Magnan, Louis (1875-1944) et Augustine

Il travaillait aux Basaltes d’Aubignas (Ardèche), tandis que sa femme Augustine tenait une épicerie-mercerie à Montélimar. Le couple avait deux fillettes. Louis était âgé de 39 ans en 1914. Il fit huit mois de campagne avant d’être évacué pour bronchite à l’été 1915. Il occupa ensuite des emplois d’arrière-front : boulanger, magasinier, manutentionnaire. Conservées par la famille, les lettres de Louis et d’Augustine se répondent sur le thème de la révolte, comme le montrent les extraits suivants.
Louis (10 juillet 1915) : « Enfin, tout ceci est bien long. Assurément qu’il vaudrait mieux la paix. Mais je ne la vois pas encore, tant que ces Boches sont si forts et, surtout, si abrutis à écouter leur Kaiser. Quel misérable peuple ! Qu’il faut qu’il soit bête, encore bien plus que nous ! Je n’aurais jamais cru qu’ils aient un pareil culot. Enfin, espérons toujours en un meilleur avenir. Mais sera-t-il plus beau après la paix ? D’après ce que je vois, on a guère bien d’espoir. »
Augustine (6 janvier 1916) : « Vous tenir comme on vous tient, et vous laisser mourir de faim. Et cependant il se gaspille assez d’argent ; les officiers qui sont payés double : il y aurait bien de quoi vous nourrir. […] Et personne ne dit rien : ça vous révolte. Mais que puis-je faire, moi seule ? Il faut que j’en souffre en attendant que cela passe ; mais quand ? »
Louis (28 juin 1917) : « Il faut s’armer du sang-froid nécessaire pour y passer encore une année. Et je crois qu’il faudra encore tout ce temps pour amener les peuples à comprendre où sont leurs bourreaux, les responsables. Je crois pourtant que la vérité est en marche. Je crois que les peuples, réveillés par leur misère, leur vue s’éclairera. Attendons. Ayons espoir. […] Dans tous les cas, que tout le monde en goûte un peu, cela leur enlève leurs idées de patriotisme. Je te dis : ayons espoir. Nous aurons la revanche des injustices. »
Augustine (9 août 1917) : « Combien va-t-on vous tenir encore sous ce joug si puissant qui vous prive de toutes vos libertés et de l’affection de vos chères familles ? C’est abominable, pourquoi les peuples sont-ils si patients et si soumis ? Ils voient bien que c’est pour leur malheur : alors qu’attendent-ils ? »
Louis (19 août 1917) : « Quand viendra-t-il ce temps où on pourra être avec sa famille ? En attendant, il faut subir cet absurde supplice. Et dire que nous sommes au XXe siècle, où on aurait dit que le monde était instruit, à savoir comprendre sa vie. »
Louis (24 août 1917) : « C’est la guerre ! Voilà le dicton qui est presque dans toutes les bouches. Et il y a trois années passées que c’est la guerre. Et dire qu’elle ne nous a rien appris : nous sommes toujours les mêmes moutons. […] Moi, j’en souffre puisque je suis mouton comme les autres. »
Et, dans une lettre du 21 mai 1918, adressée à sa fille Raymonde : « Comme tu me dis, combien sommes-nous heureux en famille ! Et si la vie n’est pas toujours remplie de bonheur, tous ensemble on le surmonte comme on en prend les plaisirs. Au plus je pense à ces choses, au plus la haine me vient contre les bandits qui sont responsables de notre malheur. » En 1920, Louis Magnan choisit le parti communiste ; sous Vichy et l’Occupation, il cacha dans sa maison le drapeau de la section locale de Montélimar du PCF.
RC
*Je suis mouton comme les autres…, 2002, p. 249-267.

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