Andrieu, René Charles (1891-1963)

1. Le témoin.

René Charles Andrieu est issu d’une famille de petit propriétaire terrien du Lot-et-Garonne, cultivant notamment de la vigne. Après des études de droit, il résilie son sursis et est incorporé au 9e RI à Agen en 1913. C’est en qualité de simple soldat qu’il est mobilisé en août 1914 dans l’armée d’active. Il est blessé une première fois au bras en janvier 1915 dans la Marne, et échappe ainsi au front durant cette terrible année. Il passe sergent dans une compagnie de mitrailleurs à son retour sur la ligne de feu. Il se porte volontaire pour plaider au conseil de guerre de la 10e armée. 1916 voit René Charles Andrieu circuler du Grand Couronné de Nancy, à la Marne, puis s’installer durablement autour de Verdun de juillet 1916 jusqu’au début de l’année 1917. Au mois de mars, son unité se déplace en Champagne et participe à l’offensive Nivelle, en avril, à l’est du dispositif, en face du Mont sans Nom : il passe alors plusieurs jours au feu. Après une permission, il prend son cantonnement à Pont-sur-Meuse et finit l’année comme sous-lieutenant. Retour sur Verdun et Bar-le-Duc, enfin, avant de combattre au printemps de 1918, après 70 jours loin des tranchées (lettre du 6 avril 1918), d’abord sur la Meuse puis sur l’Aisne du côté de Soissons et Saint-Quentin (octobre 1918). Il est finalement blessé une deuxième fois le 5 novembre à Guise. Il participe au défilé du 14 juillet 1919 à Paris avant d’être démobilisé à Agen en août de la même année.

2. Le témoignage.

Celui-ci se compose d’environ 400 lettres écrites pour la grande majorité d’entre elles entre 1914 et 1918. Tour à tour adressées à sa mère et à sa sœur, plus rarement à son père, elles composent un corpus cohérent qui permet de suivre le parcours de ce jeune fantassin. Souvent longues, elles ont eu pour première fonction de renseigner sa famille sur son état. Comme la majorité des correspondances de guerre, elles permettent de tisser un lien, même ténu, entre le soldat et sa famille. Le vocabulaire utilisé et les thèmes abordés dénotent une adaptation progressive du jeune soldat au temps de guerre, tout en trahissant derrière des préoccupations toutes militaires, le souci de rester attaché à son identité civile (demande de renseignements sur le village, les travaux agricoles). La présentation du secteur, du confort matériel, des situations vécues occupent la majeure partie du courrier envoyé : il s’agit bien de rassurer ceux qui recevront les lettres, de matérialiser aussi sa position pour signifier que l’on est en vie.

Cette correspondance, écrite dans un style simple mais direct, complète, est en outre publiée accompagnée de plusieurs mises en contexte bien venues, surtout lorsqu’elles sont accompagnées de cartes claires permettant de mieux comprendre le déroulé d’une bataille ou d’une offensive.

3. Analyse.

La correspondance de René Charles permet de retrouver certains thèmes bien connus de la littérature du témoignage combattant : le sentiment du devoir à accomplir au début du conflit (« c’est pour la France ! »), qui se transforme peu à peu en un sentiment d’indifférence, avec la paix comme point de fuite, le quotidien fait d’ennui et de périodes de fortes activités guerrières, les liens gardés avec l’arrière, les conseils donnés aux parents pour continuer à faire fonctionner les exploitations, les demandes d’argent… Confronté au nomadisme de la vie combattante dans les tranchées, entre premières lignes, secondes lignes, repos à l’arrière front et grand repos, l’intérêt de René Charles se porte massivement sur la nourriture (recevoir des « colis ») et la réception de « la gazeuse », nom donné à l’eau-de-vie. On découvre ainsi un véritable trafic de produits frais en bocaux et boîtes de conserve entre le front et Port Sainte Marie. L’important pour lui étant de pouvoir éviter autant que possible de tout partager avec la « popote » de ses camarades. Le soldat évoque aussi beaucoup les secteurs dans lesquels il se retrouve au gré des changements, fréquents et où il faut se faire sa place. Les permissions, enfin, apparaissent à partir de 1915 comme le grand horizon temporel qui conditionne le moral du soldat. « On parle aussi de supprimer les permissions, ou du moins les restreindre dans une forte proportion, et ça ne me fait guère plaisir » (25 février 1917). Les rumeurs hantent les pages des lettres de René Charles, même si, loin de chez lui, il tente dans chacune d’entre elles de rassurer son entourage. A suivre son témoignage, on pourrait croire que René Charles traverse la guerre sans réelle difficulté, si ce n’est une première blessure en 1915 qui l’éloigne heureusement du front, et une autre reçue le 5 novembre 1918, en toute fin de conflit, lors des combats autour de Guise (Aisne). Le courrier apparaît bien comme un moyen de confirmer qu’il est vivant (lettre du 17 juillet 1917), pour rassurer, même lorsque lui-même se sent en sécurité, « voilà pourquoi il me semble inutile de vous tranquilliser chaque jour » (lettre du 21 octobre 1914). D’autant que sa mère en particulier, souffre de le savoir à proximité du danger à la faveur des gros titres de la presse comme au printemps 1918 (lettre du 23 mars 1918). Le danger se trouve le plus souvent « à droite » ou « à gauche », alors que le secteur gardé par le 9e R.I. reste « calme ». Il ne raconte donc pas la violence des combats, mais profite des permissions pour en faire le récit, a posteriori.

La place des camarades perd de l’importance au fil des missives. Quand certains noms apparaissent, notamment au début de la campagne, ce sont les mêmes qui reviennent. Ceux-ci disparaissent peu à peu, soit à cause de la mort de l’un d’entre eux, soit parce que la lettre ne reste pas le support du récit de la guerre, mais le fil ténu qui relit le front à l’arrière. Les propos se recentrent sur soi, notamment quand René devient officier. Les autres deviennent « les poilus » indifférenciés. Le combattant profitant de sa correspondance pour rompre avec son univers de guerre et se recentrant sur les liens familiaux et sur le « pays ».

Sur le déroulé de la guerre, la correspondance de René Charles couvrant l’ensemble du conflit, permet de suivre une grande partie des temps forts vécus par son unité, de la Marne et l’Argonne, à Verdun, inscrivant notamment l’année 1918 dans un temps de combats très violents (impression renforcée par les encarts explicatifs de Gilbert Andrieu). Comme le souligne René Charles le 8 novembre : « Nous n’avons jamais été aussi secoués que ces derniers temps ». On devine alors dans les mois précédents une forte activité guerrière dans des secteurs « agités ». Cette alternance de périodes de fortes tensions et de calme laisse entrevoir des moments de doute mais aussi de remobilisation des troupes. Ainsi, avant avril 1917, les soldats attendent « le grand coup », expression utilisée par René Charles comme par Valéry Capot, autre soldat du 9e RI dont les carnets sont accessibles aux Archives départementales de Lot-et-Garonne. Réinvestissement et confiance dans la victoire, notamment en raison de la mobilisation de l’artillerie, se lisent alors, avant de laisser la place, devant la prise de conscience rapide de l’échec global de l’offensive, à une morne résignation : la guerre va encore durer longtemps.

Alexandre Lafon, février 2009.

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