Christophe, Victor (1891- ?)

1.   Le témoin

Né en 1891 ; jeune paysan, mobilisé le 31 juillet 1914 au 150e R.I. en tant que musicien ; d’après ces carnets, Victor Christophe vécut l’essentiel de la guerre à proximité du front, c’est-à-dire suffisamment près pour subir la chute plus ou moins aléatoire d’obus ; un certain nombre de ses camarades sont d’ailleurs blessés ou tués près de lui ; mais son regard et ses commentaires sont ceux d’un soldat qui ne connut pas l’expérience directe des tranchées de premières lignes ; ses activités consistent à transporter des blessés, du matériel ; à participer aux défilés et diverses cérémonies qui à l’arrière du front (à plusieurs kilomètres) s’agrémentent de musique militaire. Chose étrange, nous ignorons même de quel instrument joue ce musicien…

Pendant toute la guerre, il ne rejoint son village de Bas-Lieu (canton d’Avesnes, Nord) alors en zone occupée, que pour une permission obtenue en janvier 1919 ; pendant l’occupation, il passe ses autres permissions à Paris (une visite au Havre et à Rouen) où se trouvent certains membres de sa famille ; il n’est démobilisé qu’en juillet 1919.

2.   Le témoignage :

Le texte des carnets de guerre de Victor Christophe a été établi par Paul Christophe, son fils, pour leur édition dans l’ouvrage : Journaux de combattants et de civils de la France du Nord, introduction et notes d’Annette Becker, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1998, p. 17-105.

Le carnet couvre irrégulièrement les années de guerre : l’année 1914 n’est renseignée que du 30 juillet au 20 septembre ; l’année 1915 du 1er janvier au 25 mai (24 dates seulement sont renseignées); l’année 1916 est en revanche beaucoup mieux nourrie (142 dates renseignées); l’année 1917 (121 dates renseignées) ; l’année 1918 (54 dates renseignées) ;

Notons qu’un certain nombre de […] laissent à penser que certains passages n’ont pas été retenus pour la publication. Mais nous ne disposons d’aucune information plus précise à ce sujet.

3.   L’analyse

L’année 1914 se caractérise par une longue marche commencée avec l’offensive de Lorraine qui tourne court : 22-23 août 1914, bientôt suivie par la retraite sous une chaleur torride. Puis, à partir du 6 septembre, Christophe suit le nouveau mouvement vers l’avant. Il parvient le 20 septembre à Verdun, cantonné à la caserne Miribel. Pour l’année 1914, les carnets recèlent une longue liste des communes traversées et retraversées.

En tant que musicien, ce soldat est affecté à ce que l’on appelle une C.H.R., compagnie hors rang. Pendant que les soldats « dans le rang » de son régiment, le 150e R.I. participent à la douloureuse et mortelle guerre de tranchées, Victor Christophe connaît la vie de l’arrière-front qui, sans être exempte de tout danger (il y a parfois des pluies d’obus meurtriers Cf. 13 avril ; 30 septembre, 13 octobre 1916) est fort supportable, de l’aveu même de l’auteur des carnets, bien conscient de ses privilèges (13 avril 1916 : « […] ma foi, nous sommes mieux là encore qu’en première ligne » ; 3 octobre 1916 : « Par ce mauvais temps, nous sommes encore des heureux à côté de nos camarades qui sont en lignes). L’ennemi le plus redoutable est souvent le rat qui avec le bruit de la canonnade ou des avions bombardiers empêche les musiciens de dormir (15 février 1916) : « […] toute la nuit on pouvait entendre din, din, din, les rats venant mordre le bout de viande et faisant tinter la clochette Et voilà comment la guerre se passe le plus agréablement qu’il est possible de la rendre, bien que ce ne soit pas toujours possible »…

Moral

On sait que V. Christophe fréquente les églises, assiste aux messes lorsque son service lui en offre le loisir (par ex. 9 avril 1916) et peut-être a-t-il été marqué par un type de discours catholique fort présent à l’arrière-front et à l’arrière ; toujours est-il que le 1er mars 1916, il reprend à son compte l’idée que la guerre et ses souffrances sont une punition : « […] la privation aura aboli ces désirs luxueux qui nous faisaient nous plaindre dans l’abondance. Trop gâtés nous étions, pauvres Français ! »… Mais comme on va le voir, cette tournure d’esprit va considérablement évoluer. Et très rapidement.

En effet, le moral du jeune homme, paysan sensible au temps qu’il fait, aux changements de saison est très fluctuant ; la longueur de la guerre lui pèse ; le 14 mars 1916,  dans le secteur de Verdun, mais toujours à bonne distance de la ligne de feu, Christophe écrit : « […] Le canon donne un peu moins en ce moment : et dire qu’en ces journées de printemps on se sent si bien vivre et qu’à quelques kilomètres la mort se sème à flots ! » ; idem, le 16 mars 1916 ; à nouveau le 2 avril 1916 : « Encore du beau temps ! C’est malheureux de s’entretuer par du temps semblable… » ; et le 9 avril 1916 : « Dimanche de la Passion aujourd’hui. Profitant d’un court répit, je vais entendre la messe. Depuis le matin, retentit un formidable bombardement sur notre ancien secteur, le Mort-Homme. Allons, voilà que je ne sais plus quoi ! On devient un peu dingot dans ce métier, il n’y a pas à douter ! L’ancienne existence reviendra-t-elle ? On se le demande souvent, surtout en ces jours où l’on peut constater et apprécier les délices de la vie civile. Enfin, espérons toujours et ne perdons pas courage. » ; les carnets de Victor Christophe témoignent de ce que les soldats de l’arrière-front s’adaptent et s’accomodent relativement bien de la guerre qui fait rage à quelques kilomètres ; ils aménagent leurs nouvelles vies, comme ils aménagent leurs logements successifs : le 23 avril 1916 : « […] Après la soupe, en allant voir quelques musiciens cantonnés un peu plus loin, je rencontre Dindin qui m’invite à boire un quart de vin avec ses camarades. On boit un quart, deux quarts, trois quarts, une gnole, deux gnoles, trois gnoles si bien que je regagne le tas de couvertures qui me sert de « plume », un peu ému ! Enfin, c’est la guerre. »

La chute du moral des défenseurs de Verdun :

La distance vis-à-vis de la ligne de front proprement dite n’empêche pas Victor Christophe de prendre conscience de la chute du moral des troupes combattantes du secteur de Verdun descendues au repos (ici celles attachées à la 40e D.I.) et de livrer un certain nombre d’indices et de commentaires intéressants ; à nouveau il se montre conscient de l’écart séparant la ligne de feu de la zone arrière : 2 juillet 1916 ; 8 juillet 1916 : « Sommes toujours au ravin de Boncourt. Les correspondances sont terriblement retardées : 60% sont ouvertes […]. Pour ma part, ceci ne m’étonne qu’à demi : des troupes arrivant d’un pareil carnage ont forcément le moral un peu atteint. Je comprends très bien que des hommes occupant depuis 20 mois un secteur tranquille, cultivant des jardins, pouvant se ravitailler aux villes voisines conservent cette haute pensée de la victoire proche et facile. […] Mais quand ces mêmes hommes sont soumis pendant 3 périodes de 23, 21 et 16 jours à un bombardement infernal comme celui de Verdun, eh bien ! ceci bouleverse la cervelle (nombreuses désertions), explique un peu la conduite de ces hommes abandonnant leur poste. Il est certain que ces soldats soumis par la pensée à cette idée fixe de se retrouver au milieu d’un semblable enfer, auraient traversé un peloton d’exécution plutôt que de rejoindre avec leurs camarades. L’esprit reposé, les nerfs calmes, ces malheureux revenaient se rendre comme des écoliers en faute. Quelles terribles crises le cerveau de ces pauvres aura-t-il traversées ! Enfin ! nous nous devons toujours tout entiers à la patrie en danger. » ; 18 août 1916 : « […] A midi un sergent du 154 amène un homme déserteur de Verdun. Tous ces malheureux regrettent leur acte en pensant à leurs « vieux » comme ils disent. Pour la plupart au front depuis le début, une minute d’égarement et de non-réflexion sous Verdun leur vaut plusieurs années de travaux publics, quand ce n’est pas la mort. Celui-ci s’en tire avec 10 ans après les 21 jours de prévôté, touchant la demi-ration : 21 haricots ! dit-il d’un air mélancolique cuisinés par un maçon ou un terrassier. Et ni tabac, ni « pinard » ! Tous veulent racheter leur faute : 3 patrouilles, disent-ils, amenant une citation, plus 3 mois de conduite exemplaire donnent droit à la feuille de réhabilitation ».

Dans la Somme, le 26 septembre 1916, il est témoin d’une punition infligée à un soldat anglais : « […] il est attaché à la roue d’un caisson »

L’ennemi :

Victor Christophe plaint régulièrement ses camarades en ligne ; le 3 octobre 1916, il plaint aussi ceux d’en face : «  Les tranchées boches conquises sont entièrement bouleversées et nos troupes s’installent dans les trous d’obus. Quoi de plus terrible que la position de ces malheureux sous la pluie et la mitraille et sans aucun abri ! Quant aux boches, ils sont au moins aussi malheureux, avec ce que nous leur balançons. Des camarades du 73e nous disent : « Ces malheureux présentent un tel aspect d’effroi quand ils crient  « Kamarades » que le plus endurci d’entre nous, bien qu’exalté par la chaleur de l’action, est dans l’impossibilité de leur tirer dessus »…» ; de telles réflexions alternent avec d’autres plus hostiles (5 août 1917, 6 novembre 1918 ).

Emotion patriotique :

21 janvier 1917, lors d’un concert offert aux troupes au repos à Maffrécourt, la Marseillaise produit un grand effet sur l’assistance : « […] tous, officiers et soldats furent littéralement subjugués, hypnotisés ! rien ne pouvait arrêter ces paroles accompagnées de gestes émouvants ; pas même la baguette de notre chef dirigeant la musique. Et bissé et applaudi de tous, Goavec dut nous chanter le troisième couplet […]. En vérité, scène patriotique ne m’avait jamais produit semblable émotion. […] Vraiment dommage que le général soit parti si tôt. Voici deux bonnes journées passées qui font un peu oublier les misères de la guerre… ». A-t-on affaire à l’expression d’un patriotisme « exalté » ? Ou à une manifestation d’explosion nerveuse d’hommes ayant été soumis à une forte et longue tension ? difficile de trancher. Néanmoins, V. Christophe observe à quel point la guerre pèse sur les corps et sur les esprits : 22 septembre 1918 : « […] à la longue, après ces quatre années, l’abrutissement nous gagne. On sent cette fatigue nerveuse en remarquant les camarades s’énerver , s’emporter pour un rien : en s’étudiant bien, on constate que l’on fait exactement la même chose. Ô guerre ! » ; à l’inverse, le 12 novembre 1918 : « Aujourd’hui, premier jour de la paix, hier était le 1561e de la guerre ! On n’y croit pas encore ! Comme la vie de misères, celle de bien-être reviendra peu à peu. Mais la physionomie de tous se déride : on s’aborde le sourire aux lèvres »…

L’offensive Nivelle : Victor Christophe n’y prend pas part en première ligne mais un certain nombre de ses camarades musiciens participent à l’assaut ; ces carnets nous renseignent sur la rapidité avec laquelle les troupes stationnées à l’arrière-front ont perçu la catastrophe, notamment au travers de l’afflux des blessés (Cf. Antoine Prost, « Le désastre sanitaire du Chemin des Dames », in Nicolas Offenstadt (dir.),  Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 137-151.): entrées du 16 avril, 17 avril ; 18 avril : « Dès le matin, nous apprenons que le régiment est relevé. Gurat, Albert et Achille arrivent vers 8 heures, nous confirmant malheureusement les pertes terribles de notre régiment et son échec en face des positions ennemies redoutables du Mont Sapigneul, non détruites par l’artillerie. Le 114e nous relève. Et la pluie tombe toujours ! Par-dessus tout, le canon tonne, terrible » ; 19 avril : « […] A partir de 15 heures un roulement de canonnade donne, terrible, sur l’ensemble du secteur. Quel carnage effroyable ce doit être. A 15 h 30 passe un important peloton de prisonniers : 500, dit-on. Les nouvelles concernant le 150e ne sont guère encourageantes malgré l’entrain des officiers et des hommes. Après être sortis et avancés un peu, les malheureux furent hachés par un terrible feu de mitrailleuses. […] La C.H.R., le fusil en mains, se préparait à repousser les boches : quelle mêlée et quel carnage ! »… 22 avril : « […] Et dire que cette hécatombe eut lieu en 2 heures et demie ! »

Russes et Russie sont évoqués à trois occasions : tout d’abord,  V. Christophe essaye d’entrer en contact avec des soldats russes présents au Chemin des Dames (20 avril 1917) mais : « Pas facile de se comprendre sinon au moyen d’un dictionnaire que l’un d’entre eux sort aussitôt ». Cf. Rémy Cazals, « Soldats russes en France. Entre guerre et révolution », in Nicolas Offenstadt (dir.),  Le Chemin des Dames. De l’événement à la mémoire, Paris, Stock, 2004, p. 217-225. Ensuite, comme de nombreux soldats, Christophe s’inquiète des événements révolutionnaires qui éclatent en Russie : 12 septembre 1917 : « La guerre civile éclate en Russie. Le généralissime marche contre le gouvernement : pauvre Russie ! ». Le 3 novembre 1917, l’échec italien de Caporetto est mis sur le compte de la « crise russe » ; le 18 décembre 1917, l’armistice signé par les Russes est ainsi commenté : « Que va-t-il donc sortir de tout ceci ? Un gros effort des Allemands va sûrement être donné sur notre front. J’espère que nos hauts dirigeants prévoient le fait de même qu’ils obvient pour pouvoir répondre à la formidable invasion aérienne ennemie qui aura lieu sans nul doute l’an prochain. Eux construisent, nous… jusque-là, avons causé ! » ; à nouveau, une critique à peine voilée à l’endroit des dirigeants français. Enfin, le 8 juillet 1919, Christophe s’installe au camp de Mailly. Le lendemain il évoque une dernière fois les troupes russes : (9 juillet) : « Aménagement du cantonnement. 8 000 Russes sont ici encore, prisonniers des allemands, libérés à l’armistice. Ils refusent de travailler et même de préparer leur nourriture. Une petite révolte de leur part a eu lieu ces jours derniers : quelques tanks chargèrent, paraît-il, des 75 prirent le réglage : au bilan 6 ou 7 tués ! C’est toujours la guerre ! »…

Après l’échec du Chemin des Dames, il est notable que le ton de V. Christophe devient volontiers sarcastique, ce qui peut témoigner de la baisse de son propre moral ; dès lors, il émet de plus en plus de doutes sur le degré de préparation des autorités françaises ; le 30 mai 1917, il assiste au mitraillage d’une saucisse par un avion allemand : « […] L’observateur du ballon, sans attendre une seconde, saute avec son parachute et quelques minutes après (délai que je n’arrive pas à expliquer) une flamme jaillit à l’un des bouts du « captif » qui, rapidement consumé, s’abat sur le sol. Encore quelque billets de mille volatilisés ! Heureusement que nous avons la maîtrise de l’air. Que serait-ce si nous ne l’avions pas ! Pendant ce temps, nos « as » se reposent sans doute ! » Comme s’il s’en voulait de cette remarque, il conclut par une forme d’auto-dénonciation : « (Esprit infâme !) » ; mais dès le lendemain, il récidive : (31 mai) « […] Ce soir, nos avions montent la garde autour des observateurs : ce n’est pas trop tôt ! » ; le 23 juillet (1917), le ton devient franchement acerbe pour ne pas dire subversif : (Verdun) « 22 juillet 1917. Plusieurs cimetières rappellent ici les hécatombes de l’année dernière. Que de deuils hélas ! accrus tous les jours pour satisfaire l’orgueil de quelques déséquilibrés ! ». Quelques semaines plus tard, la visite de cimetières militaires retrempe sa « haine » de l’ennemi : (5 août 1917): « […] Que de cocardes tricolores représentant hélas ! autant de morts. Et quand l’on voit ces malheureux étendus par milliers, ces ruines sur lesquelles ces barbares s’acharnèrent, la raison de l’homme le plus paisible commande de faire payer ces misérables » ; mais peu à peu, la lassitude de la guerre semble l’emporter sur toute autre considération : 1er décembre 1917 : « 40 mois de guerre ! Quand donc la fin de cette tuerie ?» ; 12 février 1918 : « […] De nouveau, voici la voix qui revient au canon. […] Que de barbarie en cette Europe civilisée !.. » ; 20 août 1918 : « Liberté, égalité, fraternité sont-ils un idéal atteint ou à atteindre… »

Mutineries : s’il a connaissance des « troubles », V. Christophe demeure fort discret dans ses considérations : « 7 juin (1917) : ce matin, les ordres sont changés et nous allons à Romigny. […] A l’arrivée, je comprends pourquoi nous ne sommes pas allés cantonner à Sarcy : tout simplement à cause de troubles de troupes cantonnées à Villers-en-Tardenois. Ces dernière ont, paraît-il, mitraillé ces jours derniers celles cantonnées à Romigny. Ça marche, la guerre ! Grève des midinettes à Paris : tout s’enchaîne à merveille ! » ; pour autant, même si ce soldat reste à distance de ces troubles, son esprit porte néanmoins la marque du « mauvais » état d’esprit ambiant au lendemain de l’échec du Chemin des Dames.

Cas de grippe espagnole (24 septembre 1918).

Enfants de l’ennemi : 12 novembre 1918 : « […] M. le médecin Marceau, de notre régiment, a hier, à Wadelincourt, accouché une jeune fille de 16 ans ½ , d’un petit allemand ! Nombreux sont les cas semblables ». Cf. Stéphane Audoin-Rouzeau, L’Enfant de l’ennemi, 1914-1918, Paris, Aubier, 1995.

Délitement de l’armée allemande : 16 décembre 1918 : « Séjour à Faulquemont. On trouve ici beaucoup de choses encore ; les magasins sont approvisionnés. Les prix varient avec ceux de la France suivant l’objet ou la marchandise sont plus ou moins rares. Une habitante nous raconte qu’à leur départ les soldats allemands malmenaient leurs officiers, les dégradant, etc. tous n’avaient qu’un but, rentrer chez eux. »

Au total, ce témoignage d’un soldat de l’arrière-front, malgré sa distance des tranchées, malgré son style discret et sans effet, s’avère utile en ce qu’il complète notre connaissance de l’expérience spécifique des soldats non combattants qui à leur place, fort différentes de celle des combattants véritables, ont également fait marcher la machine de guerre.

Frédéric Rousseau, avril 2008.

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Thuillier, Alphonse (1896-…)

1. Le témoin

Né en 1896 dans une nombreuse (17 enfants) famille rurale du pays de Caux (Seine-Maritime), titulaire du certificat d’études, Alphonse Thuillier est manœuvre lorsqu’il est incorporé en 1916, à 18 ans, au 94e RI. Il passe du temps au dépôt et en camp (Rennes), arrive au front en décembre, et combat notamment au Chemin des Dames en 1917.

2. Le témoignage

Il prend des notes quotidiennes qui forment la base de ce texte écrit bien plus tard, lorsque l’auteur est à la retraite.

Mes mémoires de soldat. Un bleuet du 94e RI, Rouen, 1981, 195 p., illustrations.

Cote B.N.F. : 8-LN27-93550

3. Analyse

Dans ce texte simple et riche, on trouve peu de jugements sur la guerre, mais des préoccupations concrètes, ainsi de nombreuses anecdotes sur l’hygiène, l’alimentation, la vie de camp et de cantonnement, l’attente de la démobilisation. Les rapports sociaux au front (altercations, jalousies, camaraderie liée à l’origine géographique) sont largement décrits. Un des intérêts du texte est d’émaner d’un soldat « bleuet » de la classe 1916, qui rejoint le front dans les dernières années de la guerre.

Quelques extraits :

La découverte des combats le 16 avril 1917 : « je ne me rappelle pas de leurs noms mais nous les jeunes cela nous avait touché, c’était la première fois que nous voyions des morts à la guerre et comme nous les connaissions, cela nous faisait encore plus de peine. » (49)

Le dérapage dans la violence : « une chose qu’il est triste à rappeler, mais c’était la guerre et avec l’exaltation de la poudre, l’on ne peut peut-être pas répondre de tous ses actes (…) ils firent « Kamarade » en levant les bras, mais exaltés par la fureur avec laquelle ils avaient tiré dans le dos des nôtres, le Lieutenant Defaix nous dit: « Tirez, mais tirez, n’en laissez pas », nous tirons sans épauler, même sur ceux qui sortaient de la sape les bras en l’air, peut-être tirions-nous à plusieurs sur le même » (72-73)

A un camarade nommé ordonnance d’un officier : « maintenant tu as le filon, tu feras l’attaque dans le P.C. » p. 78

Fatalisme : « quand l’un de nous était marqué de la mort, il ne pouvait y fuir » (79)

Altercation, quand un Lieutenant bouscule un sergent : « « si vous n’aviez pas vos galons, je vous remettrais à votre place », le Lieutenant lui répondit : « S’il n’y a que cela, je suis ton homme ! », il déboutonna sa veste, la défit, et ils allaient s’empoigner, les Officiers qui étaient là les empêchèrent de se battre. » (80)

André Loez, avril 2008

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Barge, François (1894-1957)

1. Le témoin

François Barge, paysan né le 5 juillet 1894 dans l’Allier, quitte l’école à 12 ans. Mobilisé comme soldat puis comme caporal au 142e RI, qu’il rejoint en avril 1915.

2. Le témoignage

Avoir vingt ans dans les tranchées, Saint Pourçain-sur-Sioule, C.D.R.P., 1984, 30+XXXIV p.

Le texte, très court, a été écrit en captivité sur un carnet donc deux pages sont reproduites. La publication est le fruit d’un travail de professeurs et d’élèves de la classe de 1re B du Lycée Blaise de Vigenère de Saint-Pourçain-sur-Sioule, qui proposent un appareil critique simple mais réussi en vis-à-vis de chaque page transcrite (orthographe respectée). Des passages d’autres témoignages (Barthas) sont aussi placés en écho au texte. À noter, un graphique très révélateur du temps du récit et du temps réel, qui permet de voir quelles places occupent dans la narration des épisodes plus ou moins intenses (dépôt, attaque).

3. Analyse

François Barge propose un récit court, simple mais très riche, et dont le ton direct, souvent drôle par son laconisme et ses tournures, fait l’intérêt. Il rejoint le front en avril 1915, combat en Champagne, puis à Verdun (Tavannes) en 1916 où il est fait prisonnier.

Son témoignage, qui contient beaucoup de notations agricoles, montre un jeune soldat grand amateur de « pinard » : « moi ayant bu un coup de pinard, il me faisait de la peine à marcher, mon sac très lourd et ma tête plus lourde encore, je me pensais en moi-même : comment cela va-t-il se passer ? » (8)

Il décrit de manière sobre et efficace les attaques auxquelles il participe, et se livre également à des moments d’introspection, repensant à la « jolie blonde » connue en « convalo ». Il a pour l’armée, le bourrage de crâne et la guerre une résignation indifférente : « pendant ce repos, j’ai été nommé soldat de 1ère classe le huit janvier. Cela ne m’a pas fait aussi plaisir que si j’avais obtenu huit jours de perm. » (13).

Il connaît un épisode de fraternisation dû à une tranchée inondée, ce qui ne l’empêche pas d’écrire « sales boches » quelques pages plus loin. Fait prisonnier en juin 1916, il note avec précision son itinéraire, et devient travailleur agricole en Allemagne.

André Loez, avril 2008

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Dorgelès (Lécavelé dit), Roland (1885-1973)

1. Le témoin

Né le 15 juin 1885 à Amiens (Somme). Père représentant d’une fabrique de tissus. Études à l’École des Arts décoratifs (1902…) ; Rédacteur au Service télégraphique de l’Agence de la Presse Nouvelle (jusqu’en 1909). À partir de 1907, écrit sous le pseudonyme de Dorgelès. Réformé en 1907 suite à un accident pulmonaire. Collabore à Messidor, Paris-Journal, Comœdia ; écrit des pièces de théâtre ; entre à L’Homme libre dirigé par Clemenceau le 5 mai 1913.

Engagé volontaire le 21 août 1914. Classes à Rouen au 74e R.I. ; rejoint son corps en Champagne le 15 septembre 1914 ; versé au 39e R.I. comme mitrailleur. Le 16 février 1915, participe à une attaque très meurtrière près de Berry-au-Bac (Aisne) ; au repos, commence à écrire les Croix de Bois. Le 9 juin 1915, il est blessé lors de la prise de Neuville-St-Vaast. Nommé caporal, reçoit la Croix de guerre. 7 septembre 1915, élève pilote au premier groupe d’aviation stationné à Longvic (Côte d’Or). 18 mars 1916, école d’aviation à Ambérieu. 21 juin, chute d’avion ; convalescence à l’hôpital de Bourg-en-Bresse (Ain). Termine la guerre comme inspecteur de l’aviation. Démobilisé le 1er avril 1919, le jour où paraît son grand succès Les Croix de Bois chez Albin Michel.

2. Le témoignage

Correspondance de guerre de Roland Dorgelès, publiée sous le titre Je t’écris de la tranchée. Correspondance de guerre, 1914-1917, préface de Micheline Dupray, introduction de Frédéric Rousseau, Paris, Albin Michel, 2003.

Sont publiées dans cet ouvrage deux cent soixante-dix lettres et cartes postales inédites, adressées pendant la guerre par Roland Dorgelès à différents membres de sa famille. Sa mère et sa femme Mado sont ses deux principales destinataires ; nous ne possédons que huit lettres adressées à son père ; sa sœur en reçoit sept auxquelles il faut ajouter quelques missives adressées au mari de celle-ci, mobilisé lui aussi ; cette correspondance est conservée à la bibliothèque de l’Arsenal, Paris, Ms 15148/55.

Deux cent vingt pièces concernent la période passée dans l’infanterie (novembre 1914 à mai 1915). Ce corpus est intéressant à double titre : il renseigne en premier lieu l’expérience combattante de l’écrivain et permet en outre de reconstituer, pas à pas, la généalogie des Croix de Bois. Le rapprochement des deux types de document, lettres et roman, permettent de repérer un certain nombre de correspondances. Dans une large mesure, et contrairement au jugement sévère porté par le critique Jean Norton Cru (Témoins. Essai d’analyse et de critique des souvenirs combattants édités en français de 1915 à 1928, Nancy, P.U.N., 2006 [1929 et 1993], p. 592 et ss.), ces lettres valident le roman Les Croix de bois en tant que témoignage de combattant.

3. Analyse

Cette correspondance mérite l’attention pour plusieurs raisons : en premier lieu, elle éclaire les biais inhérents à toute correspondance, et particulièrement à toute correspondance de guerre ; en effet, dans ses échanges épistolaires, Dorgelès, à l’instar de nombreux autres rédacteurs, déploie différentes stratégies d’écriture en fonction de son interlocuteur ; ainsi, dans les lettres à sa mère domine l’euphémisation des horreurs et souffrances liées à la guerre. Cela est particulièrement visible dans le courrier (trois lettres) daté du 11 novembre 1914 ; à sa mère, Roland donne le menu de son goûter ; à son père, quelques mots polis ponctués d’un sec « Rien à signaler ! » ; il faut alors lire la lettre adressée à sa sœur pour apprendre, un peu, ce qui se passe réellement : « Alerte ! Il paraît qu’à onze heures du soir, nous faisons attaque générale […]. Si le destin voulait que je laisse ma peau quelque part au combat, tu donneras à mère le mot ci-joint. Car je n’ai qu’une peur : quelle se tue. Accuse réception je te prie. C’est à mes yeux un dépôt sacré. ». Le mot-testament est publié à la suite de cette lettre (p. 102). En définitive, c’est surtout à Mado, sa femme, que Roland décrit sa guerre.

En second lieu, cette correspondance permet de retracer la trajectoire d’un engagé volontaire : en effet, Dorgelès, réformé, dut se porter volontaire pour participer à la guerre. Plusieurs éléments paraissent avoir motivé cet engagement : le départ de ses copains, celui de ses proches (son beau-frère notamment) pendant les chaudes journées d’août, la peur de manquer une grande aventure (Cf. Bleu horizon, Paris, Albin Michel, 1949, p. 47.); son sentiment patriotique (exprimé dans plusieurs lettres, 14 octobre, 4 décembre 1914); la curiosité aussi, celle d’un écrivain vis-à-vis de ce qu’il considère comme LE grand sujet d’écriture, la guerre (« 17 octobre 1914. […] Je crois qu’il y a quelque chose d’extraordinaire à écrire cela. Et si peu d’écrivains l’ont vu »; dans la lettre écrite le 5 novembre à sa mère, il écrit : « Tu comprends, je voulais absolument voir la guerre, car comment écrire mon livre sans cela ? » ; enfin, Dorgelès, là encore comme beaucoup d’autres, crut que la guerre serait courte (voir les lettres du 24, 27 novembre, 19 décembre 1914).

Or, dès l’automne 1914, la correspondance exprime la lassitude. Au printemps 1915, l’impatience devient de plus en plus pesante : « 27 mars. […] Un beau soleil de printemps ! Les bourgeons se posent en essaims sur les branches. Et nous sommes ici. Zut ! La Patrie, entre nous, on l’aime comme une maîtresse, c’est pourquoi il arrive qu’on la trouve un peu crampon… Enfin, j’attends, j’espère, je veux la Victoire, et sa fille aînée la Paix… ». Dès lors que l’on s’en tient aux seuls discours – à géométrie variable selon le destinataire – il est de fait très difficile d’apprécier les ondulations de cette longue patience impatiente du poilu Dorgelès. Ce passage, parmi d’autres, illustre parfaitement l’ambivalence et l’instabilité des sentiments de nombreux poilus et permet de soulever les questions suivantes : Dorgelès sacrifie-t-il au conformisme imposé par le climat de guerre ? Craint-il de décevoir les attentes de sa famille en leur révélant la mue en cours de son état d’esprit ? Courant juin, après l’engagement meurtrier de Neuville-St-Vaast, Roland confie à sa mère : « 19 juin 1915. […] Hélas, on va nous donner le casque ! Nous avons déjà le masque et les lunettes… Non, non, je n’étais pas fait pour cette guerre-là. Je me vois très bien en cheveau-léger, en garde française, en mousquetaire gris… (p. 297) » ; fin juin, pourtant, il écrit encore des mots très belliqueux : « ah ! vite qu’on franchisse les lignes et sa batte en plaine (p. 301) ». Que faut-il en penser ? Que peut-on en déduire ? Dans d’autres courriers rédigés durant cette période, l’écrivain évoque également la chance de ses amis blessés hospitalisés ou en convalescence, qui à Paris, Deauville, Dax ou Bordeaux : « 20 juin 1915. […] Les veinards ! ! ». Dans le même ordre d’idées, le 8 avril 1915, c’est ainsi qu’il commente la mutation de son beau-frère à l’Etat-Major : « Il a de la chance et j’en suis très heureux ». Notons, au passage, que l’expression « j’en suis très heureux » est soulignée dans l’original. Mais écrit-il cela pour ne pas peiner sa sœur ? Ou bien exprime-t-il alors le fond de sa pensée ? Difficile de trancher…

Finalement, au-delà des mots, c’est un fait qui permet de mesurer au plus près le changement d’état d’esprit de Dorgelès : en effet, au lendemain de la tuerie de Neuville-St-Vaast, il engage des démarches pour être affecté dans l’aviation, démarches qui aboutiront à l’automne. Ce transfert va lui permettre d’écrire son livre ; et en dépit d’un grave accident, sans doute aussi lui sauver la vie.

Cette correspondance permet aussi de documenter les séquences de fraternisations locales et de trêves tacites qui ont émaillé la guerre de position. Ainsi, les lettres du 24, 30 novembre 1914 ; à Noël 1914 : les lettres du 25 et surtout du 27 décembre : « À notre gauche, la nuit du réveillon, le 28e a eu de grosses pertes. Et la même nuit, à la même heure, sur notre droite (le 74e ) sortait de ses tranchées et nos soldats allaient trinquer, échanger des cigarettes avec les Allemands. Je trouve cela ignoble. Officiers blâmés par le général. » Cet épisode est confirmé par le Journal de Marche et d’opérations du 74e R.I. (Service Historique de la Défense, Vincennes) ainsi que par un autre témoin : Charles Toussaint, Petites histoires d’un glorieux régiment : vécues par Charles Toussaint, soldat de 1ère classe au 74e régiment d’infanterie en guerre, Montvillers, Binesse, 1973. En avril 1915, Roland annonce à Mado : « Hier soir, cette nuit plutôt, les Prussiens qui étaient en face de nous ont été relevés par des Saxons. A peine arrivés, ils se mirent à crier : « Kamarades français, dans les gourbis ! » Ils indiquaient par là que nous pouvions dormir tranquilles, qu’ils ne songeaient pas à attaquer ; Saxons et Bavarois ne sont pas belliqueux pour un liard ».

4. Pour aller plus loin :

Les autres œuvres de guerre de Roland Dorgelès aux éditions Albin Michel : Le Cabaret de la belle femme (1920) ; Saint Magloire (1922) ; Le Réveil des morts (1923) ; Bleu horizon, Pages de la Grande Guerre (1949).

Micheline Dupray, Roland Dorgelès. Un siècle de vie littéraire française, Albin Michel, 2000.

Jean Norton Cru, Témoins, op. cit. L’édition de 2006 s’accompagne d’une mise en perspective de l’œuvre du critique et de la reproduction du corpus des principales critiques dont fut l’objet Témoins lors de sa première sortie en 1929. Y figurent notamment celles émises par Roland Dorgelès.

Frédéric Rousseau, Le Procès des témoins de la Grande Guerre. L’Affaire Norton Cru, Paris, Le Seuil, 2003.

Frédéric Rousseau, avril 2008

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Granger, Ladislas (1885-1972)

1. Le témoin

Né le 28 janvier 1885 au village de Lancôme près de Blois, dans une famille de petits cultivateurs. Après des études primaires, obtint le certificat d’études. Devient horticulteur, travaille chez des maraîchers et chez des châtelains à l’entretien de parcs.

Service militaire du 1er octobre 1906 au 30 septembre 1908 au 113e R.I. à la caserne Maurice Saxe de Blois ; nommé caporal au bout d’un an.

À la sortie de son service militaire, s’installe dans l’Eure, comme jardinier. Il y épouse Lucie Rochard, cuisinière de château ; le 18 avril 1914 naît leur premier et seul enfant, Bernard.

Ladislas Granger est mobilisé à Blois au 313e R.I. le 4 août 1914. Il a 29 ans.

Il sert à la 18e compagnie du 5e bataillon du 313e R.I. d’août 1914 à décembre 1917. Il est alors versé au 4e Mixte de zouaves et de tirailleurs ; blessé, gazé en juin 1918 ; hôpital du Puy, puis convalescence jusqu’à fin octobre.

Au retour, après sa démobilisation le 20 mars 1919, il devient métayer, jardinier et régisseur du château de Fonthaute, à Cazoulès en Dordogne. Il meurt en 1972.

Note extraite de l’introduction : « Malgré le service de trois ans instauré en 1913 les régiments d’active n’étaient pas à effectif plein mais à la mobilisation les deux ou trois plus jeunes classes de réservistes suffisaient à les mettre sur pied de guerre et ils partaient aussitôt vers la frontière. Ensuite on « dérivait » de chaque régiment d’active un régiment « bis » dont le numéro était égal au sien augmenté de 200, d’où le 313e. Ces régiments incorporaient les réservistes plus anciens, jusqu’à la classe 1900 (et même 1899 en octobre 1914). […] on constate jusqu’à la fin que la majorité des soldats du 313e approchent de la trentaine ou souvent de la quarantaine, qu’ils sont pour la plupart mariés et pères de famille. Il faudra s’en souvenir pour comprendre l’ambiance du régiment. (p. 20-21)»

Les 2 245 soldats du 313e R.I. embarquent à la gare de Blois dans la nuit du 8 au 9 août 1914. Granger arrive à Saint-Mihiel dans la Meuse le 10 août. Concentration à Génicourt sur les bords de la Meuse entre Saint-Mihiel et Verdun. 21 août, Longuyon ; baptême du feu le 22, à Saint-Pancré près du Luxembourg belge.

Dès le 29 août, la retraite a conduit le 313e à Montfaucon ; le 2 septembre à Varennes. Après l’évacuation de l’Argonne, le régiment est à Villotte-devant-Louppy, au sud du massif. Une semaine plus tard, c’est au tour des Allemands d’évacuer l’Argonne ; le 313e reprend Clermont-en-Argonne, Vauquois et Varennes ; puis s’installe pour deux longues années dans cette région forestière (jusqu’en septembre 1916). L’Argonne fut, avec celui des Eparges, l’un des secteurs du front le plus touché par la guerre des mines et celle des gaz.

Sergent le 8 mars 1915, au retour de la bataille de Vauquois.

Secteur de Verdun : d’octobre à décembre 1916.

Chemin des Dames janvier-novembre 1917.

En novembre, les camarades de Granger sont envoyés en Italie pendant que celui-ci est en permission. Croix de guerre le 23 novembre 1917 (p. 194). Le 10 décembre 1917, le 313e R.I. est dissous ; Granger est versé au 4e Mixte de zouaves et de tirailleurs.

2. Le témoignage

Ces carnets ont été confiés par l’arrière petit-fils de Ladislas Granger à un enseignant en écho à une leçon consacrée à la Grande Guerre. Il s’agit de trois agendas 1915, 1916, 1917, remplis au jour le jour ; sont malheureusement portés manquants les agendas 1914 et 1918 ; à noter que ces carnets n’ont jamais été retouchés et probablement rarement, voire jamais, relus, ni par Granger, ni par ses proches.

Ces carnets ont fait l’objet d’une publication intégrale sous le titre : Carnets de guerre du sergent Granger 1915-1917, La Grande Guerre vécue et racontée au jour le jour par un paysan de France, présentés par Roger Girard, préface de Jules Maurin, Montpellier, E.S.I.D., U.M.R. 5609 du C.N.R.S., Université Paul Valéry, 1997.

Les lacunes peuvent être en partie comblées par les journaux de marche et d’opérations du 313e R.I. et du 4e Régiment mixte de zouaves et de tirailleurs.

En convalescence de juillet à octobre 1918. N’a pas participé aux offensives de la victoire.

3. Analyse

Combats :

À partir du 2 mars 1915, près de Vauquois (Argonne) : « 3 mars. Toute la nuit debout à veiller aux créneaux, nous sommes attaqués, mais soutenus par notre artillerie nous repoussons l’attaque, toute la journée, fusillade intense, pétard à main, grenade et crapouillots, c’est un vacarme épouvantable qui vous rend nerveux. Nous sommes bien approvisionnés, mais rien de chaud. Gniole en quantité. 4 mars. Toute la nuit en éveil et dans la journée nous attaquons après un terrible bombardement de notre artillerie ; un corps est projeté à 30 mètres de hauteur par un obus. Nous nous engageons dans un terrible corps à corps, mais nous revenons à nos positions, le terrain est couvert de cadavres. Quel terrifiant spectacle (page 35)» ; il s’agit du jour le plus meurtrier avec le 16 avril 1917.

Secteur de Verdun, octobre-décembre 1916. Janvier 1917, Champagne ; Hermonville près de Reims (3 janvier 1917) : ce séjour se distingue par sa tranquillité ; une note précise que le 313e bien qu’en ligne, n’a aucun tué du 1er janvier au 7 avril 1917 (p. 143). Voir le paragraphe sur l’offensive Nivelle.

À aucun moment, Granger n’exprime de haine pour l’ennemi ; bien que lisant régulièrement les journaux, ce paysan ne cède pas à l’hystérie vengeresse ; au contraire il plaint souvent ses vis-à-vis : « 5 avril 1915 : […] Nouvelle canonnade aussi intense qu’hier et les Boches ne doivent pas rire des 75 qui leur sifflent près des oreilles… (p. 41) » ; « 5 mai 1915. En première ligne, nous sommes assez tranquilles toute la journée, car les crapouillots ne voyagent pas, il est arrivé sans doute un accident chez les Boches, car il se produit une explosion et on entend des cris… (p. 45) » ; id. le 21 novembre 1915 (p. 75), le 22 décembre 1915 (p. 134) et le 9 février 1916 (p. 87) ; « 26 octobre 1916. […] Quel triste défilé de blessés que les brancardiers ont tant de mal à transporter à travers ce bourbier et ce terrain bouleversé par nos obus, les brancardiers boches volontaires aident les nôtres et se serrent la main après l’échauffourée passée ; quelle contradiction, c’est ainsi que la guerre dure puisque les prisonniers font la guerre encore (p. 130) » ; 29 octobre 1916 ;

Pas de grands mots non plus dans les notes quotidiennes : la patrie, la nation, la France, sont absents des carnets ; mais pas la famille pour laquelle l’attachement est si fort (p. 61, 85).

Homme de la terre, Granger est particulièrement sensible à la vie de la nature, aux ravages de la guerre portés aux arbres, aux paysages (p. 43) ; « 11 mai 1915. […] ces arbres si beaux ont péri silencieusement, le cœur traversé par la mitraille, sont restés insensibles au réveil du printemps (p. 48) ».

Comme beaucoup d’autres poilus, il vit la guerre comme un métier ; mais cela ne l’empêche pas d’être profondément traumatisé par les spectacles d’horreur auxquels il est exposé : « 2 mai 1915 : […] j’ai vu des travaux de terrassement formidables qui dépassent l’imagination, puis un Boche accroché dans un chêne, projeté et déchiqueté par l’explosion d’une mine, quel spectacle effrayant. (p. 44) » ; « 16 octobre 1916. [secteur de Verdun] […] Quel travail nous avons aujourd’hui ; il faut creuser un boyau au milieu des cadavres, c’est une infection. Quel charnier épouvantable, ce sont des morts couvert la terre, enterrés et déterrés successivement par les obus, l’air en est empoisonné. (p.129) »

Moral :

Une première notation négative à l’égard des chefs apparaît début 1916, indice d’une baisse du moral : « 3 janvier 1916. Aujourd’hui nous allons dans le ravin de 263 pour faire un réseau de fil de fer le long du ruisseau ; nous sommes près des Boches et ils nous envoient quelques coups de fusils ; il serait plus prudent d’y venir le matin ; mais nos chefs ne se rendent pas compte du danger car ils n’y viennent pas (p. 81-82) ». Plus largement, les notes quotidiennes permettent de suivre les ondulations du moral. Ainsi, avec les offensives de Champagne, grand est l’espoir d’en finir : « 22 septembre 1915. […] Nous sommes constamment en tenue d’alerte prêt à partir car la Grande Offensive est déclenchée et nous espérons être de la poursuite d’ici peu et nous irons de bon coeur ; quel soulagement de quitter l’Argonne. (p. 66-67) » ; mais très vite, le moral retombe : « 17 décembre 1915. […] toujours les mêmes occupations, les canonnades de jour et de nuit, et je me demande si ça finira un jour (p. 133) ; « 3 mars 1916. […] Journée sale et triste comme les conséquences de cette affreuse guerre… (p. 91) » ; « 29 avril 1916. […] le temps est beau et chaud et de nombreux aéros circulent en tous sens. Quel malheur de faire la guerre et de se tuer de ce beau temps, il ferait pourtant si bon vivre au pays près de ceux à qui nous pensons si souvent (p. 102) » ; « 11 juin 1916. […] Les musiques de tous les régiments viennent jouer près des lignes pour fêter la Victoire russe [en Galicie, Pologne autrichienne], quelle scène réconfortante, quel hourah dans la forêt (p. 109) » ; « 26 juin 1916. Le calme est revenu du côté de Verdun, mais hier toute la journée et surtout cette nuit, quelle canonnade, je ne me souviens pas avoir entendu pareil roulement ; quel acharnement, quelle boucherie se continue dans un acharnement sans nom… (p. 111) » ; « 7 décembre 1916. […] Les prisonniers boches de Douaumont travaillent avec nous à la réfection des routes, et nous songeons aux nôtres qui sont dans les mêmes conditions sous nos obus. Quelle cruelle et abominable guerre ; que d’atrocités (p. 136) » ; « 8 décembre 1916. […] Un obus tombe sur les Boches cantonnés dans les environs ; tués par leurs frères ; quelle guerre pleine d’horreurs (p. 137) » ; « 11 décembre 1916. […] Nous travaillons parmi les Boches à la réfection des routes, ils sont plus heureux que nous, mais c’est malheureux quand même d’être obligé de faire la guerre même étant prisonnier, il en est de même de l’autre côté (p 137) » ; « 14 décembre 1916. Nous sommes toujours terrés dans notre tranchée, les obus tombent et nous sommes enterrés plusieurs fois. C’est effrayant, et nous aspirons plus que jamais à la fin de cette guerre, de cette calamité sans nom. (p. 137) » ; « 18 décembre 1916. C’est toujours la même vie, nous faisons comme chaque nuit la corvée de ravitaillement des 1ères lignes et nous sommes bombardés chaque fois, des victimes à chaque instant. Quand finira cette terrible guerre qui dure depuis si longtemps, les 1ères atteintes de l’hiver nous font frémir en songeant à celles qui suivront. (p. 138) » ; « 13 mai 1917. Après avoir attendu avec une grande impatience une partie de la nuit, nous sommes enfin relevés et venons jusqu’à Roucy où nous passons 24 heures, nous sommes exténués de fatigues et nous dormons une partie du temps après avoir contemplé l’oeuvre de la nature, du printemps qui nous réjouit, nous égaye de sa verdure et de ses fleurs printanières ; quel dommage de faire la guerre, nous serions si heureux près des nôtres ; (p. 163-164) ». OBÉIR N’EST PAS CONSENTIR.

La mauvaise humeur à l’égard des artilleurs s’exprime à plusieurs reprises : « 28 mars 1916. […] les artilleurs ont trouvé un nouveau tir par rafales qu’ils appellent « tir de surprise » lesquels de ces tirs qui sont les meilleurs, en tous cas ils commencent à nous énerver avec leurs tirs, on est à moitié abruti, on va le devenir tout à fait.. (p. 97-98) » ; « 18 juillet 1916. […] Le soir un nouveau bombardement démolit nos tranchées à nouveau ; nous travaillons toute la nuit, nos artilleurs emm… les Boches sans relâches aussi ils se mettent en colère et nous envoient des gros calibres (p. 114.) »

Alcool : pour tenir dans les tranchées ; pour les oublier quand on est au repos ; « 4 avril 1916. […] Bonne santé, bon appétit ; nous avons du pinard acheté dans un pays à côté à 1.20 ; il y a quelques loustics ayant bu un quart de vin qui font le chahut (p 99) » ; 13 janvier 1917 : la gniole est supprimée aux armées ; approvisionnement par les permissionnaires. Cela n’empêche pas les soûleries ; voir ci-dessous le paragraphe consacré aux mutineries au lendemain de l’offensive Nivelle.

L’offensive Nivelle :

Un secret bien gardé ( !): plus de dix jours avant le 16, l’offensive fait l’objet de toutes les conversations ; « 12 avril 1916. Alerte à 4 heures, la Cie prend position dans les parallèles pour entreprendre en même temps que les autres compagnies une reconnaissance dans les lignes ennemies ; le régiment fait 40 prisonniers, mais les Boches nous en ramassent plus de 100. L’avantage est bien petit car ces prisonniers vont donner des renseignements sur nos projets d’attaque (p. 155) » ;

Le moral avant la bataille n’est pas aussi bon qu’on le lit souvent : « 7 avril 1917. […] quelques-uns ont des idées noires, d’autres se résignent à leur sort (p. 154) » ; « 11 avril 1917. Nous restons là jusqu’au soir puis à la nuit nous changeons d’emplacement et appuyons sur la droite ; la section est en réserve dans des sapes au fond desquels il y a 30 cm d’eau, il y fait un froid terrible ; c’est bien malheureux de vivre ainsi sous terre pendant qu’il fait un beau soleil dehors ; que d’idées noires nous passent dans la tête ; et nous maudissons la guerre de tout notre coeur, quelle affreuse et cruelle chose (p. 155) » ;

L’attaque du 16 avril se déroule entre Craonne et Berry-au-Bac ; 17 avril, reprise de l’attaque au Bois des boches, forêt de Ville-aux-Bois ; attitude typique des prisonniers qui ont le sentiment d’avoir terminé leur guerre : « 17 avril 1917. […] les prisonniers étaient heureux de se débiner ; ils disaient : guerre finie pour nous et ils nous donnaient des poignées de main en disant « Kamarad » Françauss bon soldat ; ils donnaient ce qu’ils avaient sur eux, tabac, couteaux, etc. (p. 159) » ;

Lendemains d’offensive : relève le 19 avril ; repos ( ?) au camp de Bourgogne : nourriture insuffisante ; exercices ridicules ; dégradation rapide du moral (p. 159-160) ; et expression de propos défaitistes : « 28 avril 1917. Pour une fois nous avons un jour de vrai repos ; seulement une revue en armes et rapport quotidien à 13 :30. Toilette ; correspondance ; lecture du journal qui n’est guère intéressant ; cette grande offensive est ratée, pourtant que d’espoirs elle avait fait naître. Aussi la confiance s’en va avec cette crainte qu’il en sera toujours ainsi et que nous ne les aurons pas par les armes (p. 160-161) » ;

1er mai, retour en ligne, dans la plaine en face de Juvincourt ; relève le 13 mai ; repos à Roucy puis à Brouillet ; citation du 313e à l’ordre de la Division (25 mai 1917, p. 165). Mutinerie : quelques lignes seulement sur ces événements dans lesquels le 313e a été fortement impliqué : « 26 mai 1917. A la suite de la revue repos pour le Régt et toutes les punitions sont levées. C’est toujours la vie de cantonnement de repos, bonne table, forts coups de pinard, c’est la liberté illusoire et bienfaisante ; […] 27 mai. Grasse matinée, déjeuner, toilette, messe. C’est la bonne vie ici, qui à notre regret touche à sa fin bonne santé ; chaleur tropicale. 28 mai. Le matin exercice de cadre pour le Régt ; puis brusquement on nous apprend notre départ pour demain matin ; tout le reste de la journée, préparatifs de départ, distributions de vivres et de cartouches, revues ; il faut se coucher de bonne heure car demain matin réveil à 3 heures. Manifestations par quelques poilus agissant sous l’influence du pinard ; nuit mouvementée, tout se calme avec un maigre résultat pour les auteurs de ce désordre ; ils s’en repentiront à bref délai. 29 mai. Départ de Brouillet à 4 heures, arrivés à la ferme de l’Orme près de Montigny à 11 heures, nous avons eu la chance d’avoir un temps couvert et favorable pour la marche, nous sommes pourtant contents d’être arrivés et de rattraper le sommeil perdu la nuit dernière ; nous sommes dans des baraquements. Des mesures sont prises pour que le désordre d’hier ne se reproduise pas, et les auteurs sont traduits immédiatement devant le conseil de guerre ; tout est calme, service de quart la nuit (p. 168)» [Le soldat Henri Valembras est condamné à mort et exécuté le 13 juin, à Roucy ; de la classe 8, cultivateur, célibataire, il a frappé un capitaine à coups de pieds et de poings] ; retour en ligne au Bois-des-Boches. Voir Denis Rolland, La Grève des tranchées. Les mutineries de 1917, postface de Nicolas Offenstadt, Paris, Imago, 2005, p. 100-101.

Surveillance des trains de permissionnaires (p. 173)

Filons :

Quitter la tranchée le temps d’un stage d’instruction est ressenti comme une aubaine : « 25 novembre 1915. Je suis désigné pour une quinzaine comme instructeur aux bombardiers de Lochères ce qui me fait bien plaisir. […] c’est un filon et quinze jours à être tranquille et à l’abri…. (p. 75) ».

Cours de signalisation à Nogent-l’Hartault du 17 septembre au 10 octobre 1917 : « 17 septembre 1917. […] après avoir rempli les formalités, je reconnais le logement et me couche content d’une 1ère journée de filon (p. 185) » ; « 19 septembre 1917. Toute la durée du cours nous faisons de la signalisation et des signaux à tour de bras. […] C’est l’école des Spécialités de la Xe Armée. La guerre ici n’est pas dure, il y a tout ce qu’il faut pour la continuer et pour tenir. (p. 185)» ; « 22 septembre 1917. […] Comme il fait bon la guerre dans ces conditions… (p. 187) » ; retour en ligne le 12 octobre dans les sapes occupées à la veille du 16 avril : « 13 octobre 1917. […] Quel dur métier ; quelle abominable chose que la guerre ; et je me couche en maudissant ceux qui l’ont déchaînée (p. 189)»

Autres notations utiles :

Première mention des gaz et des moyens rudimentaires pour s’en protéger, le 14 mai 1915 (p. 48) ; évasion d’un homme conduit au Conseil de guerre de Damery (mars 1917, p. 150-151). Bordel militaire : 28 décembre 1917 à Mourmelon (p. 199)

Pour l’Argonne, ce témoignage est à croiser avec celui d’André Pézard, Nous autres à Vauquois, Paris, La Renaissance du livre, 1918 ; réédition, Nancy, P.U.N. ; Pézard arrive dans le secteur de Granger en janvier 1915.

Frédéric Rousseau, mars 2008.

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Rouvière, Camille (1880-1969)

1. Le témoin

Camille Arthur Augustin Rouvière est né à Montpellier le 21 janvier 1880. Son père était maître d’hôtel, sa mère femme de chambre. Ses parents montent à Paris alors qu’il a à peine 3 ans, mais son enfance sera bercée d’évocations de la belle ville méridionale. A Paris, la famille, toujours dans les mêmes professions, vit dans le 11e arrondissement. Camille va à l’école primaire et décroche le certificat d’études. Il trouve un emploi de maraîcher à Montlhéry, mais, après les trois ans de service militaire, il entre comme employé de bureau dans une compagnie d’assurances de la capitale.

Il est mobilisé au 31e RI et reste tout le temps de la guerre dans l’infanterie, principalement comme mitrailleur. Caporal en décembre 1916, sergent en juin 1918. Démobilisé le 27 février 1919.

Il reprend alors son métier, et épouse une veuve de guerre dont il a un fils. Musicien, ayant acquis une culture d’autodidacte, il constitue une riche bibliothèque. Il prend sa retraite en 1937, et le couple s’installe à Romans (Drôme) où Camille meurt le 29 juin 1969.

2. Le témoignage

– ROUVIÈRE (Camille Arthur Augustin), Journal de guerre d’un combattant pacifiste, préface de Michel Garcin, Biarritz, Atlantica, 2007, 333 p., illustrations.

A la différence de Louis Barthas, il ne semble pas que ses camarades aient encouragé Camille Rouvière à écrire. Ils le voyaient cependant prendre ses notes quasi-quotidiennes et l’écoutaient expliquer qu’il écrivait « par représailles », « par indignation » contre ce qu’on pouvait lire dans les journaux. Si les vrais combattants ne témoignaient pas, d’autres viendraient piétiner la vérité et gagner de l’argent en édifiant « la légende du Poilu magnifique » (p. 147-148). Une même idée est mise en valeur dans Témoins de Jean Norton Cru. A une date indéterminée, Camille Rouvière a repris son texte pour le mettre au propre sur trois épais carnets. Le préfacier du livre estime qu’il a pu peaufiner l’écriture. C’est vraisemblable en ce qui concerne le style, mais les dates, les descriptions et les sentiments paraissent bien être ceux du temps de guerre.

Ayant appartenu au même régiment que Barbusse, le 231e RI, Rouvière aurait pu s’appuyer sur lui dès le début de son texte recopié. Il n’en a rien fait. Barbusse n’apparaît que lors de la publication du Feu, et Rouvière note qu’il se souvient de l’avoir vu : « Un bonhomme sec et sombre, vieux, ou vieilli, un engagé » (p. 183). Confirmant la communication d’Olaf Müller au colloque de 2004 à Craonne (« Le Feu de Barbusse : la ‘vraie bible’ des poilus. Histoire de sa réception avant et après 1918 », dans La Grande Guerre. Pratiques et expériences, sous la direction de Rémy Cazals, Emmanuelle Picard et Denis Rolland, Toulouse, Privat, 2005, p. 131-140), Rouvière estime que Le Feu est le livre des soldats, « soufflet de nous tous aux patriotes d’hier et de demain » : « Vive Le Feu qui incinère l’officiel mensonge ! » Aux officiers qui se plaignent que le livre les ignore, Rouvière répond : « A vous, messieurs les officiers : tous les académiciens, tous les évêques du bon Dieu, et tous les historiens ! »

3. Analyse

– Août 14, au 31e RI, Rouvière est pris dans la grande retraite, sur « le gril de la route » (description p. 30). Il est blessé à la jambe le 6 septembre. L’évacuation dure 65 heures en chemin de fer, en compagnie de camarades dont les blessures s’infectent. Dans les gares, il note le regard sur les blessés des « pauvres bougres qui s’acheminent là-haut ». Soins à Nice. En route pour le dépôt du 31e, transféré de Melun à Albi, il passe quelques heures à Montpellier, sa ville natale dont ses parents lui avaient beaucoup parlé : c’est un éblouissement (p. 51). A Albi, sa description des pratiques pour ne pas « remonter » rejoint celle de Galtier-Boissière (Loin de la rifflette) ; dans les deux témoignages figure la mention de départs forcés marqués par le chant protestataire de l’Internationale (Rouvière, p. 58 ; Galtier-Boissière, p. 32).

– En mai 15, le voici au 231e dont le colonel est un maniaque de l’ordonnancement de la cravate : « Telle cravate, tel moral » (autres cas chez Louis Barthas, Léopold Noé, etc.). L’Artois, c’est le pays de la boue : « Un monstre gluant happe nos pieds, aspire nos forces, inhume les volontés. » Ecrasés par le poids de l’arme et des caisses de munitions, les mitrailleurs y sont particulièrement sensibles. Le contraste est insupportable avec le bourrage de crâne dont se rendent coupables les « journalistes héroïques ». Qu’ils doivent souffrir, ces Barrès, Cherfils, Hervé, d’être si loin du front et de ne pouvoir venir y connaître « le sort le plus digne d’envie ». Victime de plusieurs abcès, il est à nouveau évacué. A l’hôpital, la rencontre de nombreux « dérangés » lui fait évoquer la « guerre régénératrice » chère à Paul Bourget. Conclusion : « L’arrière, notre ennemi mortel, l’arrière, qui monnaye notre misère. N’est-ce pas Fritz ? »

– Il rejoint en novembre 15 le régiment toujours en Artois, mais jusqu’au 24 seulement. Les inondations de tranchées, suivies de fraternisations, que Louis Barthas et d’autres témoins décrivent surtout en décembre, ont commencé dès le mois précédent. Rouvière note que les Allemands déambulent à découvert, que personne ne tire, que les Français sortent à leur tour, qu’ont lieu des échanges de cigares, jus et gnôle. Il écrit : « Ça va mal, pour la revanche ! Ça va mal pour la guerre ! Les ‘ennemis’, tellement semblables ! se flairent, se frôlent, se scrutent, se révèlent les uns aux autres. Des fantassins, des clochards, des bonshommes, des pauvres types : voilà ce que nous sommes, eux et nous, sous le même uniforme : la boue ; contre un même ennemi : le cambouis glacé ; dans un même tourment : les poux ; un même crucifiement : par le canon. Ah ! le canon qui tape partout ! Le canon ! ce fouet génial des maîtres pour parquer ou pousser les troupeaux ! » Le régiment part pour le secteur de Pontavert. En mai 16, on y fera provision de muguet : « Du muguet, partout. Pas un bonhomme qui n’envoie aux siens le muguet de Beaumarais ; pas une guitoune qui n’en soit pavoisée, parfumée, éclairée. » Les cagnas sont mieux aménagées, mais c’est le paradis des rats « énormes, dont le ventre blanc, gonflé à bloc, pèse sur vos pieds, vos mains, et, de là, rebondit sur votre face ensommeillée ». Des soldats les chassent et gagnent un sou par queue de rat (p. 131).

– En mai 16, le 231e disparaît. Rouvière se retrouve au 276e, et à Verdun, entre Avocourt et la cote 304, en juillet, pour une nouvelle dure période. Les critiques de la guerre, des chefs et des jusqu’au-boutistes se font de plus en plus fréquentes. En écrivant que la guerre purifiera la France, Mgr Baudrillart a livré une « ordure » (p. 163) : « Mon Dieu, punissez-les ! car ils savent ce qu’ils font. C’est ça, mon Dieu, vos vicaires ? » Barrès est qualifié de « salaud ». Rouvière approuve la réunion de Zimmerwald et les interventions de Brizon à la Chambre (mais il ne semble pas avoir appartenu au parti socialiste). En décembre 16 à Avocourt, Français et Allemands des premières lignes communiquent et se préviennent quand il y a « séance de torpilles » (p. 189).

– Le régiment n’est pas partie prenante de l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames, qui n’est donc connue qu’indirectement. Le 18 avril 1917, les nouvelles reçues paraissent très favorables, mais le 23, en lisant les journaux, qui pourtant ne l’avouent pas, Rouvière comprend que l’offensive a échoué. En mai, on entend parler des grèves de femmes à Paris et des troubles causés dans les gares par les permissionnaires. Les confidences sur les mutineries dans les régiments sont échangées en marchant sur la route plutôt que dans les trains où peuvent se trouver des mouchards (p. 238). On punit les meneurs, mais Nivelle et Mangin sont, d’après Camille Rouvière, les « meneurs à la boucherie ».

– En septembre 17, passage au 411e RI. Séjour en Lorraine : « Nous sommes dans un coin vraiment pépère… les Fritz et nous » (p. 252). Mais il faut y subir un quatrième hiver, et attaquer en février 18 (p. 264-270). Début juin, les Allemands menacent une nouvelle fois Paris qui « se vide. Les trains pour le sud aspirent par milliers les andouilles corrompues, les jusqu’au-boutistes, les clemencistes, les poincaristes » (p. 274). On croit revivre 1914 avec la pagaïe, les réfugiés, l’ambiance de déroute. Les Boches sont équipés de mitrailleuses légères, les mitraillettes (p. 284). Ils finissent par reculer. Un épisode rarement raconté : la capture d’un groupe d’Allemands après des pourparlers et un simulacre d’attaque « pour sauver l’honneur » (p. 283). Le régiment est à Saint-Quentin le 8 octobre, à Etreux (pays d’Albert Denisse) le 26. On tire encore et on meurt le 11 novembre. Dans les régions libérées, les mercantis changent de clients ; les occupants ont laissé d’assez nombreux « chiards franco-boches » (p. 318) ; on chante la Madelon, « chère aux embusqués » (p. 323 : intéressante notation) ; on défile avec clairons et tambours, sans rien retrancher « de l’épaisse couillonnade militaire » (p. 319).

Une conclusion collective : « Pas de traité de Paix au recto avec Revanche au verso » (14 octobre 1918) ; et une conclusion individuelle : « Revenir chez soi, plus ridé, plus rouillé, plus stupide, mais complet pourtant ! » (11 nov. 1918). Les sentiments de Camille Rouvière sont sans équivoque, bien qu’il ait « fait son devoir », avec les camarades, comme tant d’autres.

Dans ce témoignage très riche, figurent encore bien des informations. Sans prétendre à l’exhaustivité, il faut cependant ajouter la place de Gustave Hervé parmi les bourreurs de crâne (p. 233) ; plusieurs mentions d’exécutions (p. 86, 149, 235) ; le « nettoyage » des abris à la grenade et au lance-flammes, mais après avoir fait de nombreux prisonniers (p. 267-268). Et à côté de cela un profond sentiment de la nature, de la vie, des comportements du temps de paix : le muguet de Beaumarais (p. 145), les coquelicots d’Avocourt (p. 242). « Des morts ont maintenant leurs bouquets… »

Rémy Cazals, avril 2008

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De Witte, Frantz (1884- 1971)

1. Le témoin

Son père était mécanicien à la Compagnie des Sablières de la Seine, la famille logeait sur une péniche appartenant à la société. Né à Boulogne (Seine) le 11 janvier 1884, Frantz (ou François) est le quatrième de six enfants. Il devient employé de banque, fait le service militaire en 1905-1906 puis s’engage pour un an en 1907 dans l’infanterie de marine et sert à Madagascar. Marié le 10 juillet 1909 à Vigneux-sur-Seine avec Renée Dobricourt, couturière. A la veille de la guerre, le couple a deux enfants. Renée tient un petit commerce de mercerie et confection féminine à Paris, rue Popincourt. Frantz se décrit lui-même comme un « mécréant » ; il est politiquement à gauche.

Après la guerre, naîtront deux autres enfants. Le couple tient un hôtel-restaurant au Raincy dans les années 1920 et 1930, puis divers autres commerces jusqu’au milieu des années 1950. Frantz meurt en 1971 à l’âge de 87 ans, Renée en 1974.

2. Le témoignage

Les lettres adressées par Frantz à Renée, du 14 août 1914 au 18 février 1917, puis du 3 octobre au 22 novembre 1918, ainsi que quelques-unes de 1909, avant le mariage, ont été récupérées par leur fils aîné Camille et publiées par le fils de celui-ci :

– Jack-François de Witte, Lettres d’un mécréant (1909-1918). François de Witte, s. l., Olympio, 2001, 148 p. Portrait de Frantz sur la couverture. L’avant-propos et la postface du petit-fils fournissent les renseignements biographiques repris ci-dessus.

3. Analyse

En 1914, Frantz de Witte est secrétaire et agent de liaison cycliste au 41e régiment d’infanterie coloniale. Le 14 août il souhaite que la campagne soit brève ; le 22, il constate les horreurs de la guerre et en plaint les victimes, Français et Allemands. Le souci d’être délivré du cauchemar revient fréquemment : « Est-ce pour vivre ainsi que l’intelligence a été donnée à l’homme ? » (24 août 1915) Mais il n’est pas défaitiste. Ainsi, en pleine attaque allemande sur Verdun (2 mars 1916) : « Impossible de songer à autre chose qu’à la grande tragédie qui se joue en ce moment, et d’où peut dépendre le destin de la France. La brutalité et la formidable puissance de l’Allemagne auront-elles raison de notre résistance ? »

La correspondance contient les thèmes habituels : villages en ruines (p. 84) ; les hommes transformés en paquets de boue (p. 88) ; mépris pour les embusqués ; attachement à la famille…

La grande originalité apparaît à l’automne de 1916. Frantz semble en butte à la haine d’un chef. Les lettres ne sont pas explicites là-dessus parce qu’il a dû exposer la situation à sa femme au cours d’une permission. Dans sa postface, le petit-fils cherche l’explication dans les positions politiques de son grand-père, mais sans donner de preuves. Frantz devient extrêmement précis dans une lettre à sa femme transmise par un permissionnaire pour échapper à la censure. Il y dévoile dans les moindres détails le plan de sa désertion (20 décembre 1916) : qu’elle vende toute la marchandise du magasin, même à perte, pour accumuler du numéraire ; qu’elle lui fasse confectionner des vêtements civils ; qu’elle loue sous son nom de jeune fille une maison dans une ville loin de Paris… « Je suis poursuivi par la haine de cet homme et il me brisera si je ne me dérobe, écrit-il. Plus tard, nous gagnerons la Hollande ou tout autre pays, et nos garçons y gagneront de n’être jamais soldats. Cette décision est d’une gravité exceptionnelle. Elle engage non seulement mon avenir mais le tien. » Le plan est mis à exécution en profitant d’une permission en février 1917. Sur le registre matricule, il est déclaré déserteur le 21 mars. On n’a évidemment plus de lettres à partir de cette date, mais son fils a gardé le souvenir de la période où son père se cachait.

La situation étant devenue intenable au bout de quelques mois, Frantz de Witte se serait rendu en septembre 1917 et porté volontaire pour le 21e bataillon colonial (de fait, la mention de désertion est barrée sur le registre matricule). On le retrouve à Arkhangelsk, mais seulement le 3 octobre 1918 (description intéressante, p. 122-124). Il apprend le russe. Le 12 novembre, il s’écrie : « Quel bonheur ! Etre là, intact, au bout de quatre ans. »

4. Autres informations

– Le livre cité plus haut contient des extraits « du journal de campagne du docteur Louis Lucas », médecin au 41e RIC, sans précision de l’origine de la source. Cela pourrait être un JMO. Si c’est le cas, le texte a un caractère contestataire inhabituel.

– On peut trouver des copies de lettres originales de F. de Witte, ainsi que du registre matricule que le petit-fils a réussi à se procurer (sans autre précision), et des photos familiales, dans le mémoire de maîtrise de Nathalie Dehévora, Quatre combattants de 14-18, université de Toulouse Le Mirail, septembre 2005, 2 vol., 149 et 121 p. (Les trois autres combattants sont Lucien Cocordan, Jules Laffitte et Roger Martin.)

Rémy Cazals, mars 2008

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Baqué, Zacharie (1880-1950)

1. Le témoin

Né à Vic-Fezensac (Gers). Instituteur, érudit local.

Mobilisé à Mirande au dépôt du 88e RI ; parti au front le 2 septembre 1914. Sergent, chef de section à la 23e compagnie du 288e, dans la Meuse (Ambly). Evacué pour maladie en janvier 1915 (« J’ai perdu vingt kilos et ma lassitude morale est extrême »). Retour sur le front en Artois en juillet 1915 comme chef de section à la 12e compagnie du 88e. En octobre 1915 il est adjudant de bataillon. Il connaît ensuite divers secteurs, Verdun, Champagne, énumérés dans le livre indiqué ci-dessous, p. 218, mais non couverts par le témoignage. Démobilisé le 15 février 1919.

2. Le témoignage

A une date inconnue, Zacharie Baqué a repris les lettres quotidiennes adressées à sa femme pendant la guerre. Il en a choisi des extraits, mais n’a « presque rien retouché » comme il le dit lui-même et comme le lecteur connaissant assez bien les témoignages de la Grande Guerre en éprouve l’impression. On ne sait pas si les lettres originales ont été conservées. Le travail de transcription s’est arrêté au 4 décembre 1915. L’objectif semble bien avoir été l’édition, mais celle-ci n’a été réalisée que bien après sa mort :

– Zacharie Baqué, Journal d’un poilu, août 1914-décembre 1915, Paris, Imago, 2003, 221 p., présentation d’Henri Castex.

3. Analyse

Au moment de la mobilisation, on ignore tout de la guerre : on croit qu’elle sera rapidement victorieuse (p. 15) ; on ne sait pas combattre (p. 28). Le capitaine d’active menace ses hommes : « Vous n’êtes pas des soldats, vous n’êtes que des réservistes habillés en soldats ; vous allez f…iche le camp aux premiers obus ; mais prenez garde ; voyez ce revolver, il est chargé, ceux qui se trouveront à côté de moi peuvent se considérer comme morts. » Mais le même capitaine fait creuser des tranchées à contre sens. Le sous-lieutenant Imbert, dans le civil professeur au lycée d’Auch, a une vision réaliste : « Comme je trouve la guerre longue [on n’est que le 20 septembre 1914], il me dit qu’il la croit devoir être très dure, que nos sacrifices seront énormes et que, quinze ans après la paix, nous nous ressentirons encore des malheurs de la guerre ! » Les bleus commencent à acquérir de l’expérience, mais ne croient pas qu’on puisse faire la guerre en hiver. Il faudra bien, pourtant. La deuxième montée au front en juillet 1915 réserve encore sa part de surprise : l’intensité de la canonnade dépasse de loin tout ce qu’il avait pu voir en 1914.

Le texte de Baqué contient un témoignage sur la mort du lieutenant Fournier (l’écrivain Alain-Fournier) à Saint-Rémy-la-Calonne, dans la Meuse, le 22 septembre 1914 (p. 42-47).

Il fourmille de détails habituels : la boue ; la vermine ; les corvées ; la récupération dans les villages détruits de débris utilisables dans les tranchées ; la critique des embusqués et la recherche d’un piston ; la lecture des journaux avec avidité, et la déception quand on s’aperçoit qu’ils ne sont pas fiables ; le mal du pays ; les semi-embusqués que sont les artilleurs… Le régiment participe à l’offensive de septembre 1915 en Artois et c’est le massacre (belle page sur ce qu’est, concrètement, une attaque brisée, p. 183).

Des remarques intéressantes : sur les suicides (p. 150) ; sur les idées belliqueuses plus fréquentes dans l’arrière-front qu’en première ligne (p. 109). Et (13 octobre 1915) : « Les émotions m’ont laissé par contre une sensibilité ou une sensiblerie maladive. Je n’ose plus tuer une limace et je laisse les rats courir sur mon nez sans leur donner un coup de balai. C’est comme cela. »

4. Autres informations

– Frédéric Adam, Alain-Fournier et ses compagnons d’arme. Une archéologie de la Grande Guerre, Metz, Editions Serpenoise, 2006, 219 p.

Rémy Cazals, mars 2008

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Faleur, Georges (1876-1935)

1.   Le témoin

Né le 1er juin 1876 à Hirson (Aisne). Famille bourgeoise. Etudes de médecine à la Faculté de Paris, diplômé le 26 novembre 1903. Epouse le 15 novembre 1904 Léonie Vieillard, fille d’un médecin généraliste à Ribemont. Le couple s’y installe.

Mobilisé le 5e jour de la guerre en tant que médecin aide-major de 2e classe à l’ambulance n°1 de la 52e division d’infanterie de réserve après un court séjour au dépôt d’Amiens (Reims ; Ville-Dommange du 18 mars au 14 mai 1915 ; Sacy du 14 mai au 3 octobre 1915 ; Ludes).

Muté en janvier 1916 à l’ambulance 1/155 ; relevé en mai 1916 pour travailler dans un centre de rééducation de Berck.

Noël 1914, médecin aide-major de 1ère classe. Citation à l’ordre du jour du Service de Santé ; Croix de guerre ; Légion d’honneur.

Retour à la vie civile en tant que médecin en association avec son fils devenu également médecin. Membre du Conseil général de l’Aisne pendant huit ans. Actif militant de la Mutualité combattante dans la section de Ribemont. Membre de l’UNC. Reçoit sa médaille du mérite pour son dévouement. Décède le 15 décembre 1935 à Ribemont (59 ans).

2.   Le témoignage

Le docteur François Faleur, petit-fils de Georges a confié les 9 carnets de son grand-père à l’historien François Cochet (2 août-3 sept. 1914 ; 4 sept.-4 oct. 1914 ; 5 oct.-30 nov. 1914 ; 1er déc.-20 fév. 1915 ; 21 fév.-30 avril 1915 ; 1er mai-5 août 1915 ; 6 août-27 oct. 1915 ; 29 oct.-29 fév. 1916 ; 1er mars 1916-2 mars 1917); l’édition critique a été réalisée par Laëtitia Leick, Journal de guerre de Georges Faleur, préface de François Cochet, Centre Régional Universitaire lorrain d’histoire, site de Metz, 2007, 358 p.

N.B. Les précisions biographiques sont empruntées au travail de Laëtitia Leick.

3.   Analyse

Pour situer le témoin et son témoignage, il convient de ne pas perdre de vue qu’il est originaire des régions envahies où est restée une partie de sa famille, sa mère notamment (elle décède en 1915, ce qui affecte Faleur). Le rédacteur est en outre officier et médecin d’une ambulance située en permanence à l’arrière-front. Enfin, c’est un homme à principes et un croyant.

6 août 1914 : départ ; tristesse de la séparation ; expression de son sens du devoir « […] il faut savoir faire des sacrifices pour l’honneur du nom français. Et puis, les mauvais jours que nous allons passer assureront la tranquillité de nos enfants… » ; le 21 août 1914, alors que la guerre fait rage, son ambulance est en réserve à Etion (Ardennes, près de Charleville-Mézières), loin des combats. Durant la bataille de la Marne, Faleur subit la retraite jusqu’aux environs d’Arcy-sur-Aube (Aube) ; à partir du 23 août, les indices d’une dégradation croissante de la situation militaire se multiplient : recul de troupes harassées, exode des civils, désordre. Puis c’est la reprise de la marche en avant à partir du 10 septembre. Secteur de Fère-Champenoise. Relevons que malgré l’extrême violence des combats, l’ambulance soigne les blessés ennemis : « (10 sept.) Un des blessés allemands que j’ai pansé et évacué m’a demandé mon adresse pour me remercier plus tard ».

L’ambulance s’installe à Reims ; les bombardements allemands sont incessants. Le 19 sept., Faleur assiste à l’embrasement de la cathédrale de Reims qui scandalise tous les témoins : « le génie de la dévastation est inné chez les barbares » ; « Les esprits en tout cas sont très montés contre les barbares qui renouvellent les exploits des Huns brûlant tout sur leur passage ». Malgré tout, l’ambulance continue à recevoir des blessés allemands (21 septembre 1914). Lorsque le 13 oct., Faleur apprend par la presse le bombardement aérien de Notre Dame de Paris, il retrouve des accents vengeurs : « Quel peuple de Vandales que ce peuple allemand qui ne respecte rien ». On note le premier usage du terme « ennemi » : « il n’est pas impossible qu’avec le temps on n’arrive pas à flanquer la pile aux ennemis ». Mais ces accès sont rares.

Ces carnets documentent les bombardements de Reims : 3-5 nov. 1914, Bombardement et affolement des civils ; 22 nov. 1914, 5 militaires tués ; 21 fév. 1915, très violent bombardement nocturne… (Voir François Cochet, 1914-1918. Rémois en guerre. L’héroïsation au quotidien, Nancy, P.U.N., 1993.)

Toutefois, et en dépit des risques (réels) inhérents aux bombardements, la guerre de Georges Faleur équivaut généralement à une vie de garnison. 20 oct. : « Vie toujours calme, deux ou trois blessés simplement dans la journée. Par contre, le nombre des malades augmente et on voit chaque jour q.ques cas de typhoïde ». 21 oct. : « Journée comme les précédentes passée en jouant au billard, aux cartes, aux quilles, en faisant un peu de photographie ». 23 déc. 1914 : « Rien de particulier dans la matinée, l’après-midi, nous avons préparé les lots de l’arbre de Noël… »

Faleur souffre particulièrement de la séparation d’avec sa famille. 1er janv. 1915 : « […] Quelle tristesse qu’une guerre néfaste dont on n’entrevoit d’ailleurs pas la fin sépare ainsi les familles ! Ceux qui ont tous les leurs en sécurité ne peuvent pas se douter de ce qui se passe en un pareil jour dans le cœur de ceux qui ont quelqu’un des leurs en pays envahis. Enfin j’offre ce gros sacrifice de la séparation pour la victoire finale et prochaine… »

Toutefois, notons que lorsqu’un confrère lui propose de permuter avec lui vers un poste de l’intérieur, s’il refuse, ce n’est pas uniquement par sens du devoir : « (26 janv. 1915) J’ai beaucoup réfléchi jusque ce soir et je considère maintenant que mon devoir est de rester […]. Et puis, je connais et je partage l’opinion de mes camarades sur ceux d’entre nous, aux ambulances qui demandent à aller à l’arrière. Ils sont considérés comme des lâches, surtout ceux des pays envahis. Ils donnent en effet un déplorable exemple aux combattants qui risquent beaucoup plus que nous et pourraient également demander à assurer un service dans un dépôt (il en faut là aussi des officiers). Et surtout ce qui me détermina, c’est qu’on pourrait croire que je pars pour ne pas risquer d’être fait prisonnier. Mon grade a voulu que je sois désigné pour ne pas abandonner les blessés. Je ne reculerai pas devant ce devoir, mais combien j’aurais préféré que rien ne me soit proposé ». Nouvel exemple de ce qu’une décision peut répondre à plusieurs motivations.

Quelques mois après, le patriotisme du docteur Faleur semble intact ; il se dit choqué des opinions bien peu patriotiques de son cousin (19 mai 1915). Et malgré la longueur inattendue de la guerre, l’espoir en la victoire demeure : « (6 août 1915) C’est aujourd’hui l’anniversaire de mon départ de Ribemont […]. Mon moral était bon il y a un an, il est encore bon maintenant. L’espoir de la victoire que j’avais à ce moment-là s’est changé en certitude, mais quand arriverons-nous au but ? On ne peut pas encore le dire alors que nous pensions partir pour quelques semaines, quelques mois au plus… Et que d’événements depuis cette date du 6 août 1914 qu’on n’avait pu prévoir ! La fuite loin de nos pays, l’abandon de nos foyers, et les Nôtres restés là-bas sans que jamais on puisse avoir de leur nouvelles ! quelle terrible chose que la guerre ! »

Le 18 mars 1915, Reims s’avérant trop exposée sous le bombardement allemand, l’ambulance de Faleur est transférée à Ville-Dommange. Le 3 mai 1915, Faleur reçoit à Epernay, la visite de… sa femme Léonie et de leur fils Paul, et de son père. Privilège d’officier stationné à l’arrière-front. Faleur mentionne de nombreux autres cas de ce genre de faveurs.

Le 14 mai 1915, l’ambulance est transférée à Sacy. Le 5 juin 1915, Faleur effectue un premier tour dans les tranchées, à Reims (secteur de Neuvillette) : « J’ai pris pas mal de clichés que je viens de développer et qui sont très bien. A 4 h ½ nous avons pris congé des officiers et sommes revenus enchantés des 5 heures passées là bas. […] Je suis fatigué mais rudement content de ma journée… ». Bien peu de notes prennent en considération la situation spécifique des poilus : « (3 décembre 1915). […] il a fait toute la journée un temps de chien, pluie diluvienne qui doit bien incommoder les malheureux qui sont dans les tranchées ».

Parmi les autres distractions du médecin, relevons l’importance de la photographie qui alterne avec les jeux de cartes et les repas entre officiers.

Le 11 septembre 1915 survient la première permission. Au retour d’une seconde permission (17-23 décembre 1915) il est muté à Louvois à la 1/155, toujours à l’arrière-front.

Les notes des carnets deviennent peu à peu plus laconiques ; à partir de mi-janvier 1916, de nombreuses dates apparaissent sans autre note que « rien de particulier ; rien de nouveau… » Cette évolution peut sans doute est mise au compte du manque d’intérêt, de la monotonie de la vie d’une ambulance de l’arrière-front. Mais, peut-être aussi peut-on y voir un signe de lassitude, et de dépression liée à une séparation de plus en plus mal vécue. Aussi, lorsque le 11 mai 1916 intervient l’ordre de relève (réglementaire), Faleur ne le rejette pas ; au contraire, il saisit l’occasion qui lui est offerte et demande un poste à Dieppe, où se trouve sa famille ; il n’a sans doute rien abandonné de son patriotisme ; mais il estime tout simplement avoir suffisamment donné ; et il obtient, à Berck, l’hôpital 102. Il fait immédiatement venir sa femme et son fils auprès de lui. Le 14 juillet 1916, il est affecté à « maritime » (hôpital bénévole 21 bis). Comme si le docteur Faleur avait conscience d’avoir terminé sa guerre, le 9e carnet se referme sur quelques dates éparses : 8 octobre 1916, départ en permission ; 17-18 janvier, permission ; enfin, 2 mars 1917 : « je m’occupe depuis une douzaine de jours de la fabrication d’un centre de rééducation agricole, et je suis chargé des jardins potagers de la place ! »…

Ces carnets d’un homme profondément croyant fournissent également quelques éléments sur le sentiment religieux, les pratiques religieuses, les relations entre l’Armée et l’Eglise : 6 nov. Visite du gén. Rouquerol : « Il commandait je crois le Régiment d’Artillerie de Laon au moment de l’affaire des officiers de Laon poursuivis si je me rappelle bien pour avoir assisté à une conférence à la Cathédrale ».

8 nov. Obsèques du col. des Salins. « Après l’absoute, la nombreuse assistance a accompagné le défunt jusqu’au cimetière de Tinqueux. […] Chacun a aspergé le cercueil d’eau bénite, en se signant sans ombre de respect humain. Mouchards, vous aviez là une belle occasion de faire des rapports » ; « (21 nov. 1914) […] J’ai assisté tantôt à 4 h au chapelet et au salut à l’Eglise Ste Geneviève. Il y avait foule et j’ai dû attendre longtemps mon tour au confessionnal ». Dimanche 22 nov.: « Je suis allé ce matin à 7 h à la messe de communion, il y avait beaucoup de militaires. A 9 h je suis allé à une seconde messe à laquelle devait prêcher Mansart, notre sergent infirmier vicaire à Amiens. Il a prêché avec beaucoup de coeur disant pourquoi et pour qui il fallait prier… » ; 22 janv. 1915, visite de Mgr Luçon à l’ambulance. Dimanche 4 juillet 1915 : « J’ai assisté à 11h à la messe de V. Dommange. Au front le curé a fait gaffes sur gaffes à propos de l’interview du Pape et il a heurté les sentiments patriotiques de toute l’assistance. Beaucoup d’officiers ont failli sortir immédiatement en manière de protestation ».

S’il ne faut pas s’étonner du peu d’informations relatives aux combattants, certaines notes méritent toutefois d’être relevées, comme celle-ci :  « (17 nov. 1914) Les Allemands noircissent la craie de leurs tranchées avec du terreau ». Pour l’essentiel, les autres notations permettent surtout d’entrevoir comment le combat et la marche à la mort des troupes combattantes ont pu être perçues depuis l’arrière-front : « (8 janv. 1915) Hier soir à 22 h ½ on a fait sauter une mine au Linguet. Nous avons gagné 200 m de tranchées que nous avons conservé jusque ce matin à 6 h. C’est seulement à leur 4e contre attaque que les Boches ont repris leur position (nos officiers étaient blessés). Il y a eu une cinquantaine de tués, une quarantaine de blessés et environ 60 à 70 prisonniers. Ce sont les 23e et 24e Cies du 347 qui ont été éprouvées. […] Il paraît qu’hier soir le spectacle était féerique. […] Je regrette de n’avoir pas vu ce spectacle merveilleux, paraît-il. Nous avons soigné aujourd’hui une trentaine de blessés de l’affaire du Linguet, entre autres le jeune s/lieutenant Bellot qui a eu le poignet gauche traversé par une balle au moment où il allait brûler la cervelle d’un soldat qui criait « sauve qui peut ». Bellot a été décoré de la légion d’honneur, note encore le docteur…

17 avril 1915 : « Une compagnie du 411e est partie ce soir aux tranchées. Ils paraissent avoir une rude appréhension les pauvres bleus, et leurs officiers n’ont pas l’air des plus crânes, il y en a beaucoup parmi eux qui étaient jusqu’alors embusqués ! »… (Voir Charles Ridel, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007). Ce que sait ou croit savoir le docteur provient de la lecture des journaux et des bavardages tenus à sa table d’hôtes : « (29 septembre 1915) Nos succès continuent disent les journaux [bataille de Champagne] […]. Pendant le dîner, Bienfait [col.] est venu nous apporter la nouvelle officielle de ce qu’il nous avait dit l’après-midi. Il venait en même temps nous faire ses adieux car l’ordre venait de leur arriver de se tenir prêts à partir au combat dans la nuit. La joie des hommes était délirante, ils dansaient, chantaient la Marseillaise, le chant du départ, etc… Comment avoir la moindre appréhension avec de telles troupes ! La figure de Bienfait rayonnait, il était heureux et c’est sans la moindre émotion apparente qu’il a recommandé sa famille à de la Grandière au cas où il ne reviendrait pas. Nous avons passé là un moment bien émotionnant, et malgré nous, nous pensions au « Morituri te salutant ». Nous avons vidé une flûte de Champagne  […]. Où va partir le 245e ? »

Faleur décrit également les préparatifs de son ambulance avant l’offensive annoncée : « (17 septembre 1915) […] nos infirmiers ont construit 107 lits et on installé l’ambulance » ; 18 septembre 1915 : « […] nous avons environ 150 lits montés dans les salles, dans les chambres, dans la chapelle, sous la tente Tortoise, dans des hangars ! ». Malgré les préparatifs, l’ambulance de Faleur n’est pas sollicitée. Survient alors la nouvelle de l’arrêt de l’offensive qui est durement ressenti : « (6 octobre 1915) J’ai eu aujourd’hui un cafard monstre. C’est que la désillusion est grande pour moi, j’espérais bien que nos pays allaient être débarrassés par une offensive générale qui ne s’est pas produite. A quoi faut-il attribuer cette non-exécution du programme ? Est-ce l’état de tension aux Balkans qui nous engage à ménager nos munitions d’artillerie ? Il y a en tout cas quelque chose d’absolument [in]compréhensible, car c’est un succès que nous avons remporté en Champagne, bien qu’il nous ait coûté excessivement cher. »

Sont encore mentionnées l’exécution d’un soldat, assassin et détrousseur de blessés français (2 décembre 1914) ; la censure de la correspondance (4 et 11 août 1915) ; une virulente attaque allemande aux gaz (19-20-21 octobre 1915). Faleur décrit alors avec force détails le fonctionnement de l’ambulance, l’accueil, le traitement, et l’évacuation des soldats intoxiqués. Et fournit une précieuse description des symptômes rencontrés. Les relations parfois tendues avec les médecins de l’active sont également documentées  (11 novembre, 11 décembre 1915).

Frédéric Rousseau, 25/03/2008

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Momméja, Jules (1854-1928)

1. Le témoin

Né à Caussade (Tarn-et-Garonne) le 13 août 1854. Fils d’un agent de voyer (agent responsable de l’entretien des chemins vicinaux). Jules Momméja avait d’abord été destiné à reprendre la profession paternelle. La perte d’un œil l’empêcha de suivre cette voie. Dès 1872, il est un membre assidu de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, fondée en 1866. Ingres, qui venait de mourir en 1867, avait laissé ses collections au Musée de Montauban. Il se voua également à leur étude et fut l’un des premiers « ingristes ». Nommé conservateur du musée d’Agen en 1898. En 1917, il se retire à Moissac où il décède en 1928.

2. Le témoignage

12 cahiers de 325 pages environ déposés aux Archives départementales de Tarn-et-Garonne sous la côte 3 J 117, datés du 2 août 1914 au 31 décembre 1918.

3. Analyse

Jules Momméja tient un journal où il note tous les jours son quotidien : ses lectures, ses rencontres, ses pensées politiques, littéraires, mais aussi l’ambiance, les conversations et tout ce qu’il voit.

Assez conservateur, plutôt clérical, il conte avec beaucoup de précisions et d’exemples tous les événements de cette période. Il voyage beaucoup notamment en train, pour se rendre de son domicile (Moissac) à Agen où il est conservateur du Musée. Membre de la bonne bourgeoisie, il lit l’Illustration, La Dépêche ou encore La Petite Gironde. Il compte parmi ses amis et connaissances le médecin de l’Hôpital temporaire de Moissac ou des personnalités montalbanaises. Il rend compte à la fois de ses lectures mais aussi des rumeurs publiques.

Au milieu de considérations littéraires ou archéologiques, il est question : de la création des hôpitaux temporaires à Moissac ; de l’arrivée de réfugiés belges ; des internés civils ; des femmes qui labourent ; de la censure dans les journaux (une page entière censurée dans La Petite Gironde) ; d’un « boche » qui parle patois pour avoir séjourné dans la région en 1913 car il est bouchonnier de profession ; de troupes hindoues, tunisiennes ou marocaines rencontrées dans le train ; de mutineries de soldats en gare d’Agen ; des femmes qui remplacent les hommes dans les usines voire les casernes ; des mercantis sur le front et à l’arrière ; du quotidien dans les hôpitaux temporaires de la région ; de la mode ; des uniformes ; des embusqués ; la guerre courte ; la prospérité des photographes ; les jouets pour enfants, etc… Les exemples sont très nombreux et ne peuvent être tous cités compte tenu du volume du texte qu’il a rédigé.

Tous les aspects de la vie à la fois à l’arrière et sur le front sont évoqués. C’est un témoignage des plus précis sur la vie quotidienne dans le Tarn-et-Garonne et ses alentours (Lot et Lot-et-Garonne).

Voici quelques exemples :

Tome 2, 18 nov. 1914, « Pourquoi La Petite Gironde a-t elle paru ce jour avec une page entièrement blanche?, une page a été supprimée par la censure ».

2 décembre 1914 : « Les soldats redeviennent nombreux dans les trains, les troupes hindoues passent toujours à Montauban en route vers le Nord ».

2 janvier 1915 : « Le pays se dépeuple d’hommes, on ne voit guère que des vieillards et de jeunes garçons. Les femmes remplacent au mieux les absents ».

15 avril 1916 : « Tout dernièrement je notais les propos qui courent ici sur une prétendue mobilisation des femmes à l’usine de Castelsarrasin. On n’en est pas encore à ce point ».

4. Autres informations

Renaud de Vezins, « Jules Momméja (1854-1928) » Bulletin de la Société Archéologique de Tarn-et-Garonne, Tome LXVI, 1928, p. 25-27.

Antonin Perbosc « Bibliographie de Jules Momméja », (Ibid), p. 35-44.

Pierre Viguié, « Souvenirs sur Jules Momméja » (Ibid), p. 29-34.

AD de Tarn-et-Garonne : Inventaire du fonds 3 J : Fonds Jules Momméja.

Marie Llosa, mars 2008

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