Jacques Dieterlen

Dieterlen, Jacques (1893-1959)

Dieterlen, Jacques, Le Bois le Prêtre (octobre 1914 – avril 1915), Hachette, collection Mémoires et récits de guerre, 1917, 280 pages

Résumé de l’ouvrage :
L’auteur, de manière impersonnelle, brosse de nombreux tableaux-hommages aux « Loups du Bois le Prêtre ». Après un panorama des lieux de mort, du Quart-en-Réserve à la Croix des Carmes, à l’ambulance du Gros Chêne et leurs cagnas de boue jaune ; il nous fait suivre la vie du front, faite de petits postes, de patrouilles, de guerre souterraine, d’attaques et de relèves. Dès lors, officiers et soldats de toutes armes, blessés et prisonniers, nous sont dépeints en situation dans leurs peines et leurs sacrifice, toujours héroïques, pour les magnifier.

Eléments biographiques :
Jacques Dieterlen naît à Cannes, dans les Alpes-Maritimes, le 28 novembre 1893, d’une famille d’origine alsacienne. Il est le fils de Christophe et de Suzanne Amélie Thierry. La guerre le surprend alors qu’il fait son service au 168ème R.I. de Toul, entré comme 2ème classe le 29 novembre 1913. Jean Norton Cru avance dans « Témoins » (page 292), relativement à sa présence au front, qu’elle fut courte. Il dit : « Parti comme caporal dès les premiers jours d’août 1914, la brigade active de Toul fut amenée au Bois le Prêtre, devant Pont-à-Mousson, sur la rive gauche de la Moselle. Elle y resta jusque vers le 2 juillet 1915. Mais déjà, avant cette date, Dieterlen, qui avait été promu sergent, avait été blessé et évacué. Sa blessure lui fit perdre le bras droit. À l’armistice, il retourna au pays natal de sa famille, se fixa à Strasbourg [il y habite 1 rue de la Douane] où il fit ses études de droit et s’occupa de presse et de littérature ». Plus précisément, il passe en effet caporal le 1er avril 1914 et sergent le 16 novembre suivant. Le 19 du même mois, il est affecté au 169ème RI, de Toul également, et est en effet, le 10 avril, blessé gravement au Bois le Prêtre par un éclat d’obus (ou une balle explosive en fonction des sources, notamment son dossier de Légion d’Honneur) qui lui fracture l’épaule droite, occasionnant sa désarticulation et son amputation. Il est cité à l’ordre de ce régiment le 20 avril 1915 avec ce motif : « Très belle conduite à la prise d’un petit poste ennemi, a montré une courageuse activité dans l’organisation de la position conquise », citation complétée le 26 août suivant avec le complément : « son lieutenant lui demandant si sa blessure était grave, a répondu « ce n’est rien si la section peut se maintenir dans la tranchée » ». Il est décoré de la croix de guerre, de la médaille militaire (le 15 septembre 1915) et de la Légion d’Honneur (15 septembre 1932). La guerre achevée, il épouse, le 30 août 1920, à Reims, Germaine Ida Madeleine Reiterhart, et s’installe en Alsace où il devient rédacteur en chef du Journal de Schlestadt (Sélestat). Ayant obtenu son baccalauréat en Droit à Strasbourg en juin 1921, il fera une carrière comme auteur de plusieurs ouvrages, mais également comme initiateur de deux revues ; une sur la navigation sur le Rhin et une sur le ski, dont il est un spécialiste. En 1946, il publie un roman, Honeck, chez Flammarion, dans une collection qu’il dirige chez cet éditeur, intitulée La Vie en montagne. Cette fiction, qui évoque les deux guerres mondiales, s’inspire pour la partie Grande Guerre de sa fonction de directeur, à partir de 1917, du Foyer du soldat du Collet, à proximité du col de la Schlucht, dans les Hautes Vosges. Henriette Mirabeau-Thorens Mirabaud-Thorens, Henriette (1881-1943) – Témoignages de 1914-1918) le rencontre et le décrit à plusieurs reprises dans son ouvrage. Le 9 septembre 1917, elle dit : « C’est le jeune Dieterlen qui dirige le Foyer du Soldat du Collet. Il a perdu un bras à la guerre. Il a parfois de la peine à tenir ses chasseurs, qui n’ont pas froid aux yeux : « Mais c’est grâce à ma manche vide que je leur en impose », nous dit-il. Il a écrit un livre admirable sur le Bois-le-Prêtre » (page 288 de En marge de la guerre). Elle en reparle (pages 301, 309 et 318), rapportant les anecdotes que raconte à l’envi Dieterlen sur son poste au Collet et sa vision des poilus. Sa famille dirigeant un hôtel, [c’est pour cela qu’il rencontre Henriette Mirabeau-Thorens, qui le cite dans ses livres], il se retire pendant la Deuxième Guerre mondiale à Gérardmer (Vosges) pour y administrer Le Grand Hôtel. Il est également connu comme artiste peintre et illustrateur. Il meurt dans cette ville le 24 novembre 1959.

Commentaire sur l’ouvrage :
Rien ne manque dans cette suite de longs alignements pénibles de tableaux romancés, animés d’homériques héros toujours tragiques, qui meurent tous d’une balle glorieusement reçue en pleine tête, et de boches barbares et pleutres dans le plus pur esprit du bourrage de crâne le plus grossier, ajoutant aux images d’Epinal pochées à l’invraisemblance l’honneur étalé et la souffrance jusqu’au sadisme. Ce livre surréaliste ne vaut que pour cette démonstration. Norton-Cru décrit parfaitement le sentiment de l’historien à la lecture de ce pensum : « Rien n’est plus navrant alors que de voir un combattant, un mutilé, s’exprimer dans le ton de ces artistes de bravoure qui déchainaient la fureur des poilus. Tout le livre de Dieterlen dépeint une bravoure exagérée ; livresque, non-humaine ; ses soldats sont des surhommes et ils s’expriment dans un style à scandaliser les vrais poilus » (page 293). Cela commence en effet dès la page 10, quand un soldat dit qu’il a aiguisé sa Rosalie ! La baïonnette est souvent citée, comme un instrument de prédilection qu’il associe à l’attaque du soldat, à « l’usage de cette fine petite aiguille d’acier qu’il faudra enfoncer dans des poitrines humaines, puis retirer, puis enfoncer à nouveau… » (page 240). Suivent des pages sirupeuses d’hommes « emportés par cette fièvre héroïque » (page 25), voire cette « ivresse héroïque » (page 114), d’horreur superfétatoire, comme ces morceaux de corps partout, servant d’indicateurs (page 32), cette fosse commune surréaliste en plein milieu de la tranchée (page 38), cette scène qui rappelle furieusement le Debout les Morts de Péricard quand Dieterlen décrit : « …on eut dit que les morts eux-mêmes se réveillaient à la vie pour prendre part à la lutte » (page 41) ou ces blessés affreusement mutilés se jouant de la douleur par des bons mots (page 195). Les soldats, surhommes mythologiques, sont héroïques, même sans arme, comme ce soldat du génie qui capture une mitrailleuse à l’aide d’une simple cisaille (page 114). Ces héros auxquels Dieterlen pense rendre hommage, il ne leur applique pourtant qu’outrance bien peu réaliste dans les conditions de la guerre, ce par des phrases comme « il n’y avait rien qu’il ne surmontât, il n’y avait pas de mitrailleuses qui pût l’empêcher » (page 176). Dans cette avalanche de morts, ne bénéficiant généralement que de très peu de respect, ceux-ci, français comme allemands, sont utilisés comme barrages (page 77), comme banc (page 91) ou comme parapet. Les têtes sont jetées hors de la tranchée (page 202) ou tel soldat s’endort sur le cadavre d’un ennemi (page 231). Par ses outrances sur ce point, Dieterlen méconnait la réalité de la mort au front et de son traitement, ami comme ennemi, surtout pour l’année 1915.
Ces multiples tableaux, le plus souvent mal écrit en termes de dialogues surréalistes qu’aucun poilu n’aurait tenu parce que verbalisant l’inutile à formuler, forment une superposition interminable de héros, les mettant parfois dans des situations stupides comme ce brancardier qui revient avec 10 baïonnettes des morts (page 170). L’allemand est bien entendu soit stupide, soit barbare. La tentative de négociation faite pour récupérer un blessé s’achève par l’achèvement ce celui-ci à la grenade (pages 186 à 189). Ainsi, le « Teuton », le « Fritz » ou le « Boche » ne peut être que mort ou prisonnier, mais Dieterlen avance même « Mais il ne fallait pas qu’il y en eût trop ! » (page 214), d’autant qu’amadoués et renseignés sur la réalité de la guerre ; « Dans la suite, ils devinrent moins naïfs et se rendaient plus facilement » (page 217). D’autres pleutres demandent même aux français d’assassiner leurs officiers (page 228). Quant aux bleus des classes 14 et 15, ils meurent insouciants et naïfs (page 198). Tout l’ouvrage n’est donc une longue suite de verbiage sans précision ni technicité, au-delà du moindre intérêt. À peine Dieterlen s’interroge-t-il sur le « syndrome du survivant » dans la grande boucherie, concluant pour toute analyse seulement que « la mort est lâche » ! (page 203). Dieterlen, qui dédie l’ouvrage « À la gloire de tous les Héros obscurs morts au Bois Le Prêtre. À toux ceux qui leur sont chers », s’essaye ainsi à rendre hommage aux différentes armes ; soldats et officiers, brancardiers, agents de liaison, hommes du génie (chapitre plus surréaliste encore d’inepties, d’insavoir et d’outrances), blessés et prisonniers, etc., mais avec une injustesse qui classe ce Le Bois le Prêtre dans l’un des pires ouvrages de la pourtant intéressante collection bleue des « mémoires et récits de guerre » d’Hachette. Enfin, au relevé des rares dates avancées dans le livre (voir infra), celui-ci n’étale de fait sa narration que sur une période, entre l’arrivée et la relève, au printemps 1915, soit entre la mi-mars et le 10 avril, alors qu’il avance en sous-titre la période Octobre 1914 – avril 1915. Cela correspond manifestement à la courte expérience qu’il a pourtant bien eu lui-même du Bois Le Prêtre.

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Eléments de datation relevés dans l’ouvrage
Page 14 : 2 avril 1915 (169ème R.I.)
25 et 27 septembre 1914 (combats de Mamey) (avant l’arrivée de la division)
142 : 10 avril 1915
159 : 31 mars 1915
190 : Une nuit d’hiver 1914
204 : Un matin de la fin mars 1915
218 : Le jour de Pâques 1915 (4 avril 1915)
224 : Un jour de l’hiver 1914-1915
233 : Premiers jours du printemps 1915 (rappel : printemps = 21 mars)
245 : Avril 1915

Relevé des toponymes cités dans l’ouvrage (page)
Mamey (2 à 5) – Fey-en-Haye (5, 14, 28, 80, 101, 225) – Régniéville-en-Haye (13) – Thiaucourt (13) – Vilcey-sur-Trey (14) – Hauts de Meuse (100) – Fontaine du Père Hilarion (133) – Auberge Saint-Pierre (134) – Route de Norroy (134) – Maidières (148) – Montauville (164, 192, 193, 269, 273, 277, 278) – Pont-à-Mousson (193) – Ravin des Cuisines (274, 277) – Poste de secours de Clos-Bois (275) – Croix des Carmes (277)

Renseignements tirés de l’ouvrage :
Page 65 : Artisanat de tranchée
90 : Il tire sur un geai
92 : Coup de fusil ayant « le bruit d’un caillou jetée sur de la glace »

Yann Prouillet, 21 août 2025

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