Bonneton, Armand (1885-1969)

Armand Antonin Bonneton est né à Sète (Hérault) le 22 mars 1885 d’un père employé du chemin de fer et d’une mère sans profession. Lorsqu’il s’est présenté devant le conseil de révision, il était employé de commerce. Ajourné en 1906, il a été exempté pour faiblesse générale en 1907. Il s’est marié à Sète en juin 1913. En novembre 1914, il s’est engagé pour la durée de la guerre « dans le service automobile exclusivement » et il est resté à Lyon pour une période d’exercices jusqu’en mars 1915. Il monte alors dans le Nord (Ypres, puis Artois) au 14e Train, où les camions transportent des hommes, des vivres ou des munitions. Chauffeur, il est parfois désigné comme cycliste ou comme cuisinier, cette dernière fonction étant beaucoup moins pénible et beaucoup plus appréciée. Tous les soldats de la Grande Guerre n’ont pas connu le feu. Le 7 avril 1915, Armand Bonneton et quelques camarades font une « excursion » aux tranchées. Le 25 juillet 1916, quelques marmites ayant coupé la route devant le convoi de camions, il note qu’il a vécu son « baptême du feu ». Par contre, les conditions de vie des chauffeurs sont souvent très dures. Ils subissent la pluie, le froid, les ordres stupides qui provoquent des fatigues inutiles, l’absence de ravitaillement. Faute de cantonnement, ils dorment parfois dans des hamacs suspendus dans le camion. Voici le récit du 22 octobre 1915 : « Durant toute la nuit, la pluie n’a cessé de tomber avec force et, dans notre camion, l’on aurait dit des cailloux qui tombaient du ciel sur notre bâche. À notre réveil une belle lune se montrait et qui a favorisé notre marche jusqu’à l’aurore. La route est grasse, nombreux dérapages. Les camions marchent comme des crabes et font la valse. J’ai mal aux poignets de tenir le volant et avec mon compagnon nous nous remplaçons souvent. Près de Barlin un camion, le n° 1, a glissé dans un fossé, à nous de l’en tirer car nous sommes les derniers de notre convoi. Nous y arrivons après l’avoir remorqué sur un parcours de 100 mètres, ce n’est pas malheureux. Nous reprenons la route et à une descente le derrière menace de passer devant ; ça y est, c’est la danse. Enfin nous arrivons à Nœux-les-Mines et le soleil qui ressemble ici à la lune s’est enfin montré. Où est le soleil du Midi doré et brillant ? Une heure d’attente au four à chaux de Nœux et la relève des tranchées de Loos arrive ; c’est du 77e d’infanterie de Cholet. Tout le monde est embarqué et en route. Toujours des dérapages et la valse continue. […] Je ne suis plus maître de ma direction et les roues arrière commencent le patinage et finalement glissent dans le rebord de la route. Les poilus rouspètent et se cognent les uns contre les autres. Pour ma part je tempête plus qu’eux. Pas moyen de me dégager et je continue la descente par côté. En bas je finis par m’arrêter et tout le monde descend ; ça y est, je vais être engueulé. Non, pas du tout, tous rient. Un Poilu me dit à l’oreille : « Dis, vieux, tu n’aurais pas pu nous blesser ? » »
Ce catholique fervent ne rate aucune occasion d’exercer ses talents d’organiste dans les églises du pays, d’assister à la messe y compris celle « dite par un aumônier militaire dans une voiture chapelle » le 13 juin 1915. Quelques jours plus tard, ému par la proximité de l’anniversaire de son mariage, il écrit : « Ce n’est point par pure dévotion que je me dirige avec mes compagnons vers ce clocher qui tous les jours dans ses sons d’airain annonce pour moi une victoire prochaine, mais, comme à Sète, j’y retrouve les mêmes chants, les mêmes airs et les mêmes idées, le tout orné et fait au même moule. L’on y voit également la même main qui y est passée, et pour Qui cela a été fait. Tout cet ensemble, dans son architecture simple et quoique pourtant bien loin de ceux qui me sont chers, me fait un peu oublier mon éloignement et semble me rapprocher de mon pays natal. » À cette même date (20 juin 1915), il souhaite « que cette maudite guerre d’extermination soit terminée le plus promptement possible avec notre succès final ». Plus tard (1er janvier 1916), lui et ses camarades souhaitent « que 1916 nous apporte la victoire et la paix surtout ».
Le Cercle occitan de Sète conserve le « carnet de route » d’Armand Bonneton qui se termine curieusement : « Le 25 sept. 1916. Départ pour Amiens à 5 h 20 le soir. Fini permission. Adieu le bonheur, etc., etc., jusqu’à la démobilisation le 7 avril 1919. » On comprend qu’il a survécu. On comprend aussi qu’il a recopié ses notes (en les illustrant de quelques photos). On ne sait pas pourquoi il s’est arrêté à cette date : avait-il cessé de prendre des notes pendant la fin de la guerre ? a-t-il renoncé à en poursuivre la transcription ? Sa fiche matricule (Archives de l’Hérault 1R 1186) nous apprend qu’il a quitté le front en octobre 1916 et qu’il a été classé « service auxiliaire » en décembre 1917 pour des problèmes de santé non liés à une blessure de guerre.
RC

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Isaac, Jules (1877-1963) et Laure

Les volumes du fameux cours d’histoire « Malet-Isaac » constituent un véritable monument. L’opération fut lancée par Albert Malet ; Jules Isaac y participa dès 1909 et en prit la direction après la mort de son collègue, tué en Artois le 25 septembre 1915. Jules Isaac était né le 18 novembre 1877 à Rennes où son père, officier, était en garnison. La famille, juive détachée de la religion, avait ses racines en Alsace et en Lorraine. Dans la formation de l’historien, l’affaire Dreyfus joua un grand rôle, de même que ses relations avec Péguy et les Cahiers de la Quinzaine. Agrégé en 1902, Jules Isaac se maria la même année. Il avait deux enfants en 1914 lorsqu’il fut mobilisé au 111e RIT. L’Association des Amis de Jules Isaac conserve 1800 lettres écrites du front par l’historien, ainsi que quelques centaines de sa femme Laure, des carnets et un texte de réflexion de 1917 après sa blessure. Pour conserver au livre publié en 2004 une dimension raisonnable, il a fallu effectuer un choix, toujours regrettable, mais indispensable. On peut consulter les originaux à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence.
Le régiment territorial, terrassier et chemineau plus que combattant, se trouvait dans l’Aisne en octobre 1914 lors de l’arrivée de Jules Isaac sur le front ; en Champagne d’avril 1915 à mai 1916 ; puis à Verdun où le sergent Isaac devient observateur détaché dans l’artillerie. Il est blessé sous un bombardement fin juin 1917 et, dès lors, avec la satisfaction profonde d’avoir survécu, il ne reviendra pas au front. La description des conditions de vie des poilus est sans surprise. La boue est la « pire ennemie » ; le nettoyage des tranchées consiste, dans le premier sens du terme, à les dégager des cadavres et des débris de toutes sortes, à rendre les boyaux praticables. Il décrit « cette impression de captivité et d’étouffement à rester là des heures et des jours prisonniers entre deux murs de terre sans aucun horizon » ; la tension nerveuse qui résulte du danger ; « les longues heures de veille dans la nuit noire ». « Heureusement, écrit-il le 24 décembre 1914, ce qui nous sauve, c’est le tempérament français, bon enfant, une gaieté de caractère qui tient lieu de ressort moral, le mot pour rire… » Le 29 juin 1915, il note encore l’extraordinaire capacité des hommes à s’adapter. Le 21 septembre 1916, il doit avouer : « Vraiment l’effort qu’on nous demande est presque au-dessus des forces humaines. » Cette notion de la durée d’exposition au danger sur l’évolution du « moral », Jules Isaac la reprendra dans son compte rendu de Témoins de Norton Cru. Les scènes de trêves tacites (par exemple le 10 décembre 1915, le 16 avril 1916, le 1er février 1917) ne changent rien au fait qu’il faut détruire le militarisme allemand, puis tous les militarismes, tandis que, au fil du temps, grandit la haine des embusqués et des bourreurs de crânes, souvent les mêmes individus. Le 6 juin 1917, l’historien constate dans sa propre pensée et celle des autres « cette réalité profonde qu’est l’intense désir de la paix dont les masses sont animées partout ». La révolution russe est une réaction contre les horreurs de la guerre. En France même, la paix revenue, les poilus feront un grand nettoyage.
Concernant les individus, Jules Isaac est d’abord très favorable à l’évolution de Gustave Hervé en faveur de la défense nationale, puis il se détache de lui. Henry Bordeaux et Louis Madelin produisent une « vérité pour salons académiques et sacristies distinguées ». Lavisse, « solennel » et « décevant », est coupé des réalités. Dans un texte d’après-guerre, Isaac écrit : « Pour l’historien, ancien combattant, nul devoir plus urgent, plus impérieux, que de prendre à bras-le-corps l’imposante, complaisante histoire officielle qui déjà s’employait à masquer trop d’écœurantes vérités ; nulle entreprise plus nécessaire, plus salubre que de mettre en pleine lumière les réalités de la guerre, et, par delà une victoire illusoire, la précarité de la paix. » (On songe au Plutarque a menti de Jean de Pierrefeu, voir ce nom.) Il n’est pas surprenant qu’il ait donné un long compte rendu très favorable du livre de Norton Cru dans une prestigieuse revue d’histoire, et qu’il ait entrepris une recherche sur les origines de la guerre montrant que, à côté de la responsabilité des empires centraux, il fallait bien dire que Poincaré n’avait pas eu une grande volonté de paix (thèse qui lui valut bien des ennuis). Après la Deuxième Guerre mondiale et l’assassinat de sa femme et de sa fille par les nazis, Jules Isaac écrivit encore un pamphlet sur les classes dirigeantes complices d’Hitler (Les Oligarques), et des travaux sur les racines chrétiennes de l’antisémitisme qui lui attirèrent encore des animosités. Dans la conclusion de sa biographie de Jules Isaac, André Kaspi cite ces paroles de son personnage : « J’ai une réputation de bagarreur. Je suis un vieux dreyfusard. La vérité est devenue ma règle d’or, la libre et scrupuleuse recherche de la vérité, la loi de ma vie. Somme toute, je crois que j’ai été un bagarreur assez fraternel. »
RC
*Jules Isaac, Un historien dans la Grande Guerre, Lettres et carnets 1914-1917, introduction par André Kaspi, présentation et notes par Marc Michel, Paris, A. Colin, 2004, 310 p., illustrations.
*André Kaspi, Jules Isaac, Paris, Plon, 2002, 258 p., illustrations.
*Jules Isaac, « De la valeur des témoignages de guerre », Revue historique, janvier-avril 1931, p. 93-100, cité par Frédéric Rousseau dans sa réédition critique de Témoins de Jean Norton Cru, Presses universitaires de Nancy, 2006.

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Berger, Joannès (1893-1976)

Écrivant le 30 juillet 1915, Joannès Berger signalait qu’il avait reçu 45 lettres en trois semaines. Lui-même envoyait à ses parents « une lettre par jour », titre repris par son fils pour l’édition d’un immense corpus, une édition d’une extrême rigueur, accompagnée d’une enquête sur l’écriture et sur les délais d’acheminement du courrier. Le tome I, seul paru, compte 397 pages, 1414 notes, 31 illustrations, de précieux index des noms de personnes et de lieux, et surtout des thèmes, depuis « abcès » jusqu’à « zouaves ». Une introduction détaillée situe la famille Berger dans sa région et ses activités, et insiste sur sa forte imprégnation catholique. Joannès Berger est né à Rozier-Côtes-d’Aurec (Loire) le 18 décembre 1893 d’un père serrurier et d’une mère ménagère. Dans la même commune, il s’est marié tardivement, en 1945, et il est mort le 30 avril 1976. Il avait étudié dans un pensionnat catholique ; il est devenu enseignant dans un autre.
La première série de lettres correspond à l’époque du service militaire à partir du 25 novembre 1913. On bascule dans la guerre et Joannès participe aux combats d’août 1914 en Lorraine avec le 17e RI ; en été 1915 il est en Artois avec le 158e RI ; en 1916, il passe quelque temps dans les Vosges où il est blessé accidentellement par un camarade ; en août 1917, sur le Chemin des Dames, des éclats d’obus le touchent aux deux jambes ; en 1918, on le trouve surtout à l’arrière, dans le Midi. Tous les soldats de la Grande Guerre n’ont pas été en permanence sur le front : Joannès a fait de fréquents et longs séjours à l’hôpital, en convalescence, en permission, en stage… La guerre n’a rien changé à ses convictions religieuses, même si le vin remplace bientôt le plaisir de boire du tilleul en chantant un cantique (3 octobre 1914). À plusieurs reprises, il regrette que des officiers bien pensants ne soient pas « bons » pour leurs hommes car ce sera une occasion pour ces derniers d’attaquer la religion. Le 2 avril 1915, il écrit que la guerre doit durer afin que les anticléricaux et ceux « qui sont abrutis dans leurs théories soc. » aient le temps de réfléchir et de changer d’opinion. Mais il se trouve à ce moment-là au camp d’entraînement de Nyons, dans la Drôme, et il y restera jusqu’en juin. Lui-même n’est pas volontaire pour repartir. Son « consentement patriotique » du début fait place à la volonté de rester à l’arrière le plus longtemps possible, ce qui est parfaitement humain.
RC
*Gérard Berger, Une lettre par jour, Correspondance de Joannès Berger, poilu forézien, avec sa famille (1913-1919), tome I : D’Épinal (Vosges) à Legé (Loire-Inférieure), novembre 1913 à septembre 1915, Publications de l’Université de Saint-Étienne Jean Monnet, 2005.

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Vonet, Bertrand (1895-1976)

Ce jeune homme qui arrive sur le front à 20 ans en 1915, au 412e RI, est né à Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire) le 5 juillet 1895 dans une famille de vignerons. On a retrouvé les lettres qu’il adressait à sa sœur et à son beau-frère, horticulteurs à Montrichard (Loir-et-Cher). Elles contiennent les aspects qui reviennent habituellement dans les correspondances des fantassins non-gradés : la boue et les marches épuisantes ; les rats et les poux ; les exercices stupides à faire au « repos » ; la nourriture qui laisse parfois à désirer (« je suis bien sûr que les cochons chez nous mangent des meilleures pommes de terre »). Il déteste les embusqués, et les discours patriotiques lui donnent le cafard : « Vous pouvez dire au voisin Masset qui est si patriote qu’il y a de la place pour lui, car depuis deux jours, il a dû en tomber quelques-uns. » Il évoque « la bonne blessure » et la « tranquillité » de ceux qui sont morts : « On s’aperçoit que ceux morts sont bien tranquilles, puisqu’il faut y passer tous les uns après les autres, il vaut mieux de suite que plus tard ; moi je n’ai espoir qu’à une bonne blessure pour pouvoir tirer quelques mois à l’intérieur. » Le rapport au « pays » reste fort : « il faudra que vous me disiez si les vignes sont belles » (6 juillet 1915) ; et cette évocation même fait grincer des dents : « Et au pays, que se passe-t-il ? Les vignes doivent commencer à pousser ; tâchez de nous faire du pinard un peu meilleur que celui qu’ils nous donnent en ce moment, je ne sais pas où ils le fabriquent mais il est presque imbuvable » (28 avril 1917).
On les aura !
Dans ce registre de la révolte, Bertrand Vonet a des expressions originales. Dès octobre 1915, il pense que le manque de pain va peut-être entraîner la fin de la guerre et il s’en réjouit. Le 15 février 1916, il félicite ses correspondants de la naissance d’une nouvelle petite nièce : « Heureusement que c’est une fille, au moins comme ça on ne pourra pas l’envoyer à la Boucherie quand elle aura 20 ans. » En juin 1917, il signale qu’il lit de « petits bouquins néo-malthusiens » que son lieutenant lui conseille de cacher : « comme il vient souvent des officiers supérieurs, c’est pas la peine qu’ils nous jugent mal. » Il emploie systématiquement le pronom « ils » pour désigner ceux qui commandent : « De la façon que ça va, ils veulent faire tuer tout le monde. Car, vous savez, à présent pour gagner 2 à 3 km de terrain c’est la perte de plusieurs milliers d’hommes ; il y a que celui qui le voit tous les jours qui peut s’en rendre compte. » Ce comportement est une véritable trahison : « Depuis le début, il n’a pas été un seul jour où nous avons pas été trahis. On nous a fait massacrer comme des mouches pour l’avancement de nos grands officiers supérieurs, et encore en ce moment [26 novembre 1917] plus un général fait zigouiller de Poilus, plus il a de succès. Si tous les sacrifices que nous avons faits depuis le début avaient été bien exploités, les Boches ne seraient plus chez nous, mais tout au contraire quand l’on voyait qu’ils voulaient fléchir, on s’empressait bien vite de ne pas leur faire trop de mal car on a beau dire, les Boches sont des hommes comme d’autres et il a été un certain moment qu’on aurait bien pu les trouer d’un côté ou de l’autre. » Il joue à plusieurs reprises sur l’expression « On les aura ». Le classique « On les aura… les pieds gelés » (20 février 1916) est suivi de « On les aura… les poux dans la chemise » (25 février), « On les aura… les jambes coupées » (4 juillet), « On les aura ? mais si c’est quand tout le monde aura la gueule cassée, ce n’est pas la peine » (16 juillet), etc. En mars 1917, Bertrand envoie le texte de la « chanson du 412e d’infanterie », qui a pour titre « On en a marre » et qui réclame « vivement la paix » après avoir critiqué « les embusqués de l’arrière » qui « n’ont pas peur de faire la guerre » : « Ils n’ramènent pas leur sale gueule au créneau / Ils n’font pas les corvées dans tous ces sales boyaux. »
Si la révolte est l’aspect dominant de ce témoignage, il est également riche de notations diverses. On peut dire ce que l’on veut de la frugalité et de l’endurance du monde paysan d’avant 1914, mais c’est à la guerre que plusieurs ont découvert la faim : « On est souvent obligé de se mettre une belle ceinture. Je ne croyais jamais venir à 20 ans et être obligé bien souvent d’aller me coucher avec la faim » (13 octobre 1915). L’information sur les divers secteurs circule d’un régiment à l’autre. Au moment de partir pour la cote 304, le 22 mai 1916 [voir aussi Louis Barthas], les poilus du 412 savaient « qu’il n’y avait plus de tranchées, tout était démoli par le bombardement et que l’on était obligé de se fourrer dans les trous d’obus ». Et les survivants allaient pouvoir, à leur tour, transmettre le renseignement : « C’est avec un grand soulagement que je vous fais ces deux mots aujourd’hui [16 juin 1916] car vraiment je viens d’une fournaise où je ne croyais pas en sortir. […] Nous sommes revenus morts de fatigue. Nous avons fait 7 jours de 1ère ligne sous la pluie, et comme tout est retourné par les obus il fallait être du matin au soir allongés dans la boue. » Mais il peut y avoir aussi quelques « filons », ainsi fin 1916, lorsqu’il devient « tampon » d’un lieutenant, et surtout lorsque celui-ci, désigné pour suivre un stage, l’emmène avec lui : « Où je suis, j’y tiendrais jusqu’à la fin de la guerre » (28 avril 1917). Au repos, en août 1917, il rencontre des Américains « qui arrivent avec les poches pleines de pognon [et] sont bien vus partout ».
Il reste que l’expérience de la guerre fut terrible pour Bertrand Vonet, et que sa réflexion le conduisit à s’intéresser au journal L’Humanité et aux réunions syndicales, l’année de sa démobilisation (lettres des 29 juin et 18 juillet 1919). Marié en avril 1920 avec une couturière, fille de cultivateurs, il eut deux filles qui ne participèrent donc pas aux combats de 1940. Il est mort dans son village natal le 3 mai 1976.
RC
*Lettres conservées par Jacques Moriceau.

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Goulmy, Martial (1891-1937)

Quatrième enfant d’un charron, Jean-Baptiste Martial Goulmy est né à Donzenac (Corrèze) le 17 septembre 1891. Mobilisé en 1914 comme brancardier régimentaire au 108e RI, et musicien, il s’est marié en juillet 1917 au cours d’une permission. Après la guerre, ayant repris le métier de son père, il a fait mettre en forme son journal par Adolphe Ulry sur un cahier d’écolier, à partir de notes hâtives au jour le jour. La comparaison des dates et des faits avec le JMO du régiment montre leur exactitude, mais il semble que le témoignage ait été lissé. Par exemple pour décembre 1915 en Artois, qui connut inondations et fraternisations près de Neuville-Saint-Vaast, on ne trouve qu’une brève évocation de la boue. Les mouvements d’indiscipline au 108e le 30 mai 1917 à Aubérive, signalés par Denis Rolland, ne sont pas mentionnés. La publication du témoignage pose quelques problèmes de transcription, en particulier p. 46 à propos d’un bon secteur calme : « ce docteur n’est pas mauvais » ; ou p. 122, en Italie, les Austro-Boches devenant « les autres Boches » ; il faudrait vérifier si « la Gargotte » près de Neuville n’est pas la Targette. Le musicien brancardier a connu la retraite de 1914, la Marne, l’attaque en Artois en septembre 1915, Verdun, l’offensive Nivelle, puis l’Italie à partir de novembre 1917.
Le récit contient, sans surprise, des mentions de terribles bombardements, le 75 tuant parfois les Français (p. 74) et la description du travail des brancardiers, utilisant une brouette trouvée sur place, faute de brancards (p. 36),obligés d’abandonner lesdits brancards dans les boyaux trop étroits (p. 79), ou de passer à découvert lorsque l’artillerie a détruit tous les cheminements protégés comme à Verdun (p. 94). Les brancardiers doivent ensevelir les corps et désinfecter les tranchées (p. 67) ; ils voient passer des prisonniers allemands satisfaits de leur sort (p. 75). Au repos, concerts (p. 63), chasse au lapin pour améliorer l’ordinaire (p. 48), travail de charron pour réparer les voitures médicales (p. 50), coup de main aux paysans pour battre le blé (p. 69), évocation du « pays » avec les camarades (p. 81). Martial Goulmy fait partie des soldats qui ont décrit des exécutions (p. 87) et qui ont tenu à noter leurs impressions pénibles devant un spectacle « navrant » qui fait que « plus d’un avait les larmes aux yeux en s’éloignant du lieu de l’exécution ». Le 11 avril 1915, il écrit qu’il se laisse « aller à des pensées plutôt sombres, [se] demandant par quelle folie, à une époque de civilisation et de progrès, des hommes qui ne se connaissent pas peuvent encore s’entre-tuer rageusement pour satisfaire l’ambition de quelques-uns ». L’emploi de l’expression « le pauvre diable » à propos d’un blessé allemand prouve que Goulmy, comme bien d’autres soldats, n’a pas été transformé en brute par l’expérience de la guerre.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 13-134.

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Balanda, Germaine de (1867-1938)

Née à Perpignan le 22 août 1867, Germaine est la quatrième fille de cette vieille famille noble apparentée aux De Llobet (voir notice) à devenir religieuse. Elle choisit la Société de Marie Réparatrice créée pour réparer les souffrances du Christ par l’adoration quotidienne du Saint-Sacrement. La politique laïque de la Troisième République leur fait choisir l’exil en Belgique, à Tournai. C’est là qu’elles subissent l’occupation allemande avant un retour en France par la Suisse au début de 1918 qui va permettre à Germaine de revoir ses parents en Roussillon avant de repartir vers Gênes, et plus tard vers Maastricht où elle meurt en 1938. Le présentateur du témoignage publié pense que celui-ci a été écrit peu après la guerre, mais on en ignore la motivation.
Le texte commence par l’évocation des horreurs commises par les Allemands, avec l’exemple d’une malade « hachée en morceaux » dans son lit. Il continue par le récit des perquisitions, interdictions, tracasseries, amendes, imposées par les troupes d’occupation avec mention de « quelques soldats allemands moins inhumains que les autres ». L’habileté des occupés à passer des correspondances en fraude est notée ainsi que l’humour de publications clandestines ou d’histoires drôles, et les farces des « Charollais » (confusion avec les Marolles ?). D’autre part, les interventions divines sont fréquentes : elle écrit qu’on a vu une « forme blanche » empêchant les Allemands d’avancer lors de la bataille de la Marne ; Germaine n’hésite pas à solliciter une de ses « amies célestes » pour faire augmenter par miracle le stock de farine ; une bonne sœur « avait des communications très intimes avec Notre-Seigneur qui lui avait promis que 1918 serait une année de bénédictions ». Au cours du voyage de rapatriement par l’Allemagne, elle fait une observation étonnante : « On voit bien que la guerre ne les a pas atteints : les champs sont bien cultivés, les enfants massifs et bien portants. » Comme s’il n’y avait pas eu de blocus et de maladies de carence. L’accueil en Suisse par les dames de la Croix-Rouge est chaleureux. « Malheureusement sur 100 membres, trois seulement sont catholiques. » On distribue des médailles de la sainte vierge. « Qui sait si ce ne sera pas un petit germe de conversion pour la Suisse en récompense de sa charité. »
En conclusion : « Depuis, la guerre est terminée, mais la Révolution menace tout l’univers. Si on voulait se tourner vers le bon Dieu, ce serait vite fini. Mais les nations veulent se passer de lui et cela va de plus en plus mal. » Mais, la bonne sœur ne commit-elle point un péché contre la charité chrétienne en parlant avec mépris des « Bochesses » et en écrivant à propos d’une hôtelière savoyarde : « Madame Guenon, la bien nommée » ? Je ne saurais répondre, n’étant pas compétent en ce domaine ; la preuve, j’ignorais l’existence de la congrégation de la « Sainte Union des sacrés-cœurs de Jésus et Marie » dont il est question à la p. 287.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 249-293.

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Dardant, Louis (1890-1982)

Originaire de Châteauponsac (Haute-Vienne), il s’engage à 18 ans au 138e RI où il devient sergent. Il passe en 1912 au 4e Zouaves de Tunis, troupe de choc avec laquelle il fait la guerre de 1914-1918 : la retraite de 1914 (il est blessé le 7 septembre), les tranchées de Nieuport de janvier 1915 à avril 1916 (il est promu sous-lieutenant en mai 1915), Verdun, l’offensive d’avril 1917 vers Craonne et Hurtebise, l’attaque d’octobre sur la Malmaison (où il est à nouveau blessé). Il termine sa carrière militaire comme commandant. À l’âge de 83 ans, il décide d’écrire ses mémoires de combattant de 14-18 à l’intention de ses descendants. Disposant de peu de documents personnels et ses souvenirs étant « estompés », il puise largement dans l’Historique du régiment. Ces emprunts représentent 46 % de son texte ; ils apparaissent en italiques dans la publication. Ils concernent aussi bien les opérations que la vie quotidienne et « l’état d’esprit » du régiment, ce qui donne à ce texte, comme le souligne le présentateur, une tonalité « perpétuellement martiale ». Notons que Charles Gueugnier (voir notice) appartenait au 4e Zouaves, mais son témoignage de guerre ne porte que sur sa captivité en Allemagne.
RC
*Destins ordinaires dans la Grande Guerre, Un brancardier, un zouave, une religieuse, Presses universitaires de Limoges, 2012, p. 135-247.

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Détrie, Paul (1872-1962)

Né à Oran dans une famille de tradition militaire, Paul Détrie intègre Saint Cyr et, comme officier de carrière, reçoit plusieurs affectations avant 1914 dans les colonies ou en métropole. Successivement capitaine, commandant d’un bataillon d’infanterie puis du 2e BCP, puis lieutenant-colonel du 94e RI, il connaît tous les secteurs du front ou presque jusqu’en 1918 et témoigne dans sa correspondance partiellement publiée des grandes batailles comme des offensives limitées depuis le Nord de la France jusqu’à l’Alsace, de Verdun à la Somme en passant par l’Aisne. Documents de première main, ses lettres apparaissent comme un reflet de son expérience personnelle de militaire, d’officier et de combattant : « Cette correspondance constitue en quelque sorte, un véritable carnet de campagne, puisque je te confie très détaillées, mes impressions journalières et mille incidents de notre vie », écrit-il à son épouse en mars 1915.

Que retenir de ce volumineux fonds épistolaire ? Avant tout, il faut remarquer que nous avons accès ici au témoignage d’un cadre de l’infanterie, militaire de carrière qui termine la guerre comme officier supérieur. Il permet la comparaison avec d’autres récits, comme celui par exemple du lettré et civil Charles Delvert, officier de réserve devenu commandant pendant le conflit, ou avec les souvenirs d’Alphonse Thuillier, simple soldat de première classe du 94e RI, qui perçoit une guerre davantage « au ras du sol », au cœur de la troupe.

Sur le fond, et en comparant son carnet et sa correspondance du début de la guerre, on peut remarquer que Détrie use beaucoup d’autocensure dans les lettres destinées à sa femme en particulier dans les premières semaines de la guerre, insistant sur l’excellente tenue du moral et l’attitude des hommes. Blessé par éclat d’obus à la fin du mois de septembre 1914, il reprend les tranchées en février 1915 comme chef de bataillon, mais ses textes restent emprunts d’une grande humanité, vis-à-vis de « ses hommes » comme des Allemands, qu’il appellera « Boches » plus tardivement dans la guerre. La guerre, pourvoyeuse de morts et de misères, ne doit pas être abordée avec haine selon l’épistolier. Elle fait partie de la condition humaine, elle est une épreuve que l’homme doit surmonter. Paul Détrie apparaît ainsi comme un humaniste, organisant le monde en catégories bien tranchées. Il déploie un certain paternalisme vis-à-vis de « ses » soldats : « Les hommes ont beaucoup de mérite à faire si bonne figure », écrit-il par exemple le 26 février 1915. En parallèle de son activité, il mène une réflexion appuyée sur le commandement jugé par lui difficile dans la guerre de tranchée qui rend « l’action du chef à peu près nulle ».  Sur la justice militaire, se trouvant du côté de l’accusation, il souligne que « le devoir est dur à remplir », mais le Salut de la patrie est en question écrit-il (p. 68). Cette dernière lettre, très nuancée, doit être à lire pour ceux qui s’intéressent ou travaillent sur cette question. De la même manière, il s’oppose aux gradés de l’arrière qui ne connaissent pas le service des premières lignes, et ne distinguent pas assez ceux  qui meurt « sur le front » (p. 131, lettre du 5 novembre 1915). Son témoignage sur ce monde des cadres, tout sauf monolithique, mérite d’être lu et analysé.

A côté de ces observations, Paul Détrie évoque longuement des détails sur l’organisation du front et les unités successives qu’il commande, la place des gradés et la sociabilité des « Chefs » qui sont ses camarades. On lit également la transformation du discours en fonction de ses grades successifs. Témoin des grandes offensives de la guerre, il rallie Verdun en février 1916 où son unité est dépêchée en catastrophe. La bataille est dépeinte comme une « fournaise ». Il n’épargne alors aucune description à son épouse : les paysages dévastés, la souffrance endurée, et souligne son « admiration sans bornes pour nos petits soldats » (mars 1916). C’est enfin à travers son témoignage, le turn-over incessant des officiers sous ses ordres, en raison de mutations, de blessures et le plus souvent de décès. Il prend ainsi le commandement du 94e R.I. en septembre 1916 après 30 officiers manquants.

Enfin, Paul Détrie offre matière à étudier le couple en guerre. De ses lettres sourdent en effet le poids de l’absence, la douleur causée par l’éloignement. Il se rassure en sachant sa famille à l’abri, s’enquiert de l’éducation des enfants et s’emploie à faire parvenir aux siens sucre et farine au printemps 1918 quand les restrictions s’amplifient. Il développe des discussions poussées avec sa femme par le biais de cette abondante correspondance pensée comme un puissant lien amoureux (veuvage et «devoirs respectifs » par exemple dans une lettre du 28 juillet 1916 – p. 207). Il partage ses lectures et des réflexions même très militaires avec son épouse. La famille prend ainsi une place décisive à côté du devoir militaire, du service, et de la fierté pour Détrie de commander des unités efficaces (avance maximale en avril 1917 devant Berry-au-Bac). Ainsi se dessine pour l’historien, «l’esprit militaire » qui anime ce cadre supérieur de l’armée baigné de culture militaire, immergé dans la guerre. En date du 11 novembre 1918 et évoquant l’idée de victoire, il écrit : « Nous sommes trop plongés dans l’ambiance habituelle de ces quatre ans de guerre, pour pouvoir dégager complètement des impressions qu’elle comporte. » D’autant que pour le 94e R.I., la guerre se terminera plusieurs mois plus tard après la réoccupation de l’Alsace et le défilé de la Victoire sur les Champs Elysées le 14 juillet 1919.

Bibliographie :

DÉTRIE Paul (général), Lettres du front à sa femme (5 août 1914 – 26 février 1919), Grenoble, Point Com’ Editions, 1995, 583 p.

THUILLIER Alphonse, Un bleuet du 94e R.I., dactylographié relié, UNC Seine-Maritime, 1981, 195 p.

Lafon Alexandre, juin 2012

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Petit, Louis (1892-1971)

Voici un fonds très hétéroclite et qui pourrait paraître au premier abord sans grand intérêt : quelques feuillets d’un carnet de guerre (quelques mois de 1915), de quelques lettres et de photographies, que complètent deux ou trois documents officielles. Nombre de familles conservent ces sortes de « traces » réduites de l’expérience de guerre de leurs aïeux. Ici, celle de Louis Joseph Paul Petit. Elles viennent pourtant apporter, toujours ou presque, un éclairage nouveau ou complémentaire sur la pluralité des expériences de guerre.

Originaire de Tunisie et titulaire du baccalauréat, Louis Petit effectue son service militaire dans le Génie en 1913 avant de connaître le front français à partir d’avril 1915, date à laquelle il commence la rédaction de son carnet destiné à sa fiancée et dans lequel il souhaite « au jour le jour » relever « les incidents qui marqueront [sa] campagne » : « J’espère que je n’aurai pas besoin des nombreux feuillets qui composent ce carnet et que bientôt je viendrai moi-même te l’apporter. » Il tient donc un carnet  à la faveur de son temps libre et de son inspiration jusqu’au 28 septembre 1915, date à laquelle il est gravement touché par des éclats d’obus lors des combats dans la Marne. Evacué sur un hôpital d’Angoulême, il est définitivement réformé le 30 décembre 1916.

Mobilisé au 8e Génie, Louis Petit est employé au front comme télégraphiste, chargé essentiellement de construire des lignes reliant les PC des divisions et brigades. Il se rapproche en cela de l’expérience du Gaston Lavy, mais qui se trouvait lui intégré dans les compagnies d’infanterie au feu. Louis Petit ne connaît la ligne de front que lorsqu’il choisit de venir l’observer ou lorsqu’il choisit d’apporter le courrier « aux camarades en 1ère ligne ». Comme soldat et moins comme combattant, il croise en arrière des pièces d’artillerie, gendarmes, cavaliers ou marins, plus souvent des territoriaux que des soldats de l’active. Son baptême du feu est d’ailleurs limité à quelques bombardements destinés en avril 1915 à l’artillerie française. Mais ces épisodes ne concernent que des moments limités de son expérience de guerre, toute entière ou presque consacrée à son « métier », son « emploi », à ses « postes » de travail. Louis Petit est un ouvrier du front mais soumis à l’autorité militaire avec laquelle il se débat souvent (il refuse par exemple et s’en plaint à son sergent que certains soldats soient moins soumis aux corvées que lui), spectateur du combat plus qu’acteur, témoin d’épisodes guerriers qu’il vit à distance (emploi des gaz à Ypres en avril 1915 dont il se fait l’écho). Il assiste le 1er juillet 1915 par exemple à l’arrière des lignes avec un groupe importants de soldats à un combat d’avions : « Les plantons du poste s’efforcent de faire circuler les curieux (…) », note-t-il alors. Et d’ajouter à l’issu du duel et après en avoir raconté tous les détails : « Le trophée nous échappe, et on se sépare commentant le spectacle. »

De la Belgique (Poperinge) à la Lorraine (Rosières), Louis Petit témoigne d’une existence qu’il qualifie souvent de « monotone ». Il retient les quelques liens de camaraderie mais très minces qu’il put nouer, mais surtout les tensions nées d’une vie quotidienne passée en commun dans la guerre : autour de la répartition des tâches, autour des permissions qu’il attend avec beaucoup d’impatience à l’été 1915. Pendant son court séjour dans la zone des Armées, il ne semble trouver du réconfort qu’au moment des cérémonies religieuses et lors de la réception du courrier. Quelques plaisirs simples viennent agrémenter le quotidien, comme le bain dans la Meurthe et quelques visites touristiques dans les villes proche de l’arrière front (Nancy), mais à l’ombre des tombes des soldats de 1914, qui incarnent la guerre pour le jeune sapeur télégraphiste devenu caporal en août 1915 qui vit largement, jusqu’à sa blessure, loin de toute tranchée et des uniformes « boches ».

Bibliographie complémentaire : LAVY Gaston, Ma Grande Guerre, récit et dessins, Paris, Larousse, 2008, 318 p.

Alexandre Lafon, juin 2012

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Bonnet, Léonie (1892-1972)

Née dans une famille nombreuse protestante de l’Albret (Lot-et-Garonne), Léonie Bonnet trouva à vingt ans et après plusieurs expériences professionnelles sa vocation de garde malade puis d’infirmière à Bordeaux. Elle partit ensuite pour le Doubs, soigna les premiers blessés en Alsace en 1914 avant de revenir à Bordeaux au côté du médecin colonel Bergonié à l’hôpital complémentaire de Grand Lebrun. Elle devient en avril 1916 infirmière militaire titulaire. La jeune femme fut mandatée en mars et avril 1917 pour suivre à Paris, à l’école Édith-Cavell et à l’Institut Pierre-Curie, les cours de manipulatrice en radiologie de Marie Curie. À la fin de son stage, munie de son diplôme d’aide-radiologiste, elle revint à l’Hôpital complémentaire n°4 où elle reprit son poste jusqu’au début du mois de juin 1917. Sans doute pour fuir une relation pesante, elle quitte avec deux de ses camarades Bordeaux le 21 juin 1917 pour l’hôpital militaire de Belfort près du front. Entre juin et juillet 1918, elle intègre une équipe chirurgicale mobile dans la Meuse et termine finalement la guerre à Bordeaux, dans un service de grands blessés, et ce encore bien après l’armistice de 1918.

Elle laisse de cette période une correspondance, un journal (21 juin – décembre 1917) et quelques photographies qui ont bénéficié d’une publication aux Editions d’Albret en 2008. L’ensemble de ces sources directes permet de suivre le travail d’une infirmière militaire soumise aux bombardements des avions et de l’artillerie lourde allemande, soumise au stress de l’arrivée massive de blessés lors des grandes offensives. Celle du printemps 1918, lancée par les Allemands, est de ce point de vue la plus éprouvante : « Jamais je n’avais eu si horreur de la guerre ; je n’étais plus une infirmière mais une ensevelisseuse (…) » (lettre du 2 avril 1918). Loin des caricatures patriotiques et des discours mobilisateurs, Léonie Bonnet donne à lire un témoignage poignant de ce que pouvait être le quotidien d’une infirmière en guerre. Animée d’une volonté de servir, Léonie s’emploie à faire le maximum pour venir en aide aux blessés. Tantôt image de la mère, de la femme, de l’amante, elle décrit avec empathie le sort des soldats diminués et relève le 2 juillet 1917 : « ces chers petits (…) ne chantent plus comme en août 1914, lorsque nous les regardions passer des fenêtres de l’hôpital de Montbéliard. » Le travail harassant devient difficile lorsque Léonie perd certaines de ses camarades tuées lors des bombardements allemands.

Plus qu’un récit de guerre, le journal intime de Léonie Bonnet livre aussi les réflexions d’une jeune femme éprise de liberté et d’autonomie, qui trouve dans le conflit un espace pour sortir d’un destin tout tracé « A Bordeaux, jamais je ne serais sortie ainsi, ici je ne connais personne, ça m’est égal et je suis folle de joie de me sentir enfin en liberté sous ce déguisement civil » (9 juillet 1917). Elle admire en cela le courage de certaines de ses amies qui arrivent à se faire prendre en photo dans Belfort au côté de plusieurs soldats.

Un tel témoignage conduit ainsi l’historien à la fois sur le terrain de l’histoire militaire, sociale, mais aussi vers l’histoire des genres et celle des corps, abondamment accessibles par le témoignage de Léonie Bonnet, infirmière de guerre.

Bibliographie : LAFON Alexandre, PIOT Céline, « Aimer et travailler ». Léonie Bonnet, une infirmière militaire dans la Grande Guerre, Nérac, Éditions d’Albret, 2008, 191 p.

Alexandre Lafon, juin 2012

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