Averescu, Alexandru (1859-1938)

1. Le témoin

Alexandru Averescu, est un général de l’armée roumaine pendant la Première Guerre mondiale, Premier ministre du Royaume de Roumanie (février – mars 1918; 1920-1921, 1926-1927), élevé au rang de maréchal en 1930. Officier de carrière passé par l’école supérieure de guerre de Turin, Italie, porté au rang de général en 1906. Entre 1896 et 1898, il fut attaché militaire de la Roumanie à Berlin. En 1907, nommé ministre de la Guerre et, pendant les guerres balkaniques, il mène avec succès la campagne de l’armée roumaine en Bulgarie en 1913. Pendant la Première Guerre mondiale, il se distingue comme un excellent chef militaire, un général inconfortable pour la famille royale de Roumanie, le Premier ministre Ion C.Brătianu et pour le Grand Quartier Général de l’armée roumaine, dirigé par le général Constantin Prezan. Il critiqua l’inaction et les erreurs de décision du général Prezan lors des campagnes de 1916 et de l’été 1917. Bon organisateur, il a mené avec succès la résistance de l’armée roumaine aux armées des Puissances Centrales, obtenant les victoires de Marăşti et d’Oituz de juillet à août 1917. Il était le général le plus aimé de l’armée roumaine pendant la Première Guerre mondiale. Son énorme popularité a fait naître la jalousie des dirigeants politiques qui ont compris son potentiel en tant que concurrent formidable sur la scène politique. En mai-juin 1917, ses opposants ont lancé des rumeurs selon lesquelles, dans le contexte de la dégringolade de l’armée russe en Moldavie, le général préparait un coup d’État et voulait proclamer la république. Cela a conduit à un refroidissement temporaire de sa relation avec la famille royale. Au printemps 1918, il est nommé par le roi Ferdinand de Roumanie Premier ministre, mais il n’est au pouvoir que pendant un mois, remplacé par les intrigues du même Ion I.C Brătianu. En réponse, le général a créé un groupe politique appelé le Parti Populaire et a publié une série d’articles entre avril et juin 1918 sous le titre « Responsabilités » dans lesquels il critiquait sévèrement la préparation de la guerre par le Premier ministre Ion I.C.Brătianu, les décisions désastreuses des généraux nommés à des postes par le même Premier ministre. Devenu Premier ministre après la guerre, le général Averescu s’est avéré être un homme politique faible et décevant par rapport à son adversaire Brătianu, et son étoile politique est rapidement tombée. En 1930, avec le général Constantin Prezan, son grand rival, il est promu au plus haut rang militaire, celui de maréchal. Il meurt en 1938, enterré dans une crypte du mausolée des héros roumains à Marăşti, l’endroit où il avait remporté sa plus brillante victoire.

2. Le témoignage : Alexandru Averescu, Notes quotidiennes de guerre 1916-1918, Bucarest, Institut d’Impression des Arts, 1937.

En 1935, à l’âge de 76 ans, le général termine l’écriture de ses mémoires de guerre. Elles sont très probablement écrites sur la base de carnets des campagnes de 1916-1918, mais aussi des ordres et documents officiels qu’il a conservés. Il les publie dans plusieurs éditions en 1935, 1937 et 1938. L’édition utilisée par nous pour cette documentation est datée de 1937, imprimée à l’Institut d’Impression des Arts à Bucarest. L’œuvre compte 62 illustrations et 402 pages. Ses notes ont été mises à l’index dans la première période de la dictature communiste parce que pendant son gouvernement de 1921 à 1922, pendant le congrès au cours duquel le Parti Communiste Roumain a été créé (mai 1921), tous les participants ont été arrêtés. Ses écrits n’ont longtemps été accessibles qu’aux spécialistes. Et ce n’est qu’en 1992 que les notes ont été rééditées à la maison d’édition de l’Armée Roumaine.

3. Analyse du livre

Alexandru Averescu publia ses notes de guerre à un moment où son étoile avait pali, et où la guerre de 1916-1918 ne valorisait que le Parti National Libéral dirigé par son adversaire, Ion I.C.Brătianu. Celui-ci avait réussi à atteindre l’union de tous les Roumains, à la suite d’une guerre gagnée par les sacrifices des soldats et pas nécessairement par les généraux. Pour cette raison, Averescu a tenté de laisser de côté sa propre version des événements, et comme il l’avoue dans l’avant-propos de l’œuvre, le but de ces notes était « d’apprendre de l’expérience des autres ». Le livre a une préface, puis viennent les notes qui sont regroupées en trois sections: Notre guerre, suivie par annexes et documents.

Comme pour d’autres œuvres commémoratives écrites par les militaires, les Notes d’Averescu souffrent stylistiquement, mais ont l’avantage de la rigueur et de la logique nées de l’esprit des professionnels militaires. Le général offre à ses lecteurs de véritables cours de stratégie militaire, et ses notes sont l’occasion de justifier et de confirmer au fil du temps le réalisme de ses décisions et, surtout, les qualités de grand commandant militaire. L’homme Averescu et son armée sont présentés comme de véritables « pompiers » du front roumain, toujours appelés là où la situation était désespérée. Dans le même temps, il évoque également ses collègues, dont il fait rarement des éloges. Il y a plusieurs personnages, les généraux Iliescu, Prezan, le colonel Sturdza, le major Radu Rosetti, qu’il considère avec des politiciens libéraux dirigés par Ion I.C Brătianu, responsables des échecs de la campagne de 1916, mais aussi pour avoir bloqué ou saboté toutes ses initiatives militaires.

L’homme Averescu est un homme d’une seule pièce. Obsédé par son ego, parfois plein d’envie et de frustrations, il se sent lésé par le roi, mais aussi par les libéraux. Peut-être le meilleur portrait de ses faiblesses a été réalisé par son mémorialiste et collaborateur Constantin Argetoianu. Se référant à la personnalité du général, il écrivait ce qui suit: « Sa complexité était plus apparence que réalité. Averescu n’avait que deux passions dans le monde: les femmes et les galons. Pas la femme, mais les femmes ; pas l’ambition de grandes réalisations, mais les galons. Pour satisfaire ces deux passions, au service desquelles il plaçait une intelligence, une ruse et une force de volonté incontestables, il était capable de tout sacrifier, même les croyances qu’il avait, et d’atteindre la cible du jour en prenant n’importe quel chemin. L’homme le plus populaire de son pays en Europe n’a jamais eu une pensée à construire, il a seulement poursuivi le poste de Premier ministre! »

Tout au long de son œuvre, Averescu insiste sur sa propre valeur en opposition avec le manque de substance de ses adversaires, et il affirme des vérités sans aucune remise en question. Il est le seul mémorialiste roumain qui défie et n’aime pas le général Berthelot, le chef de la Mission Militaire française. Averescu voit le général Berthelot comme un « bon exécuteur » mais incapable de s’immiscer dans les affaires de l’armée. Son témoignage de la campagne militaire roumaine de 1916 est courageux, et les vérités qu’il a dites sont difficiles à digérer, y compris aujourd’hui. C’est le général qui fait un portrait presque offensant pour l’armée roumaine. Averescu parle du manque d’équipement, des troupes qui paniquent facilement, et dit que ceux qui paniquent sont les professeurs des écolestransformés du jour au lendemain en officiers. Vous pouvez voir ici le mépris d’un soldat de carrière pour les réservistes.

En septembre 1916, l’armée roumaine à Dobrogea est encerclée par les troupes germano-bulgares et 30 000 soldats sont faits prisonniers. Encore une fois, ses réflexions sur la catastrophe de Turtucaia sont dures : « Des unités improvisées, des officiers improvisés, une grande ineptie en préparation de la part du commandement supérieur… Turtucaia a été un vrai désastre. Qui va expier la perte de tant de vies et cette honte? Qui? Les erreurs des commandants et des politiciens ont des conséquences désastreuses pour le pays et non pour eux-mêmes. » Il utilise évidemment ces réalités incontestables pour frapper ses adversaires et conclut : « C’est le travail de Iliescu-Rosetti (général Dumitru Iliescu et major Radu Rosetti, proche d’Ion I.C. Brătianu), sous l’égide de l’I.I.C.Brătianu! » Le 27 novembre, le général Averescu écrit : « La désagrégation progresse à vue d’œil. Ceux qui ont préparé la guerre peuvent se féliciter ! »

Quelques semaines plus tard, son ton devient encore plus critique, quand, après le retrait chaotique en Moldavie de toute l’armée roumaine, l’épidémie de typhus éclate : « Nous avons pensé à Budapest et nous faisions une stratégie élevée et nous n’avons pas pris les mesures les plus élémentaires pour organiser le service sanitaire… »

Averescu, se référant à la campagne de 1917 où il a remporté une brillante victoire à Mărăşti, critiquait à nouveau la direction de l’armée roumaine qui a arrêté son offensive qui aurait conduit à son avis à chasser l’armée allemande de Roumanie. La même critique est adressée à l’armée russe qui ne se bat plus et est en plein désarroi à cause de la propagande bolchevique.

Pour conclure, le travail du général Averescu est un témoignage précieux des opérations militaires et de l’atmosphère entre les dirigeants de l’armée roumaine, des liens entre l’armée et les politiciens. Il révèle à la fois le sublime et le ridicule de ces années. En ce qui concerne la postérité du commandant et homme politique Averescu, la récupération de sa mémoire a commencé timidement après la chute du communisme en Roumanie. En 2005, une fondation Alexandru Averescu a été créée qui a contribué à ramener dans la mémoire collective la personnalité de cette armée. A l’occasion du Centenaire de la Première Guerre mondiale, la figure d’Alexandru Averescu a été largement médiatisée. Au cours de ces années, une série d’études et d’ouvrages ont paru dans lesquels Averescu a fait l’objet de l’analyse d’historiens.

Dorin Stanescu, avril 2021

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