins comme combattant, il croise en arrière des pièces d’artillerie, gendarmes, cavaliers ou marins, plus souvent des territoriaux que des soldats de l’active. Son baptême du feu est d’ailleurs limité à quelques bombardements destinés en avril 1915 à l’artillerie française. Mais ces épisodes ne concernent que des moments limités de son expérience de guerre, toute entière ou presque consacrée à son « métier », son « emploi », à ses « postes » de travail. Louis Petit est un ouvrier du front mais soumis à l’autorité militaire avec laquelle il se débat souvent (il refuse par exemple et s’en plaint à son sergent que certains soldats soient moins soumis aux corvées que lui), spectateur du combat plus qu’acteur, témoin d’épisodes guerriers qu’il vit à distance (emploi des gaz à Ypres en avril 1915 dont il se fait l’écho). Il assiste le 1er juillet 1915 par exemple à l’arrière des lignes avec un groupe importants de soldats à un combat d’avions : « Les plantons du poste s’efforcent de faire circuler les curieux (…) », note-t-il alors. Et d’ajouter à l’issu du duel et après en avoir raconté tous les détails : « Le trophée nous échappe, et on se sépare commentant le spectacle. »

De la Belgique (Poperinge) à la Lorraine (Rosières), Louis Petit témoigne d’une existence qu’il qualifie souvent de « monotone ». Il retient les quelques liens de camaraderie mais très minces qu’il put nouer, mais surtout les tensions nées d’une vie quotidienne passée en commun dans la guerre : autour de la répartition des tâches, autour des permissions qu’il attend avec beaucoup d’impatience à l’été 1915. Pendant son court séjour dans la zone des Armées, il ne semble trouver du réconfort qu’au moment des cérémonies religieuses et lors de la réception du courrier. Quelques plaisirs simples viennent agrémenter le quotidien, comme le bain dans la Meurthe et quelques visites touristiques dans les villes proche de l’arrière front (Nancy), mais à l’ombre des tombes des soldats de 1914, qui incarnent la guerre pour le jeune sapeur télégraphiste devenu caporal en août 1915 qui vit largement, jusqu’à sa blessure, loin de toute tranchée et des uniformes « boches ».

Bibliographie complémentaire : LAVY Gaston, Ma Grande Guerre, récit et dessins, Paris, Larousse, 2008, 318 p.

Alexandre Lafon, juin 2012

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Lagasquie, Félix (1866-1941)

Fils de médecin, Félix Laqasquie est né à Marcilhac (Lot) le 23 juillet 1866. Entré à Saint-Cyr, il est devenu officier et a fait un séjour en Algérie. Marié en 1902, il a trois enfants lors de la mobilisation qui le trouve chef de bataillon au 366e RI. Il tient d’abord un carnet sur lequel, le 8 août, il écrit qu’il se sent tout à fait à l’aise dans son commandement de temps de guerre, tellement il a lu, réfléchi et manœuvré. Blessé à la jambe par shrapnel le 25 août, il abandonne le carnet, et son témoignage est désormais entièrement contenu dans les lettres à sa femme et à ses enfants qu’il demande de conserver pour constituer des « archives » de guerre. C’est la raison pour laquelle il n’hésite pas à reproduire, à destination de sa femme, les histoires paillardes racontées par tel autre officier. Il est très souvent critique vis-à-vis des ordres absurdes donnés trop loin des lignes, des Anglais et des troupes hindoues, des travailleurs italiens pris à partie par les poilus, des Chinois peureux, plus tard des Américains peu efficaces. A propos de décorations non méritées : « C’est se moquer du monde. » Certains généraux et officiers trouvent grâce devant lui, mais ni les journalistes, ni surtout les parlementaires qui essaient « de limiter la puissance répressive des Conseils de guerre » et qui sont les vrais responsables des difficultés à Verdun. Ayant tenu garnison en cette ville, il décrit les destructions subies en 1916 et 1917.
La partie la plus originale concerne la période d’octobre 1915 à octobre 1916, quand il est commandant du camp de Châlons avec le grade de lieutenant-colonel. Il doit y accueillir les troupes russes et les préserver de tout ce qui se boit, en particulier l’eau de Cologne. Leur général, Lokhwitzky, « est un homme d’une rare distinction, de haute intelligence et tout à fait charmant. Si les Russes en ont beaucoup comme lui, mais j’en doute, les Allemands sont fichus, aujourd’hui ou demain, quand ils auront du matériel de guerre. » Commander le camp donne beaucoup de pouvoir, y compris celui d’ouvrir une maison publique, mais on est loin de la gloire et de l’avancement. Il revient alors dans une unité du front où il regrette son ancien confort, mais il y a « le soldat Bauger, qui nous sert à table » et les parties de bridge avec les officiers. En décembre 1916, il adresse à ses enfants, dans un style « paternel » dédramatisé, une description du système des tranchées, et se félicite d’avoir eu les honneurs du communiqué pour un coup de main réussi. Plus tard, en avril 1918, il raconte sa visite à la tombe du baron von Richthoffen, fleurie par les aviateurs britanniques. Enfin, il incite ses enfants à garder pour toujours le souvenir du 11 novembre, fin de « la plus grande et de la plus meurtrière Guerre du Monde ».
RC
*« La guerre sans gloire », transcription du témoignage de Félix Lagasquie par ses petits-enfants, exemplaire déposé aux Archives du Lot.

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Péteul, Pierre (1895-1990)

Il est né à Bourg d’Iré (Maine-et-Loire), dans une famille de meuniers « blancs », tandis que cet autre meunier angevin, Pierre Roullet, était « bleu » (voir notice). Pour devenir capucin, il étudie en Belgique. Revenu en France pour la guerre, il passe dans divers régiments de l’Ouest et fait campagne comme brancardier et infirmier au 44e RI, d’octobre 1915 à septembre 1917 lorsqu’il est sérieusement blessé à la cuisse. Son témoignage comprend 52 lettres conservées aux Archives des Capucins à Paris et un récit postérieur publié par Les Amis de Saint- François en 1970. Il décrit les souffrances des combattants, la désorganisation lors de l’offensive allemande de février 1916 sur Verdun, et il comprend que, devant ces horreurs, on peut se demander : « Comment Dieu permet-il cela ? » Il décrit aussi une trêve tacite : les Allemands étant obligés de lancer des grenades lorsque leurs officiers sont présents, ils avertissent les Français en leur jetant d’abord des pierres, ce qui permet à ceux-ci de se mettre à l’abri. En 1919, il devient sergent, puis aspirant au Maroc. Lors de la Seconde Guerre mondiale, il participe au sauvetage de juifs et, plus tard, il reçoit le titre de « Juste ».
RC
*Gérard Cholvy, Marie-Benoît de Bourg d’Iré (1895-1990). Un fils de Saint-François « Juste des nations », Cerf, 2010.

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Monti, Olivier (1894-1964)

D’une famille corse, Olivier Charles André Monti est né à Paris le 26 décembre 1894. Mobilisé avec sa classe, il tient un journal de guerre sous la forme de six carnets de petit format, qu’il a réunis dans un étui en cuir. Ses enfants les ont retrouvés et retranscrits en rencontrant des problèmes qu’ils n’ont pas toujours surmontés : taupe pour Taube, Knipp pour Krupp, par exemple. Les notes d’Olivier Monti sont parfois laconiques, ainsi en décembre 1917 et janvier 1918 où l’information quotidienne est presque limitée à l’expression : « Il gèle. » La dernière page montre sa fierté d’avoir été assidu : « Beaucoup de mes camarades l’avaient commencé mais presque tous n’ont pu le continuer. » Deux phrases en latin témoignent d’une certaine culture que les transcripteurs ne précisent pas, pas plus que sa profession.
Olivier Monti est mobilisé en septembre 1914. Il arrive sur le front en Champagne et découvre les tranchées le 25 février 1915, avec la pluie, la boue, le quart de jus froid destiné à « réchauffer » les guetteurs. Malade, il est évacué en avril et ne revient sur le front qu’en octobre. En avril 1916, il est agent de liaison. Il connaît les durs moments de Verdun en juillet : lors de la relève, il ne reste que « 21 sur 99 que nous sommes montés ». En avril 1917, il participe aux attaques sur le Mont Téton près de Reims. Le 11 mai, apprenant que son régiment va être dissout (le 207e RI ?), il remarque : « Je voudrais être à la place du drapeau. » Il est affecté à une compagnie de mitrailleuses du 20e RI. Le 28 août, il fait sa demande pour l’aviation et il est accepté en janvier 1918. Il passe alors des examens de santé, il apprend à piloter, fait des essais et accomplit son premier vol en solo le 5 mai. Le 9 mai, en atterrissant, il « casse deux zincs », le sien et un autre qu’il vient emboutir. Cela lui vaut d’être renvoyé au 20eRI, mais en passant par des périodes confuses de fausses permissions et de peines de prison. Notons que les Parisiens étaient avantagés par la proximité de leur domicile des lignes. Notons aussi que la prison peut présenter quelques avantages : « Nous sommes très bien couchés, mieux qu’à la compagnie, de la paille bien propre, mais assez de mouches. Le grand avantage c’est que le matin on fait la grasse matinée tandis que dans les Cies ils vont à l’exercice. Rien à faire, pas de corvées. On nous porte à manger en quantité et l’on touche notre vin. C’est épatant. On fume, on boit et l’on chante. »
Fin août 1918, Olivier Monti décrit le passage de l’Ailette. Le 27 octobre, il note que les avions allemands lâchent peu de bombes et des proclamations contre la continuation de la guerre. Le 30, il s’agit d’une attaque de tanks vers Guise, et Monti bivouaque dans l’usine Godin. Le 7 novembre, il signale le passage des parlementaires allemands, puis l’armistice qui déclenche une joie « générale mais non bruyante ». Suit une période de discipline relâchée, « de cafard et de soûlographie ». En juillet 1919, à Paris, il fait son possible « pour ne pas être désigné pour défiler le 14 courant » et il réussit. Démobilisé le 11 septembre 1919, il note : « Voilà, c’est fini, je suis civil. »
Au cours de ces années de militaire, Olivier Monti a eu l’occasion de signaler plusieurs cas d’officiers pris de boisson, d’autres incapables de lire une carte. La grande originalité de ses carnets est de décrire aussi ses activités en permission à Paris, ses virées avec les copains (autres permissionnaires ? affectés spéciaux ? on ne sait) et les nuits passées avec telle ou telle jeune femme. Sa fille commentait ainsi le témoignage : « Que de tristesse, d’épuisement, le désespoir n’étant jamais exprimé. Au contraire ressurgit la possibilité d’apprécier la moindre bouteille de vin, une nuit passée auprès d’une gentille fille, un match de foot ou quelques notes de musique. »
RC

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Banquet, Emile (1879-1944)

1. Le témoin
Emile, Léon, Philippe Banquet est né à Albi le 22 septembre 1879 dans une vieille famille de petits entrepreneurs briquetiers, sur la rive droite du Tarn, avenue de Carmaux, exploitant également quelques terres. Lorsque la guerre éclate, il est marié et a deux fils nés en 1913 et 1914. La famille est catholique. Sa femme prie pour son retour ; lui-même n’est pas dévot : il attribue la brimade d’un départ retardé en permission au fait qu’il a manqué une messe. Sa mère lui a fait faire le service militaire dans l’artillerie. En novembre 1915, il l’en remercie : sans cela, il serait dans la boue des tranchées comme les « pauvres malheureux de fantassins » qui subissent un « carnage », une « boucherie ». Il est maréchal des logis au 56e RAC, et précisément à la section des munitions dont le rôle est de ravitailler les échelons qui se trouvent eux-mêmes à 8 km derrière les batteries. Cette vie cesse en juillet 1917 lorsque la section est dissoute. On l’envoie à Carcassonne, au dépôt du 3e RAC jusqu’en janvier 1918. Il se considère alors comme un embusqué : « Aujourd’hui je suis planton de service à la gare, travail assez amusant, d’abord je n’ai rien à faire si ce n’est me trouver là, au départ et à l’arrivée des trains. […] Hier soir je suis allé voir la Cité, c’est curieux, et il y en a qui viennent de loin pour l’admirer. Enfin je me promène ! Ici on ne risque rien des obus et c’est déjà beaucoup… » (11 juillet 1917). En janvier 1918, il remonte vers le front avec le 10e RAC, « au milieu de Bretons ou Normands », « un tas d’ivrognes, ce n’est pas un c’est TOUS !! Ils sont pleins du matin au soir. Si je dois rester là je suis fichu ! » Son souhait de tomber malade se réalise et, entre permissions et stages, il arrive au 11 novembre, puis à la démobilisation le 18 janvier 1919 : « Fini le cauchemar, on dirait un beau rêve. » Pendant la guerre, sa femme et son père ont fait marcher tant bien que mal la briqueterie. « Je t’assure que si on a la joie du retour, écrivait-il le 16 novembre 1916, on saura mieux goûter la vie dont on jouissait avant sans crainte et sans arrière-pensées. » L’après-guerre est cependant assombri par la mort de son fils aîné âgé de 10 ans en 1923 et par la cessation d’activité de la briqueterie vers 1929. Emile Banquet meurt accidentellement le 17 juin 1944.
2. Le témoignage
Il a écrit régulièrement à sa femme, du 3 août 1914 au 18 janvier 1919, comme une « conversation » à laquelle Angèle répondait. Le 2 mars 1915, il annonce qu’il a dû brûler 190 lettres de sa femme car il n’avait plus la possibilité de les transporter avec lui. On apprend aussi, le 16 juillet 1915, qu’Angèle lui a envoyé le journal qu’elle tenait au début de la guerre. Mais il n’a pas été conservé. Par contre, les lettres d’Emile figurent encore dans les archives familiales de son petit-fils Dominique qui en a transcrit une large sélection qui forme un volume de 272 p. de format A4.
3. Analyse
La principale préoccupation : la fin de la guerre
Dès les premiers jours, Emile Banquet note son manque d’enthousiasme : « Je me remets peu à peu au courant de toutes ces conneries et je t’assure que je me fais des cheveux blancs en songeant à tout le travail que je vous laisse. […] Surtout ne vous inquiétez pas, je ferai mon devoir, sans plus […] Certains souhaitent aller en Allemagne ; moi je souhaite revenir parmi vous et qu’ils me fichent la paix » (8 août 1914). Il voudrait que la victoire arrive avant les grands froids. Mais « combien cela va-t-il encore durer ? » demande-t-il le 1er septembre en décrivant le champ de bataille (« des Allemands, des Français, des chevaux, viande abandonnée, tout empeste l’air »), les maisons détruites par les obus, les récoltes piétinées. Le 11 septembre, les nouvelles sont excellentes et il espère être de retour « pour le vin nouveau ». Mais, deux semaines plus tard, il craint que la guerre dure jusqu’à Noël. De nombreux événements sont perçus comme annonçant peut-être la fin. Lors de l’offensive de mars 1915, il note : « nous sommes contents de nous fatiguer, et que ça finisse », mais c’est un échec : « l’effort que l’on a fait n’a abouti qu’à faire tuer des hommes ». « Je vous assure que si on me laissait filer, je m’en irais à pied » dit-il en avril. L’entrée en guerre de l’Italie hâtera-t-elle la fin ? Dès le printemps 1915, il est effrayé par la perspective de « passer un autre hiver en guerre » et ajoute : « Je crois que vous, les femmes, serez obligées de vous révolter pour faire finir la guerre. » Ou bien, tout pourrait finir faute d’argent (6 juillet). Le 9 juillet encore : « Je crois que nous finirons tous par perdre la tête ; les généraux et le gouvernement sont unanimes à dire que la campagne durera encore un an. La paix ne serait donc signée que l’été prochain, cela nous désespère ! Surtout ces malheureux fantassins. Je crois que d’ici là quelqu’un se lassera, tout aussi bien le peuple allemand que le peuple français, ou bien il manquera de l’argent, car les dépenses sont fabuleuses. » Et le 1er décembre : « Ce que je désire, c’est la FIN, mon retour définitif, mon chez moi tranquille, vivre de mon labeur. » Le 25 février 1916 : « D’après le journal d’aujourd’hui, les Allemands ont attaqué fortement du côté de Verdun. Serait-ce le prélude d’heureux événements si l’on peut dire ? Que cela finisse enfin pour le bien de l’humanité tout entière. » Le 26 mars : « Combien de fois ai-je souhait être blessé pour pouvoir me tirer de leurs mains et courir auprès de vous. » Le 17 septembre : « Que l’on fasse la paix d’une manière ou d’une autre. Nous sommes tous des sauvages : Français, Anglais, Allemands, on devrait trouver une solution pour le bien de tous, pour l’état d’esprit général et conclure la paix. La leçon devrait nous être salutaire. Pareil fait ne devrait jamais plus se reproduire. Nous ne sommes pas des bêtes féroces et il me semble qu’en rabattant un peu d’orgueil on pourrait parvenir à s’entendre. Plus nous irons, plus nous y perdrons tous. » Le 27 janvier 1917 : « Ah ! je t’assure que si ceux qui ne veulent pas de paix sans victoire y étaient, ils en auraient bientôt soupé. » Le 30 mars : « Si on demandait son avis à chacun, tout le monde serait prêt à rentrer chez soi. » Le 11 avril, peu avant l’offensive Nivelle : « Depuis hier au soir nous entendons le bruit sourd du canon sur notre gauche et assez loin, sans doute en Champagne ; ce doivent être les préludes d’opérations ; que ça craque enfin d’un côté ou de l’autre ce ne serait pas trop tôt. Cette vie commence à peser quand on est près de la quarantaine, ce n’est plus un amusement de gosse. Celui qui n’a que vingt ans dit : « ce n’est rien à condition que je revienne », mais nous, notre vie sera à moitié flambée. » Peu après, à propos des Russes : « Du jour que la Révolution a éclaté chez eux, j’ai bien compris qu’ils allaient se retirer, que c’était pour en finir et qu’ils en avaient assez de servir de cible à canons. Quand je pense à papa qui s’en va tout seul à la terre, à son âge, je ne peux m’empêcher de pleurer ; jamais nous ne serons capables de faire ce qu’ils [les Russes] ont fait. Dire que nous sommes ici à ne rien faire et penser à eux là-bas, qui sont vieux et qui travaillent pour nous à la limite de leurs forces, je finis par ne plus pouvoir le supporter. Qu’ils en finissent bon dieu ! Qu’ils traitent d’une façon ou d’une autre. C’est toujours du monde qu’on fait tuer. » Comme beaucoup d’autres poilus, il se demande si l’on va revivre la guerre de cent ans (25 avril 1917), et il note : « Les nouvelles de la guerre ne m’intéressent que médiocrement, je ne demande qu’une seule chose, assez de guerre, LA PAIX. » Le 10 mai : « Les attaques sont à peu près arrêtées et les résultats obtenus sont minces. Nous en sommes toujours au même point, il n’y a pas de raison que cela ne dure dix ans de plus. Les journaux reparlent de paix, le congrès socialiste de Stockholm revient sur le tapis. Peut-être finira-t-on par reconnaître qu’on ne pourra rien obtenir par les armes et se décidera-t-on à de mutuelles concessions. Assez, assez de morts, assez d’infirmes et de blessés. » Le 16 mai : « Tu me dis que tout est cher. C’est naturel, personne ne cultive la terre, en temps de paix on suffisait à peine à la consommation. Dans peu de temps on manquera de tout, si seulement ça pouvait faire finir la guerre, j’en serais très heureux car il y a de quoi en avoir soupé de ce métier. […] On change nos chefs tous les jours. Si seulement on finissait par en trouver un bon, un qui soit assez fort pour en finir. Hier c’était NIVELLE, aujourd’hui c’est PÉTAIN, et demain ? »
L’ennui loin du pays
Une des caractéristiques de ce témoignage c’est la fréquente expression de l’ennui, et cela dès le début : « Je m’embête. Si au moins on était utile, qu’on nous fasse travailler ! » (14 octobre 1914). « C’est dimanche, c’est ce qu’on m’a dit, nous avons de la peine à distinguer un jour de l’autre » (27 juin 1915). « On ne fait rien, on ne voit rien, on ne sait RIEN ! » (27 juillet). Alors il demande à sa femme de lui raconter « tout ce qui se passe à la maison ». Car la guerre est l’occasion de (re)découvrir l’amour et l’affection : « Ma femme, mes enfants, mes parents, voilà ma vie, mon existence ». « Comme j’aimerais être là-bas et rentrer le soir de mon travail, prendre les enfants sur mes genoux, jouer avec eux au milieu de ceux que j’aime » : les phrases contredisant la théorie de la « brutalisation », c’est-à-dire de la transformation des soldats en brutes, sont ici fort nombreuses. La rencontre de quelques Albigeois est comme un rayon de soleil dans ces pays du Nord et de l’Est, en Lorraine où la population est hostile, en Flandre où « on a de la peine à se faire comprendre ». « Dans ma vie, précise-t-il en janvier 1916, je n’avais guère voyagé, mais je vais connaître le Nord de la France mieux que nos régions. » Mais la conclusion est nette : « Je t’assure qu’aucun des pays où je suis passé ne vaut le nôtre. »
Des ennemis variés
Les Allemands sont, au début, considérés comme les auteurs d’atrocités, « une race de sauvages », et les expressions de « cochons » et de « brutes immondes » reviennent au vu des destructions opérées lors de leur repli de mars 1917. Entre temps, n’étant pas en contact avec eux, il en avait peu parlé, mais il avait éprouvé des sentiments de compassion devant des rangées de tombes (en janvier 1916) : « une simple croix et comme mention : allemand, français, tous de pauvres malheureux dont personne ne s’occupera ». La condamnation des « responsables de la guerre » est totale et fréquente, mais sans préciser leur nationalité. Le gouvernement français est critiqué, ainsi que les officiers au comportement personnel honteux et qui « embêtent » les hommes en leur faisant faire des « conneries » absurdes : « Même si c’est plus fatigant, ce serait plus lucratif de faire des briques ou des tuiles à treize francs le cent, cela me ferait en tout cas plus plaisir que de faire le pitre par ici. » Les embusqués, « pleins de vie et de santé », forment une autre catégorie d’ennemis : ils font la noce à Paris en criant « jusqu’au bout ! », mais « qu’ils y viennent un peu, patauger dans la boue jusqu’au ventre », « et l’infanterie, le génie, ceux qui sont aux premières lignes, à la veille de claquer à tout moment… c’est affreux ». « Il ne reste que les couillons… Les ouvriers métallurgistes sont à l’usine, les mineurs à la mine. Que reste-t-il ? le petit propriétaire, l’agriculteur, les enseignants laïques. » Le bourrage de crâne, enfin, est dénoncé dès juillet 1915 : « On nous tient le bec hors de l’eau par des mensonges. » Et le 8 décembre : « Nous ne croyons plus un mot de ce que racontent les journaux. »
Photo d’Emile Banquet et de sa femme dans 500 Témoins de la Grande Guerre, p. 47.

RC

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Andrieu, Henri (1863-1929)

1. Le témoin
Henri Andrieu est né le 17 septembre 1863 à La Valette commune du Luc (Aveyron). Instituteur dans plusieurs communes aveyronnaises, il a effectué la plus grande partie de sa carrière à Colombiès où il est mort le 3 décembre 1929. Il avait quatre enfants, Emile, Emma, Edmond, et Paul. Ses trois fils ont fait la guerre : Emile est mobilisé le 1er août 1914, Edmond part le 4 juin 1915, et Paul en 1917 devançant l’appel. Tous les trois sont revenus mais Edmond, gazé, est mort en 1927 des suites de ses blessures.
Henri Andrieu, en poste à Colombiès quand la guerre éclate, est bien inséré dans la vie locale. Il s’occupe de la caisse locale du Crédit mutuel et d’une Mutuelle Incendie. Il organise des causeries sur l’histoire locale. C’est un lecteur assidu de La Dépêche, du Courrier de l’Aveyron, de L’Express du Midi.

2. Le témoignage
Dès la mobilisation, Henri Andrieu prend la plume pour relater les évènements dont il est témoin et acteur dans son village. Il écrit sur des cahiers d’écolier qui s’échelonnent du 1er août 1914 au 27 juin 1915. Il semble avoir commencé spontanément à écrire dès la mobilisation, devançant ainsi les instructions adressées aux recteurs d’académies, le 18 septembre 1914, par Albert Sarraut, ministre de l‘Instruction publique, circulaire recommandant « d’inviter les instituteurs de leurs ressorts à prendre des notes sur les évènements auxquels ils assistent présentement ». Le témoignage d’Henri Andrieu est consigné dans quatre cahiers de 32 pages chacun (aujourd’hui conservés par la famille, mais qui pourraient être numérisés par les Archives départementales de l’Aveyron). Les cahiers ne vont pas au-delà du 27 juin 1915, sans que l’on sache si d’autres cahiers ont existé et n’ont pas été conservés.
Le premier cahier commence le 1er août 1914 et s’arrête le 15 septembre 1914
Le second cahier du 16 septembre au 15 novembre 1914
Le troisième cahier du 16 novembre au 28 janvier 1915
Le quatrième cahier du 29 janvier au 27 juin 1915
Il écrit longuement au début du conflit, le premier cahier couvre 46 jours mais au fil du temps, la guerre dure, ses notes s’amenuisent et le dernier cahier court sur 151 jours.
Chaque jour, à côté de la date, Henri Andrieu décompte le nombre de jours écoulés depuis la mobilisation : « 27 juin 1915, 339ejour depuis la mobilisation ». Au fil des cahiers sont agrafés des coupures de journaux, des feuillets annonçant les quêtes, pour la Croix rouge, le vêtement du soldat, la journée serbe ainsi que des insignes comme pour la Journée du 75 ou de petits drapeaux pour la Journée du drapeau belge, etc.
Esprit vif et plume sans concession, Henri Andrieu livre un témoignage sur la guerre vue d’un village éloigné des combats, sur la pérennité de la vie quotidienne et les transformations de celle-ci dues au conflit.

3. Analyse du contenu
Dans ses écrits quotidiens, Henri Andrieu mêle les nouvelles du front, du village et de sa famille. De « l’émotion poignante qui étreint tous les cœurs » le 1er jour de la mobilisation, à ses colères contre les embusqués, resquilleurs et autres profiteurs, à ses angoisses comme celles de toutes les familles qui attendent des nouvelles du front, Henri Andrieu brosse un tableau où affleurent avec sincérité ses convictions et où il restitue l’atmosphère de son village en cette première année de guerre.
Dès le 3 août, il relève les changements visibles : la hausse des prix chez les épiciers mais, ajoute-il, « leur conduite est durement qualifiée » ; l’enlèvement des plaques du bouillon Kub, sans autre commentaire ; les réquisitions de chevaux ; les rumeurs (« on ne parle que d’espions on croit en voir partout) ; mais surtout « l’embarras dans lequel vont se trouver ceux qui restent pour lever les récoltes » ( 2 août 1914 ). Des mécaniciens sont mis à la disposition des cultivateurs pour « la mise en marche et la réparation des machines » (5 août 1914). Certains, qui possèdent des machines, en profitent pour les louer très cher : « il veut 5 francs de l’heure, sa conduite soulève l’indignation » (7 août 1914).
Tout au long de ses écrits Henri Andrieu s’indigne souvent contre les injustices, les profits scandaleux, les passe-droits, contre l’attitude des élus qui selon lui n’est pas digne en cette période. Il s’emporte régulièrement contre les « embusqués ». Il rapporte par exemple que M. va à Rodez « pour tacher moyen d’embusquer T. avec le concours du conseiller de préfecture et son beau-frère commandant de recrutement », et il fustige « toujours ce manque de moralité…toujours l’égoïsme, l’honneur ne compte pas » (14 octobre 1914). Le 9 décembre 1914, il dénonce l’attitude d’un « embusqué » qui pense : « il faut bousculer l’ennemi hors de France mais que les autres le fassent ! ».
Les nouvelles du front occupent une grande place dans les deux premiers cahiers. Il commente longuement les mouvements des troupes, leurs positions, les avancées, les échecs, l’attitude des pays concernés, puisant les détails dans la lecture de la presse et des dépêches officielles affichées, sans toutefois être dupe (« on ne nous dit que la moitié de la vérité », 25 novembre 1914). Les habitants, au hasard des rencontres dans le village ou à la veillée, discutent de la politique, de la marche de la guerre mais aussi des nouvelles qui arrivent par le courrier des soldats au front. Le mercredi 16 février 1915, Henri Andrieu apprend le décès de S.B. de fièvre typhoïde dans un hôpital militaire ; dans le même temps, un camarade du défunt écrit à sa propre famille que « S.B., sergent, se trouvait en première ligne avec ses hommes. Attaqués par l’ennemi, ses hommes auraient refusé de marcher et la seconde ligne aurait ainsi beaucoup souffert. Traduits en Conseil de guerre quelques-uns de ces hommes auraient été condamnés à mort… S.B. aurait perdu ses galons de sergent… » Henri Andrieu ajoute : « la commotion de cette affaire ne serait-elle pas la cause de sa mort ? ». Le 22 octobre 1914, pour la première fois, apparaît dans les cahiers le mot « tranchée » repris d’une lettre de son fils Emile qui mentionne que sa « tranchée est à 150 mètres de celle des Allemands ». Henri Andrieu commente : « nos troupes se maintiennent » comprenant que la guerre s’enlise.
L’angoisse grandit au village, dès la mi-août, à l’annonce des premiers décès et blessés. Le courrier occupe alors une grande place dans les propos du père et dans les conversations des habitants. Il écrit : « comme on est heureux …d’avoir des nouvelles des siens de savoir qu’ils sont parmi les vivants » (18 août 1914) et le 2 septembre, avec beaucoup de pudeur : « trois cartes d’Emile. Ces simples cartes nous font beaucoup de plaisir, elles entretiennent l’espoir ». Les combattants signalent dans leur courrier qu’ils sont avec tel ou tel camarade de Colombiès et les familles font circuler les nouvelles. Au fil des mois, l’attente de courrier sera de plus en plus préoccupante et angoissante. Le moral aussi a changé. Henri Andrieu rapporte les propos d’un habitant : « l’esprit des soldats a bien changé depuis le début des hostilités. Alors on partait à la frontière avec plaisir, maintenant on ne veut plus partir » (8 décembre 1914).
A Colombiès, loin du front, la vie continue. Henri Andrieu assiste aux conseils municipaux, il se déplace à Rodez pour les réunions pédagogiques, il assure ses causeries d’histoire locale. Il relate les faits divers, la vie à l’école, les visites de la famille, les difficultés des cultivateurs, les naissances, les décès. Cependant les effets du conflit se font sentir au village. Les discussions devant les dépêches sont parfois houleuses, la guerre exacerbe les dissensions, les caractères, mais elle rapproche aussi. Henri Andrieu note : « Je porte La Dépêche à Mr le Curé – je suis bien reçu » (10 août 1914). Ces civilités n’excluent pas les prises de position de l’instituteur : « Sermon de Mr le Curé : la France vaincra parce qu’elle est catholique, parce qu’elle prie. –J’ai plutôt confiance en notre armée et en ses chefs » (29 novembre 1914).
Très actif au service des soldats, il organise les quêtes, tient les comptes ; il crée un groupe de tricoteuses qui se réunissent dans l’école après la classe pour l’œuvre du vêtement du soldat. Il organise aussi une collecte de vêtements qu’il expédie à son fils pour les combattants de son unité, il fait des démarches auprès de la Croix rouge pour les familles sans nouvelles, il s’occupe d’aider les familles nécessiteuses pour la rédaction des demandes de subsides, il ne manque pas d’adresser ses condoléances aux familles des disparus et de prendre des nouvelles de ses anciens élèves.
Nicole Dabernat-Poitevin

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