Bès, Victorin (1895-1961)

1. Le témoin

Né à Castres (Tarn) le 14 mai 1895, Victorin Bès avait 19 ans en 1914. Il habitait rue de Venise à Castres. Après des études à l’EPS de Castres, il est devenu surveillant de collège à Mirande (Gers). Il est passionnément attaché à sa famille et à Castres. Son grand-père avait été  métayer de Crabier, son père, serrurier-mécanicien dans une usine textile. Il est par ailleurs très marqué par l’anticléricalisme du début du siècle et le socialisme jaurésien. Son oncle, Henri Bès, socialiste, avait été adjoint au maire radical-socialiste de Castres Louis Vieu, et conseiller d’arrondissement de Castres. En septembre 1915, il rejoint le 161e régiment d’infanterie sur le front de Champagne. Fortement commotionné le 24 avril 1916 à Verdun, il est évacué à Bar le Duc, puis à l’hôpital mixte de Saint Dizier. A partir du 2 août, il peut achever son repos à Castres. Il rejoint le dépôt du 161e régiment d’infanterie à Guingamp et apprend, le 21 décembre qu’on peut être volontaire pour le front d’Orient. Il y reste jusqu’au 28 avril 1918. Victorin Bès demande alors à devenir élève-aspirant. Il ne reviendra plus au front. Après la guerre, il fera carrière dans l’administration des finances.

2. Le témoignage

Du 20 décembre 1914 au 28 avril 1918, Victorin Bès tient des carnets, écrits au crayon. Des extraits de ce témoignage (7%) ont été publiés dans la Revue du Tarn, avec l’accord des enfants de Victorin Bès, Jean, Pierre et Suzanne, sous le titre « Quelques extraits des carnets de guerre de Victorin Bès. Un Castrais « combattant involontaire » » (n° 196, hiver 2004, p. 673-690). Ils sont présentés par Jean Faury qui précise en introduction que « ces carnets doivent faire l’objet d’une publication complète ». On ne peut qu’inciter à une telle entreprise : ces courts extraits laissent en effet entrevoir l’immense richesse et l’intérêt certain de ces notes prises au jour le jour par un non professionnel de l’écriture.

3. Analyse

Le témoignage de Victorin Bès est d’une richesse telle que l’on regrette de n’en avoir que 7%.

Ce jeune homme se distingue d’abord par ses qualités d’analyste. Il propose ainsi, en décembre 1914, une réflexion sur l’entrée en guerre, marquée par ses sympathies pour les idées socialistes : « Depuis le 4 août nous sommes en guerre contre l’Allemagne. […] J’ai vécu la fièvre de tous mes compatriotes. J’ai entendu hurler « A Berlin » […] Après les pleurs des femmes pendant la journée du 4 août, après les chants, après les musiques militaires, le canon a tonné […] Chassons de nos esprits tous les doutes. […] Il faut que, malgré mes opinions, je sois persuadé de la volonté de paix de nos représentants du peuple. Certes, la structure capitaliste des nations, la Paix armée, les conflits d’intérêts des magnats des mines et de l’industrie, sont moralement responsables de l’état de choses actuel. Mais qui a déclaré la guerre ? C’est l’Allemagne. Qui est attaqué ? C’est la France. »

Ses qualités d’observateur, ensuite, sont remarquables : il décrit avec précision ses conditions de vie, sans passer sous silence les aspects les plus pénibles comme par exemple l’odeur des cadavres (p. 678). Les récits de combats sont saisissants : son ton est vivant, haletant, et traduit à certains moments l’agitation de l’auteur. En fait, le carnet fait office d’exutoire : à son angoisse pendant un bombardement (22 avril : « c’est un besoin [d’écrire], je suis sourd aux explosions »), à son agitation après l’attaque (19 mai 1916), et à sa colère à plusieurs reprises. Dans ces moments-là, le récit se fait au présent, les phrases s’enchaînent, se bousculent même. A titre d’exemple, le 8 octobre 1915, il se lance dans le récit de ce qu’il a vécu lors d’une attaque sur le front de Champagne, quelques jours auparavant. Il tente de mettre des mots sur ce tourbillon d’images dans lequel il semble toujours pris : « Sifflet : En avant ! Pas de traînards ! Les corps bleu horizon se dressent, gravissent le parapet, l’arme à la main. On crie, on hurle […] Les balles sifflent éperdument, s’écrasent à nos pieds. Des corps tournoient, tombent en arrière. Quoi ? Des obus maintenant ? Le capitaine hurle En avant ! La ligne d’attaque flotte, s’éclaircit. Je continue à marcher comme un automate, à courir plus exactement. » (p. 677) Chaque mot posé semble insuffisant à rendre compte de la réalité et Victorin Bès doit inlassablement en proposer d’autres (« plus exactement ») pour essayer tant bien que mal de faire entrer son expérience dans le champ du langage. Ce sentiment de l’étroitesse des mots, impuissants à couvrir le réel, beaucoup en ont fait l’expérience.

La richesse de ce témoignage tient enfin dans les différentes stratégies d’évitement déployées par l’auteur pour échapper à la violence du front (tentative d’automutilation, départ volontaire pour le front d’Orient perçu moins dangereux, etc.) et dans la complexité des relations à l’ennemi (de sa sympathie pour les fraternisations à sa colère au moment où il apprend la mort d’un camarade ou face à des ennemis qui refusent de se rendre).

08/03/2009

Marty Cédric.

Complément : édition intégrale du texte : Victorin Bès, Journal de route 1914-1918, Castres, Société culturelle du pays castrais, 2010, 208 pages. Dans 500 Témoins de la Grande Guerre, photo de Victorin p. 71 et de la couverture de son carnet p. 11.

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Eychenne-Bareil, Juliette (1907-1989)

1. Le témoin

Juliette Bareil est née le 7 juillet 1907 à Carcassonne dans un milieu modeste. Elle a une sœur aînée de dix ans plus âgée.

2. Le témoignage

Ce témoignage oral, recueilli et transcrit par Claude Marquié, a été publié dans Années cruelles. 1914-1918 de Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès, Villelongue d’Aude , Atelier du Gué, coll. Terres d’Aude, 1983, 143 p.

3. Analyse

Ses souvenirs de la mobilisation rendent surtout compte de l’agitation à la gare : « j’avais alors sept ans, ma sœur aînée qui en avait dix-sept m’emmenait avec d’autres jeunes filles à la gare voir passer les soldats qui partaient pour le front. Quel enthousiasme ! On aurait dit qu’ils allaient à la fête ! Des cocardes tricolores partout, des fleurs aux fusils… Ils chantaient joyeux : « Tous à Berlin ! » Tout le monde s’embrassait. » Si ces manifestations d’enthousiasme ont marqué Juliette Eychenne, elles sont souvent restées circonscrites aux gares ou aux villes. En publiant ce témoignage avec ceux d’autres civils, comme Berthe Cros, Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès permettent au  lecteur de nuancer ce tableau et de se faire de la mobilisation une image plus juste.

Dans son témoignage, Juliette Eychenne dresse un tableau saisissant de Carcassonne en guerre. Tout d’abord, l’espace urbain est marqué par l’apparition d’hôpitaux provisoires pour faire face à l’afflux massif de blessés : « les écoles étaient transformées en hôpitaux militaires : Saint-Stanislas, André Chénier, l’Ecole Normale de Garçons et d’autres locaux […] Saint-Stanislas ne désemplissait pas de grands blessés, on ne savait où le mettre, toutes les écoles et même les grands magasins étaient occupés ». Ensuite, c’est toute l’économie qui se met au service des besoins de la guerre : « Les hommes étant partis, ceci explique qu’on ait utilisé les femmes dans les usines pour faire des obus. L’usine Plancard […] était une fonderie qui se consacra à la fabrication des obus grâce aux femmes qui considéraient ce genre de travail comme un acte patriotique ; mais c’était très pénible.

Il y avait aussi, rue Pasteur, une grande blanchisserie qui lavait le linge pour la caserne : les machines étaient rudimentaires et beaucoup de choses se faisaient à la main, le plus pénible pour ces femmes était d’étendre dehors par tous les temps, même s’il gelait. D’autre part, beaucoup de femmes confectionnaient des vêtements militaires à domicile ; tout cela était peu payé, ma mère travaillait tous les jours, mais malgré tous ses efforts, c’était quand même la misère. » Juliette Eychenne rappelle à ce propos les interminables queues pour quelques pommes de terre, la faim et les problèmes de ravitaillement.

08/03/2009

Marty Cédric.

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Cros, Louis (1906-1986)

1. Le témoin

Louis Cros, né le 7 janvier 1906, dans une famille d’agriculteurs. Il est l’aîné. Son frère a 5 ans en 1914 et sa sœur 2 ans. Son père est mobilisé en 1915. Blessé à la tête par un obus sur le plateau de Lorette le 20 juin 1915, il meurt un mois plus tard à  l’hôpital de Noeux-les-Mines, dans le Pas-de-Calais, où il est enterré.

2. Le témoignage

Louis Cros a été interviewé en 1980 par l’instituteur du village, Jean-Pierre Guilhem et les écoliers, dans le cadre du concours organisé par la FAOL et le CDDP. Ce témoignage oral, transmis par Rémy Cazals, a été publié dans Années cruelles. 1914-1918 de Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès, Villelongue d’Aude , Atelier du Gué, coll. Terres d’Aude, 1983, 143 p.

3. Analyse

Louis Cros, encore enfant au moment de l’entrée en guerre se souvient de l’état d’esprit des premiers mobilisés : ceux qui devaient partir, « ils l’ont pris très bien. Ils disaient, la majeure partie : « Oh ! Avec l’armement qu’il y a aujourd’hui, dans huit jours on sera à Berlin. Avec l’armement qu’il y a, e ben, aujourd’hui, c’est pas besoin de s’en faire ! » Ils partaient comme ça, ils partaient contents. Mais malheureusement, la majeure partie ne sont pas revenus. » La publication d’un tel témoignage avec ceux d’autres civils, comme Berthe Cros ou Juliette Eychenne, présente un intérêt certain, celui d’offrir d’autres regards sur le même événement et de rappeler la complexité des sentiments des Français à l’entrée en guerre.

Louis Cros témoigne également des difficultés matérielles rencontrées par les civils, de la lourdeur des réquisitions, des cartes de ravitaillement ; mais ses souvenirs sont avant tout ceux d’un enfant dont la vie a été profondément bouleversée par la guerre : en effet, avec le départ de son père, Louis Cros a dû aider sa famille en s’occupant de la ferme. Lui qui participait déjà à la vie de la ferme avant la guerre est amené à prendre plus de responsabilités dans l’exploitation familiale. L’école passe au second plan : « A l’école, j’y allais l’hiver, quand il faisait mauvais, mais pas l’été. Et pendant la guerre, j’y suis été une paire d’années, mais après j’y suis plus été. J’avais des vaches à soigner, et mon frère avait cinq ans, ma sœur deux ans, et ma mère, et personne pour travailler. Mon père était sur le front. » A propos des travaux des champs, Louis Cros précise : « Je le sais personnellement, je sais ce que c’est ! Je menais la charrue pour semer les pommes de terre, j’avais huit ans. Je mettais la charrue sur l’épaule pour tourner au bout… Il fallait semer des pommes de terre pour manger, parce que c’était pas la peine d’aller chez l’épicier, il n’y en avait pas… »

08/03/2009

Marty Cédric.

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Cros, Berthe (1910-1992)

1. Le témoin

Berthe Cros est née le 12 mai 1910 à Villesèquelande, à dix kilomètres de Carcassonne. Son père est mobilisé dès 1914. Elle reste seule avec sa mère.

2. Le témoignage

Son témoignage oral a été enregistré en 1981 par sa petite-fille, Isabelle Cros. Transcrit par Claude Marquié, il a ensuite été publié dans Années cruelles. 1914-1918 de Rémy Cazals, Claude Marquié et René Piniès, Villelongue d’Aude , Atelier du Gué, coll. Terres d’Aude, 1983, 143 p.

3. Analyse

Le témoignage oral transmis par Berthe Cros en 1981 vient éclairer quelques aspects de la vie quotidienne des civils audois pendant les années de guerre.

En août 1914, Berthe n’est encore qu’une enfant, mais la rupture qu’a constituée l’annonce de la guerre est restée gravée : « Bien que n’ayant que quatre ans à la déclaration de guerre, je me souviens bien de cette journée car ce fut le début d’une chose affreuse. Mes parents dépiquaient au rouleau sur le sol et il faisait une grosse chaleur. Tout à coup, les cloches se mirent à sonner. Le tocsin ! Tout le monde s’écria : « C’est la guerre ! » Les gens ont tout laissé et se sont rassemblés devant la mairie, car ce n’était que là qu’on pouvait se renseigner, étant donné qu’il n’y avait ni radio, ni télévision. » Les travaux des champs sont suspendus et les premiers départs commencent. Parmi les mobilisés, son père : « Papa devait partir le soir même à Perpignan et tout le monde pleurait. […] Ça je me le rappelle, tout le monde pleurait… ».

Elle se souvient également que, « morte de sommeil sur l’épaule de Maman », elle attendait le passage en train de son père en partance vers le front. La foule est massée sur le quai et la petite fille est frappée par la cohue provoquée à l’arrivée du train en gare : « C’était affreux, je vois encore ces soldats aux portières, tout le monde qui criait quand le train est arrivé. »

La séparation est pénible et les lettres restent un lien vital entre les hommes au front et leurs proches restés à l’arrière. « Nous ne vivions qu’en attendant le facteur, dans un climat angoissant, car on a vécu longtemps sans nouvelles. »

La première permission, les difficultés matérielles, la pénurie alimentaire dans les campagnes, la pression sur les « embusqués », la mort des proches, le poids du deuil sur les familles qui impose une certaine réserve lorsque vient l’heure de l’armistice et du retour de son père, autant de thèmes évoqués dans ce témoignage qui gagne à être confronté à d’autres souvenirs de civils, ceux de Louis Cros ou de Juliette Eychenne par exemple, ou à des journaux et des correspondances, comme les écrits de Marie Escholier.

8/03/2009

Marty Cédric.

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Bertier de Sauvigny, Albert (1861-1948)

1. Le témoin

Issu d’une grande famille de l’ancienne noblesse d’origine bourguignonne. Entretient des relations sociales avec ce milieu. Semble partager des idées politiques plus ou moins conservatrices. Membre du C.I.O. avant la guerre. Propriétaire du château de Coeuvres. Maire de cette commune durant toute la guerre (ne quitte sa commune qu’entre le 31 mai et le 20 juillet 1918). Malgré son engagement durant la guerre, n’est réélu ni 1919 ni en 1925.

2. Le témoignage

Pages d’histoire locale 1914-1919. Notes journalières et souvenirs, Imprimerie de Compiègne, 1934, 525 p. Edition illustrée (dessins de l’auteur ?) Carte. Préface. 17 annexes.

Réédition Soissonnais 14-18, 1994, 523 p. Fac-similé de l’édition originale. Photographies et documents divers (c’est cette réédition que nous utiliserons ici).

Une dédicace : « A mes fils, en mémoire de leur aîné mort pour la France. »

Les souvenirs d’Albert Bertier de Sauvigny constituent une source de premier ordre pour mieux connaître la vie d’un village de l’immédiat arrière front, Coeuvres dans l’Aisne, durant toute la guerre et l’immédiat après guerre. Ils laissent apparaître deux types de narration, mêlant d’ailleurs deux typographies distinctes.

L’une est constituée à partir de notes journalières qui semblent ici retranscrites mais ont été à l’évidence complétées voire complètement réécrites par la suite, sans que l’on puisse vraiment savoir si le contenu de ce journal a été ici utilisé dans sa totalité. Ces notes sont parfois introduites par une phrase du type : « Je relève dans mon journal : (…) » (p 23).

L’autre est une mise en récit de ces notes, faisant entrer ce type de témoignage dans la catégorie des souvenirs de guerre. Ce second type de narration s’appuie alors sur d’autres sources que celles dont l’auteur a pu être le témoin direct (cf. ci-dessous, fin du chapitre I).

Le récit est alerte, vivant, avec une chronologie très précise. Il fourmille de détails dont l’intérêt est variable si l’on sort d’une perspective purement locale. La position sociale de Bertier facilite ses relations tant avec les autorités militaires (allemandes ou françaises) qu’avec un certain nombre de notables locaux ou nationaux. Ces souvenirs abordent également la période de l’immédiat après guerre avec l’évocation de l’année 1919 (recherche et identification des corps, gestion des cimetières provisoires, reconstruction du village).

3. Analyse

Vu la longueur du témoignage, nous adoptons ici une approche volontairement synthétique qui variera en fonction de l’intérêt des chapitres. Le contenu des annexes (souvent riche) est mentionné mais ne sera analysé que très brièvement.

Avant-propos

P I à IX : implication de l’auteur dans le comité international d’organisation des J.O. à la veille de la déclaration de guerre.

Première partie : du 22 juillet au 31 décembre 1914

Chapitre I (p 1 à 10)

Visite privée en Allemagne du 22 au 26 juillet 1914 puis départ précipité pour l’Angleterre où l’auteur apprend l’existence de l’attentat de Sarajevo et ses conséquences.Retour en France début août : mobilisation. Arrivée à Coeuvres le 2 août : première réquisitions militaires.« Des notes prises journellement par moi pendant mon séjour auprès de mes administrés, puis – après mon départ volontaire pour l’armée jusqu’à mon retour au pays – un journal tenu par mon ami Maurice Desboves et une fréquente correspondance échangée soit avec lui, soit avec le secrétaire de mairie, soit avec mon garde-régisseur Leblanc, m’ont permis de reconstituer l’existence quotidienne de mon village pendant ces années inoubliables. » (pp 9-10)

Chapitre II (p 11 à 22)

2 juillet et jours suivants : départ des premiers mobilisables de Coeuvres : « (…) personne à ce moment ne se rend compte de la terrible réalité. » (p 11) L’auteur reçoit l’aide des habitants du village pour faire face à cette situation. Destruction des plaques du bouillon Kub (rumeur apparue dès le début du conflit). Réquisitions militaires et création d’une Commission de ravitaillement. Union sacrée au niveau de la presse régionale. Protection d’une ressortissante autrichienne suspecte conduite à Paris. Arrivée des réfugiés de Verdun (dans le cadre du plan d’évacuation de la région fortifiée). Début de la vague d’espionnite. Avalanche de circulaires et télégrammes due à la proclamation de l’état de siège (directives absurdes). Mise en place de dispositions en faveur des familles nécessiteuses (abus). Etablissement de barrages et de contrôles dans la traversée des villages (espionnite aigue ; l’auteur mentionne un retour accru de cette tendance après la bataille de la Marne).

Chapitre III (p 23 à 32)

24 au 30 août : désertion de certains fonctionnaires et notables face aux menaces d’invasion.

L’auteur pressent que cette région de l’Aisne sera envahie et occupée. Arrivée des populations du Nord. Départ conseillé des familles de « quelques notabilités » malgré un télégramme du général commandant la 2e Région (rassurant…) Trains pour Paris bondés. Premières rumeurs concernant les atrocités commises par les Allemands. Absence de directives émanant des autorités civiles. Présence des troupes anglaises.

Chapitre IV (p 33 à 38)

31 août : repli en ordre de l’armée anglaise (mais pillages). Patrouilles de Uhlans signalées (accrochages avec des gendarmes). Départ de certains habitants, d’autres entendent rester : « De-ci de-là des conciliabules ont lieu dans la soirée, de maison à maison. Le pitoyable défilé des fuyards ne produit pas le même effet sur tous. Il affole les uns et les entraîne à l’exode ; au contraire il détermine d’autres à rester, qui déclarent : « Si je dois mourir, j’aime mieux que ce soit chez moi que par les chemins ! » » (p 36)

Chapitre V (p 39 à 60)

1er septembre : poursuite du retrait des troupes anglaises, talonnées par les Allemands (cette retraite semble s’accomplir cette fois dans un certain désordre). Un officier britannique quelque peu paniqué conseille à l’auteur de partir. Des habitants du village qui se sont mis en route sont refoulés, probablement par les autorités militaires. Un sous-officier anglais, réfugié chez un habitant et ivre, accuse le maire d’être un espion. Même comportement avec d’autres habitants. Bertier est obligé d’intervenir pour le calmer et s’en débarrasser.

Irruption d’un dragon allemand à la recherche de soldats anglais. Il braque son arme sur le maire mais dialogue calmement en français. A l’arrivée des patrouilles allemandes, Bertier fait connaître sa qualité de maire et demande à être l’interlocuteur privilégié (les échanges se font toujours en français avec les officiers). Le maire donne des consignes afin que chacun reste chez soi. Des traînards de l’armée anglaise déambulent toujours dans une certaine confusion qui ne peut qu’affoler la population civile et entraîner des répressions (les atrocités allemandes semblent connues de l’auteur dès cette période). Un jeune civil est tué par les patrouilles de Uhlans (corps abandonné puis récupéré par ses camarades). Installation des Allemands (Bavarois) dans le château de Coeuvres (propriété du maire). Passage du duc de Slesvig-Holstein (beau-frère de Guillaume II), il s’installe temporairement au château et félicite le maire d’être resté à son poste. Un cantonnier et sa famille, prisonniers des Allemands, bénéficient de l’intervention du maire pour être libérés. Les Allemands, selon les propos du journal du maire, emploie un stratagème leur permettant de justifier une éventuelle répression : ils affirment avoir subi des pertes, fussent-elles imaginaires… Le duc reçoit un télégramme de Guillaume II lui annonçant la défaite des Russes. Bertier demeure sceptique mais considère que la guerre est véritablement perdue, au vu de l’avancée allemande et de leur proximité par rapport à Paris. Le duc invite Bertier à souper, ce dernier décline catégoriquement l’ « invitation »… Evocation du comportement du même duc au château de Bellignies (Nord) qui appartenait à la famille de Croÿ. Ce dernier obligea les châtelains à dîner en sa compagnie, les menaçant d’abandonner une ambulance en cas de refus (cet épisode a été raconté par Marie de Croÿ à l’auteur en 1931 ; il est également relaté dans les mémoires de Marie de Croÿ dont on trouvera la référence dans la 4e partie).

Bertier s’enquière de ses administrés : il a surtout des craintes pour les fermes isolées de sa commune. La boulangerie est particulièrement sollicitée par la troupe d’occupation.

Poursuite du passage des troupes allemandes qui donne l’impression d’une totale défaite. Les habitants sont contraints à mettre des seaux d’eau devant le seuil de leurs maisons pour que les soldats puissent se désaltérer. Hymnes de victoire : dans 3 jours, ils seront à Paris…

Le soir, Bertier est à nouveau obligé d’intervenir auprès d’un haut gradé allemand (le prince de Saxe-Meiningen) pour sauver de l’exécution son adjoint Debuire. Cette rumeur s’avère finalement fausse sans que Bertier parvienne à élucider son origine. Harassé par cette journée mouvementée, Bertier doit néanmoins continuer à administrer sa commune occupée, notamment avec l’arrivée des services postaux militaires allemands. L’état-major qui occupait le château le quitte à 3 heures du matin.

Chapitre VI (p 61 à 78)

2 au 7 septembre : flot ininterrompu de troupes allemandes. Pillages sans ordres de réquisition mais un officier allemand accorde 250 kg de farine pour la population civile. Un officier qui porte un nom polonais semble très affecté par la tâche qui lui a été confiée : enterrer les morts.

Un médecin allemand soigne un dragon grièvement blessé. Ce dernier confie au maire un certificat de bons soins.

Certains officiers du Slesvig « pacifiques et corrects » (p 66) ont peu de sympathie pour les Prussiens. Le cadavre d’un civil est à nouveau découvert. Evocation du canon vers Château-Thierry (bataille de la Marne). A partir du 7 septembre, les troupes allemandes refluent vers le nord.

Chapitre VII (p 79 à 98)

9 et 10 septembre : reflux de la cavalerie (non engagée) puis de l’infanterie allemande. Arrivée au château de l’état-major de la 1ère armée (Von Klück, qui fait bonne impression à l’auteur). Installation des lignes téléphoniques.

Chapitre VIII (p 99 à 106)

11 septembre : départ de Von Klück et de son état-major. Reflux d’isolés allemands. Arrivée de la cavalerie française puis de l’infanterie. Combats sporadiques d’arrière garde. Les Français ne sont pas sûr de pouvoir tenir le village (risque de bombardement allemand).

Chapitre IX (p 107 à 122)

12 au 14 septembre : arrivée des avant-gardes françaises du 7e CA. Enterrement de soldats allemands et français. Evocation rétrospective des exploits de l’escadron Gironde (cf. également annexe I). Canonnades vers le nord (passage de l’Aisne). Installation de troupes françaises dans le village. Les combats pour passer l’Aisne s’avèrent particulièrement difficiles car les Allemands se sont retranchés sur les plateaux qui la jouxtent (bataille de Fontenoy et du plateau de Nouvron). Arrivée des premiers blessés français (63e DI). L’armée fournit des vivres à la population du village.

Chapitre X (p 123 à 130)

15 au 20 septembre : combats pour la prise des plateaux du nord de l’Aisne (pluie). Retour de certains habitants qui avaient fui. Remise de plaques d’identité à un major chargé de l’assainissement du champ de bataille. Fixation des lignes et entrée dans la guerre de position.

Chapitre XI (p 131 à 160)

21 septembre au 17 octobre : installation de l’état-major de la VIe armée (Maunoury) dans la château de Coeuvres. Près de 5 000 hommes vivent dans le village (premières tensions entre les autorités civiles et militaires au sujet des réquisitions et de l’installation des troupes). Interdiction des débits de boisson pour la troupe. Visite de Gabriel Hanotaux (distribution d’argent). Pénurie de charbon et de vivres. Mesures de police à l’égard des civils considérées comme vexatoires. Espionnite. Départ de l’état-major de la VIe armée.

Chapitre XII (p 161 à 172)

18 octobre au 18 novembre : visite de l’épouse du maire de Fontenoy (situation très difficile dans ce village de première ligne).

Visite de Melles B. et C. fiancée et sœur du maréchal des logis C. mort à l’ambulance le 20 septembre et inhumé au cimetière de Coeuvres. Elles sont accompagnées d’un ami, ancien commissaire à Besançon. La fiancée insiste pour qu’on exhume le corps du soldat. Refus motivé de Bertier dans la mesure où le corps est enterré en fosse commune, ce qui oblige à exhumer les autres corps. La fiancée s’incline devant cette raison.

Ouverture d’une fosse commune  où reposent des Anglais au Rond de la Reine [parmi ces corps, celui du neveu de Lord Cecil ; un monument le commémore aujourd’hui ; Doumer évoquera le devenir de ce corps lors dans le procès-verbal de la séance du 31 mai 1919 de la Commission Nationale des Sépultures militaires, cf. AN F2 2125]. Voyeurisme d’une passante lors de ces exhumations.

Chapitre XIII (p 173 à 182)

21 novembre au 24 décembre  : établissement à Coeuvres de l’état-major du 7e CA (nouvellement commandé par le général De Villaret). Visite du sous-préfet. Arrivée de wagons de charbon (suite à l’intervention d’Hanotaux ; évocation de la création du Comité des Réfugiés de l’Aisne). Enterrement d’un soldat allemand. Sur la croix figure l’inscription : Hic jacet ignotus Teutonicus miles. Création de compagnies agricoles. Conseils de révision (Villers-Cotterêts, Vic-sur-Aisne). Visite de deux femmes au général De Villaret (dont une actrice) malgré l’interdiction de la zone aux civils.

Deuxième partie : du 1er janvier 1915 au 31 décembre 1917

Chapitres XIV à XXIV (p 185 à 286)

1915 : le village est devenu un lieu de cantonnement des troupes (va-et-vient incessant de diverses unités). Afflux de troupes en vue de l’attaque de la cote 132 (affaire de Crouy). Blessure des généraux Maunoury (VIe armée) et De Villaret (7e CA) lors d’une visite aux tranchées. Bombardement du village. Mandats pour occupation du village par l’armée (indemnités de cantonnement lucratives pour certains habitants). Déjeuner avec l’abbé Payen qui a accompagné jusqu’au peloton d’exécution 2 soldats (exécution dans un hameau de Saint-Cristophe-a-Berry). Visite d’une ambulance : 2 soldats blessés ont commis des violences sur leur sergent et ont fait une tentative de suicide commune. Un capitaine du Génie réquisitionne du matériel pour inventer et fabriquer un lance-grenade sous forme d’arbalète. « La mission d’annoncer ces tristes nouvelles aux parents des pauvres soldats tombés au Champ d’Honneur, revient bien souvent et constitue l’un des côtés douloureux du rôle des maires. » (p 223). 4 août 1915 : l’état-major du 7e CA quitte le village pour s’installer à Longpont. 1er octobre : réouverture de l’école du village.

1916 : nombreux décès dans l’ambulance entraîne la création d’un nouveau cimetière (ambulance importante, les blessés viennent de loin). Arrivée de la main d’œuvre travaillant pour la défense du Gouvernement militaire de Paris (mauvaise réputation, cégétistes…). Lutte des autorités militaires contre la vente de vin par les civils.

1917 : le village se vide de militaires suite au recul allemand. Cantonnement de troupes participant à l’offensive du Chemin des Dames (repos). Mutinerie du 370 RI. Arrivée de 5 escadrilles de chasse à la ferme de Vaubéron (installation de hangars). Nomination d’un délégué et d’un suppléant de la commune à la Commission cantonale des dommages de guerre.

Troisième partie : du 1er janvier au 23 octobre 1918.

Chapitres XXV et XXVI  (p 289 à 312)

1918 : les cultivateurs se plaignent qu’un grand nombre d’ouvriers quittent les fermes pour aller travailler à l’avant (meilleures rémunérations). Propagande allemande envoyée par ballonnets (Gazette des Ardennes). Les habitants ne touchent plus depuis 6 mois leurs indemnités de cantonnement. Visite de Guy de Lubersac stationné au camp d’aviation de Vaubéron (cf. également annexe XV).

Chapitre XXVII (p 313 à 328)

Mai : installation du CI de la 1ère DI. Départ de certains habitants après l’attaque allemande du 27 mai sur le Chemin des Dames. Défilé incessant de troupes. Installation de l’état-major du 1er CA (général Lacapelle). Mise en sécurité des archives communales. 31 mai : arrivée massive de troupes. Evacuation des civils par camions militaires et sur ordre de l’autorité militaire (quelques « obstinés irréductibles prétendant qu’on n’a pas le droit de les obliger à partir », pp 323-324). Bertier quitte le village pour Paris sous les premiers bombardements.

Chapitres XXVIII et XXIX (p 329 à 332)

Juin : évacuation et dispersions des habitants du village évacué vers la Normandie et la Bretagne. Récit de l’« odyssée de ceux de mes administrés qui étaient restés dans Coeuvres après l’évacuation » (témoignages indirects).

Chapitre XXX (p 357 à 368)

20 juillet : retour de Bertier à Coeuvres : le village a beaucoup souffert des offensives et contre-offensives. La propriété du maire est en partie détruite. Présence de trous individuels et de cadavres allemands dans les parages du village (effets des gaz). Bertier est invité à aller déjeuner à l’état-major du XXe CA (château de Montgobert). Autorisation pour une deuxième visite à Coeuvres occupé par les Britanniques dont l’état-major est installé dans les creutes environnantes (aménagées grâce à la récupération des biens des habitants évacués).

Chapitre XXXI (p 369 à 376)

Août-septembre : nouvelle visite à Coeuvres. Retour de 4 habitants (retours tolérés par l’autorité militaire qui pourtant ne les autorise pas officiellement). Des équipes militaires sont réquisitionnées pour moissonner. Nomination à l’Officiel de Bertier comme chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire. Multiplication des retours clandestins de civils. Visite de Bertier à Paris : intervention auprès du Comité Central des Réfugiés de l’Aisne.

Chapitre XXXII (p 377 à 386)

14 septembre : réinstallation définitive de Bertier dans sa commune (chez l’habitant). Cantonnement de troupes et intervention du Génie pour réparer les habitations (futur STPU à l’efficacité douteuse…). Utilisation des prisonniers pour le déblaiement du village (collecte d’obus non explosés ; un supplément de nourriture pour ceux qui aident de leur mieux). Manque de baraques (n’arriveront qu’en novembre). Action appréciée du CARD (Comité américain des Régions dévastées d’Ann Morgan, cf. annexe VII) et de l’Association de l’Aisne dévastée (fondée en juin 1916).

Chapitre XXXIII (p 387 à 390)

Octobre : récupération de carton bitumé dans un magasin du STPU. Début de la longue correspondance du maire aux familles qui ont perdu un proche dans le secteur : « Je me suis fait un devoir de répondre moi-même très exactement aux parents qui recherchent des militaires disparus dans notre région. » (p 389) Le retour des sinistrés est ralenti par la pénurie de maisons habitables (et secteurs non déminés). Réclamation du maire pour obtenir plus de prisonniers allemands (sentiment d’injustice).

Quatrième partie : du 24 octobre 1918 au 3 mai 1925

Chapitre XXXIV (p 393 à 398)

12 novembre : le retour du silence : pas d’avion, pas d’artillerie. Cérémonie à Paris pour la réception de la Légion d’Honneur. Début des exhumations et réinhumations. Visite du sous-préfet accompagné d’un architecte canadien. Projet de coopérative de reconstruction.

Chapitre XXXV (p 399 à 412)

Janvier 1919 : recherche de cadavres non inhumés. Mise en chantier de la coopérative de reconstruction (apparition des architectes démobilisés). Arrivée des familles à la recherche des disparus, de morts ou de blessés. Une mère voulant soigner son fils gazé est à son tour victime du gaz. 9 mars : violente diatribe de l’auteur à l’égard des politiciens qui bradent la victoire (vise Clemenceau que Bertier ne semble pas porter en son coeur…). On compte les victimes du conflit… Difficultés face au ravitaillement. Correspondance avec les familles à le recherche de leurs morts : certaines familles entendent que leurs morts reposent là où ils sont tombés, près de leurs camarades. Projet de création d’une voie de 0,60 pour aider à la reconstruction (ne sera finalement pas utilisée…).

Chapitre XXXVI (p 413 à 422)

Mai : la remise en état des terres et du village permet d’exhumer de nombreux cadavres. Loi du 17 avril 1919 sur les dommages de guerre (charte dite des sinistrés). 15 juin : création de la coopérative de reconstruction (27 adhérents). Procession et visite dans les cimetières militaires provisoires. Localisation des tombes isolées. Visite des familles. Intervention de Bertier à l’Assemblée des Etats-généraux des Régions libérées de Laon en faveur de la question des tombes isolées (Bertier dénonce à plusieurs reprise l’absence puis l’incompétence des services de l’Etat-civil du champ de bataille, cf. annexe V). 3 septembre : départ de Bertier pour Douaumont afin d’y rechercher son fils (ce qui explique sa sollicitude à l’égard des familles de disparus…). Recherche qui demeure sans résultat. Second voyage sans résultat. 12 octobre : « Assemblée générale de la Coopérative. Les architectes et les entrepreneurs nous promettent monts et merveilles. » (p 420)

Chapitre XXXVII (p 423 à 430)

Déplacement du cimetière du village vers l’extérieur, à côté du cimetière militaire. 30 novembre : élections municipales, Bertier n’est pas réélu, victime d’une kabale locale… Il continue à travailler au sein de la coopérative de reconstruction (où la favoritisme s’installe… mais à mettre en relation avec sa non réélection…). Erection du monument aux morts en 1926 (cf. annexe XII). La commune reçoit la croix de guerre.

Annexes

Annexe I : le raid de la 5e DC [épisode le l’escadron Gironde]

Annexe II : Ambulances ayant fonctionné à Coeuvres [simple liste]

Annexe III : Aide de l’armée à l’agriculture

Annexe IV : Evacuation et exil

Annexe V : Tombes isolées et cimetières [particulièrement riche]

Annexe VI : Récupération

Annexe VII : Le Comité américain des Régions dévastées

Annexe VIII : La reconstitution

Annexe IX : Les familles décimées

Annexe X : Dans les régions envahies

Annexe XI : De Douaumont à Coeuvres [quête du fils disparu]

Annexe XII : Le monument aux morts [inauguration non exempte de règlements de compte politiques, comme ce fut souvent le cas…]

Annexe XIII : Les morts de la commune de Coeuvres-et-Valsery

Annexe XIV : Les instituteurs de l’Aisne [exécution par les Allemands d’instituteurs après la guerre de 1870]

Annexe XV : Le Marquis de Lubersac [pilote durant la guerre ; s’investit beaucoup ensuite dans la reconstruction]

Annexe XVI : Elections et nouvelle municipalité du 3 mai 1925 [dans un contexte de querelles politiques locales]

Annexe XVII : Entre bons Français

4. Autres informations

CLERMONT Emile, Le passage de l’Aisne, Grasset, 1921, 128 p. [rééd. Soissonnais 14-18, 2002, 158 p.]

DE CROY Marie, Souvenirs de la princesse Marie de Croÿ, Plon, 1933, 281 p.

HARDIER Thierry, JAGIELSKI Jean-François, Combattre et mourir pendant la Grande Guerre (1914-1925), Imago, 2001, 375 p.

ROLLAND Denis, La grève des tranchées, Imago, 2005, 448 p. [sur la mutinerie de Coeuvres, pp 197-203]

J.F. Jagielski, mars 2009

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Baros, Léon (1877-1941)

1. Le témoin

Léon Baros est né à Fontaines (Territoire de Belfort) le 27 février 1877 d’une famille bourgeoise – son père fut maire du village. Après des études médicales, il s’installe en mai 1903 à Bussang (Vosges) et se marie le 15 février 1904 avec Lucie-Alphonse Bleck, issue d’une famille catholique alsacienne optante. Lorsque la guerre survient, il est mobilisé comme médecin-major de 2e classe (352e puis 217e RI), fait toute la campagne et revient à Bussang où il collaborera à plusieurs revues. Ecrivain-témoin de la Grande Guerre, il écrit également dans la Revue Médicale de l’Est sur les sources minérales de Bussang (en 1930), la revue Le Pays Lorrain (en 1933 sur le Théâtre du Peuple de Bussang) ou l’expansion scientifique française (1938). Dans l’autre guerre, il est président des Anciens Combattants de 14-18 de sa commune. Conseiller municipal, il sera conseiller d’arrondissement de 1937 à 1940. Il décède le 9 décembre 1941 à Bussang. Il a écrit deux livres de souvenirs de guerre correspondant à des fronts et des unités différentes.

2. Le témoignage

Docteur Léon Baros, Souvenirs de mobilisation et de dépôt, Nancy, imprimerie Humblot, 1924, 147 pages, non illustré. Le livre est achevé le 1er février 1924.
Dès la préface, Léon Baros prévient le lecteur : « Cet opuscule raconte la guerre à la façon de M. Paul Souchon, dans Les Tranchées de Pélissanne, celles-ci n’étant que le « Roman de guerre sous le soleil du Midi ». Il dépeint la guerre de l’arrière par opposition à la guerre de l’avant ». En effet, l’histoire qu’il raconte présente la guerre de l’arrière et est destinée aux siens et à ses amis. Cet envoi est heureux car l’ouvrage répond tout à fait à ce « cahier des charges ». L’auteur ne voit rien, ne fait rien et présente une succession de banalités. Mis à part quelques phrases relevées sur l’ambiance et les sentiments qui assaillent les cœurs des mobilisés et de leur famille et une description sommaire des soldats partant du dépôt, rien n’est apporté dans cette succession de pages de remplissage constituées de descriptions de lieux ou de portraits sans aucun intérêt. Ainsi en est-il à Langres où quatre pages tirées d’une plaquette de syndicat d’initiative décrivent la ville ! alors qu’une succession de personnages dénommés L…, P… ou Th… sont présentés à l’envi. Mais par delà ce constat d’impuissance littéraire, Léon Baros illustre à son corps défendant l’inaction d’une immense partie du corps médical, alors que meurent faute de soins d’innombrables blessés dans les combats de la bataille des frontières.

3. Résumé et analyse

Quand la guerre éclate, l’auteur est mobilisé comme médecin de réserve du 352e régiment d’infanterie et se trouve à Gérardmer dans les Vosges. Il y témoigne de l’effervescence de la mobilisation des troupes, mêlant l’inquiétude à la calme résignation des Vosgiens (page 3) et au courage des femmes (page 6). Il effleure une description de l’activité naissante du service sanitaire de l’arrière, mobilisant les énergies civiles (organisations caritatives et hôtelières) et militaires (page 14). Il n’échappe pas toutefois au colportage systématique des thèmes récurrents de la littérature d’août 1914, de l’espionnite (pages 26 et 54 puis 62 pour le traditionnel libelle contre Kub et Maggi) aux atrocités supposées (à Baccarat en Meurthe-et-Moselle page 141). Pourtant, sa présence si près du front naissant n’est pas indispensable et il est envoyé au dépôt régimentaire commun au 352e et 152e à Langres en Haute-Marne. Là, son activité n’étant pas débordante ; il décrit les lieux et les hommes qu’il côtoie avant d’apprendre la mort de son beau-frère, Charles Bleck, lieutenant au 158e RI, blessé au bois de la Rappe à Sainte-Barbe lors des combats de la Chipotte. Cette nouvelle met fin à ses « souvenirs de mobilisation et de dépôt » d’août – septembre 1914.

4. Autres informations

Bibliographie de et sur l’auteur
Baros Léon, (docteur), Quelques impressions de guerre. Largentière, Imprimerie Mazel, 1921 (réédition Paris, Eugène Figuière, 1936), 123 pages
Grasseler, Michel, « Le docteur Baros de Bussang : un médecin aux Armées », in Bulletin de la Haute-Moselle, n°25, 1999, p. 4.

Yann Prouillet

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Krémer, Louis (1883-1918)

1.   Le témoin

Louis Krémer est né en 1883 à Étampes ; d’origine fort modeste, il effectue des études classiques dans sa ville natale, puis son droit à Paris avant d’entrer dans une étude de notaire ; toutefois, le jeune homme « se rêvait homme de lettres, érudit, critique littéraire… », fréquente les salons artistiques et les musées, lit les poètes et s’essaie lui-même à l’écriture et à la poésie. « À l’été 1914, écrit Laurence Campa, Krémer n’avait pas encore atteint sa maturité littéraire »…

Mobilisé après quelques semaines de dépôt, il rejoint le 231e RI au nord de Soissons, le 7 décembre 1914. Le 9 décembre, il est aux avant-postes à Cuffies ; après avoir été blessé par obus, à Crouy, en janvier 1915, il se rétablit rapidement et intègre en février 1915 la compagnie Hors rang de son régiment où il assure successivement les fonctions de téléphoniste puis de secrétaire (lettre du 22 juillet 1915). Cela le place dès lors à une certaine distance du danger ; cependant, ses nouvelles fonctions ne le mettent pas totalement et définitivement hors de danger (Cf. lettre du 3 juin 1915); de la mi-mai au début décembre 1915, il est dans le secteur de Souchez ; en août 1915, il y partage la popote avec notamment plusieurs personnalités du monde artistique : Robert Marvini, ténor de l’Opéra-Comique, Le Feuve, violoniste, l’illustrateur Auguste Vallée et Henri Barbusse (Lettre du 22 août 1915)…

Fin mars 1916, Krémer stationne dans le bois de Beaumarais (Chemin des Dames) ; après la dissolution de son régiment, Krémer est versé au 276e RI qui, entre juillet 1916 et mai 1917, alterne entre la cote 304 en Argonne et la région de Verdun.

En septembre 1917, le 276e RI est dissous et refondu. Krémer est alors versé dans un corps d’instruction divisionnaire à Essey-les-Nancy ; il connaît alors la vie de l’arrière-front mais ce filon ne dure qu’un temps ; en effet, à la mi-avril 1918, au plus fort de la grande offensive allemande sur le front ouest, Krémer est remis dans le rang au sein du 12e RI ; blessé à nouveau dans le secteur de Montdidier en juin 1918 à la bataille du Matz. Il meurt de ses blessures à l’hôpital de l’École de Polytechnique, annexe du Val-de-Grâce, le 18 juillet 1918.

2.   Le témoignage

Le témoignage du poète nous est livré grâce à la correspondance adressée à son ami d’enfance Henry Charpentier, de six ans son cadet, poète lui aussi, mais réformé. Au fil des échanges épistolaires, Charpentier devint ainsi le dépositaire d’un « volumineux dossier de guerre » composé de lettres, de cartes, de textes divers, d’esquisses, de dessins, etc. À l’instar d’un Barbusse, d’un Dorgelès (par ex., Roland Dorgelès, Je t’écris de la tranchée. Correspondance de guerre, 1914-1916, préface de Micheline Dupray, introduction par Frédéric Rousseau, Paris, Albin Michel, 2003), Krémer rassemblait ainsi les matériaux censés nourrir sa littérature une fois la paix revenue (Cf. Lettres du 1er avril 1915, 18 décembre 1915 ; d’ailleurs, ses projets d’écriture se précisent dans la lettre du 21 janvier 1918).

Cette correspondance est aujourd’hui publiée sous le titre : Louis Krémer. Lettres à Henry Charpentier (1914-1918). D’encre, de fer et de feu, présentation et notes de Laurence Campa, Paris, La Table ronde, 2008. Les indications d’ordre biographique sont empruntées à l’excellente et savante présentation de Laurence Campa. L’ouvrage, d’une facture très soignée est assortie de reproductions de lettres, de cartes, de dessins, de photographies.

Un grand nombre de lettres se caractérisent par un humour et une ironie mordante non exempts d’un certain cynisme (Voir la lettre à son ami « embusqué » du 12 avril 1915 ; ou encore le post-scriptum de celle du 8 juillet 1916).

La correspondance proprement dite est ponctuée d’un certain nombre « d’impressions » d’une grande profondeur et surtout d’une très grande force d’évocation, mélange de textes descriptifs du champ de bataille (« Le soir tombe sur la forêt des croix », 27 mai 1917), et de réflexions sur la guerre, sur l’humanité ; le poète, comme tant d’autres artistes mobilisés sait voir et faire voir. Ses « charniers » sont d’une précision chirurgicale sans concession. S’il avait vécu, nul doute que Barbusse aurait eu avec Krémer un sérieux concurrent. Et Jean Norton Cru, un bon témoin.

3.   Analyse

Encore un témoignage d’artiste, de bourgeois ? Oui, et alors ? Précisément, nous ne sommes pas de ceux qui rejettent les témoignages ; nous n’opposons pas non plus témoignages des élites et témoignages populaires ; nous pensons au contraire que les historiens ont encore beaucoup à apprendre de tous les témoins, qu’ils soient « d’en haut » ou « d’en bas ». Peu à peu, à mesure que les témoignages livrent, page après page, leurs multiples traces, l’extraordinaire complexité de la guerre et des hommes qui l’ont vécue se dévoile. L’enquête continue…

Une mobilisation à reculons :

Première surprise : contrairement à nombre de ses confrères qui abordent l’entrée en guerre avec une vraie curiosité pour le grand événement qu’est la guerre, Krémer accueille sa mobilisation avec une profonde angoisse : « Mon cher ami, Tu t’es réjoui pour moi beaucoup trop tôt. Je ne suis en effet ni à Corbeil, ni à Melun, mais cantonné à Voisenon, petit village des environs de Melun et désigné pour partir incessamment sur les lignes du feu. Je vis les derniers jours d’un condamné à mort… » (lettre du 29 août 1914) ; rappelons que son ami Charpentier est réformé.

On retrouve la même teneur dans une lettre du 7 octobre : « Je me reprends à espérer. Le bataillon est bien parti hier, sur les premières lignes du feu – mais je suis resté ! Il n’y a plus à Melun que 80 hommes environ – je suis du nombre. Évidemment, je puis encore partir – dans une heure, dans 15 jours, dans 2 mois, qui sait ? – mais c’est une chance de plus et dans la très bizarre vie que je mène, une chance de plus, un jour de plus, une heure de plus, c’est quelque chose ! […] À Melun, casernes vides. […] Puissé-je y couler des jours paisibles, jusqu’à l’avènement de la Paix. » Cette lettre s’achève sur cette information : « Un des réservistes du bataillon s’est tué lundi, en apprenant le départ pour le combat. Il est mort de suite. »

Et le 3 novembre 1914 : « Hélas, c’en est fait ! Je suis officiellement avisé que nous quittons Melun… » ; le 19 septembre 1917, Krémer annonce à son ami sa prochaine affectation dans un nouveau régiment : « Le Régt où je vais passer est un régiment actif et d’assaut. C’est te dire l’avenir qui m’attend… » Dès lors, il entame, et son ami fait de même de son côté, des démarches pour tenter de s’extraire de la guerre (Lettre du 26 septembre 1917) ; « Mon cher ami Candide, Je vois toujours en toi l’indécrottable optimiste qui annonce, imperturbable, la fin du marasme pour le trimestre suivant. Cependant, cette fois, j’en accepte l’heureux augure et j’incline également à penser (contrairement à mes prévisions d’il y a six mois) que cette année sera la dernière. Il me semble discerner un certain nombre d’indices. Mais je pense aussi qu’il y aura encore beaucoup de casse d’ici là au Printemps et en Eté. Il s’agit donc de ne pas être compris dans les dernières fournées… » (Lettre du 12 janvier 1918) ; ainsi, après plus de 4 ans de guerre, Krémer se montre toujours aussi indifférents aux enjeux nationaux, politiques de la guerre.

Une lettre du 15 avril 1918 nous apprend que Krémer a perdu son « filon » : « Je suis en ce moment complètement dans le rang […]. Je n’ai aucune possibilité immédiate d’échapper au sort qui m’attend (mon envoi dans une compagnie de l’avant)…. » D’ultimes tentatives d’embusquage sont tentées auprès de Barrès… (8 mai 1918) ; « jamais ma situation ne fut plus critique qu’à l’heure actuelle (sauf peut-être à Crouy) » écrit-il le 29 mai 1918. Le 2 juin : Mauvais pressentiment : « Tournant dangereux ! Je suis arrivé à une période éminemment critique de mon existence… » Krémer est blessé le 13 juin devant Compiègne… et meurt des suites de ses blessures trois jours plus tard.

Le poète éprouve le plus profond mépris pour ses confrères patriotards (lettre du 27 avril 1915) ; trouve les chansons patriotiques de Botrel « ineptes » (Lettre du 13 décembre 1915)

L’ennemi : « Les sentinelles sont debout, cibles vivantes, à la merci du moindre coup de feu et généralement à 50 ou 100 mètres de l’ennemi, dans certains endroits même à dix mètres. Les tranchées adverses se touchent presque : on se voit, on s’entend parler et même depuis quelques jours on se parle, entre Français et Allemands : c’est incroyable, mais c’est vrai » (Lettre du 13 décembre 1914).

Krémer n’éprouve aucune haine pour l’ennemi ; il décrit la souffrance commune des capotes bleues et des capotes grises.

Critiques de l’arrière : comme de nombreux poilus, Krémer n’a pas de mots assez forts pour dénoncer l’insouciance de Paris et des Parisiens qui paraissent si bien s’accommoder de la guerre : « […] Paris qui dort, chante, se promène, circule, s’amuse, avec la rassurante sensation d’une centaine de kilomètres et de centaines de milliers de poitrines humaines interposées. Tout cela derrière moi, la France entière, si égoïste, où des humanités intactes continuent à vivre, à aimer, à dormir – et devant moi la fragile ceinture des porteurs d’armes, en lutte avec le feu ! Navrante disproportion… » (p. 41)

Krémer éprouve de la rancœur vis-à-vis de ses collègues, mieux embusqués que lui (Lettre du 8 mai 1915) ; « […] Pergaud n’est peut-être que prisonnier. J’ai lu le récit très détaillé de sa disparition dans le Bulletin des écrivains que reçoit Henri Barbusse et qui, avec quelques autres publications analogues, donne les adresses de tous les artistes – en majorité embusqués ; les exceptions sont infimes » (Lettre du 20 septembre 1915) ; critique acerbe des « embusqués » des Sections de Transport de Matériels et de Transport de Personnels (20 juillet 1916) ; voir sur ce sujet le livre de Charles Ridel, Les Embusqués, Paris, Armand Colin, 2007.

Comme souvent, c’est à l’arrière-front que se crée un « journal de tranchée » ; ainsi naît Le Tuyau de la Roulante, auquel Krémer collabore en tant que secrétaire de rédaction (un fac-similé figure page 105 suivi par un certain nombre d’articles de Krémer). Voir sur ce thème le livre de Marcelle Cinq-Mars, L’Echo du front. Journaux de tranchées (1915-1919), Outremont (Québec), Athéna Editions, 2008. Le 29 mai 1918, Krémer a encore ces mots acerbes pour un faux témoin de la guerre des fantassins : « Dans un livre héroïque, Binet-Valmer narre ses campagnes magnifiques d’officier auto-mitrailleur, de chevalier de l’escorte divisionnaire, etc. Quelle dérision ! » Jean Norton Cru partage son jugement : Cf. Témoins, Presses universitaires de Nancy, [1929] 2006, p. 275 : « Binet-Valmer a été un véritable mousquetaire, il a voulu courir toutes les aventures de la guerre, et il y a réussi, sans vouloir s’astreindre cependant à l’aventure la plus commune, la plus essentielle : celle du fantassin. S’il faut avouer qu’il s’exposa plus que Barrès, il faut se rendre compte qu’il y a loin entre le sort d’un porte-fanion divisionnaire et celui d’un capitaine ou un soldat de compagnie. Je dirai maintenant, qu’en somme, Binet-Valmer s’est assez bien tiré de sa tâche d’approvisionneur de la presse, que ses récits sont infiniment plus vrais que ceux que l’on écrivait à Paris… »

La pression sociale pesant sur les jeunes hommes ne portant pas l’uniforme apparaît au détour d’un extrait d’une lettre adressée par Charpentier à Kremer : « Hier, en me rendant chez Me Legay, je passai sur le boulevard de la Madeleine, rasant les murs, et poursuivi par les quolibets des vaillants permissionnaires, par le mépris des femmes odorantes et par l’hostilité des bourgeois héroïques… » (Lettre du 19 mars 1916) ; un certain nombre de femmes suspectent la virilité de ces hommes réduits par leur non-participation à la « Grande tuerie ». (Cf. Nicoletta F. Gullace, « The Blood of Our Sons ». Men, Women, and the Renegotiation of British Citizenship During The Great War, London, Palgrave Macmillan, 2002)

Le premier mort : « Vision sans égale ! Une pauvre charogne boueuse, infecte, souillée de terre et d’ordures, sans tête (un tas de chiffons pleins de sang, une boule à la place de la tête, les mains couleur de cire, recroquevillées. J’ai assisté à la mise en terre de ce misérable, devant un prêtre soldat et une centaine d’hommes. Les maisons démolies, les usines incendiées, les arbres fracassés, les ponts rompus ne se comptent plus. Et tout cela dans la boue, dans la pluie, dans l’ordure, les détritus, la pourriture, les excréments, les vieux linges, les vieux meubles, l’infection » (Lettre du 13 décembre 1914) ; Le pourrissement des cadavres (lettre du 3 juin 1915) ; celle du 27 mai 1917 ;

C.H.R.

Krémer voit son versement dans la Compagnie Hors Rang comme une véritable « amélioration » de son sort : « Milieu beaucoup plus intelligent, mieux traité, mieux soigné. Rapports constants avec les officiers, le colonel, les secrétaires. Plus de corvées fastidieuses, ni de gardes, et même, pour le moment, plus de tranchées. Séjour dans une ville toujours bombardée, où les dégâts vont croissant. Dans une seule journée, il tombe des centaines d’obus qui font un bruit affreux. On y fait à peine attention… » (Lettre du 28 février 1915) ; on peut renvoyer ici au journal d’Octave Bouyssou (Cf.  sa notice dans ce dictionnaire)

Cependant, Krémer retrouve les tranchées à plusieurs reprises en juin 1915 (deuxième bataille d’Artois). Quand le régiment participe à la bataille, le métier de téléphoniste s’avère même des plus dangereux : « […] J’ai passé ces 4 jours sous terre, dans un trou aussi petit qu’une niche à chiens, sous le fossé d’une grande route transformée en volcan. De la poussière, des mouches par grappes, par monceaux, des cadavres ! ! du sang. Et il faut souvent sortir, courir réparer les fils par les boyaux et les tranchées, risquer la mort cent fois. Ni sommeil, ni appétit, ni calme. C’est l’ensevelissement avant le tombeau. Quelle guerre ! Je viens d’être cité à l’ordre du régiment et de la brigade (plus rare) pour m’être spontanément proposé il y a 3 semaines, pour porter un pli au colonel et avoir réparé les lignes sous un pareil bombardement. Cela me donne droit à la Croix de la Guerre » (Lettre du 14 juillet 1915). On notera à ce propos que l’on peut haïr la guerre, ne pas cesser de craindre d’y laisser sa peau et faire, malgré tout, acte de bravoure et d’esprit de sacrifice. Complexité de l’homme…

Krémer a pleine conscience des différences de situation existant entre l’avant et l’arrière-front : « […] suis actuellement dans une cabane confortable, sous terre, garnie d’une litière de paille, d’une table, de 2 bancs rustiques, pourvue d’une lampe, de livres, de journaux, d’encre, de papier – tout le confort moderne ! C’est analogue aux photos publiées par Le Matin ou autres journaux ejusdem farinae, et représentant des abris soit-disant situés sur le front, en réalité à 5 ou 7 km en arrière et réservés au commandement, aux officiers d’artillerie, à l’administration, etc. Jamais, je n’avais connu un tel luxe. Évidemment, il y a encore des ombres au tableau : beaucoup de rats (furieuses batailles, toutes les nuits, entre ces rongeurs qui se livrent, par bandes, des assauts effrayants !), beaucoup de parasites, dont je n’arrive pas à me débarrasser ; quand il y a de l’orage, quelques petits filets d’eau sur « mon lit ». Tout cela n’est rien en comparaison des souffrances endurées dans les tranchées… » (Lettre du 30 août 1915)

Pas d’euphémisation chez ce témoin : « Un obus tombe en pleine route sur une des sections de mon régiment, 8 hommes sont tués du coup ; on n’a jamais pu retrouver leurs cadavres Rien que des viandes déchiquetées, carbonisées, éparses, certaines collées au talus de la route, d’autres fichées sur des poteaux de télégraphe, à 200 m de là – les hommes avaient été, littéralement, volatilisés » (Lettre du 22 juin 1915) ; « […] Au-delà de cette route [de Béthune], c’est l’affreuse horreur de la Mort, la vision de tous les carnages et de toutes les épouvantes, ce sont, parmi les râles et les hoquets, les blessés geignants, aux visages décomposés, mouillés de sueur, aux voix suppliantes, avec leurs loques boueuses ou poussiéreuses, leurs capotes ouvertes, que l’on transporte, tendus sur les brancards ou qui se traînent, tâtonnant par les boyaux, soutenus par les brancardiers ou des camarades. Et ce sont les cadavres raidis, les cadavres aux mains crispées, aux yeux vitreux, aux joues blêmes mangées par des barbes sales, couverts de linges sanglants, de torchons infects, empesés par un caillis de sang noirâtre, les cadavres à moitié ensevelis, couverts d’insectes voraces, assiégés par un remous de vers et de mouches. […] C’est l’épouvante des bipèdes frissonnants, suant la peur, en proie à toutes les révoltes des instincts affolés, sursautant aux vacarmes et aux chocs, terrés au plus profond de leurs abris ou s’efforçant au courage sous la grêle des averses… » (Impressions adressées à Charpentier le 9 septembre 1915). Jean Norton Cru eut apprécié ce témoignage sur la peur qui règne sur le peuple de l’avant.

Charnier : « […] Il y a dans tous les replis de ce chemin creux une collection de membres putréfiés, des jambes coupées dont les tibias effilochés sortent de bottes intactes, des pieds dans des chaussures, des casques de guetteurs (casques énormes en blindages d’acier) complètement criblés de trous, autant de choses abjectes qui évoquent l’intensité de la bataille passée et la rage, et la puissance formidable des explosifs […]. Il y a, à dix mètres environ de l’entrée de ma sape, deux cadavres allemands à demi enterrés, sur lesquels on marche toute la journée… » (lettre du 6 avril 1917)

Krémer a côtoyé Barbusse : « […] Il n’a, au demeurant, bien que vice-président de la Société des Gens de Lettres, rien d’un artiste et les seules pellicules qu’il porte sur lui sont des pellicules photographiques, car il manie volontiers le Kodak. C’est un grand, grand homme maigre, jaune, malade, ridé – l’air d’un long Don Quichotte souffreteux, très taciturne, très flegmatique, terne – est-ce volontairement ? Il remplit les fonctions de brancardier et a été l’objet d’une citation à l’ordre de la brigade pour avoir été relever des blessés au péril de sa vie, car il fait, je crois, très noblement son devoir » (Lettre du 22 août 1915) ; il lit avec une particulière attention les premières pages du Feu publiées dans l’Œuvre ; voir les lettres du 20 septembre 1915 ; du 4 août 1916 : « Henri Barbusse commence dans l’Œuvre la publication de son roman sur le 231e, Le Feu. » ; du 21 août 1916 : « Oui, le roman de Barbusse est bien plat et déplorablement populaire par moments. Cela me confirme dans l’opinion que je m’étais faite de l’auteur » ; à mesure que la guerre dure, l’appréciation se fait de plus en plus positive : « Au cas où vous auriez été tentés de croire à quelque exagération de ma part sur les Champs de Bataille de l’Artois, en 1915, voici la vision de Barbusse, contemporaine de la mienne… » (lettre du 16 avril 1917) ; « Et je me glisse à nouveau sous les blocs effondrés du béton, dans l’ombre sordide de la casemate – et je relis Le Feu de Barbusse (je l’apprécie mieux en volume. L’épisode du poste de secours, le sergent infirmier, le tir de barrage sont beaux)… » (Lettre du 27 mai 1917) ; un peu plus tard, Krémer compare Le Feu à La Guerre, Madame de Paul Géraldy : « Quelle différence, et quel contraste avec Le Feu, dont ce livre est exactement à l’antipode – et comme il est curieux de comparer, sur un même sujet, les visions de deux professionnels de la Littérature, justes sur bien des points, l’une dans son optimisme, l’autre dans son pessimisme… » (Lettre du 19 octobre 1917)

La censure du courrier : Cf. Lettre du 7 août 1915 ; Barbusse évoque lui aussi les nouvelles dispositions dans une lettre à sa femme en date du 8 août 1915 (Cf. Barbusse, Lettres à sa femme, Paris, Buchet-Chastel, 2006).

Sexualité : « la chasteté des combattants » (Lettre du 28 décembre 1915) ; « […] Le héros [lui-même] n’a pas délacé sa cuirasse d’airain ni abdiqué sa chasteté. Mais il y a des jours où il souffre bien cruellement parmi toutes ces femmes… » (Lettre du 2 janvier 1916) ; « il a fallu la guerre pour que le chaste Héros vînt échouer dans cet antre, sorti d’on ne sait quelle Claudine à l’école. J’ai quitté la jeune Germaine et les juments de la Grande Ferme, après quelques inoffensifs jeux de mains » (lettre du 10 janvier 1916) ; les marraines de guerre (Lettres du 29 janvier et 7 février 1916.) ; fantasmes sexuels (lettre du 27 février 1916) ; la prostitution dans les villages de l’arrière-front (7 juillet, 4 août 1916) ; encore page 142 ;

La situation en Russie n’est commentée qu’en ce qu’elle peut hâter ou non la fin de la guerre : « Les événements actuels (Russie, Briand, etc.) nous permettent peut-être d’entrevoir une fin – lointaine il est vrai – mais tout de même perceptible » (lettre du 19 mars 1917) ; « […] La Révolution russe – mérite-t-elle bien ce nom ? N’est-ce pas le remplacement d’un parti par un autre parti ? Et la Russie est-elle vraiment capable d’avoir une influence sensible sur notre sort ? J’en doute. » (lettre du 24 mars 1917) ; à nouveau, on ne peut que constater une totale indifférence aux enjeux nationaux de la guerre.

Permissions : « il est formellement interdit à l’homme de troupe permissionnaire, et sous les peines les plus sévères, de passer par Paris » (Lettre du 13 juin 1917) ; cela est à mettre en relation avec les mesures prises par le Haut commandement pour réduire le mouvement des mutineries. Sur cette question se reporter à l’ouvrage suivant : André Loez, Nicolas Mariot (dir.), Obéir-Désobéir, Les Mutineries de 1917 en perspective, Paris, La Découverte, Coll° Recherche, 2008. En revanche, dans la correspondance de Krémer on ne trouve aucun mot concernant les mutineries de 1917 sauf une brève allusion, peut-être, dans une lettre du 12 juillet 1917 lorsque sont passés en revue les événements susceptibles d’amener la paix : « Offres de paix par l’Allemagne (bien improbables, et puis nous les repousserions pour jouer au plus malin) ; écrasement des Empires centraux par les armes… hum, hum !… Ecrasement des Alliés par les armes (tout aussi improbable). Défection d’un des Alliés (par ex. la Russie). Les événements actuels sont contraires. Et même, cela n’imposerait pas du tout la paix. Défection de plusieurs alliés simultanément (impossible). Evénements intérieurs graves en Allemagne (très possible, mais j’y compte peu étant donné la mentalité de ce peuple). Idem en France. La situation s’éclaircit sérieusement sous ce rapport. Eventualité à rejeter. Famine et usure générales (ne se produiront pas d’une façon impérieuse et critique avant quelques années)… » Krémer a été impressionné par ce qu’il a vu durant sa permission à Quiberon : nombreux aménagements portuaires et ferroviaires en cours, nombreux transports transatlantiques, et arrivée des premiers américains… A noter que cette énumération reste effectuée avec un ton très distancié, froidement ; les mots victoire, défaite, sont absents du raisonnement et de l’expression ; seul intéresse la fin de la guerre… quel que soit la manière d’aboutir à ce résultat attendu depuis le premier jour.

« Si rien de nouveau se produit d’ici-là, je ne prendrai vraisemblablement pas encore ma prochaine permission à Paris. Cette ville-bazar, repaire de goualeuses et de marlous, me répugne… » (Lettre du 27 août 1917)

Gaz : « […] Ce sont des produits à base de bichlorure de méthyle, très volatiles et qui irritent et brûlent toutes les muqueuses : bouche, gorge, nez, intérieur des cuisses, surtout les parties génitales ( !). Des cloques énormes surgissent sur la peau aux endroits atteints, les vêtements s’en imprègnent et jouent le rôle de la tunique de Nessus. Toutes les nuits, vers minuit, le cri fatal retentit : « Alerte aux gaz, préparez les masques »… » (Lettre du 27 août 1917)

Frédéric Rousseau, 6 janvier 2009

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Hénin, Onézime (1863-1944)

1. Le témoin

Né en 1863 à Ambleny dans l’Aisne, village situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Soissons dans lequel Onézime Hénin résidera jusqu’à sa mort, en avril 1944.

Cadet d’une famille assez aisée de six enfants dont le père était maçon. Fréquente l’école primaire jusqu’à 14 ans puis entre en apprentissage dans l’entreprise paternelle. Ce n’est pas un intellectuel mais un curieux : il observe et note ce qu’il considère comme les événements de la vie de son village durant la guerre.

Sculpteur amateur, il consacre son talent à la réalisation d’autels d’église, de calvaires ou de tombes. Culture religieuse fortement teintée de superstition. Il pratique régulièrement et fréquente assidûment l’église de son village.

Se marie en 1884 avec Stéphanie Hécart, également fille de maçon. Le couple eut deux enfants dont un seul survécut. Il parvient à s’enrichir du fruit de son travail et semble très attaché aux valeurs traditionnelles : le travail, la religion et l’attachement à la vie locale. Dès avant la guerre, les Hénin peuvent être considérés comme une famille aisée d’Ambleny où ils possèdent plusieurs maisons et de nombreuses terres. Bien qu’étant maçon de métier, son horizon culturel demeure avant tout celui d’un homme de la terre.

2. Le témoignage

Ambleny, le temps d’une guerre. Journal d’Onézime Hénin (1914-1918), Société archéologique, historique et scientifique de Soissons, 1993, 224 p. (avant-propos et introduction de Robert Attal et Denis Rolland).

Le journal – du fait du caractère redondant des notes au jour le jour – n’a pas été publié en entier.

Des annexes sont consacrées aux combats de mai à juillet 1918 dans la région d’Ambleny (pp 211-222)

L’ouvrage est illustré de cartes, photographies et documents d’archives évoquant le secteur.

Le journal est commencé dès le début de la guerre (25 juillet 1914). Son auteur semble être rapidement conscient qu’il va être témoin d’événements importants. Il s’arrête peu après la fin du conflit, le 31 décembre 1918. Seuls deux rajouts non publiés mentionnent très brièvement des événements évoquant le mois de janvier 1919.

A noter que l’auteur ajoutera à la fin (non publiée) de son journal un répertoire de 613 noms de soldats, tombés pour l’essentiel en juin et juillet 1918 et dont les corps ont été enterrés sommairement à Ambleny ou dans ses environs.

3. Analyse

Le témoin demeure à Ambleny durant toute la durée du conflit, à l’exception de la période du 30 mai au 25 août 1918 durant laquelle les habitants du village sont évacués par ordre de l’autorité militaire.

Il s’agit d’un témoignage de première main, écrit par un homme simple mais bon observateur du quotidien des civils et des militaires résidant ou venus au repos dans ce village de l’immédiat arrière front. Ses notations, souvent répétitives, ne sont jamais pour autant abandonnées ou réduites à leur plus simple expression. L’aspect local de la guerre est toujours privilégié.

O. Hénin ne s’interroge jamais sur les causes de l’irruption du conflit ni même sur sa portée dans le temps. Que cette guerre devienne mondiale et totale semble complètement lui échapper. A l’instar de l’agriculteur confronté à une catastrophe naturelle inévitable, il décrit presque au jour le jour les événements d’un quotidien qui devient au fil des mois empreint d’une banalité sinistre mais inéluctable. La guerre est là, il faut donc faire avec… Il s’agit avant tout de faire face, tout en s’efforçant de poursuivre au mieux ses activités du temps de paix. Deux bémols dans cette attitude de résignation face à la guerre : le sort du fils unique parti sur le front et, avec le temps, l’apparition de frictions et de tensions entre civils et militaires (chapardages et ivrognerie des troupes, conflits avec les autorités militaires lorsque des pratiques commerciales se mettent en place entre les civils du cru et les militaires).

Son témoignage repose pour l’essentiel sur des événements qu’il a vus ou qui lui ont été rapportés directement par des soldats qu’il a croisés dans son village natal lors des relèves de régiments. Il fait souvent preuve de discernement lorsque les déclarations des uns et des autres s’apparentent à des rumeurs sans fondement.

Ambleny, situé à moins de 3 km du front, subit jusqu’en mars 1917 des bombardements sporadiques. Ce village se retrouvera en première ligne au moment des combats de  juin et juillet 1918. A cette époque le village est complètement évacué. O. Hénin n’y fait un retour définitif qu’à partir du 25 août pour y constater l’ampleur des destructions.

P 22 : 25 juillet 1914, le témoin entend parler pour la première fois par son fils Gaston de l’éventualité d’une guerre. Il demeure assez incrédule et poursuit ses travaux aux champs. Son indifférence choque son fils, permissionnaire : « (…) Gaston n’était pas content de moi car je ne prenais pas fait et cause de sa situation et qu’il se rappellerait longtemps de mon insouciance.»

On notera ici que la perception de l’éventualité de la guerre diffère en fonction des générations. Cet aspect « générationnel » dans la perception du conflit se poursuivra durant toute la guerre (voir par exemple chez Gabriel Chevalier dans La peur).

P 23 : 1er août, « L’après-midi à 5 heures on sonne la grosse cloche à Ambleny, c’est un triste moment à passer, tout le monde quitte le travail pour rentrer à la maison, les gens font des provisions à l’épicerie (…) »

P 23 : 2 août, départ précipité du fils Gaston pour le front. Crise de nerfs du père qui n’a pu revoir son fils.

La famille reçoit rapidement une assez importante correspondance de ce fils unique, du moins dans un premier temps.

P 24 : 6 août, premières rumeurs sur les atrocité allemandes en Belgique. Arrivée de réfugiés en provenance de la région de Verdun.

P 25 : 8 août, rumeurs qualifiées de « fantaisistes » par l’auteur : Français à Mulhouse, pertes effroyables dans les unités françaises et allemandes. « (…) cela me fait frémir. »

P 27 : 16 août, nombreuse assistance à la messe où « on prie pour les soldats ».

P 29 : 24 août, passage de 3 trains de blessés à Ambleny, « nous sommes de plus en plus inquiets. »

P 30 : 29 août, les Allemands sont dans l’Aisne. Passage d’émigrés venant de Guise. Passage d’avions, « on sent que la guerre approche. »

P 31 : 30 et 31 août, arrivée des Anglais à Ambleny. « (…) nous cachons ce que nous voulons préserver du pillage, ou des flammes. » Départ de certains habitants.

P 36 : 1er et 2 septembre, occupation temporaire du village par les Allemands. Achat des troupes allemandes qui paient en marks. Les habitants « se racontent les orgies que les Allemands ont faites dans les maisons où il n’y avait personne. »

P 37 : 3 septembre, retour du maire et réquisitions allemandes : « ils ont pris beaucoup de literie, du linge et un peu de tout. »

P 38 : 5 septembre, retour de certains habitants. Le village se repeuple après une période de « calme épouvantable ».

P 38 : 6 septembre, reflux des Allemands. Une habitante est mal traitée par les Allemands qu’elle a voulu exclure de chez elle.

P 39 : 7 septembre, reflux de troupes du génie allemand mêlé de réfugiés « qui ont bien souffert et qui ont la terreur. »

P 40 : 10 septembre, « jour terrible », reflux massif de troupes allemandes.

P 40 : 12 septembre, arrivée des Français. Bombardement du village. Pillages importants accomplis par les troupes allemandes en repli.

P 43-44 : 20 septembre, « grande bataille de Fontenoy » : offensive des troupes françaises pour prendre pied sur le plateau de Nouvron où les Allemands se sont retranchés. Espionite : arrestation d’un électricien, exécution de deux habitants de Fontenoy, l’un d’eux hébergeaient des Allemands, un autre aurait fourni les plans des carrières de Tartiers aux Allemands.

P 60 : 8 octobre, évocation par un soldat de 1500 cadavres d’Allemands à enterrer et qui seraient morts lors des combats autour de la ferme de Confrécourt le 20 septembre.

Pp 60-61 : 10 octobre, « C’est d’abord Monsieur le Curé qui me dit allez-vous-en, ne venez pas par ici, car on va fusiller deux déserteurs. En effet aux Marronniers, quatre compagnies d’infanterie sont sur les rangs, les gendarmes vont conduire les deux malheureux dans Béron où aura lieu l’exécution, les fosses sont faites d’avance, ils y seront enterrés. Je ne suis pas allé, c’est trop triste. »

P 61 : 15 octobre, interdiction faite à des civils de se rendre dans leurs champs : espionite.

P 66 : 21 octobre, dégradation d’un militaire pour vol.

P 69 : 23 octobre, un habitant de la commune doit passer en conseil de guerre pour vol.

P 77 : 13 novembre, « On nous dit qu’hier nous n’avons pas eu de succès parce que le 305e de ligne n’a pas voulu marcher, c’est la troisième fois qu’ils refusent. »

P 79 : 18 novembre, « Parmi les soldats qui ont refusé de marcher à la dernière attaque de Fontenoy il y en a quinze en prison qui vont passer en Conseil de Guerre. Ils se sont blessés à la main gauche pour ne pas marcher. »

P 80 : 24 novembre, « Maintenant les Français bombardent simplement les tranchées allemandes sans faire d’attaque à la baïonnette car cela faisait mourir trop de monde. »

P 92 : 8 et 9 janvier 1915, « J’écoute causer les soldats qui parlent d’une attaque mais pas un ne voudra marcher. On peut supposer d’avance que ce sera un raté, enfin attendons et espérons. » ; « Chez nous à Ambleny, les soldats se montent toujours la tête au sujet de l’attaque qui doit avoir lieu. Ils ne veulent plus marcher du tout. Ces soldats n’ont pas de patriotisme, ils ne sont pas courageux, sales dans les cantonnements et n’aiment que boire du vin et de la gnôle. »

P 94 : 21 janvier, « Un nouvel engin de guerre Allemands (sic) jette la terreur dans les tranchées, c’est la minenwerfer (sic) qui fait des dégâts effrayants et rend fous les soldats qui ne sont pas touchés. »

P 104 : 26 avril, venue de Poincaré et de Joffre à Ambleny pour assister à une attaque sur le plateau de Nouvron.

P 155 : 7 décembre 1916, « A 9 heures du soir un petit ballon vient atterrir aux Fosses. Il est éclairé, la batterie contre avions qui est là l’arrête. Il contient une trentaine de kilos de journaux écrits en français, principalement « la Gazette des Ardennes », des vieux journaux invendus. On y trouve le nom de 70 prisonniers soldats français et ces journaux reprochent à la France d’avoir voulu la guerre. »

P 156 : 9 décembre, « Le 72e RIT s’en va, il est remplacé par le 25e territorial. Les habitants d’Ambleny regrettent les hommes mais pas les officiers surtout le colonel que l’on appelle « Déguisant ». Il avait la haine après les commerçants, il était plus sauvage que les Boches, il n’aimait que les femmes. »

P 166 : 18 mars 1917, les Allemands ont quitté le plateau de Nouvron. Repli sur la ligne Hindenburg. « Dans la matinée, on nous dit que les Boches sont partis, qu’ils ont abandonné Nouvron, Osly, Cuisy. On n’en croit rien. L’artillerie lourde du Soulier [hameau d’Ambleny] s’en va, beaucoup d’artillerie s’en va toute l’après-midi dans la direction de Fontenoy. On sait que nos troupes sont dans Nouvron et Osly. On entend encore quelques coups de canon mais au loin et un peu dans la direction de Soissons. Je vais bêcher derrière la Tour car il fait beau, je vois le soleil luire sur la côte de Tartiers et de Cuisy, cela émotionne en pensant qu’ils sont redevenus français, et l’on espère qu’Ambleny ne sera plus bombardé. »

P 169 : 20 avril, « Ici à Ambleny une compagnie de forçats de la Guyane est logée dans un baraquement derrière la ferme des Fosses, on dit que c’est pour travailler. »

P 169 : 1er mai, « Beau temps sec, le canon tonne sur Laffaux, il arrive à Ambleny beaucoup de malades. Des Sénégalais. »

P 169 : 2 mai, « Toujours du beau temps et du canon du côté de Laffaux. Les soldats qui étaient à St Bandry et Pernant [villages proches d’Ambleny] s’en vont, c’est un bon débarras pour nous car c’étaient de mauvais sujets, insolents et voleurs. Ils ont pris des poules, des lapins, paons et tout ce qu’ils trouvaient. Ils tiraient du revolver, des grenades et même de la mitrailleuse. C’était la panique dans St Bandry. »

P 170 : 25 mai, « Ici il y a un grand mécontentement parmi les soldats, le 228e qui est à St Bandry et ceux du Soulier [un hameau d’Ambleny] sont obligés de remonter en ligne au bout de 9 jours de repos, pourtant ils étaient ici pour 20 jours, ils veulent se révolutionner, malgré cela ils partent quand même à 7 heures du soir. »

P 187 : 30 mai 1918, « On reçoit l’ordre d’évacuer le pays. C’est pitié de voir les gens quitter leur maison avec une brouette ou un autre véhicule. Nous, nous partons avec le camion par Maubrun. Que c’est dur de dire au revoir à tout ce qu’on ne peut emmener de nos maisons. Tous les habitants sont partis aujourd’hui, nous, nous lâchons 48 lapins dans la cour et les chats, cela fait pitié de les laisser là. »Dans la suite du journal, les lieux d’évacuation où réside la famille sont qualifiés de « stations » comparables à celles d’un chemin de croix…

P 198 : 5 août, retour à Ambleny. Le village a subi de très importantes destructions. La famille Hénin s’installe dans l’une des ses maisons qui n’a pas trop souffert. La principale tâche sera désormais de sauvegarder et remettre en valeur le patrimoine endommagé.

P 204 : 11 novembre, « Signature de l’armistice, le soir les soldats tirent un feu d’artifices, en signe de joie. »

P 207 : 31 décembre, « Dernier jour de mon journal, car je ne vois plus rien d’intéressant à dire. »

4. Autres informations

D’autres témoignages évoquant le même secteur :

Bertier de Sauvigny Albert, Pages d’histoire locale. Notes journalières et souvenirs, réédition Soissonnais 14-18, 1994, 523 p.

Clermont Emile, Le passage de l’Aisne, Grasset, 1921, 128 p.

Etévé Marcel, Lettres d’un combattant (août 1914-juillet 1916), Hachette, 1917, 252 p.

Maurin Emile, Lieutenant Morin. Combattant de la guerre 1914-1918, Cêtre, 2002, 336 p.

Péchenard P.L. (Mgr), Le Martyr de Soissons. Août 1914-juillet 1918, Gabriel Beauchesnes, 1918, 432 p.

J.F. Jagielski, octobre 2008

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Roullet, Pierre (1887-1979)

1. Le témoin

Pierre Roullet est né le 17 mai 1887 à Mozé-sur-Louet, au sud d’Angers (Maine-et-Loire) dans une famille d’agriculteurs de tradition républicaine (Bleus de l’Anjou). Il obtient le certificat d’études primaires en 1898 et reçoit un enseignement de plus haut niveau de la part de son instituteur. Il devient meunier au moulin de la Bigotière, commune de Mozé, mais il doit abandonner le métier pour effectuer le service militaire au 25e Dragons d’Angers (il dit lui-même qu’il est un passionné des chevaux). Il devient brigadier en 1909. Au retour, il exploite le peu de vignes qu’il possède et en loue d’autres. Il se marie le 17 février 1914 (sa fille Lucette va naître en novembre). Lors de l’entrée en guerre, il est détaché comme éclaireur monté au 277e RI de Cholet ; il servira comme agent de liaison du colonel, ayant ainsi l’occasion d’entendre les propos d’officiers supérieurs et de généraux (voir ci-dessous). Démobilisé le 5 mars 1919, il reprend le travail de la vigne, puis une petite entreprise de battage. Il meurt le 11 mars 1979.

2. Le témoignage

Pierre Roullet avait écrit un premier cahier de souvenirs de 63 pages entre 1968 et 1973, date à laquelle il rencontra l’ethnologue toulousain Claude Rivals, spécialiste de l’étude des moulins. A la demande de celui-ci, il rédigea trois autres cahiers sur les moulins, la vie du meunier, des pages pour contribuer à une sociologie de la campagne angevine. Il répondit également par lettres à des questions posées par l’universitaire, lui confiant : « Je vous remercie, M. Rivals, par vos questions vous donnez un sens à ma vieillesse. » Le témoignage repose exclusivement sur la mémoire. Il est forcément incomplet, les épisodes marquants revenant dans le souvenir. Cela peut donner à réfléchir sur ce qui est resté très clair malgré le passage du temps et ce qui a été obscurci (par exemple le bilan exagéré de la répression des mutineries de 1917). Il a l’avantage de faire connaître la vie du témoin avant et après la période de guerre.

Claude Rivals a utilisé cette documentation pour composer le livre Pierre Roullet, la vie d’un meunier, paru aux Editions Jeanne Laffitte (Marseille) en 1983, 234 pages, illustrations. Les deux chapitres sur la Grande Guerre (p. 89-146) occupent la partie centrale de l’ouvrage qui en comporte six. Le témoignage de Pierre Roullet y tient la plus grande place ; des commentaires de Claude Rivals viennent en complément.

3. Analyse

– Nouveau témoignage sur la consternation au moment de l’annonce de la mobilisation, et sur la volonté de chacun de ne pas démoraliser l’autre (p. 104). A Angers, un jeune homme ayant crié « A bas l’armée » au passage du 25e Dragons est « presque écharpé » par la foule.

– L’épreuve du feu en septembre 1914 dans les parages de Nomény, en Lorraine, à la frontière de 1871. Les avant-postes français sont « aux villages de Arraye et Ajoncourt, le premier en France, le second en Lorraine annexée » (p. 108-109). « Les habitants d’Ajoncourt allemand et d’Arraye français étaient restés, nous faisions bon ménage ensemble, c’étaient de braves gens dont les enfants ou les maris étaient eux aussi mobilisés qui en Allemagne, qui en France… Une petite rivière, la Seille, les séparait mais un pont les reliait. » [Sur les combats de part et d’autre de la Seille, près du château de Clémery, dans le même secteur, voir le témoignage de Charlotte Moulis et la notice qui lui est consacrée ici-même.]

– La boue de Verdun (p. 121).

– Le travail de sa femme pendant son absence (p. 125).

– Un bref récit de la mutinerie d’un bataillon du 277e RI au pied de la montagne de Reims (p. 131) et d’incidents au 115e RI dans le même secteur en 1917, date non précisée.

– L’affaire Claire Ferchaud et le refus de marcher si l’emblème du Sacré-Cœur est cousu sur le drapeau (p. 128-129). L’épisode rejoint cette anecdote (p. 115) : « Au début de la guerre 1914, un capitaine bien pensant m’a posé la question suivante : « D’après vous qu’y a-t-il de plus grand que la grandeur de Dieu ? » Je lui réponds : « La bêtise humaine. Si les peuples n’étaient pas si bêtes, nous ne serions pas là à nous entretuer sans nous connaître. » Il haussa les épaules et s’en alla. » Roullet épingle aussi une série de citations de généraux, évêques, académiciens affirmant la beauté de la guerre (p. 133).

– Le propos d’un colonel en mai 1918 lorsque Roullet s’étonne que l’artillerie lourde ne tire pas sur des trains de minerais visibles en territoire allemand aux environs d’Hagondange : « Vous, vos camarades, votre colonel lui-même, nous nous battons pour des intérêts capitalistes internationaux : un de ces deux trains va nous revenir par le truchement de la Hollande ou du Danemark, pays neutres, pour fabriquer canons et munitions, et nous récupérerons l’autre en le recevant sur la gueule sous forme d’obus ou de grenades » (p. 139). « Et pourtant je n’ai pas cessé de croire à la patrie puisque à la deuxième guerre j’ai choisi la Résistance », conclut Pierre Roullet.

Rémy Cazals, juillet 2008

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Verdun, Théodore (1877-1943)

1. Le témoin

Il est né le 2 juillet 1877 à Merville (Haute-Garonne), fils de Jean-Baptiste, agriculteur propriétaire, et de Anne Raymonde Donat, institutrice. Il s’est marié avant 1914 et il avait une fille. Il a exercé les professions de comptable et de commissionnaire. Mobilisé au 135e RIT de Mirande, comme lieutenant. Son carnet nous met en présence d’un homme lucide, auteur de remarques pertinentes. Une allusion au « grand Jaurès » indique peut-être des sentiments de gauche. Il a survécu à la guerre.

2. Le témoignage

Théodore Verdun a tenu un carnet du 31 juillet 1914 au 6 juin 1915. On ne sait pas pourquoi il a cessé à cette date. Mais on sait que le régiment a été dissous en juin 1915. D’autre part, Théodore Verdun a eu des problèmes de santé qui l’ont fait admettre à l’hôpital de Châlons-sur-Marne du 23 janvier au 11 février 1915, et qui l’ont fait affecter à l’arrière-front comme porte-drapeau en avril 1915. Il est possible qu’il ait quitté la zone des Armées en juin. Cela n’a pas d’impact sur le témoignage conservé.

Celui-ci est un carnet de 198 pages de 21 lignes chacune, bien lisibles dans l’ensemble, d’une écriture régulière, avec une bonne orthographe. Il est vraisemblable qu’il a recopié d’après un original tenu au jour le jour. Lorsqu’il a rajouté des phrases de commentaire, il a tenu à les noter en changeant la forme de l’écriture, ce qui les rend facilement identifiables. Le carnet est illustré de quelques photos, de qualité médiocre, de coupures de journaux et de cartes des divers fronts en 1915. Une copie sur microfilm est disponible aux Archives municipales de Toulouse, sous la cote 1 Mi 2.

Transcription intégrale du carnet dans le mémoire de Master 1 d’Etienne Houzelles, Théodore Verdun, un combattant de la Grande Guerre, Université de Toulouse Le Mirail, septembre 2006, p. 87-149. Le texte est précédé d’une étude sur les témoignages de 1914-1918, accompagné de notes explicatives, et suivi d’annexes.

3. Analyse

– Description de l’attitude des populations lors de l’annonce de la mobilisation : pleurs, consternation, résignation à l’inéluctable, puis enthousiasme de groupe au départ et aux passages dans les gares.

– Critique de la théorie du combat à la baïonnette qui n’a rien à voir avec la réalité, et apprentissage de la construction de tranchées, ce que la théorie n’avait pas prévu.

– Le 5 novembre 1914, de la tranchée, il tire vers les Allemands : « Quel résultat ai-je obtenu ? Ai-je tué ? Je ne le saurai jamais… Maudite soit la guerre. »

– Pratiques funéraires des soldats pour permettre d’identifier les tombes des camarades. Ramassage des cadavres dans le no man’s land. Il trouve le carnet de route d’un mort, le sergent Masson, de Lerroux (Indre).

– Critique sévère et fréquente des attaques n’aboutissant qu’à de lourdes pertes. Il emploie l’expression : « la consommation en hommes » (15 mars). Rares sont les chefs cherchant à économiser des vies humaines. Or, « un homme terré en vaut douze » (fin mars). « Le grand Jaurès avait raison dans ses théories sur la défense de la France » (18 mai). « Si le haut commandement avait fait creuser des tranchées sur nos frontières dès que la guerre a été déclarée, la horde allemande aurait été arrêtée et fauchée, le sol français n’aurait pas été envahi et nous n’aurions pas fait tuer nos jeunes soldats par centaines de milliers » (18 mai). A propos du régiment d’active de Mirande, il écrit (même date) : « Dans ce régiment, comme dans bien d’autres, il ne reste que le numéro, il a été reconstitué pour la quatrième fois avec des hommes tirés de partout. Quand le régiment rentrera à Mirande, le numéro du régiment sera porté par de braves inconnus dans le pays gascon. Pour ce motif, osera-t-on le faire entrer et défiler dans cette ville de garnison ? S’il en était ainsi, quel spectacle douloureux serait imposé aux milliers de veuves et d’orphelins du pays. » « La bravoure individuelle n’a plus de raison d’être. On ne lutte pas ainsi contre du matériel » (5 juin).

– Les Allemands restent les ennemis. Leurs chefs portent une lourde responsabilité dans la déclaration de guerre, mais ils ne sont pas les seuls : « Maudite soit la guerre et ceux qui l’ont déchaînée ou n’ont pas fait l’impossible pour l’éviter », écrit-il le 24 janvier 1915.

– Comme dans la plupart des témoignages, on trouve ici la description de la boue et des hommes transformés en blocs de boue (10 décembre 1914).

– Les territoriaux aménagent des gourbis (11 décembre 1914). Un peu à l’arrière, ils peuvent les doter du plus de confort possible, comme un rappel de la vie civile (31 mai 1915). Mais une grande partie de l’énergie est déployée pour aménager le gourbi des grands chefs : ainsi celui du général Radiguet, le 10 mars.

– Critique habituelle du bourrage de crâne qui veut faire croire à l’épuisement des Allemands, aux victoires des Russes, au succès de l’opération des Dardanelles.

– Théodore Verdun signale la forte influence exercée par l’aumônier sur les officiers du régiment (5 mai).

– A l’hôpital de Châlons-sur-Marne, il a sous les yeux les atroces blessures de ses camarades (5 au 10 février 1915) : « Je note seulement l’émotion que j’ai éprouvée lorsque, tendant la main à un pauvre blessé couché dans son lit, cet homme pour répondre à mon geste m’a dit simplement : ‘Mon lieutenant, je n’ai plus de bras, on me les a amputés hier tous les deux’. Le camarade de ce soldat n’avait qu’une jambe. Un troisième avait eu les deux yeux arrachés. Un autre avait la tête dans un état indescriptible. » Un autre, devenu fou, a oublié la langue française ; il n’est apaisé que par des mots d’occitan (30 janvier).

– Et cela fait contraste avec les beaux officiers embusqués de Châlons, « qui ont trouvé le moyen de faire la guerre de la façon la plus agréable » (11 février).

Rémy Cazals, juillet 2008

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