Béthouart, Antoine (1889-1982)

En grand uniformeSource : http://promogalbethouart.free.fr/index.php?page=parrain_0.xhtml

1.  Le témoin

Né le 17 décembre 1889 à Dôle (Jura), Marie, Émile, Antoine Béthouart embrasse la carrière militaire (Saint-Cyr, promotion de Fez) en 1909. Il en sort en 1912 avec le grade de sous-lieutenant. Après la Grande Guerre, débute alors pour l’officier une période politique et militaire trouble d’entre-deux guerres qui se traduit par une déliquescence de l’armée française, laquelle va amener « au désastre » de la seconde guerre mondiale. Pourtant, il estime que « la disparition de l’armée allemande et le prestige de l’armée française victorieuse ont provoqué de nombreuses demandes de missions militaires françaises par les pays libérés de l’occupation ou de l’influence allemandes et qui avaient besoin d’organiser leur sécurité. » (page 126).

Il entre à l’école de guerre en 1920 et passe par diverses affectations dans l’armée alpine. En mars 1931, il est détaché en mission à Belgrade. Ainsi débute une aventure militaire et diplomatique dans l’imbroglio des Balkans soumis aux tensions européennes et à la montée du nouveau pouvoir allemand national-socialiste. La frilosité voire la démission politique française amèneront, malgré les informations précieuses de la légation française et des rapports adressés par l’officier, au lâchage de la Yougoslavie. Viennent alors l’Anschluss puis les différentes invasions de l’Axe, les fuites politiques de la France et de la S.D.N. devant la montée nazie avec l’aboutissement fatal d’une seconde guerre qui se déclenche. Le 1er août 1939, le colonel Béthouart prend le commandement, à Chambéry, d’une demi-brigade de chasseurs alpins et verrouille la Haute Maurienne en prévision d’une guerre avec l’Italie, qui restera neutre. Il participe à l’opération de Narvik, puis poursuit la guerre au Maroc, organisant l’opération Torch. Nommé général de division, il y gagne une mission militaire aux Etats-Unis afin de préparer le concours américain. Il débarque en Provence en août 1944, participe à la campagne de France, occupe l’Autriche puis se retire de l’active. Il garde un rôle politique et collabore au Figaro. Il décède le 17 octobre 1982 à Fréjus et est inhumé à Rue (Somme).

2. Le témoignage

Des hécatombes glorieuses au désastre, Paris, Presses de la Cité, 1972, 221 pages. La partie de ses souvenirs consacrée à la Grande Guerre occupe les pages 9 à 120.

Le général Béthouart poursuit avec cet ouvrage ses « Mémoires à l’envers« . Après avoir présenté ses années autrichiennes, de 1945 à 1950, puis ses années de la seconde guerre mondiale, il se souvient de sa jeunesse, de la Première guerre mondiale et de l’entre-deux guerres. Après un exposé sommaire nous présentant sa famille et l’armée à la veille de la guerre, il nous fait entrer dans le conflit avec le 152e régiment d’infanterie de Gérardmer (Vosges). Lieutenant, il apprend la déclaration de guerre à Longemer et part occuper le col de Louschpach. Puis il pénètre en Alsace par la vallée de Munster jusqu’à Wintzenheim, aux portes de Colmar avant de retraiter sur Saint-Dié pour y participer à la reprise du piton du Spitzemberg. Globalement, le 15-2 aura eu jusqu’alors moins de pertes que les autres régiments engagés. Aussi, l’hécatombe des officiers de la bataille des frontières oblige l’état-major à reconstituer les autres régiments exsangues.

Béthouart change d’unité et accède au commandement de la 7e compagnie du 158e RI avec laquelle il entre en ligne le 5 janvier 1915 face au bois de Berthonval, à dix kilomètres au nord d’Arras. Il y prend contact avec les tranchées et la boue sur un front qu’il qualifie de « monotone« . Cette situation ne durera pas et l’année 1915 sera terrible dans le secteur de Notre-Dame-de-Lorette. Prise par l’ennemi le 13 mai, le 158e est chargé de reprendre l’éperon. La bataille fait rage quand, debout sur le parapet, l’officier est gravement blessé à l’épaule. Il sera éloigné du front et déclaré inapte à l’infanterie. Après une longue convalescence, il parvient à être affecté à l’état-major de la 77e brigade qui stationne en secteur calme à Baccarat (Meurthe-et-Moselle). Le 17 février 1916, il est brusquement embarqué en train vers un nouveau front, à la veille de ce qui deviendra la fournaise de Verdun. Il y suit l’intensité de la bataille, d’abord à Fleury qu’il faut évacuer pour un abri-caverne de Froideterre, et à son élargissement à la rive gauche de la Meuse.

Le 1er juillet 1916, l’attaque anglo-française qui se déclenche sur la Somme voit la 77e brigade relever les unités anglaises dans le bois de Maricourt. Les attaques se succèdent entraînant de lourdes pertes pour la division, jusqu’au déclenchement de l’attaque française sur le Chemin des Dames. Après un mois de préparation, l’officier intègre le secteur ouest de Vendresse à la fin du mois de mars 1917. Dès le déclenchement de l’attaque, il constate, de l’état-major, l’échec de l’offensive dû à un dispositif linéaire et uniforme, faute indéniable, imputable au G.Q.G. Le capitaine Béthouart demande alors à son supérieur le commandement d’une compagnie, qu’il obtient immédiatement, le 10 mai 1917. A sa tête, il monte en ligne le 13 mai entre l’Epine de Chevregny et Braye-en-Laonnois et se trouve dès son arrivée sous le fouet de la mort. Il y subit à son tour la doctrine de l’attaque à outrance, comme aux jours les plus sombres de 1915. Ayant mal jugé la situation, il concède du terrain à l’ennemi, ce en pleine période de mutinerie. L’une d’elle se déclenche dans son secteur et nécessite sa diplomatie et son intervention énergique pour rétablir le calme.

Le 7 juin 1917, le 20e Corps est mis en repos en Lorraine, où les permissions sont rétablies et augmentées. Remis en secteur de Pont-à-Mousson, réputé calme, jusqu’au 6 janvier 1918, le 158e revient à Verdun. Il y restera engagé au nord de Vacherauville, secteur battu par une artillerie allemande « très active« . L’activité y est composée de patrouilles et de coups de main en attendant une attaque de plus grande ampleur. Le capitaine n’y participera pas. Il est nommé chef de bataillon, lequel est placé en réserve générale au printemps 1918 puis transporté, le 20 avril, en Belgique où les Allemands ont prononcé une attaque sur le Mont Kemmel. Le capitaine Béthouart reçoit l’ordre de contre-attaque le 30 et son action est décisive dans la sauvegarde de la situation. Malheureusement il est pris sous un tir de harcèlement dont un obus le blesse à la main et à la jambe. Il est évacué sur l’hôpital de Dinan et ne réintégrera une unité combattante que le 20 juillet suivant.

Les événements s’enchaînent alors rapidement et la déliquescence de l’armée allemande semble annoncer le dénouement. A la tête du 3e bataillon de son régiment, il va participer à l’irrésistible offensive franco-américaine devant Saint-Mihiel, déclenchée le 12 septembre. Projetant une large offensive de rupture en Lorraine pour la fin de l’année 1918, la division de Béthouart est relevée et placée en réserve à l’est de Nancy. C’est là qu’il va apprendre l’Armistice, « mélange d’incontestable joie, de soulagement, mais aussi d’une déception certaine de ne pas avoir terminé la guerre en territoire allemand » (page 119). Le 19 novembre, il entre triomphalement à Metz.

3. Analyse

Poursuivant son autobiographie militaire, le général Béthouart se souvient de son parcours de 14-18 dans le but de « montrer l’évolution de la guerre au cours de ces quatre années tragiques » (page 120).

Le lieutenant Béthouart n’a probablement pas tenu de carnet de guerre. Il a écrit ses mémoires militaires au soir de sa vie d’après ses souvenirs, mélanges de détails et d’imprécisions. Ainsi, les épisodes de guerre de l’officier sont rapportés en pointillés, avec une précision sommaire. Les combats sont tirés à grands traits, ponctués d’anecdotes et de commentaires, mais le récit est chronologiquement haché au gré des périodes de blessures ou d’inactivités relatives. Dès lors l’ouvrage apparaît comme un livre manqué par un témoin qui aurait pu se révéler exceptionnel tant par son affectation que par son parcours militaire, alternant régiment de couverture (le mythifié 15-2), officier d’état-major et commandant d’une compagnie d’attaque puis d’un bataillon. Malheureusement, la pauvreté d’intérêt du témoignage est navrante et le style narratif reflète cette absence de profondeur. L’ouvrage commence comme un exposé scolaire, relativement maladroit et contient ses impressions doctrinaires ; Béthouart est convaincu que le service militaire, réellement universel, favorise le brassage social (page 19) et impute à l’instituteur un rôle majeur dans la victoire « patriotique » de 1918 (page 29) ou d’impressions personnelles sur la stratégie qui hachent le récit.

Dans le détail, quelques anecdotes prêtent à la réflexion comme l’annonce de la mort du père de l’officier par l’Echo de Paris, début mai 1918, « seul moyen que ma mère ait trouvé pour m’annoncer cette triste nouvelle » ! (page 117). Blessé en mai 1915 devant Lorette, il nous donne une vue tragique d’un poste de secours (page 66) et évoque, plus loin, les « Morituri« , blessés insauvables (page 84). Sans s’étendre sur les mutineries, il évoque des hommes fatigués et nerveux, les limitant presque à un incident avec un gendarme, « hirondelle de malheur », tout en avouant mater la contestation au cours d’un « meeting forestier » (page 104).

Chronologie géographique du parcours suivi par l’auteur, (page) :

1914 : 3 août : Longemer (38), 6 août : secteur de Louschpach (39), 14 août : La Schlucht, l’Altenberg, Stosswihr, Soultzeren, col du Sattel (41), 16 août : Schmelzwassen (42), 20 août : Wihr-au-Wald (44), 21-27 août : Witzenheim (45), 28 août – 3 septembre : Wihr-au-Wald – La Chapelle-Sainte-Croix (45-49). Septembre : Spitzemberg (50)

1915 : 5-8 janvier : Dix kilomètres au nord d’Arras, face au bois de Berthonval (55), 8 janvier – 15 mars : Mengoval, alternance de secteur et de repos dans le secteur d’Aix-Noulette à Noeux-les-Mines (58-60), 15 mars – 14 mai : bois de Bouvigny – Notre-Dame de Lorette (60-66), 14 mai 1915 – 17 février 1916 : convalescence (66-77)

1916 : 17 février : Baccarat (77), 21 février : Revigny (77), 25 février : Regret, Fleury, Douaumont, Ouvrage de Froideterre (77-82), 11 mars : repos à Saint-Dizier (83), 3-14 avril : Cote 304 (84), 1er – 10 juillet : bois de Maricourt à 2 km au nord de la Somme et 13 km au nord de Péronne (86-88), 10-23 juillet : repos en arrière (88), 24 juillet – 8 août : attaques sur Maurepas (89), août – novembre : En réserve (90), fin novembre : Sailly-Saillisel (90), fin 1916 : repos en Lorraine (96)

1917 : 15 janvier : région de Château-Rhierry (96), 24 janvier – 27 février : pentes sud du Chemin des Dames (96), 28 février – 26 mars : nord-ouest de Château-Thierry (97), 26 mars – 21 avril : entre le canal de Braye et Vendresse (99-102), 10 mai : (commandant de compagnie) – attaque entre l’Epine de Chevregny et Braye-en-Laonnois (102), Juin : Nanteuil (104), 7 juin : région de Nancy (109), 25 juin 1917 – 6 janvier 1918 : région de Pont-à-Mousson (109)

1918 : 10 janvier : Toul (110), 15 janvier – 26 mars : Dugny – Verdun, nord de Vacherauville, Côte du Poivre, ravin de Vaudoines (110-112), 27 mars : région de Revigny (112-113), 20 avril – 5 mai : Roesbrugge, Mont Kemmel – Scherpenberg (113-117), (3 mai – 20 juillet) : hôpital de Dinan (117-118), 12 mai : Villers-Cotterêts (117), 20 juillet – 5 août : La Ferte-sous-Jouarre (118), 5 août – 12 septembre : secteur de Saint-Mihiel (118), 12 septembre : nord de Montsec, Buxières, Heudicourt, Vigneulles (119). 19 novembre : entrée à Metz (119)

Index des noms cités dans l’ouvrage – (page)

Soldat Lucien Forgeot, tué le 6 août (30), soldat Pierre Gross (39), soldat Aufray (tué) (40), colonel Nautré, tué dans les bois d’Ormont (51), commandant Prévot, chef d’un bataillon du 158e (15 mars 1915) (61), Girardot (62), lieutenant Bour (63), colonel Lebouc, artilleur, ancien professeur à l’école de guerre, commandant la 77e brigade de la 39e division du 20e Corps (à Baccarat le 16 février 1916) (77), capitaine Flageollet, capitaine commandant une compagnie du 146e RI tué à Douaumont le 26 février 1916 (79), capitaine Denis Cochin, du 146e, blessé le même jour (81), commandant Jacquesson, commandant le 3e bataillon du 146e (même période) (81), colonel Matter, commandant le 153e au Chemin des Dames (99), colonel de Coutard, commandant le 146e au Chemin des Dames (99), général Hellot, commandant une division sur le Chemin des Dames (17 avril 1917) (101), lieutenant de Vrégille, commandant de section au 146e, tué au Chemin des Dames le 13 mai (102), lieutenant Rouyer le remplace, prisonnier le 14 (103), capitaine Gauche, du 146e, tué vers le 15 janvier 1918 sur la côte du Poivre (110), adjudant de bataillon Nugue, tué le 30 avril 1918 sur le Mont Scherpenberg (116).

Bibliographie de l’auteur

La bataille pour l’Autriche, Paris, Presses de la Cité, 1965, 320 pages.

Cinq années d’espérance. Mémoires de guerre (1939-1945), Paris, Plon, 1968, 362 pages.

Des hécatombes glorieuses au désastre, 1914-1940, Paris, Presses de la Cité, 1972, 221 pages.

Yann Prouillet, CRID 14-18, septembre 2011

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