Rouppert, Jean (1887-1979)

En présentant le livre Jean Rouppert, un dessinateur dans la tourmente de la Grande Guerre (Paris, L’Harmattan, 2007, 220 p.), le sociologue Ronald Müller explique qu’il a « effectué une réception réflexive de cette biographie, en la mettant en lien avec la notion de générativité à partir d’une acception multi-référentielle. Cette dernière démarche d’appropriation conceptuelle est présentée et développée dans la deuxième partie de l’ouvrage. » Nous y renvoyons donc en évoquant seulement ici les sources du témoignage de Jean Rouppert sur la guerre : un récit de 209 p. intitulé « Journal de bord », rédigé à 86 ans ; 1926 lettres échangées entre lui et son épouse, de 1913 à 1919 ; une série de 123 dessins (parmi lesquels la représentation d’une exécution). D’autres textes, romans, essais, théâtre, apparemment non publiés, ainsi qu’une série de sculptures complètent l’information sur cet homme né à Custines, près de Nancy, le 11 août 1887, fils d’un ouvrier lamineur. Ayant quitté l’école à 14 ans, il vécut pendant cinq ans de divers petits métiers où il découvrit l’exploitation de tous les instants car, écrit-il avec humour, « il n’est pas d’exemple plus démoralisant que l’inactivité d’un salarié ». Ayant « pataugé sur la lisière où l’animal dressé et l’humain conditionné partagent une même relativité », il décide de s’engager dans l’armée coloniale en 1906 pour quatre ans. En 1913, il est apprenti décorateur à la verrerie Gallé à Nancy. En mars 1914, il épouse une institutrice, puis il est mobilisé au 6e RAC. Il est blessé deux fois et a une grave maladie à la suite d’une morsure de rat (description détaillée de l’épisode). Après la guerre, il s’installe dessinateur et sculpteur à son compte à Lyon et participe à diverses expositions.
En 14-18, il se considère comme un « grain de sable, drossé par la houle guerrière ». Dès le 26 août 1914, il prend ses dispositions pour le cas où il ne reviendrait pas. Il sait décrire la boue et les abris qui ne sont que des trous, les arrivées de marmites et les hommes rendus fous, l’envoi d’agents de liaison risquer leur peau pour porter des messages dérisoires mais exigés par la bureaucratie militaire. Le 24 février 1915, il dresse l’imposante liste des objets qu’on lui a volés. Des objets, justement, il en fabrique, et son habileté lui vaut le succès. Il vend des garnitures d’étagères, un casse-noisettes en chêne, un fume-cigare, un coupe-papier. Le 27 septembre 1917, il écrit à sa femme : « la bricole (à mon compte) baisse un peu en ce moment ». Il a inventé un beau modèle de rond de serviette, mais il est victime de plagiaires fabricant au rabais, et même : « mes revendeurs me trahissent sans honte ». Enfin, « le goût change », et il songe à mettre sur le marché un nouveau produit, une blague à tabac peut-être. Notons son abonnement « à un journal original, lequel emploie toute sa verve à parodier les autres journaux » et son intention de lui envoyer quelques pensées à l’humour « plus cruel que comique ». Il me semble que l’auteur du livre aurait dû vérifier si cette collaboration au Canard enchaîné a été effective.
Notons encore cette belle remarque de Jean Rouppert, écrite après l’armistice : « Sur le front, on ne courait qu’un risque. En permission, on le mesurait. » La même page témoigne de sa joie : « Bientôt je serai Moi, chez moi ! » Mais, plus tard : « La chance d’être revenu à peu près intact au foyer est une maigre compensation pour une existence gâchée dans son épanouissement. Les ex-poilus peuvent comparer leur défaite individuelle à la victoire commune. »
RC

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