Gómez Carrillo, Enrique (1873-1927)

1. Le témoin

Enrique Gómez Carrillo est né à Guatemala le 27 février 1873. Critique littéraire, chroniqueur, journaliste diplomatique, il est le fils de l’historien Agustín Gómez Carrillo, recteur de l’université de San Carlos et de Joséphine Tible Machado, d’origine belge, de laquelle il tient sa connaissance de la langue française. Il travaille en 1890 au Courrier du Soir du Guatemala et rejoint Paris où il est nommé consul de ce pays (1898) et d’Argentine (1899). C’est au double titre de diplomate et de correspondant de guerre qu’il parvient à effectuer plusieurs visites à l’arrière du front de France en 1914-1915, desquelles il va tirer un ouvrage testimonial paru en 1915. Il effectuera d’autres voyages, suivis d’ouvrages tout au long du conflit. Après une grande carrière littéraire, il décède à Paris le 29 novembre 1927 où il est enterré au cimetière du Père Lachaise.

2. Le témoignage

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Enrique Gómez Carrillo, Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Paris, Berger-Levrault, 1915, 381 p., non illustré.

Le texte est traduit de l’espagnol par J.-N. Champeaux, journaliste à L’Information qui nous renseigne dès l’envoi sur le ton de l’ouvrage, suite de « pages justicières » issues de voyages au front du 15 novembre 1914 au 10 mars 1915.

3. Analyse

Gómez Carrillo, diplomate et correspondant de guerre espagnol, parcourt le front et ses arrières du 15 novembre 1914 au mois de mars 1915. Il consigne et décrit ses visions et ses impressions du conflit bien qu’il ne le côtoie que postérieurement ou ne s’en approche que de manière très relative. Dès lors, de la banlieue parisienne à Pont-à-Mousson, nous suivons ce très francophile témoin dans son parcours qui nous amène sur les ruines de la Marne, la forêt d’Argonne, Verdun, le Grand Couronné et les abords de Metz. Pendant son périple, Gomez Carrillo retrace en forme de journal d’impressions datées les évènements, petits ou grands et reporte les légendes et les anecdotes de l’invasion. Il fait également de nombreuses références et rétrospectives historiques sur les sites traversés, fustigeant l’Allemand et magnifiant l’esprit français et ses valeurs. Quelques réflexions opportunes de cet éminent lettré imagent ce récit à la fois personnel et emprunté à l’Histoire.

Nous sommes donc avec cet ouvrage aux limites de la littérature testimoniale, bien qu’il s’ouvre sur cette phrase : « 15 novembre 1914. Nos visions de guerre commencent aux portes de Paris… », ce « témoin civil » est à la marge de ce genre littéraire. Les envolées lyriques, les nombreuses rétrospectives historiques ou les aspects touristiques des sites que l’auteur dit traverser ne font toutefois pas oublier – et rehaussent plutôt – la pauvreté documentaire de ce périple et de l’ouvrage. Fort bien écrit et très érudit, ce livre n’est en fait qu’une image très démonstrative des intoxications patriotiques du moment de sa rédaction. En effet, outre des erreurs géographiques grossières (Gómez-Carrillo semble placer la commune vosgienne de Raon-l’Étape entre Commercy et Sermaize-les-Bains, sur la route de l’Argonne, page 138), l’auteur se fait surtout le rapporteur des clichés populaires et ineptes de la propagande du début du conflit. Prisonniers ennemis qui se rendent pour de la nourriture, fraternisations multiformes (pages 94, 124, 207) et accords tacites répétés entre les belligérants, espionnite exacerbée (pages 103), prisonniers volontaires en nombre (pages 94, 184, 205) exactions allemandes sans nom, etc., se multiplient à chaque chapitre et révèlent qu’en fait de correspondance ou de témoignage de guerre, Gomez Carrillo n’a vu du front et des sites de l’invasion que ce que l’autorité militaire a bien voulu lui laisser voir et que ce que la propagande a bien voulu lui laisser dire. Un livre finalement bien pauvre d’enseignements mais riche d’un bourrage de crâne qui représente en soi un modèle du genre et une des meilleures illustrations de ce type de littérature de guerre. On note toutefois une réflexion sur le Miracle de la Marne : « Pour la première fois dans l’histoire, la France avait appris dans le cours d’un désastre à organiser le triomphe » (page 354).

4. Autres informations

Rapprochement bibliographique

Cet ouvrage est à comparer à celui de Courtin-Schmidt, De Nancy aux Vosges. Reportages de guerre, Nancy, Dupuis, 1918, 265 pages.

Bibliographie de l’auteur

Gomez Carrillo Enrique Parmi les ruines. De la Marne au Grand Couronné. Nancy, Berger-Levrault, 1915, 381 pages.

Gomez Carrillo Enrique Au cœur de la tragédie. Sur le front anglais. Nancy, Berger-Levrault, 1917.

Gomez Carrillo Enrique Le sourire sous la mitraille. De la Picardie aux Vosges. Nancy, Berger-Levrault, 1916, 348 pages.

Gomez Carrillo Enrique Le mystère de la vie et de la mort de Mata Hari. Paris, Charpentier-Fasquelle, 1925, 227 pages.

Yann Prouillet, juillet 2008

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