Croste, Bernard-Henri (1896-1964)

  1. Le témoin

Né le 18 décembre 1896 à Esténos, en Haute Garonne, dans une famille de colporteurs, il perd sa mère en 1903 et est confié à sa tante avant d’être placé en pension chez un instituteur à Ore. Il suit la formation de l’école primaire supérieure de 1910 à 1912 et obtient le brevet supérieur. Admis à l’école normale d’instituteurs de Toulouse, il est instituteur intérimaire en 1914. Classe 16, il est déclaré bon pour le service le 4 janvier 1915 et est incorporé le 12 mars comme soldat de 2e classe. Croste part pour Saint Cyr en tant qu’élève aspirant, grade qu’il obtient à sa sortie le 15 octobre 1915. Il rejoint le 144e RI. Il sera affecté  successivement au 46e RI (3 décembre 1915), puis au 329e RI (5 octobre 1916).

En février-mars 1917, il est dans l’Aisne et occupe le secteur de Vénizel. Son régiment est rattaché au 1er corps colonial, général Mangin. Le 15 avril, il se place face à son objectif : le Chemin des Dames vers Laffaux (JMO : Béthancourt/le Bosquet/Pré Gayan). Il n’est pas engagé. Le 19 avril, le régiment se positionne à Condé-sur-Aisne. Entre le 20 avril et le 4 mai, le régiment relève le 224e RI au nord de Condé, puis occupe Sancy, les fermes Volvreux et Colombes. Il prend part aux combats du 5 mai : attaque de la tranchée de la Pertuisane, prise et perte de la tranchée de la Rade, etc. La relève est effectuée dans la nuit du 17 au 18 mai. Après quelques jours de repos, le régiment remonte en ligne dans le même secteur. Croste évoque les mutineries dans une considération très générale (p.80). Le régiment remonte en ligne en juillet : attaque de la tranchée de Franconie le 15 juillet (échec), de la tranchée de Camberg le 23 juillet (150m gagnés), forte attaque allemande le 25 juillet. Il est relevé le 29. Croste est nommé sous lieutenant le 21 août 1917 et cité à l’ordre de la Division et du Corps d’Armée. Son régiment occupe toujours ce secteur en décembre 1917 puis part au Grand Repos dans l’Oise jusqu’en mars 1918. Après le déclenchement de l’offensive allemande et la percée du front anglais au nord de St Quentin, son régiment doit se replier à Guiscard dans l’Oise. Croste est capturé le 25 mars 1918, pendant la bataille de Noyon. Interné jusqu’au 27 novembre 1918 en Allemagne au camp d’officiers de Trêves, il rentre en France en fin novembre et passe au 9e tirailleurs de marche le 22 mars 1919 et part au Maroc en juin. Démobilisé le 30 septembre, il décide de s’installer au Maroc à partir de 1924. Il y sera instituteur.

Cité deux fois à l’ordre de son régiment. Décoré de la Légion d’Honneur et de la Croix de guerre en 1921.

2. Le témoignage

Témoignage publié à titre posthume. Pour la France ou pour des prunes. Souvenirs et réflexions d’un poilu pyrénéen, Sorèze, Anne-Marie Denis Editeur, 1999. Curieux titre, qui n’a sans doute pas été choisi par l’auteur et pour lequel je n’ai trouvé aucune information.

Bernard-Henri Croste avait rédigé ses souvenirs sur le tard, au milieu des années 1960, à l’aide de quelques notes personnelles succinctes prises pendant la guerre. Le texte de la présente édition a été préparé par Suzanne et son frère André Croste qui ont tenu à respecter l’orthographe, la ponctuation, la syntaxe, la mise en forme et n’ont apporté au texte original qu’un découpage en 4 chapitres. Pas de projet auctorial très précis, si ce n’est cette indication : « Je note donc simplement mes souvenirs sans aucune prétention en respectant la vérité et en ajoutant parfois quelques réflexions mûries par l’âge. En souhaitant que les lecteurs de ces simples pages aient comme moi l’Horreur de la Guerre et de ceux qui y mènent » (p.1).

3. Analyse

Bernard-Henri Croste dit avoir rédigé ses souvenirs à l’appui de notes personnelles prises à l’époque : le remaniement de ces données pour en faire un récit est à l’origine d’un important travail de recomposition. La chronologie est souvent imprécise. Cependant, la richesse et la qualité de ce témoignage sont incontestables.

Débutant avec un grade d’aspirant, Croste a conscience de devoir faire ses preuves. À la sortie de Saint Cyr, il se dit « gonflé à bloc », « dopé » (p.18-19) et impatient d’aller voir ce qui se passe en première ligne. Le récit de son baptême du feu est poignant de sincérité : « Quelle pénible vision ! Toute l’entrée de l’abri est effondrée. Sans doute y a-t-il d’autres tués ou blessés. Et le bombardement se poursuit intense, impitoyable, régulier pendant vingt minutes. Je dois pleurer sans doute. Il vaut mieux qu’il fasse nuit. Mon premier repas n’est pas allé bien bas… J’étais curieux, je voulais voir le front de près. M’y voici cette fois… » (p.41). Fait intéressant à souligner : dans ses premiers temps au front, Croste, très stressé, dit  avoir souffert d’une forme d’anorexie (les quelques photographies de l’auteur prises à cette époque le montrent d’ailleurs bien amaigri). « Pourrai-je m’y habituer ? Tous on aussi peur et ne le cachent pas » (p.43). Le jeune aspirant doit faire ses preuves pour gagner la confiance de ses hommes : « J’entends murmurer : ‘Il en a l’Aspi…Il n’a pas les FOIES’. Il paraît que c’est à mon éloge. Moi, je sais bien que j’ai parfois une trouille intense et pas gros appétit » (p.44).

L’auteur confie que les premiers blessés et morts l’ont beaucoup affecté. Au fil du récit, son témoignage se ponctue de récurrentes protestations de son abomination pour la guerre. Ces réflexions sont-elles le fait de la distanciation temporelle ? En vérité, Croste ne se montre ni antimilitariste ni spécialement patriote. Comme beaucoup d’hommes, il se contente de survivre : « Patrie ! Drapeau ! ces mots pour lesquels on se fait tuer, me font mal maintenant. Les soldats sont de grands enfants ; ils oublient vite » (p.45). Tout au long de son témoignage, l’auteur nous expose ses cas de conscience qui nous permettent d’explorer l’univers intérieur du combattant : « Maintenant je songe à ce pauvre Fritz ou Karl que j’ai froidement abattu dans l’escalier de son abri. Me menaçait-il vraiment ? Ne voulait-il pas se rendre ? Autant de questions qui me troublent et me font penser que j’ai peut-être accompli une mauvaise action. […] Je suis très peiné » (p.99).

Son témoignage est riche en détails de tous ordres sur le quotidien et les tracas des hommes dans les tranchées (éducation des illettrés dans les moments d’accalmie, lexique du poilu, usage du bromure pour calmer les appétits sexuels, trêves tacites, tuyaux de la roulante, etc.). On peut également souligner la qualité descriptive de certains passages relatant coups de main et assauts (description de la formation de la carapace en conditions réelles p.67, préférence pour le fusil plutôt que pour l’arme blanche dans les opérations de reconnaissance p.69, progression par bonds p.75, techniques du lancer des grenades p.76, etc).

Officier, Bernard-Henri Croste ne mentionne qu’assez sporadiquement ses rapports directs avec ses hommes mais met consciencieusement en lumière ses responsabilités, ses doutes, en tant que chef. Car les responsabilités de l’officier ne se réduisent pas à donner ordres et consignes : Croste a bien conscience que la vie de ses hommes dépend de ses décisions et de ses capacités à les entraîner au combat. Importance de l’exemple (p.83), être toujours le premier à s’élancer et le dernier à déguerpir (p.94), etc. Comme un Tézenas du Montcel par exemple, Croste explique la douloureuse part d’autonomie qui revient au chef dans le combat : face à des situations locales pas toujours bien évaluées par le haut-commandement, faut-il respecter les ordres à tout prix ou faut-il refuser le sacrifice de ses hommes ?  « Ai-je bien fait de retenir ma troupe ? Le règlement dit Non ! Ma conscience, Bougrier et ses camarades me disent Oui ! » (p.77). Le doute hante l’auteur jusqu’à la conclusion de son récit qui évoque la discipline militaire en ces termes : « j’avoue ne pas l’avoir toujours acceptée de bon cœur et même en certains cas l’avoir accommodée. Précisément parce que j’avais rôle de chef. Parce que je me sentais responsable de l’existence de mes hommes, que je ne jugeais l’ordre exécutable qu’au prix de lourdes pertes et que j’entrevoyais, moi à l’extrême avant, mieux que le Chef de l’arrière, une solution moins coûteuse. Pas très militaire tout cela ! Possible. Les circonstances et les résultats ne m’ont pas contredit. Ni mes poilus, ni mes camarades ne m’ont blâmé » (p.186).

On retiendra enfin l’intéressant récit de sa captivité en Allemagne.

Dorothée Malfoy-Noël, novembre 2010

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