Pomès, Joseph (1883-1966)

1. Le témoin
Joseph Pomès est né le 9 novembre 1883 à Pessan (Gers) dans une famille de paysans aisés. Il est allé à l’école de Castelnau-Barbarens, où il était en pension chez l’instituteur. Il a fait son service militaire dans les Dragons. Célibataire en 1914, il est affecté au 18e RAC avec pour tâche le ravitaillement des batteries de 75. Il vit donc surtout dans l’arrière-front, mais les déplacements fréquents sont pénibles et dangereux. Son régiment est en Champagne d’août 1914 à avril 1915 ; dans la Somme d’avril 1915 à mars 1916 ; à Verdun de mars 1916 à juin 1918 ; il participe à la deuxième bataille de la Marne et à la contre-offensive. Il est démobilisé le 19 mars 1919.
Dans une lettre, Emmanuel de Luget, le présentateur du témoignage, m’écrit ceci : « Joseph Pomès n’a ramené aucune séquelle de ces années de guerre : ni blessure, ni maladie, ni troubles du sommeil, comme si la page était tournée, l’affaire classée, naturellement. Il n’était pas taciturne, mais au contraire d’un tempérament gai. Il n’en parlait pas, sauf avec les gens de sa classe. Pas d’esprit d’ancien combattant non plus. À son retour, il a repris la ferme, sans en étendre la superficie, avec un domestique à l’année et un pour les gros travaux. C’était un propriétaire aisé. Il aimait la chasse, mais pas la pêche. Il avait la passion des chevaux. Il en a toujours eu, même avant la guerre, et n’a jamais voulu d’automobile : il se rendait au marché d’Auch en voiture à cheval. »
Il s’est marié à Pessan, le 3 mai 1920. Il a pris sa retraite peu après la Deuxième Guerre mondiale, et son gendre a repris l’exploitation. Joseph Pomès est décédé à Pessan le 24 décembre 1966.

2. Le témoignage
Joseph Pomès a commencé un premier carnet et lui a donné comme titre « Campagne de 1914 », devant ensuite rajouter les autres années. Le témoignage comprend un deuxième carnet et 200 lettres du front adressées à sa famille. Emmanuel de Luget m’écrit que sa fille et sa femme ont lu les carnets. Ils ont été ensuite « rangés » dans une caisse en bois au grenier. Personne, pas même lui, ne s’en est plus occupé. « On les y savait », sans plus. On les a retrouvés, un peu attaqués par les souris. Emmanuel de Luget a transcrit les documents et les a réunis dans l’ordre chronologique de rédaction, sous la forme d’un tapuscrit de format A4 intitulé « Les carnets de guerre de Joseph Pomès 1914-1919, Texte enrichi de plus de 200 lettres du front ». Il en a rédigé l’avant-propos, et a ajouté trois photos et une chronologie des déplacements de l’auteur.

3. Analyse
Le présentateur remarque très justement que Joseph Pomès s’intéresse surtout à ce qui se passe « au pays », à la vie de l’exploitation, à la famille. La lettre du 8 octobre 1914, par exemple, évoque les travaux : « Enfin je vois que vous vous êtes débrouillés pour faire les travaux. Le dépiquage a dû cependant être long faute de personnel et si vous avez terminé les labours vous avez dû vous lever quelquefois de bonne heure. » La même lettre et d’autres se préoccupent des blessés et des morts du village. Son meilleur copain est Ernest Vignaux, le boulanger de Pessan, « avec qui nous faisons la campagne ensemble depuis le début et que je considère comme un frère » (15 juillet 1915). Mais, le boulanger mobilisé et la farine étant de mauvaise qualité, le pain est mauvais à Pessan. Les parents de Joseph lui ont demandé de transmettre l’information à son copain.
L’évolution de la pensée de Joseph est intéressante. Il part « avec confiance et espoir que ce sera vite fini » (7 août 1914). Dès le 8 mai suivant, il critique un autre Gersois « qui a eu la veine de rester jusqu’à ce moment au dépôt et qui était paraît-il au moment de la mobilisation si partisan de la guerre ; il ne dira pas peut-être toujours pareil. » Celui-là ne semble pas être le seul : « Il y en a beaucoup qui au début criaient « À Berlin » eh bien ! à présent ils sont rares parce qu’on s’aperçoit que nous en sommes loin, aussi beaucoup de ceux-là demanderaient plutôt la paix » (16 mai 1915). Le 21 mai encore : « Nous avons l’occasion de parler tous les jours avec les fantassins. Ils commencent d’en avoir assez. Ils sont découragés, ils n’ont pas tout le tort, car lorsqu’ils veulent sortir des tranchées l’ennemi est si bien retranché qu’ils sont mal reçus par les mitrailleuses, et comme ordinairement c’est toujours celui qui attaque qui casque, c’est pour cela qu’ils ne prennent guère plaisir de monter à l’assaut. » Le tapuscrit contient aussi une lettre de même époque (23 mai), adressée par un soldat du Gers (du 288e RI) aux parents Pomès à Pessan : « Vous me dites de faire tout mon possible pour repousser ces troupes valeureuses et infâmes boches. Oui, cela est beau à dire, mais pas commode à faire et je n’y tiens pas trop à le faire non plus parce que j’en vois trop les conséquences. Mourir pour la Patrie, c’est beau aussi, mais pour moi la Patrie c’est moi, aussi j’étais Patriote mais cela, voyez-vous, m’est passé, et tous ceux qui sont avec moi sont du même avis. Personne ne demande à les taquiner pour les faire partir chez eux. Quand on nous parle de cela, le mal de ventre n’est pas loin. On nous a bourré trop les crânes. »
Plus le temps passe, plus les propos se font virulents. Ainsi le 28 décembre 1917 : « De la victoire à présent on s’en fout mais ce que nous demandons c’est la paix. » Le 10 mars 1918 : « Que vont dire les Parisiens avec les visites si fréquentes des gothas. Ils ne crieront pas tous jusqu’au bout. » Le 5 mai, il s’insurge contre le contrôle de la production et donne à ses parents ces conseils : « Levez-vous tard, couchez-vous de bonne heure, ce qui veut dire travailler pour le nécessaire, soignant la vigne et le bétail, mais ce que je vous recommande n’allez pas vous esquinter pour faire venir du blé. » Mais, en juillet, un sursaut lui fait écrire : « Il faut s’attendre sous peu à un autre coup de torchon. On craindrait à une forte secousse justement sur le point où nous sommes. Eh bien ! ils peuvent venir, nous les attendrons de pied ferme, ils ne passeront pas ! C’est le cri du jour. » Et, le 3 septembre, notant le recul des Allemands, l’agriculteur s’indigne de ce « qu’ils poussent leur méchanceté jusqu’à couper tous les arbres fruitiers. La plus grande partie c’est des pommiers. Ils sont sciés à un mètre de haut. »
Notons enfin trois remarques ponctuelles sur le début de la guerre : la réquisition des chevaux le 4 août 1914 ; un suicide dès le 14 août ; un blessé allemand soigné et nourri en septembre 1914. Au total, même s’il s’agit du témoignage d’un « combattant non directement engagé dans les combats », on peut dire avec Emmanuel de Luget : « La Grande Guerre, c’est aussi la guerre de Joseph Pomès. »
Rémy Cazals, 5 mai 2011

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